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Décisions

CA Rennes, 2e ch. com., 11 octobre 2000, n° 99-06223

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

JP Outillage (Sté)

Défendeur :

Delta Dore (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bothorel

Conseillers :

M. Poumarede, Mme Teze

Avoués :

SCP Chaudet, Brebion, SCP Leroyer B Gauvain & Demidoff

Avocats :

Mes Ryfman, Monegier du Sorbier.

T. com. Saint-Malo, du 13 juill. 1999

13 juillet 1999

Exposé des faits - Procédure - Objet du recours

Par jugement en date du 13 juillet 1999, le tribunal de commerce de Saint-Malo, saisi à l'initiative de la société Delta Dore, a :

- déclaré la société JP Outillage coupable de concurrence déloyale par parasitisme à l'encontre de la société demanderesse,

- nommé un expert afin d'évaluer le préjudice subi par la société Delta Dore et ordonné à la société JP Outillage de cesser toute commercialisation du produit litigieux, sous astreinte comminatoire de 2.000 francs par jour de retard constaté après un délai de 8 jours suivant la signification du jugement,

- assorti ces deux mesures de l'exécution provisoire,

- ordonné à la société JP Outillage de détruire devant huissier ou de remettre à la société Delta Dore tous les produits litigieux qu'elle a en sa possession sous astreinte de 1.000 francs par jour de retard à compter de la signification du jugement,

- condamné la société JP Outillage au paiement de la somme de 3.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

Par acte en date du 7 septembre 1999, la société JP Outillage a interjeté appel de cette décision.

Moyens proposés par les parties

A l'appui de son appel, la société JP Outillage fait valoir que :

- les conditions nécessaires à la qualification de concurrence déloyale par acte de parasitisme ne sont pas réunies aux motifs que, d'une part, les différences relevées par les premiers juges entre les thermostats ne sont pas mineures mais importantes et concernent tant la configuration de l'appareil que ses fonctions et son conditionnement d'où l'absence d'un risque de confusion dans l'esprit du public, d'autre part, ni les efforts intellectuels, financiers et de recherches effectués par la société Delta Dore pour la mise au point de cet appareil ni une réelle renommée de cette société auprès des consommateurs ne sont démontrés,

- à titre subsidiaire, la société Delta Dore ne rapporte pas la preuve de la nature et de l'étendue de son préjudice,

La société JP Outillage demande en conséquence à la cour de :

- réformer le jugement déféré,

- débouter la société Delta Dore de toutes ses demandes,

- condamner cette dernière à lui verser la somme de 100.000,00 francs à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, outre la somme de 50.000,00 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

Intimée, la société Delta Dore qui adopte pour l'essentiel les motifs du jugement du tribunal, demande à la cour de :

- confirmer la décision,

- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans cinq publications de son choix à la charge de la société appelante et pour un coût unitaire de 35.000 francs HT,

- condamner la société JP Outillage à lui verser la somme complémentaire de 50.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision et aux conclusions déposées.

Motifs de l'arrêt

Considérant que le parasitisme entre entreprises consiste en des agissements par lesquels un agent économique s'immisce dans le sillage d'un autre afin de tirer profit indûment des efforts, du savoir-faire et des investissements effectués par ce dernier pour développer un produit ; que ces faits sont constitutifs de concurrence déloyale indépendamment de tout risque de confusion dans l'esprit du public entre le produit d'origine et le produit "parasite" ;

Considérant que, contrairement à ce que soutient la société JP Outillage, le défaut de renommée de l'entreprise victime de l'appropriation importe peu, en ce qu'il suffit que la copie du produit confère un avantage concurrentiel injustifié à l'auteur du parasitisme notamment par l'économie de coûts qui en résulte;

Considérant que la société Delta Dore justifie avoir commercialisé dès 1989 le modèle de thermostat litigieux dénommé Eurotybox par la production d'une facture adressée le 31 octobre 1989 à la société CEIM ; que le dossier de presse joint au dossier de la société appelante confirme bien l'antériorité et une certaine notoriété des différents thermostats conçus par Delta Dore dont le modèle Eurotybox ; qu'il importe peu à cet égard que ces articles rédactionnels "ne représentent nullement un procédé publicitaire onéreux en ce que le "rédactionnel" est gratuit" dès lors que la société Delta Dore n'inclut pas ces publications dans les investissements qu'elle a réalisés ;

Considérant que le thermostat qu'elle commercialise reprend pour l'essentiel les caractéristiques du modèle vendu par Delta Dore; qu'il résulte de l'examen des modèles litigieux et de leurs fonctions que :

- la structure de ces appareils est sensiblement la même, notamment par l'agencement de la dite structure qui comporte trois pièces dont une porte coulissante qui est un choix parmi d'autres tels la porte à charnière,

- la forme est identique (rectangulaire) et les dimensions coïncident au millimètre près, alors que les autres modèles concurrents de thermostat adoptent des dimensions et des formes (arrondie ou carrée) nettement différenciées,

- examinés par la tranche, les deux thermostats ont une rainure identique, au niveau de la jonction des parties arrière et avant, sur tout le pourtour de l'appareil,

- les fonctions affichées sur les emballages, bien que rédigées dans un style différent, apparaissent similaires ou équivalentes pour le consommateur qui peut lire s'agissant du thermostat Eurotybox "s'adapte au chauffage électrique, gaz ou fuel" et s'agissant du thermostat d'ambiance programmable de JP Outillage "compatible avec chaudière au fuel, au gaz ou électrique",

- la couleur blanc cassé du boîtier est similaire,

- la partie arrière des boîtiers présente également des similitudes (forme du compartiment des piles et fiche de connexion),

- les cadrans, bien que disposés dans des sens différents, sont de dimensions identiques,

Considérant que ces similitudes ne peuvent résulter d'impératifs purement fonctionnels qui ne sauraient dépasser ceux de simple discrétion et facilité de manipulation des commandes;

Considérant que la différence des emballages (cartonné pour Eurotybox et plastifié pour le produit JP Outillage) est inopérante dès lors que l'on peut considérer que le public, intéressé par le seul produit, est indifférent à l'emballage utilisé qui est parfois, pour un produit identique, variable d'un distributeur à l'autre;

Considérant qu'il résulte de ces constatations que l'imitation du modèle mis au point par Delta Dore est indéniable, quand bien même le modèle vendu par JP Outillage, apparu postérieurement, présente quelques variantes limitées à des points de détails, (boutons de réglage) étant donné que la compatibilité du thermostat JP Outillage avec les installations de climatisations est inopérante, seuls étant en cause les boîtiers de régulation de température ;

Considérant que la société Delta Dore justifie d'un commencement de preuve des dépenses mises en œuvre pour développer l'Eurotybox par la production de factures de frais d'études et conception ; que, à l'inverse, la société JP Outillage ne verse aucune pièce établissant qu'elle a effectué des investissements pour commercialiser le thermostat litigieux;

Considérant qu'il est ainsi suffisamment démontré que la société JP Outillage s'est livrée à des actes de concurrence déloyale par parasitisme ; qu'il convient donc de la débouter de l'ensemble de ses demandes et de confirmer la décision déférée dans toutes ses dispositions, sauf à dire que l'astreinte sera provisoire, étant ajouté que les premiers juges ont écarté avec raison comme inutile la mesure de publicité sollicitée ;

Considérant que la société JP Outillage qui succombe supportera les dépens, qu'elle ne peut de ce fait bénéficier des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, que l'équité commande, en revanche, de faire droit à la demande de la société Delta Dore fondée sur ce chef à hauteur de la somme de 20.000 francs ;

Par ces motifs : La cour statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement déféré sauf à dire que l'astreinte assortissant l'interdiction de commercialiser le produit est provisoire; Y ajoutant, Condamne la société JP Outillage à verser à la société Delta Dore la somme de 20.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile; Rejette toutes autres demandes; Condamne la société JP Outillage aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure civile.