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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 27 septembre 2000, n° 1998-26721

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

MBIP (SA)

Défendeur :

Sprint (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Renard-Payen

Conseillers :

Mmes Jaubert, Percheron

Avoués :

Me Olivier, SCP Bommart-Forster

Avocats :

Mes Peton, Rebiffe.

T. com. Paris, 14e ch., du 1er oct. 1998

1 octobre 1998

La Société Qualitra Intérim a acquis le 28 février 1994 le fonds de commerce de travail temporaire dont la Société Nationale de Personnel Temporaire (la SNPI) était propriétaire ; par le jeu de l'article L. 122.12 du Code de Travail les contrats de travail avec clause de non-concurrence de Messieurs Graziani et Devise respectivement cadre commercial et agent administratif de la SNPI lui ont été transférés.

Après leur licenciement intervenu pour le premier par notification du 19 janvier 1995, pour le second par notification du 23 mai 1995, les deux salariés ont été embauchés par la Société de Travail Temporaire Sprint. Estimant que la Société Sprint avait commis des faits constitutifs de concurrence déloyale, la Société Qualitra Intérim l'a assignée ainsi que la Société d'Intégration et de Regroupement d'Entreprises Commerciales (la Société SJREC) devant le Tribunal de Commerce de Paris qui par jugement du 1er octobre 1998 a :

- débouté la Société MBIP venant aux droits de la Société Qualitra Intérim de ses demandes,

- débouté la Société SIREC de sa demande reconventionnelle,

- condamné la Société MBIP à verser à chacune des sociétés défenderesses la somme de 10.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Appelante la Société MBIP prie la Cour de réformer le jugement en toutes ses dispositions et ce faisant:

- Vu les articles 1382, 1383 et 1384 alinéa 5 du Code Civil de : - constater la commission par la Société Sprint ou par les préposés dont elle répond, de faits constitutifs de concurrence déloyale,

- condamner en conséquence la Société Sprint à lui verser la somme d'un million de francs et ordonner la diffusion par extrait de l'arrêt dans trois périodiques de son choix aux frais de la dite société,

- enjoindre en tant que de besoin à la Société Sprint de communiquer les K bis des sociétés Cotragen et GNMN facture et protocoles visés à ses écritures de première instance,

- constater que le motif de cessation d'activité de la Société Sprint à l'initiative de la Société SIREC (son unique associé) constitue un fait préjudiciable à la Société Qualitra Intérim et condamner en conséquence solidairement la Société SIREC à verser la somme de un million de francs,

- condamner la Société Sprint à lui verser la somme de 25.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. La Société Sprint prie la Cour :

- de confirmer le jugement déféré,

- de constater qu'elle n'a commis aucun fait constitutif de concurrence déloyale et que le motif de la cessation d'activité de la Société Sprint, à l'initiative de la Société SIREC, a été provoqué par le refus du Crédit du Nord de proroger la garantie financière prévue à l'article R. 124-8 du Code du Travail et qu'en absence d'une telle garantie l'activité de la Société ne pouvait être poursuivie ce qui est indépendant de la volonté des dirigeants de la société et ne peut constituer un fait préjudiciable à la Société Qualitra Intérim,

- subsidiairement de ramener le quantum de la réparation à la somme de 100.000 F, - condamner la Société Qualitra Intérim à verser la somme de 15.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Cela étant exposé :

I - Sur les demandes dirigées contre la Société Sprint

Considérant que la Société Qualitra Intérim fait grief à la Société Sprint qui par sa gérante, ancienne salariée de la Société SNPI, connaissait nécessairement les clauses de non-concurrence liant Messieurs Graziani et Devise à la Société SNPI puis à la Société Qualitra Intérim, d'avoir avec la complicité de Monsieur Graziani (avant même son embauche par elle) en concertation avec Monsieur Devise détourné à son profit la clientèle du secteur de la restauration qui avait été transférée à la Société Qualitra Intérim par l'acquisition du fonds de commerce de la SNPI;

Considérant que Messieurs Devise et Graziani qui étaient liés à la Société Qualitra Intérim par un contrat de travail comportant une clause de non-concurrence limitée à une durée de deux ans et à Paris et la Région Parisienne, ont été embauchés par la Société concurrente Sprint respectivement les 1er avril 1995 et 2 octobre 1995 alors que cette clause était encore en vigueur;

Qu'il ressort de l'arrêt de la Cour de Paris du 20 janvier 1999 qui a dit que le licenciement de Monsieur Graziani avait une cause grave ainsi que des attestations produites et du constat de Maître Delubac désigné par ordonnance de référé ; qu'avant son licenciement de la Société Qualitra Intérim, Monsieur Graziani avait démarché une partie de la clientèle de son employeur pour la détourner au profit de la Société Sprint en l'adressant utilement à Monsieur Devise qui venait d'être embauché par elle ;

Considérant que ces éléments sont, cependant, insuffisants pour établir que la Société Sprint était au courant voire complice de ces faits et que l'embauche de Monsieur Graziani en octobre 1995 était artificielle puisqu'il "travaillait pour elle" depuis mai ou peut-être mars 1995;

Considérant par ailleurs qu'il ne peut être déduit de ce que la gérante de la Société Sprint était une ancienne salariée de la Société SNPI, qu'elle savait que Messieurs Graziani et Devise étaient tenus par une clause de non-concurrence, dès lors qu'aux termes des contrats de travail, la SNPI pouvait renoncer à la clause de non-concurrence ;que si les parties avaient convenues de porter la mention de la clause de non-concurrence sur le certificat de travail remis au moment du départ du salarié, force est toutefois de relever qu'il était indiqué sur lesdits certificats que les salariés étaient libres de tout engagement.

Que dans ces conditions il ne peut être valablement reproché à la Société Sprint de ne pas s'être étonnée de l'efficacité de Monsieur Graziani et de ne pas avoir recherché si le développement de sa clientèle "résultait des seules capacités de ses salariés".

Mais considérant qu'à l'examen notamment des annexes du constat de Maître Delubac et des résultats de l'entreprise, il apparaît que Messieurs Graziani et Devise, alors qu'ils étaient préposés de la Société Sprint, ont dans le cadre de la mission qui leur était impartie - le premier était attaché commercial et le second agent administratif - respectivement contacté à plusieurs reprises d'importants clients attachés au fonds de la Société Qualitra Intérim dont Paris Repas Prestige - ASPP - le Crédit Lyonnais - Les Toques Parisiennes - Lever - Les PTT - Sogeres - Air France - La Concorde - le CCF, et signé avec la plupart des contrats de mise à disposition de personnel intérimaire tandis que la Société Qualitra Intérim subissait une baisse importante de son chiffre d'affaires et la Société Sprint une augmentation sensible du sien;

Que la Société Qualitra Intérim est donc bien fondée à engager la responsabilité de la Société Sprint sur le fondement de l'article 1384-5 du Code Civil.

Considérant qu'eu égard notamment au chiffre d'affaires réalisé par la Société Qualitra Intérim en 1995 et 1996 (elle a cédé son fonds en 1997) avec les clients détournés, du chiffre d'affaires réalisé par la Société Sprint avec les principaux d'entre eux, de la marge nette habituellement pratiquée - 6 à 10 % - de l' incidence du détournement de clientèle sur la valorisation du fonds lors de sa cession en 1997 et tenant compte de ce que les clients de la Société Qualitra Intérim n'étaient pas tenus de contracter avec elle seule, la Cour dispose de suffisamment d'éléments pour constater que cette société a subi un préjudice qui sera réparé par l'allocation de la somme de 300.000 F;

Considérant par ailleurs, qu'il n'y a pas lieu à publication de la décision ;

II - Sur les demandes dirigées contre la Société SIREC

Considérant que la Société Qualitra Intérim fait valoir pour l'essentiel que la Société SIREC en tant qu'associée unique de la Société Sprint a un pouvoir absolu de contrôle sur elle et celui de la soutenir, que la Société Sprint ne justifie pas d'un lien de causalité entre les impayés importants et le retrait de la garantie ni de la recherche d'un nouveau gérant, que la "mise en sommeil" de la Société Sprint depuis quatre ans prive cette société de toute chance de reprise de toute activité, qu'en définitive en décidant la cessation d'activité de sa filiale Sprint qui la prive de toutes ressources et trésorerie et donc de la possibilité d'exécuter la décision à intervenir, la Société SIREC est l'auteur d'un fait qui lui est préjudiciable ; qu'elle s'estime bien fondée à redouter l'insolvabilité de son débiteur - puisque en raison de l'absence de toute dissolution, l'associée unique retarde l'effet d'une transmission universelle du patrimoine à son profit;

Que la Société Sprint oppose que le retrait de garantie accordée par le Crédit du Nord est lié aux importants impayés de deux de ses clients - les sociétés Cotragen et GNMM (dépendant du groupe Cotragen) avec lesquels elle a conclu des protocoles - et que dans ces conditions la Société SIREC a pris acte par procès-verbal du 29 août 1998 de l'impossibilité de poursuivre l'activité de la Société Sprint au-delà du 31 août 1998, qu'enfin en application des règles les plus fondamentales des sociétés, la Société SIREC ne peut être mise en cause soit l'intérêt qu'aurait la société Qualitra Intérim à le demander ;

Considérant que la dissolution de la Société Sprint n'est pas intervenue, qu'il est constant qu'elle s'est vue retirer la garantie financière prévue à l'article R. 124-8 du Code du Travail et qu'elle a dans ces conditions pu poursuivre son activité, que de plus la Société Qualitra Intérim avait la faculté de se procurer les extraits K bis des sociétés Cotragen et GNMM et, comme l'avait fait son adversaire le 6 septembre 1999, de solliciter devant le conseiller de la mise en état la production des pièces qu'elle jugeait utiles ; qu'en absence de tout élément, elle ne caractérise pas une faute de la Société SIREC dans la cessation d'activité de la Société Sprint étant de surcroît relevé que le Crédit du Nord a indiqué par courrier qu'au 24 décembre 1998 le compte de la Société Sprint présentait au 24 décembre 1998 un solde créditeur de 633.305,11 F sous réserve des opérations en cours ou en germe sans que soit indiquée l'existence de telles opérations depuis cette date ;

Que la Société Qualitra Intérim sera en conséquence déboutée de sa demande de condamnation conjointe de la Société SIREC;

III - Sur l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile considérant qu'il est équitable d'allouer à la seule Société Qualitra Intérim la somme de 20.000 F qui sera mise à la charge de la Société Sprint;

Que la Société Sprint qui succombe en l'essentiel de ses prétentions sera déboutée de sa demande prononcée à ce titre;

LA COUR : Réforme le jugement déféré, statuant à nouveau et y ajoutant, Condamne la Société Sprint à payer à la Société MBIP venant aux droits de la Société Qualitra Intérim la somme de 300.000 F ainsi que celle de 20.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, Déboute les parties du surplus de leurs demandes, Condamne la Société Sprint aux dépens à l'exception de ceux de la Société SIREC qui seront supportés par la Société MBIP, Admet les avoués concernés au bénéfice de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.