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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 22 septembre 2000, n° 1998-25770

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Mige, Dermopharm (SARL)

Défendeur :

Laboratoire Chauvin (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boval

Conseillers :

Mmes Mandel, Regniez

Avoués :

Me Huyghe, SCP Lagourgue

Avocats :

Mes Lucaioli-Laperle, Barthelemy.

TGI Paris, 29 sept. 1998

29 septembre 1998

La cour statue sur l'appel interjeté par la société Dermopharm et Monsieur Patrick Mige d'un jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris, le 29 septembre 1998, dans un litige les opposant à la société Laboratoire Chauvin.

La société Laboratoire Chauvin est titulaire de la marque Cerulyse déposée en 1972 renouvelée le 23 janvier 1992 et enregistrée sous le numéro 1 200 608 pour désigner en classe 5 des "Produits pharmaceutiques, vétérinaires et d'hygiène".

Elle commercialise sous cette marque un produit dont le seul principe actif est le xylène et qui est destiné à traiter les bouchons de cérumen.

M. Mige a déposé le 13 février 1995 la marque Cerufluid n° 95 558 632 désignant en classes 3 et 5 divers produits pharmaceutiques, vétérinaires, hygiéniques et chimiques.

Monsieur Mige a confié l'exploitation de la marque Cerufluid à la société Dermopharm (dont il est l'un des associés) qui a mis en vente sous ce nom, en 1995, un produit destiné à faire disparaître les bouchons de cérumen.

En décembre 1995, Laboratoire Chauvin a fait assigner Dermopharm en référé devant le président du tribunal de commerce de Paris. Imputant à son adversaire des agissements déloyaux et parasitaires et lui reprochant de mener en outre à son encontre une campagne publicitaire dénigrante, elle demandait qu'il lui soit fait interdiction sous astreinte de poursuivre la commercialisation du produit Cerufluid.

Par ordonnance du 19 décembre 1995, il a été fait droit à ces demandes.

L'ordonnance a toutefois été réformée ultérieurement par arrêt de cette Cour (14e Chambre) du 7 août 1997.

Entre-temps, par acte du 22 avril 1996, Laboratoire Chauvin avait fait assigner au fond M. Mige et Dermopharm devant le Tribunal de grande instance de Paris. Elle reprochait à ses adversaires d'avoir contrefait la marque Cerulyse en déposant et en exploitant la marque Cerufluid, et d'avoir commis des actes de concurrence déloyale et de publicité comparative illicite. Outre des mesures d'interdiction, de publication et de confiscation, elle réclamait que les défendeurs soient solidairement condamnés à lui payer diverses sommes à titre de dommages intérêts.

M. Mige et Dermopharm avaient conclu au rejet de l'intégralité des prétentions de Laboratoire Chauvin et avaient reconventionnellement demandé que cette société soit condamnée à leur payer des dommages intérêts en réparation de leurs préjudices tenant notamment à la perte de redevances subie par M. Mige et à la perte de chiffre d'affaires éprouvée par Dermopharm.

Par le jugement entrepris, le tribunal a :

- dit que Monsieur Mige en déposant la marque Cerufluid et la société Dermopharm en l'exploitant ont commis des actes de contrefaçon de la marque Cerulyse dont est titulaire la société Laboratoire Chauvin,

- interdit, en tant que de besoin, la poursuite de ces agissements sous astreinte de 1.000 F par infraction constatée à compter de la signification du jugement,

- ordonné, en tant que de besoin, la confiscation des produits portant la marque Cerufluid encore détenus par Monsieur MIGE et la société Dermopharm, ce sous le contrôle d'un huissier, aux frais des défendeurs,

- dit que l'huissier procédera à la destruction des produits portant la marque contrefaisante,

- prononcé la nullité de la marque Cerufluid enregistrée sous le numéro 95.558.632 à l'INPI,

- dit que le jugement serait transmis sur réquisition du greffier à l'INPI pour inscription au Registre National des Marques,

- dit que la société Dermopharm en diffusant une publicité comparant le Xylène et le Cerofluid et en adoptant le slogan "Bouchons de cérumen enfin un produit qui ne se contente pas de... ramollir!" a dénigré le Cerulyse et a ainsi commis un acte de concurrence déloyale au préjudice de la société Laboratoire Chauvin,

- condamné in solidum Monsieur Mige et la société Dermopharm à payer à la société Laboratoire Chauvin,la somme de 150.000 F à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la contrefaçon de marque,

- dit que Monsieur Mige ne sera tenu de cette condamnation qu'à hauteur de 50.000 F,

- condamné la société Dermopharm à verser à la société Laboratoire Chauvin la somme de 50.000 F à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale,

- autorisé la société Laboratoire Chauvin à faire publier le dispositif du jugement en entier ou par extraits dans deux journaux ou revues de son choix et aux frais des défendeurs sans que le coût total d'insertion dépasse 40.000 F HT,

-débouté la société Laboratoire Chauvin du surplus de ses demandes,

- débouté Monsieur Mige et la société Dermopharm de l'intégralité de leurs demandes reconventionnelles,

- ordonné l'exécution provisoire du chef de la mesure d'interdiction,

- condamné in solidum Monsieur Mige et la société Dermopharm à verser à la société Laboratoire Chauvin, la somme de 12.000 F au titre des frais irrépétibles.

Ayant interjeté appel, M. Mige et Dermopharm, qui poursuivent la réformation intégrale du jugement, prient la cour de :

"- Dire que la Société Dermopharm et Monsieur Patrick Mige n'ont commis aucun acte de contrefaçon ou d'imitation illicite de la marque "Cerulyse" par la mise en circulation de la marque " Cerufluid ",

- Dire que la Société Dermopharm et Monsieur Patrick Mige n'ont commis aucun acte de concurrence déloyale et ou parasitaire, ainsi que de publicité comparative illicite et dénigrante par la commercialisation du produit "Cerufluid ",

- En conséquence, déclarer la Société Laboratoire Chauvin irrecevable et mal fondée à l'encontre de la Société Dermopharm et Monsieur Patrick Mige des faits de contrefaçon, d'agissements parasitaires et/ou de concurrence déloyale, ainsi que de publicité comparative illicite.

Qui plus est,

- Recevoir Monsieur Patrick Mige et la société Dermopharm en leurs demandes reconventionnelles respectives,

- Constater en effet qu'à raison de l'attitude adoptée par la Société Laboratoire Chauvin à leur encontre, et des multiples procédures infondées et abusives en contrefaçon, concurrence déloyale et parasitaire initiées par la Société Laboratoire Chauvin, cette dernière a engagé sa responsabilité,

- Constater que du fait des procédures abusives et de l'attitude dénigrante de la Société Laboratoire Chauvin, Monsieur Patrick Mige et la Société Dermopharm ont subi un préjudice financier et moral important, dont il convient d'ordonner l'indemnisation,

Y faisant droit,

- Condamner la Société Laboratoire Chauvin à paver à Monsieur Patrick Mige, au titre du préjudice subi par ce dernier, les sommes suivantes, arrêtées à mars 1998,

- 308.000 F au titre son préjudice matériel (perte de redevances sur le contrat d'exploitation de la marque sur 28 mois, soit de décembre 1995 à mars 1998, à raison de 11.000 F par mois),

- 100.000 F au titre de son préjudice moral,

- 300.000 F au titre de la perte de la marque Cerufluid,

- Condamner la SA Laboratoire Chauvin à payer à la Société Dermopharm au titre du préjudice subi par cette dernière les sommes suivantes arrêtées au 31 janvier 1998 :

- 9.266.286 F au titre de la perte de chiffre d'affaires,

- 1.329.981 F au titre des annulations de commandes et des retours de marchandises,

- 1.355.139 F au titre de la perte des investissements promotionnels, engagés auprès de la Société Promedis,

- 1.995.456F au titre de la demande en paiement de ses redevances par la Société SUN Trading,

- 8.350.000 F au titre des investissements nécessaires à la réhabilitation du produit Cerufluid,

- 941.137 F au titre de la valeur marchande des flacons Cerufluid saisis et détruits par la Société Laboratoire Chauvin,

- 500 000 F au titre de son préjudice commercial immatériel (préjudice moral, professionnel et bancaire)

- Condamner en outre la SA Laboratoire Chauvin à payer à Monsieur Mige et à la société Dermopharm la somme de 50.000 F chacun pour procédures abusives et injustifiées,

- Ordonner la publication du jugement à intervenir dans "Le Quotidien du Médecin ", "Impact Médecin" et "Le Moniteur des Pharmacies" à la toute première parution de ces quotidiens et hebdomadaires faisant suite à la date de signification de la décision,

- Dire que cette publication sera effectuée aux frais de la Société Laboratoire Chauvin et assortie d'une astreinte de 3.000 F par jour de retard à compter de la date de première parution, après signification de la décision, desdits quotidiens et hebdomadaires,

- Condamner la Société Laboratoire Chauvin à payer à chacun des défendeurs une somme de 50.000 F au titre des frais irrépétibles injustement exposes par ces derniers, tant dans le cadre de la procédure de première instance que dans celle d'appel",

Laboratoire Chauvin conclut à la confirmation pure et simple du jugement, et au rejet de toutes les prétentions de leurs adversaires. Elle réclame que ceux-ci soient condamnés solidairement à lui payer la somme de 40.000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé la cour vise expressément les dernières conclusions signifiées respectivement par l'intimée et les appelants, les 29 mars et 19 mai 2000.

Sur ce, LA COUR,

Sur le grief de contrefaçon :

Considérant que reprenant pour l'essentiel l'argumentation qu'ils avaient développée devant les premiers juges, M. Mige et Dermopharm font valoir que :

- le préfixe Ceru doit être écarté de la comparaison des signes en raison de son caractère descriptif ou générique (par référence à Cerumen) qui doit s'apprécier aujourd'hui et non comme le soutient Laboratoire Chauvin à la date du dépôt de sa marque en 1972,

- l'INPI répertorie d'ailleurs aujourd'hui près de 15 marques pharmaceutiques comportant les termes Ceru ou Cerumen,

- la comparaison de Lyse (également banal) et de Fluid ne génère aucun risque de confusion,

- les deux signes même pris dans leur ensemble ne présentent aucune ressemblance phonétique, ou intellectuelle,

- il n'existe aucun risque de confusion entre les signes, parce que le produit Cerufluid est un produit d'hygiène alors que Cerulyse désigne un produit pharmaceutique, et parce que leurs conditionnements et leurs présentations graphiques sont différents

Mais considérant que cette argumentation ne saurait prospérer ; que la confusion ne s'analyse qu'au regard des marques déposées et des produits protégés et non pas au regard des conditionnements et des présentations particulières des produits lors de leur exploitation ; qu'outre que les appelants ne démontrent en rien qu'en 1972, date du dépôt de la marque invoquée (dont la validité n'est pas contestée) et moment auquel il convient de se placer pour apprécier son caractère distinctif, le terme Ceru aurait été, comme ils le prétendent, banal pour désigner des solutions auriculaires, Laboratoire Chauvin fait valoir que le radical Ceru n'a pas de caractère descriptif ou générique pour l'ensemble des "Produits pharmaceutiques, vétérinaires et d'hygiène" visés au dépôt de la marque antérieure ; que le tribunal doit être approuvé d'avoir procédé à une comparaison d'ensemble des deux signes et retenu que les deux marques sont pareillement constituées de trois syllabes, les deux premières constituant le radical d'attaque étant identiques et étant suivies de suffixes d'une même brièveté caractérisés par une sonorité commune résultant notamment des lettres L et Y ou I ; que le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu que les deux signes présentaient des similitudes visuelles et phonétiques telles qu'elles entraînaient un risque de confusion dans l'esprit du consommateur d'attention moyenne n'ayant pas simultanément les deux marques sous les yeux, et que la marque incriminée dont le dépôt vise des produits identiques ou similaires à ceux couverts par le signe invoqué, en constituait la contrefaçon par imitation ; que le jugement sera également confirmé en ce qu'il a, par voie de conséquence, prononcé la nullité de la marque incriminée;

Sur la concurrence déloyale :

Considérant qu'il est reproché à Dermopharm d'avoir diffusé auprès des médecins et pharmaciens un document publicitaire destiné à promouvoir le Cerufluid, indiquant "Bouchons de Cerumen... Enfin un produit qui ne se contente pas de... ramollir!", cette affirmation étant accompagnée de la relation d'un test comparatif entre le Cerufluid et le "produit de référence (Xylène)" ;

Considérant qu'il est constant que cette publicité vise le Cerulyse parfaitement identifiable par les médecins ou pharmaciens puisque son unique principe actif est le Xylène ; qu'en raison de sa formulation péjorative qui fait apparaître le Cerulyse comme un produit dépassé "Enfin. . . qui ne se contente pas". Cette publicité constitue, comme l'a dit le tribunal, un acte de dénigrement fautif;

Sur les mesures réparatrices :

Considérant que le jugement sera confirmé du chef des mesures réparatrices, sauf en ce qui concerne les mesures de publication qui n'apparaissent pas nécessaires alors que la commercialisation du produit exploité sous la marque Cerufluid a été interrompue depuis décembre 1995, soit bien antérieurement à la décision des premiers juges ;

Considérant que les appelants étant déboutés de leurs prétentions principales, leurs demandes reconventionnelles en dommages intérêts ne sauraient prospérer ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu d'allouer à l'intimée une indemnité supplémentaire pour ses frais irrépétibles d'appel ;

Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a ordonné des mesures de publication, Réformant de ce seul chef, statuant à nouveau et ajoutant : Déboute la société Laboratoire Chauvin de ses demandes de mesures de publication, Rejette toute autre demande, Condamne Monsieur Patrick Mige et la société Dermopharm aux dépens d'appel, Admet la SCP Lagourgue au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.