CA Paris, 4e ch. B, 22 septembre 2000, n° 1997-16407
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Miki House (SARL)
Défendeur :
Dagobert (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Boval
Conseillers :
M. Lachacinski, Mme Mandel
Avoués :
Me Hardouin-Herscovici, SCP Bommart-Forster
Avocats :
Mes Jesslen, Legrand.
Faits et procédure
Référence étant faite au jugement entrepris pour l'exposé des faits, de la procédure et des moyens antérieurs des parties, il suffit de rappeler les éléments essentiels suivants :
La société Dagobert, spécialisée dans la création de jeux et jouets, se prévalant de ses droits sur un jouet constitué par un ours en carton articulé vendu en kit et ayant eu connaissance en août 1996 de ce que la société Miki House annonçait dans la presse l'offre à tout acheteur d'un article Miki House d'un cadeau au nombre desquels figurait un ours en carton qui reproduirait les caractéristiques de son propre ours et dont la notice de montage serait également identique à la sienne, l'a, par exploit en date du 1er octobre 1996, assignée en contrefaçon et en concurrence déloyale devant le tribunal de commerce de Paris. Elle sollicitait, outre les mesures habituelles d'interdiction sous astreinte et de publication, le paiement d'une indemnité de 200 000 F pour l'atteinte à son droit privatif et de 100 000 F pour son préjudice commercial ainsi qu'une somme de 25 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.
Miki House contestait les droits de Dagobert sur l'ours invoqué et subsidiairement concluait à l'absence d'originalité de l'ours et de contrefaçon. A titre infiniment subsidiaire, elle faisait valoir que Dagobert ne justifiait d'aucun préjudice et d'aucun fait distinct de concurrence déloyale. Par ailleurs, elle formait une demande reconventionnelle en paiement de la somme de 30 000 F à titre de dommages et intérêts et de celle de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.
Le tribunal après avoir retenu que Dagobert était titulaire des droits d'auteur sur l'ours invoqué, que celui-ci était protégeable et que l'ours incriminé en constituait une copie quasi servile a
- dit que Miki House s'était rendue coupable de contrefaçon et de concurrence déloyale à l'encontre de Dagobert,
- condamné Miki House au paiement de la somme de 100 000 F à titre de dommages et intérêts, toutes causes de préjudice confondues,
- prononcé des mesures d'interdiction sous astreinte de 1 000 F par infraction constatée à compter de la signification du jugement,
- autorisé diverses mesures de publication,
- ordonné la destruction des articles contrefaisants,
- condamné Miki House au paiement de la somme de 25 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire sauf en ce qui concerne la publication et la destruction.
Appelante selon déclaration du 17 juillet 1997, Miki House demande à la Cour de déclarer irrecevable la demande de Dagobert, à titre subsidiaire de dire que l'ours n'est pas original et que l'ours incriminé n'en constitue pas la contrefaçon. Sur le grief de concurrence déloyale elle conclut au rejet de la demande. Enfin elle sollicite le versement d'une somme de 30 000 F à titre de dommages et intérêts et d'une indemnité de même montant pour ses frais hors dépens.
Dagobert poursuit la confirmation du jugement sauf en ce qui concerne les mesures réparatrices. Formant appel incident sur ce point, elle réclame le paiement d'une somme de 300 000 F à titre de dommages et intérêts, la remise des ours figurant dans le stock de Miki House sous astreinte de 1 000 F par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt aux fins de destruction ainsi que le versement d'une somme de 50 000 F pour ses frais hors dépens.
Sur ce, LA COUR,
I. Sur la recevabilité de Dagobert à agir en contrefaçon :
Considérant que Miki House fait valoir que Dagobert est irrecevable à agir en contrefaçon sur le fondement de l'article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle au motif qu'elle ne justifie pas que Monsieur Olivier Michielsen créateur de l'œuvre lui en a cédé les droits patrimoniaux d'auteur, qu'aucune cession conforme à l'article L 131-3 du Code de la propriété intellectuelle n'est produite et qu'une simple attestation de l'auteur est insuffisante pour établir la réalité de la cession ;
Mais considérant, qu'il résulte des pièces mises aux débats et notamment de catalogues datés et de factures que, dès 1994, l'ours cartonné articulé dont se prévaut Dagobert a été commercialisé sous son nom ou exposé dans des salons ; que de même il est établi par une lettre en date du 4 juillet 1994 qu'elle a concédé à la société Les Quatrains Si Tu Veux l'exclusivité de l'utilisation du dessin de l'ourson Dagobert dans le cadre de son catalogue de vente par correspondance (Dagobert précisant rester propriétaire de l'ourson et se réservant le droit de le commercialiser dans ses réseaux habituels) et qu'en effet ce jouet est présenté dans les catalogues de vente par correspondance de cette société de 1994-1995 et 1995-1996 ; que de plus Monsieur Olivier Michielsen créateur, non contesté de l'ours en question et de son dessin, a déclaré le 27 septembre 1996 en avoir cédé tous les droits de reproduction à Dagobert ;
Que dans ces conditions, en l'absence de toute revendication d'Olivier Michielsen, les actes d'exploitation par Dagobert de l'ours en carton articulé invoqué en l'espèce, font présumer à l'égard de Miki House, tiers poursuivi pour contrefaçon, que Dagobert était titulaire des droits de reproduction à la date d'introduction de l'instance ; que Miki House, étrangère à l'acte de cession des droits, ne peut valablement invoquer à son profit les dispositions de l'article L. 131-3 du Code de la propriété intellectuelle lesquelles n'ont pour objet que de protéger l'auteur ;
Que Miki House ne produisant aucune pièce de nature à détruire la présomption dont bénéficie Dagobert, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a dit qu'elle était recevable à agir en contrefaçon sur le fondement de l'article L. 122- 4 du Code de la propriété intellectuelle ;
II. Sur le caractère original de l'ours de Dagobert :
Considérant que Miki House conteste l'originalité de l'ours de Dagobert tant en ce qui concerne le dessin de cet ours que le jouet ; qu'elle fait tout d'abord valoir que le dessin ne fait que reprendre les caractéristiques de l'ours "Winnie The Pooh" qui existe depuis 1926 et que le fait qu'il soit stylisé ne lui confère aucune originalité ; que par ailleurs elle expose que l'assemblage des pièces et la réalisation finale du jouet articulé au moyen d'attaches parisiennes ne saurait constituer une originalité dans la mesure où il s'agit d'une technique d'assemblage classique de pantin en carton ou en bois ;
Mais considérant que Dagobert réplique à juste titre, que le seul point commun existant entre l'ours "Winnie The Pooh" et son dessin d'ours est de représenter un ours vu de profil ; qu'alors que "Winnie The Pooh", dans les dessins qui en sont donnés, est très ventru, a de petites oreilles se détachant très nettement sur le dessus de la tête, la truffe retroussée, une tête très large, des pattes sensiblement de même largeur que les membres supérieurs, un dos arrondi, l'ours de Dagobert se distingue par son allure élancée, par sa tête plus ou moins en forme de triangle dont la ligne supérieure est parfaitement droite et se termine par la truffe, par ses grandes oreilles, ses membres inférieurs nettement plus charnus que ses membres supérieurs, son dos droit; qu'en conférant de telles caractéristiques au dessin de son ours, en lui donnant un aspect très stylisé n'évoquant nullement l'ours en peluche tout en rondeur, Olivier Michielsen lui a donné un aspect spécifique permettant de le distinguer d'autres dessins d'ours et portant l'empreinte de sa personnalité ; que ce dessin d'ours original bénéficie donc de la protection par le droit d'auteur :
Considérant qu'en ce qui concerne le jouet lui-même, outre le fait que Miki House ne produit aucun ours en carton articulé, l'auteur du jouet Dagobert ne s'est pas contenté d'assembler des pièces par des attaches parisiennes; qu'en concevant et réalisant un ours en carton en trois dimensions susceptible de par sa forme plate, ses proportions, son volume et le doublage de l'ensemble des éléments le constituant de tenir debout, assis ou à quatre pattes et de pouvoir bouger la tête, il l'a marqué de l'empreinte de sa personnalité et lui a conféré un caractère original ;
Que le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a dit que le dessin de l'ours Dagobert et le jouet réalisé à partir de celui-ci constituent des œuvres originales protégeables au titre du Livre 1 du Code de la propriété intellectuelle ;
III. Sur la contrefaçon :
Considérant que Miki House fait valoir qu'il existe entre son ours et celui de Dagobert des différences déterminantes au niveau du carton, de la couleur, des habits et des griffes et qu'en conséquence le grief de contrefaçon ne peut être retenu ; qu'elle ajoute que la mauvaise foi, la connaissance de cause du prétendu contrefacteur est exigée pour la réalisation de la contrefaçon et qu'en l'espèce cette mauvaise foi est inexistante ;
Considérant ceci exposé, que Dagobert expose que son ours en carton se caractérise en ce que
- il est réalisé en carton kraft, présenté à plat dans un sachet, destiné à être monté à partir de pièces prédécoupées, les articulations entre les pièces étant assurées au moyen de cinq attaches parisiennes,
- il a des bras et des jambes articulés et doublés lui permettant d'adopter différentes positions,
- ses oreilles et sa truffe sont soulignées afin d'être coloriées par l'enfant,
- un ruban à attacher autour de son cou est fourni ;
Considérant que l'intimé fait à juste titre valoir que l'ensemble des caractéristiques conférant à son ours une physionomie propre sont reproduites par l'ours incriminé ; qu'en effet les pièces versées au débat établissent qu'il s'agit d'un ours en carton présenté à plat dont la tête, les membres inférieurs et supérieurs sont articulés de même que la tête grâce à cinq attaches parisiennes, que toutes les pièces sont doublées, que la tête, le corps, les bras et les jambes ont les mêmes proportions que l'ours Dagobert, que les yeux, les oreilles et la truffe ont une ligne identique, qu'un ruban se noue autour du cou ;
Considérant par ailleurs, que tant sur l'emballage du jouet offert par l'appelante que sur son catalogue figure un dessin reproduisant servilement le dessin de l'ours de Dagobert ;
Considérant que la contrefaçon s'appréciant par les ressemblances et non selon les différences, Miki House ne saurait se prévaloir des très légères différences de détail existant entre les deux ours quant à la taille et à la découpe des oreilles et des bras que seul un oeil particulièrement avisé peu déceler ; que le fait que l'ours de Miki House soit fabriqué dans un carton kraft blanchi et colorié n'en modifie pas l'aspect d'ensemble et ce d'autant plus que l'ours de Dagobert est destiné à être colorié par l'enfant ;
Considérant enfin qu'outre le fait que devant les juridictions civiles, la seule matérialité de la reproduction suffit à engager la responsabilité de son auteur, il convient de relever qu'en l'espèce Miki House connaissait nécessairement l'ours de Dagobert pour avoir participé tout comme l'intimée à l'exposition du Musée des Arts Décoratifs du 9 février au 30 avril 1994, dont l'ours illustrait le carton d'invitation et dont le nom était cité dans le catalogue avec celui d'autres entreprises dont Miki House ;
Que le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a condamné Miki House pour contrefaçon du dessin et du jouet de Dagobert.
IV. Sur la concurrence déloyale
Considérant que Miki House soutient que Dagobert ne justifie d'aucun fait distinct de concurrence déloyale et que les deux sociétés ne sont pas en situation de concurrence ; qu'elle ajoute que Dagobert qui a autorisé la société Quatrains Si Tu Veux à utiliser gratuitement son ours, n'attache manifestement aucune valeur économique à cet objet ;
Mais considérant que Dagobert réplique à juste titre qu'en utilisant un plan de montage reproduisant servilement son propre plan en trois étapes successives sans même prendre la peine de lui apporter les modifications de détail qui permettraient de l'adapter à son propre produit (petite découpe sur le haut de la tête et sur les bras) Miki House a fait preuve d'un comportement déloyal et commis une faute engageant sa responsabilité ; que Dagobert commercialisant son ours en carton tant auprès de sociétés vendant des vêtements pour enfants (Catimini, Cyrillus) que de particuliers, si on se réfère à son catalogue, est, contrairement à ce que soutient Miki House, en concurrence avec l'appelante qui propose à la vente des vêtements et des jouets ;
Que le grief de concurrence déloyale est donc bien fondé ;
V. Sur le préjudice :
Considérant que Miki House expose que Dagobert ne justifie d'aucun préjudice et ne démontre pas que la baisse de commandes du Salon Maison et Objets lui soit imputable ; qu'elle ajoute que seuls 58 ours contestés ont été distribués début septembre 1996 sur les 550 commandés et livrés et que dès la mise en demeure de Dagobert du 6 septembre 1996, l'ours en question a été retiré de ses magasins ;
Mais considérant que Dagobert réplique à juste titre que Miki House lui a causé un préjudice en portant atteinte à ses droits privatifs sur son dessin et son jouet représentant un ours ; qu'en outre en éditant et diffusant à 600 000 exemplaires un catalogue reproduisant l'ours contrefaisant de même qu'en faisant paraître en 1996 dans la presse, des publicités annonçant aux lecteurs que pour tout achat d'un article Miki House un cadeau au nombre desquels se trouvait l'ours incriminé, l'appelante a porté une atteinte d'autant plus importante à la valeur attractive du jouet de Dagobert que celui-ci avait fait l'objet dans la presse d'articles promotionnels ; qu'au demeurant, par une lettre en date du 23 juin 1997, la société Si Tu Veux, qui commercialisait l'ours Dagobert par correspondance, a fait savoir à l'intimée qu'elle entendait retirer cet objet de son prochain catalogue en raison de la copie "Miki House" ;
Considérant par ailleurs, que Miki House ne saurait prétendre que Dagobert n'a subi aucun préjudice commercial du fait des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale et que l'ours ne présentait aucune valeur économique dès lors que l'intimée établit que les commandes passées par le Salon Maison et Objet pour l'ours petit modèle (correspond à l'ours de Miki House) ont très nettement diminuées en septembre 1996 par rapport à septembre 1995 et que la société Si Tu Veux l'a retiré de son catalogue ;
Considérant enfin que Miki House qui a reçu livraison de 600 exemplaires de l'ours cartonné en pièces détachées en mars et juin 1996 en a distribué au moins 112 et non 58 comme elle le prétend, dans la mesure où lors d'un constat dressé le 21 février 1997 dans ses locaux Place des Victoires l'huissier a trouvé 488 planches ;
Que compte tenu de ces éléments, les premiers juges ont fait une appréciation insuffisante du préjudice subi par Dagobert et il convient d'allouer à celle-ci, toutes causes de préjudice confondues la somme de 200 000 F ;
Que les mesures d'interdiction et de publication telles qu'ordonnées par le tribunal seront confirmées, observation étant faite qu'il devra être fait mention du présent arrêt ; que de plus il sera fait droit aux mesures de destruction dans les conditions précisées au dispositif ;
VI. Sur la demande reconventionnelle :
Considérant que Miki House qui succombe ne saurait qualifier d'abusive l'action engagée à son encontre ; qu'elle sera en conséquence déboutée de sa demande en paiement de dommages et intérêts et de celle en restitution des sommes versées au titre de l'exécution provisoire ;
VII. Sur l'article 700 du nouveau code de procédure civile :
Considérant que l'équité commande d'allouer à Dagobert pour les frais hors dépens par elle engagés en appel une somme de 15 000 F, les premiers juges ayant fait une exacte appréciation des frais de première instance ;
Que Miki House conservera la charge de ses propres frais ;
Par ces motifs, et ceux non contraires des premiers juges, Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a condamné la société Miki House au paiement de la somme de 100 000 F à titre de dommages et intérêts, Le réformant de ce chef, statuant à nouveau et y ajoutant, Condamne la société Miki House à payer à la société Dagobert la somme de 200 000 F à titre de dommages et intérêts, Dit que les mesures de publication devront faire mention du présent arrêt, Ordonne la remise par la société Miki House des exemplaires de l'ours contrefaisant en sa possession ou sous son contrôle sous astreinte de 500 F par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt aux fins de destruction à ses frais et par huissier, Rejette toute autre demande des parties, Condamne la société Miki House à payer à la société Dagobert une somme supplémentaire de 15 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile, La condamne aux dépens d'appel, Admet la SCP Bommart Forster au bénéfice de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.