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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 15 septembre 2000, n° 1998-24152

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Padovano

Défendeur :

Société Nationale de Télévision France 2 (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boval

Conseillers :

Mmes Mandel, Regniez

Avoués :

SCP Jobin, SCP Teytaud

Avocats :

Mes Alexander, Greffe.

TGI Paris, du 23 avr. 1997

23 avril 1997

LA COUR statue sur l'appel interjeté par M. Sauveur Padovano d'un jugement rendu le 30 septembre 1998 par le tribunal de grande instance de Paris dans un litige l'opposant à la Société Nationale de Télévision France 2.

Référence étant faite au jugement entrepris pour l'exposé des faits, de la procédure et des moyens antérieurs des parties, il suffit de rappeler les éléments essentiels suivants.

La Société Nationale de Programme Antenne 2 est devenue à la suite d'une résolution de son assemblée générale du 12 janvier 1993 approuvée par décret du 18 mars 1993 publié le 25 mars suivant la Société Nationale de Télévision France 2. Cette dernière est titulaire de la marque complexe suivante déposée le 14 janvier 1992 enregistrée sous le n° 92.401176 pour désigner divers produits et services des classes 9, 16, 35, 38 et 41 comprenant notamment des services de publication de textes publicitaires, publicité télévisée, radiophonique, diffusion de courrier publicitaire, agences de publicité, promotion publicitaire par radio et télévision, diffusion d'annonces et de matériel publicitaires, location de panneaux d'affichage, communication télématique, organisation et conduite de congrès, colloques, institution d'enseignement, édition de livres et de revues, abonnement de journaux...

EMPLACEMENT TABLEAU

M. Padovano a, le 30 mars 1993, déposé la marque 3615 FR2 enregistrée sous le n° 93.462699 pour désigner en classes 35, 38 et 41 " les services de publication de textes publicitaires, courrier publicitaire, diffusion de supports et espaces publicitaires, publicité radio et télévisée, service d'abonnement de publication pour des tiers, régie de publicité, service télématique concernant notamment : littérature, psychologie, parapsychologie, ésotérisme, paramédical, avec contacts, débats, renseignements, courrier, dialogues, consultation, adresses, jeux, tests, promotion et diffusion des services extérieurs, annuaires de l'ensemble des services extérieurs, annuaires de l'ensemble des services concernés, enseignement, formation, sensibilisation, organisation de séminaires, colloques, éditions ".

Cette marque est exploitée pour un service télétel proposant notamment des jeux, des sondages d'opinion liés à l'actualité, la diffusion de résultats d'élections et divers services en matière de voyance et de psychologie.

France 2 a fait citer devant le tribunal de grande instance de Paris M. Padovano en contrefaçon de sa marque, atteinte portée à sa dénomination sociale et pour agissements parasitaires pour obtenir outre des mesures d'interdiction sous astreinte et de publication, la nullité de la marque 3615 FR2, paiement de la somme de 200.000 francs à titre de dommages et intérêts et celle de 30.000 francs par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

M. Padovano avait soulevé l'incompétence du tribunal au profit de celui de Marseille, et, subsidiairement, sur le fond, avait conclu au rejet des demandes, formant une demande reconventionnelle en paiement de la somme de 500.000 francs à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ainsi que celle de 50.000 francs HT au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Par un premier jugement du 23 avril 1997, le tribunal de grande instance de Paris s'était déclaré incompétent, décision infirmée par la Cour d'appel de Paris le 17 septembre 1997. Ayant formé un pourvoi à l'encontre de cette décision, M. Padovano avait conclu au sursis à statuer devant les premiers juges jusqu'à ce que la Cour de cassation ait statué.

Par le jugement déféré, le tribunal a rejeté l'exception de sursis à statuer et a :

- dit qu'en déposant la marque n° 93.462699 et en l'exploitant pour un service télématique, sans l'autorisation de France 2, Sauveur Padovano a commis des actes de contrefaçon de la marque n° 92.401176 dont France 2 est propriétaire,

- dit que M. Padovano a également commis des actes de concurrence déloyale et de parasitisme,

- interdit de faire usage de la dénomination FR2 sous astreinte de 1.000 francs par infraction constatée à compter de la signification du jugement,

- prononcé la nullité de l'enregistrement de la marque 3615 FR 2 n° 93.462698,

- condamné M. Padovano à payer à FR2 la somme de 150.000 francs à titre de dommages et intérêts et celle de 15.000 francs par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

- autorisé France 2 à faire publier le dispositif du jugement dans trois journaux ou revues de son choix aux frais de M. Padovano, le coût global de ces insertions ne pouvant excéder la somme HT de 45.000 francs,

- ordonné l'exécution provisoire pour les mesures d'interdiction et la condamnation au paiement des dommages et intérêts,

- dit que le jugement sera transmis pour inscription au Registre National des marques.

Au cours de la procédure d'appel, la Cour de cassation a, le 7 mars 2000, rejeté le pourvoi de M. Padovano formé à l'encontre de l'arrêt du 17 septembre 1997.

Appelant du jugement, M. Padovano, dans ses dernières écritures du 12 mai 2000 en poursuit l'infirmation. Il prie la cour de:

" constater que le dépôt n° 92 401 176 en date du 14 janvier 1992 ne porte pas sur la marque " France 2 " mais sur le logo " France 2 " puisque le déposant a clairement mentionné " éléments dont la protection n'est pas revendiquée : France "

- constater que la marque " 3615 FR2 " déposée le 30 mars 1993 par lui n'est pas un signe graphique,

- constater qu 'il ne peut donc y avoir de similitude entre des signes ayant des caractéristiques différentes,

- constater que la marque " 3615 FR2 " a été déposée pour des services précis qui ne coïncident pas avec les services protégés de la marque France 2,

- constater que le nom France qui est une dénomination pouvant servir à désigner la provenance géographique est dépourvu de caractère distinctif conformément à l'article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle,

- constater que si le dépôt de la marque avait porté sur la combinaison France 2, la protection serait limitée à la possibilité d'empêcher une reproduction à l'identique,

- dire et juger que la revendication de la marque " France 2 " portant seulement sur la combinaison " France " et " 2 " pris dans le tout, la protection se limite à la possibilité d'empêcher une reproduction à l'identique, l'intimée devant tolérer la coexistence de marques proches de la sienne,

- dire et juger que la marque "3615 FR2" de l'appelant n'est pas une reproduction à l'identique de la marque " France 2 " de l'intimée,

- constater que la véritable dénomination sociale de l'intimée n'est pas " France 2 " mais plus exactement " Société Nationale de télévision France 2 ",

- constater que la dénomination sociale, sous réserve de son existence, et le nom commercial " France 2 " bénéficient d'une protection qui se situera au même niveau que pour les marques faibles,

- constater que le service Télétel désigné par le code " 3615 FR2 " propose des rubriques qui ne sont pas concurrentes de celles du service " France 2,

- dire et juger que son adversaire ne saurait avoir l'exclusivité sur son service télématique, de rubriques générales telles que débats ou sondages qui n'ont rien de spécifique à un service télématique de télévision,

- dire et juger qu'il n'y a pas d'actes de contrefaçon, ni d'acte de concurrence déloyale par parasitisme,

- dire que l'intimée ne démontre pas l'existence d'un préjudice causé par l'éventuelle contrefaçon ".

Il conclut donc au débouté, demande de prononcer la nullité de la marque " France 2 " et de condamner la société Nationale de télévision France 2 à lui payer la somme de 100.000 francs à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, ainsi que celle de 100.000 francs HT au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La société Nationale de télévision France 2 conclut à la confirmation du jugement sauf sur le montant des dommages et intérêts. Formant une demande additionnelle, elle sollicite de la cour la condamnation de son adversaire au paiement de la somme de 500.000 francs à titre de dommages et intérêts, la publication de l'arrêt et paiement d'une indemnité de 30.000 francs par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Sur ce, LA COUR :

Considérant qu'au soutien de son appel, M. Padovano fait valoir :

- que dans la marque de son adversaire, seuls peuvent être protégés le logo et le chiffre 2 mais non pas le terme France qui, outre le fait qu'il a été exclu de la protection, n'est nullement distinctif, désignant une provenance géographique, qu'il ne peut l'être davantage contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, en combinaison avec le chiffre 2, que la marque doit être annulée par application de l'article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle,

- que dans tous les cas, il n'existe pas de risque de confusion entre France 2 et 3615 FR2,

- que les produits et services visés par son adversaire qui n'a fait que citer des " chefs de chapitre " ne sont pas suffisamment détaillés pour mériter protection, et les services protégés par sa marque ne sont pas identiques à ceux de son adversaire,

- qu'il ne peut y avoir atteinte à la dénomination sociale, ce pour des motifs identiques à ceux déjà exposés pour la marque et qu'en outre, la dénomination sociale de son adversaire n'est pas constituée par le terme France 2 mais par l'expression Société Nationale de Télévision France 2,

- par voie de conséquence, qu'il ne peut exister aucun acte de parasitisme, son adversaire ne pouvant s'approprier le terme France,

- qu'il n'existe aucune concurrence entre les sociétés dont les services minitel ne se recoupent pas, lui utilisant ce service principalement pour la voyance et la psychologie, et la présentation des services sur minitel étant différente,

- qu'enfin, France 2 n'a pas justifié de la réalité de son préjudice;

Considérant sur la demande en nullité de la marque France 2 que cette marque complexe comporte non seulement l'expression France 2 mais également un logo ; que les arguments développés par l'appelant sur l'absence de caractère distinctif du terme France sont donc en l'espèce dénués de pertinence, la validité de la marque devant être appréciée dans son ensemble;

Considérant sur la demande en contrefaçon que les premiers juges ont exactement retenu, par application de l'article L. 713-3 b), que la marque 3615 FR 2 est l'imitation de la marque France 2, estimant que dans cette dernière, si le terme France n'est pas à lui seul un élément distinctif, l'expression France 2 dans laquelle le chiffre 2 est associé au mot non distinctif, est protégeable ; qu'il s'ensuit qu'ils ont dit avec raison que la reprise des deux premières lettres FR (comprises comme étant l'abréviation de France 2) associées au même chiffre 2, faisait que le consommateur d'attention moyenne était susceptible de les confondre ;

Considérant qu'en outre, les premiers juges ont exactement retenu que la marque de M. Padovano était déposée pour désigner des produits identiques à ceux de France 2 s'agissant de services télématiques; que l'argument soutenu en appel selon lequel le dépôt de l'intimée ne serait pas valable dans la mesure où ne seraient pas énoncés de manière détaillée les produits et services visés mais seulement des têtes de chapitre de la classification internationale, est dénué de pertinence dès lors que les produits et services protégés par la marque ont été clairement mentionnés ; qu'il s'ensuit que le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné M. Padovano pour contrefaçon par imitation de la marque France 2 par la marque 3615 FR2 ; qu'il sera également confirmé en ce que la nullité de la marque 3615 FR2 a été ordonnée;

Considérant que le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu que la marque de M. Padovano portait atteinte à la dénomination sociale de l'intimée, aucun argument nouveau n'étant développé en appel;

Considérant sur les actes de parasitisme qu'il est soutenu par M. Padovano que les services télématiques qu'il propose ne portent pas sur les mêmes secteurs d'activité que ceux de son adversaire;

Mais considérant que c'est par des motifs pertinents que la cour adopte que les premiers juges ont fait droit à cette demande, retenant que M. Padovano avait cherché dans la présentation des rubriques télématiques à imiter celle du service télématique de France 2;

Considérant que, contrairement à ce que soutient M. Padovano, et sans que France 2 ait des éléments nouveaux en appel de nature à justifier l'augmentation du montant des dommages et intérêts, les premiers juges ont exactement apprécié le préjudice subi par France 2 tenant à la durée des atteintes portées aux droits sur sa marque, sa dénomination sociale et aux actes déloyaux commis ; que le jugement sera confirmé de ce chef ; qu'il sera également confirmé pour les mesures d'interdiction et de publication ordonnées étant seulement précisé que ces dernières mesures tiendront compte du présent arrêt;

Considérant que l'équité commande d'allouer à France 2 une somme complémentaire de 20.000 francs au titre des frais d'appel non compris dans les dépens;

Par ces motifs, confirme le jugement en toutes ses dispositions; ajoutant, condamne M. Padovano à payer à la Société Nationale de Télévision France 2 la somme supplémentaire de 20.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile; dit que les mesures de publication tiendront compte du présent arrêt; rejette toutes autres demandes; condamne M. Padovano aux entiers dépens qui seront recouvrés, par la SCP Teytaud, avoué, selon les dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.