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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 20 septembre 2000, n° 1997-25788

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

La Particulière (SARL)

Défendeur :

Charlie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marais

Conseillers :

M. Lachacinski, Mme Magueur

Avoués :

Mes Huyghe, Baufumé

Avocats :

Mes Dahan Bitton, Parr.

T. com. Paris, du 26 sept. 1997

26 septembre 1997

Faits et procédure :

Estimant que la société Carita lui avait transmis le 29 février 1996 une proposition de collaboration qu'elle avait régulièrement acceptée le 3 mai suivant, la société La Particulière dirigée par Laurence Roger dite Charlie, l'a assignée le 28 janvier 1997 devant le tribunal de commerce de Paris en paiement, à titre de dommages-intérêts, des sommes de :

- 5 000 000 F pour rupture abusive, à titre principal de l'accord conclu entre elles, et à titre subsidiaire, des pourparlers engagés en méconnaissance des règles de bonne foi entre commerçants,

- 3 000 000 F pour concurrence déloyale du fait du débauchage de personnel et de captation de clientèle,

- 100 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Laurence Roger est intervenue volontairement à l'instance le 9 juillet 1997 pour solliciter, si le tribunal considérait qu'elle était bénéficiaire des engagements commerciaux, la condamnation de la société Carita à lui payer la somme de 5 000 000 F à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive des pourparlers commerciaux.

Par jugement du 26 septembre 1997, le tribunal a reçu Laurence Roger en son intervention volontaire et a débouté les sociétés La Particulière et Carita de l'ensemble de leurs demandes.

LA COUR,

Vu l'appel interjeté le 28 octobre 1997 et les dernières conclusions signifiées le 9 mai 2000 par lesquelles la société La Particulière poursuivant l'infirmation du jugement déféré, sollicite la condamnation de la société Carita à lui payer :

A titre principal

- la somme de 5 000 000 F pour rupture abusive du contrat régulièrement conclu à la suite de la proposition qui lui a été faite le 29 février 1995 et qu'elle a acceptée le 9 mai suivant,

- les sommes de 1 275 569,04 F et de 6 284 875 F au titre de la concurrence déloyale du fait du détournement de clientèle résultant du débauchage de son collaborateur en méconnaissance d'une clause de non-concurrence et de "détournement déloyal des retombées médiatiques ",

A titre subsidiaire, à défaut de rupture de contrat :

- la somme de 300 000 F pour rupture abusive des pourparlers,

- les sommes de 1 275 569,04 F et de 6 284 875 F pour les mêmes causes que sus-visées,

A titre encore plus subsidiaire, à défaut de rupture fautive des pourparlers

- les sommes de

* 1 275 569,04 F et de 6 284 875 F au titre des actes de concurrence déloyale sus-visés,

* 300 000 F pour son préjudice moral,

* 300 000 F au titre du parasitisme volontaire commis à l'encontre de Charlie,

et en tout état de cause, la condamnation de la société Carita à lui payer la somme de 60 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Vu les conclusions signifiées le 19 juin 2000 par la société Carita tendant à la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions, à la condamnation de Laurence Roger et de la société La Particulière à lui payer, outre la somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, la somme de 500 000 F à titre de dommages-intérêts pour dénonciation calomnieuse et procédure abusive et à la publication de l'arrêt dans deux revues, Coiffure et Styles et Le Figaro Madame, dans la limite de 15 000 F par parution ;

Sur quoi,

- Sur la procédure :

Considérant que par la voix de leurs avoués, les parties sont convenues à l'audience des plaidoiries que les conclusions signifiées le 19 juin 2000 par la société Carita font régulièrement partie de la procédure et que les écritures signifiées postérieurement à l'ordonnance de clôture doivent être écartées ;

- Sur l'existence de la convention invoquée par la société La Particulière :

Considérant que la société La Particulière et Laurence Roger considèrent que l'acceptation contenue dans la lettre datée du 3 mai 1996 des propositions visées dans celle datée du 29 février 1996 adressée par la société Carita à son expert-comptable Didier Hassan dans laquelle il lui était proposée :

- le paiement d'un droit d'entrée d'un montant de 5 000 000 F payable en trois fois au début de chacune des trois premières années de collaboration,

- le titre et la fonction de directeur artistique ou de styliste, au choix,

- un droit de regard important sur les activités du salon et son aménagement,

- la possibilité de continuer à travailler à l'identique de sa formule habituelle en percevant directement la recette de ses conseils et prestations,

- la réservation de deux cabines royales,

constitue un contrat régulièrement conclu entre les parties qui engage la société Carita ;

Que la lettre en réponse datée du 9 mai 1996 par laquelle il lui était indiqué que "le long entretien du 25 mars dernier avait marqué la fin de nos négociations devant les prétentions financières de votre cliente " constitue une rupture abusive de ce contrat qui justifie la condamnation de la société Carita à lui payer la somme de 5 000 000 F à titre de dommages-intérêts ;

Considérant qu'un contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s'obligent envers une ou plusieurs autres à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose ;

Que pour qu'un contrat ait force de loi entre les parties, l'échange de consentement doit porter sur un objet clairement défini, accepté à un moment déterminé ;

Considérant qu'à partir d'un document intitulé projet de Charlie en Particulier pour Carita dans lequel Laurence Roger développait ses exigences pour parvenir à un accord, la société Carita transmettait dans une lettre datée du 29 février 1996 adressée à l'expert-comptable de la société La Particulière des propositions rédigées au conditionnel - "nous serions susceptibles d'accepter une somme de 5 millions de francs ", "Charlie pourrait continuer à travailler ", "les deux cabines royales pourraient lui être réservées ", "ces points pourraient être formalisées si nous avançons sur cette contre-proposition" - et une question finale "Pourriez-vous dans un premier temps me faire savoir ce que Charlie et vous, en pensez ?",

Qu'ensuite des dites négociations, le conseil de la société La Particulière, par lettre datée du 3 mai 1996, répliquait par un projet mentionnant notamment que :

- "En ce qui concerne le "droit d'entrée à l'image" de Charlie vous avez accepté de verser une somme de cinq millions de francs (5 000 000 F). Il a été entendu et précisé que le montant serait versé pour la première année et qu'il y aura un réexamen des conditions à la fin de cette période."

- "Toutefois, je vous rappelle les conditions dans lesquelles Charlie travaille actuellement qui lui donnent droit à une rémunération égale à 10 % du chiffre d'affaires réalisés dans ce salon. J'ai noté à l'occasion de ce rendez-vous que vous en aviez accepté tant le principe que la mise en œuvre. "

- "Ma cliente se tient à votre disposition pour vous assister dans cette tâche (poste de directeur artistique) au fur et à mesure de vos besoins et ceci sous forme de vacation."

- "J'ai pris bonne note de l'accord des parties pour la mise en place et la distribution de quelques produits coiffant sous la marque Charlie en Particulier pour Ganta ainsi que le principe d'une rémunération de ma cliente sur la base d'un pourcentage du chiffre d'affaires réalisé dont le quantum reste à définir. Il va de soi que cet aspect est totalement indépendant de l'accord intervenu entre les parties.

Considérant qu'il résulte des termes de la lettre susvisée qu'aux propositions exprimées par la société Carita dans sa lettre datée du 29 février 1996 ont été ajoutées des conditions nouvelles qui n'y figuraient pas ;

Que contrairement à ce que soutient la société La Particulière, aucun accord n'est donc intervenu à la suite des correspondances échangées sur l'ensemble des données essentielles évoquées, lesquelles forment un ensemble indivisible duquel aucun élément ne peut être retranché sans altérer l'économie générale de la convention ;

Qu'à défaut d'accord sur cet objet, la société La Particulière n'est donc pas fondée à se prévaloir d'une convention régulièrement conclue avec la société Carita ;

- Sur la rupture fautive des pourparlers imputée par la société La Particulière à la société Carita :

Considérant qu'invoquant leur avancement et leur apparence extrêmement sérieuse, la société La Particulière fait grief à la société Carita d'avoir abusivement rompu les pourparlers ;

Mais considérant que s'il a été effectivement engagé des pourparlers au cours des cinq premiers mois de l'année 1996 pour parvenir à un accord satisfaisant avant le 22 mai ou le 1er juillet 1996, la société La Particulière ne démontre pas la faute que la société Carita aurait commis à son encontre ;

Que la société La Particulière n'est pas fondée à reprocher un comportement fautif à la société Carita à la suite du refus de ses demandes considérées comme exorbitantes et du rejet des nouvelles conditions qu'elle exposait dans la lettre datée du 3 mai 1996 ;

Qu'elle ne saurait pas plus invoquer un quelconque préjudice moral imputable à la société Carita résultant de ce qu'elle a informé le coiffeur Alexandre de Paris de son départ, alors que les longues et difficiles discussions qui se sont soldées par un échec, en l'absence d'accord précis sur le contenu du contrat, nécessitait de sa part, avant la divulgation d'un départ hypothétique, davantage de prudence ;

- Sur les actes de concurrence déloyale imputée à la société Carita :

- au titre de la clause de non-concurrence :

Considérant que la société La Particulière reproche à la société Carita d'avoir embauché le 12 juillet 1996 son principal collaborateur Tony Marcireau dit Tom tenu par une clause de non-concurrence ;

Considérant que l'article 10-2 du contrat de travail daté du 1er juin 1994 conclu entre la société La Particulière et Tony Marcireau stipule que :

"Après résiliation du présent contrat pour quelque cause que ce soit, Tony Marcireau restera tenu à la discrétion prévue à l'alinéa précédent.

En outre, il s 'engage formellement à ne pas travailler, sous quelque forme que ce soit, pour une entreprise concurrente de la société, pendant 24 mois suivants la cessation de ses fonctions, quelle qu'en soit la cause.

Cette obligation de non-concurrence est limitée au secteur de Paris et Région Parisienne.

En contrepartie de cette obligation, Tony Marcireau recevra, pendant toute la durée d'application de son contrat de travail, une indemnité forfaitaire mensuelle spéciale fixée à 500 F brut par mois".

Considérant que Tony Marcireau a quitté la société La Particulière en démissionnant spontanément de ses fonctions d'assistant coiffeur le 22 juillet 1996 ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que la société Carita a embauché Tony Marcireau le 12 juillet 1996 en méconnaissance de la clause sus-visée ;

Considérant que cette embauche doit être considérée comme fautive dès lors qu'il appartenait à la société Carita qui ne pouvait ignorer, compte tenu des nombreuses publicités parues mentionnant " Coiffure Tom de l'équipe Charlie En Particulier "que Tony Marcireau était le collaborateur de Charlie, de vérifier que celui, avec lequel elle contractait, n'était pas tenu par une clause de non-concurrence qui s'imposait à elle ;

- au titre du détournement de clientèle :

Considérant que la société Carita ne conteste pas que la notoriété de Laurence Roger, connue sous le pseudonyme de Charlie, présentait pour elle une valeur commerciale évidente qui a justifié les pourparlers qu'elle a engagés afin que celle-ci exerce ses activités professionnelles dans ses locaux ;

Qu'il est également admis que Tony Marcireau exerçait, en qualité d'unique collaborateur de Charlie, son activité professionnelle dans le sillage de celle-ci qui l'avait formé et qui l'avait mis en contact avec la clientèle prestigieuse qu'elle avait fidélisée grâce à la qualité de ses prestations ;

Que la clause de non-concurrence contenue dans le contrat de travail de Tony Marcireau avait précisément pour objet de réserver à la société La Particulière l'exclusivité des prestations fournies par Charlie dans un secteur géographique déterminé et à empêcher qu'une tierce personne ne bénéficie de façon déloyale de l'expérience professionnelle de son collaborateur ainsi que de la connaissance que celui-ci avait du milieu dans lequel elle l'avait introduit ;

Que le débauchage effectué en connaissance de cause par la société Carita a précisément eu pour conséquence de détourner la clientèle de Charlie au profit de Tony Marcireau qui était contractuellement tenu de ne pas lui faire concurrence ;

Considérant qu'il résulte d'ailleurs des documents versés aux débats que sur 383 clientes coiffées par Tony Marcireau chez Carita dans les 5 mois de la réouverture du salon, 84 étaient d'anciennes clientes de Charlie;

Considérant que compte tenu de ce qu'il était interdit à Tony Marcireau de faire concurrence à son ancien employeur pendant une période de deux années à compter de la cessation de ses activités, la société Carita a porté atteinte à la société La Particulière lui occasionnant un préjudice qu'il convient de réparer ;

Considérant qu'il ne saurait également être contesté que le débauchage de Tony Marcireau a occasionné à la société La Particulière un déficit d'image important résultant de ce que certains professionnels, tel le photographe André Rau avec lequel Charlie travaillait depuis 15 ans, n'ont plus souhaité collaborer avec elle et de ce que la société Carita a informé sa clientèle que Tony Marcireau était l'ancien salarié de Charlie en Particulier (attestation de Carme Bercovitz);

- Sur le préjudice subi par la société La Particulière :

Considérant que la perte subie par la société La Particulière à la suite du départ de 84 clientes qui ont rejoint la société Carita représente un chiffre d'affaires non contesté de 381 772 F sur 7 mois pour la période du 1er janvier au 31 juillet 1996 ;

Que ce chiffre rapporté à la durée de la clause de non-concurrence justifie que la réparation du préjudice subi de ce fait par la société La Particulière soit fixée à la somme demandée ;

Que doit être adjoint à cette réparation le préjudice résultant de l'atteinte portée à l'image de la société La Particulière du fait de la publicité dénigrante dont elle a fait l'objet (article du Figaro Madame du 20 juin 1996) ;

Considérant que la cour dispose des éléments suffisants pour condamner la société Carita à payer à la société La Particulière la somme de 2 000 000 F, toutes causes de préjudices confondues

- Sur les autres demandes des parties :

Considérant que le jugement déféré étant infirmé en toutes ses dispositions, les demandes formées par la société Carita de condamnation pour procédure abusive, dénonciation calomnieuse et au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi que de publication de l'arrêt seront rejetées ;

Considérant que la société Carita doit en revanche être condamné à payer à la société La Particulière la somme de 50 000 F sur le fondement de l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs, Écarte des débats les conclusions et pièces signifiées postérieurement à l'ordonnance de clôture. Infirme partiellement le jugement déféré, Et statuant à nouveau, Condamne la société Carita à payer à la société la Particulière la somme de 2 000 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 50 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Rejette toutes autres demandes des parties, Condamne la société Carita aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction pour ces derniers au profit de Maître Huyghe avoué dans les conditions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.