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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 13 septembre 2000, n° 1998-07533

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

CMC Paris & Jean-Louis Vermeil (SA)

Défendeur :

Kenzo Parfums (SA), Kenzo (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marais

Conseillers :

M. Lachacinski, Mme Mageur

Avoué :

SCP Teytaud

Avocats :

Mes Bouvier-Ravon, Bessis.

TGI Bobigny, 5e ch., 1re sect., du 10 fé…

10 février 1998

La société Kenzo est titulaire de la marque figurative tridimensionnelle n° 92422381, déposée, en couleurs, le 11 juin 1992, à l'Institut National de la Propriété Industrielle, pour désigner divers produits et services des classes 3, 16 et 21, et décrite comme "un flacon en forme de feuilles en liasse qui apparaissent superposées de côté et décalées, décoré de nervures et d'une excroissance évoquant une goutte d'eau sur sa face principale, deux nervures correspondant à l'ouverture du capot".

La société Kenzo Parfums (anciennement Tamaris), titulaire d'une licence exclusive de fabrication et de diffusion des produits Kenzo, dûment publiée au registre national des marques, le 21 décembre 1996, sous le n° 166809, distribue pour sa part dans ce flacon, tant en France qu'à l'étranger, le produit "Parfum d'Eté" de la société Kenzo.

Par courrier du 20 janvier 1997, la société Kenzo a été informée qu'une retenue en douanes venait d'être effectuée sur des produits que la société CMC Paris et Jean-Louis Vermeil s'apprêtait à exporter vers la Russie et qui contrefaisaient apparemment sa marque.

Dûment autorisée par ordonnance sur requête du président du tribunal de grande instance de Bobigny du 21 janvier 1997, la société Kenzo a fait pratiquer, le 28 janvier suivant, la saisie réelle de la marchandise, et a informé les douanes de son intention de se joindre à l'action pénale qui serait engagée.

Le procureur de la République ayant notifié, le 17 janvier 1997, à la société Kenzo qu'il classait l'affaire sans suite, la société Kenzo et la société Kenzo Parfums ont assigné, le 25 mars 1997, la société CMC Paris et Jean-Louis Vermeil devant le tribunal de grande instance de Bobigny en contrefaçon de marque et en concurrence déloyale et parasitaire.

Par jugement du 10 février 1998, le tribunal de grande instance de Bobigny a :

- annulé la saisie-contrefaçon pratiquée, le 28 janvier 1997, ensuite de la retenue en douanes, et ordonné main-levée de la saisie,

- déclaré la société CMC Paris et Jean-Louis Vermeil coupable de contrefaçon de la marque figurative tridimensionnelle n° 92.422.381 déposée, le 11 juin 1992, à l'Institut National de la Propriété Industrielle, par la société Kenzo pour désigner divers produits et services des classes 3, 16 et 21,

- fait interdiction à la société CMC Paris et Jean-Louis Vermeil de détenir, d'offrir à la vente, de vendre des produits portant la marque contrefaisante, sous astreinte de 500 francs par infraction constatée,

- ordonné la saisie et la destruction de tous produits contrefaisants,

- condamné la société CMC Paris et Jean-Louis Vermeil à payer à la société Kenzo la somme de 200.000 francs à titre de dommages-intérêts au titre de la contrefaçon de marque, et à la société Kenzo Parfums la somme de 200.000 francs au titre de la concurrence déloyale et parasitaire,

- ordonné la publication du jugement, par extraits, dans trois journaux au choix des sociétés Kenzo et Kenzo Parfums, aux frais de la société CMC Paris et Jean-Louis Vermeil sans que le coût de chaque insertion puisse excéder la somme de 15.000 francs,

- condamné la société CMC Paris et Jean-Louis Vermeil à payer aux sociétés Kenzo et Kenzo Parfums la somme de 10.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

LA COUR,

Vu l'appel interjeté de cette décision, le 6 mars 1998, par la société CMC Paris et Jean-Louis Vermeil ;

Vu les conclusions en date du 8 juin 2000 par lesquelles la société CMC Paris et Jean-Louis Vermeil poursuit l'infirmation du jugement entrepris, invoquant à cet effet :

- à titre principal, la nullité de la saisie pratiquée après retenue en douanes, le 28 janvier 1997, à défaut pour les sociétés Kenzo saisissantes de s'être pourvues devant le tribunal dans le délai de quinzaine prévu par l'article L. 716-8 du Code de la propriété intellectuelle, et, par voie de conséquence, l'absence de preuve des faits incriminés,

- à titre subsidiaire

--l'absence de contrefaçon, à défaut pour le flacon "Folia" de reproduire les caractéristiques de la feuille déposée à titre de marque par la société Kenzo et de l'existence d'un quelconque risque de confusion,

--l'absence de concurrence déloyale ou parasitaire à défaut de faits distincts,

--l'absence de tout préjudice, le montant de celui prétendument subi par les intimées ne pouvant, en tout état de cause, n'être que symbolique,

et réitère, devant la Cour, les demandes qu'elle a formées devant les premiers juges, sollicitant paiement d'une somme de 400.000 francs de dommages-intérêts pour saisie et procédure abusive, correspondant à la valeur de la marchandise, selon elle indûment immobilisée, ainsi qu'une somme de 35.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Vu les conclusions du 2 juin 2000 aux termes desquelles les sociétés Kenzo et Kenzo Parfums, réfutant l'argumentation de l'appelante, soutiennent que :

- la saisie effectuée dans le cadre des opérations de retenue en douanes est parfaitement valable au regard des dispositions de l'article L. 716-8 du Code de la propriété intellectuelle, au titre d'une mesure conservatoire et ne saurait être annulée en vertu des dispositions de l'article L. 716-7 du Code de la propriété intellectuelle qui, selon elles, n'ont pas vocation à s'appliquer,

- la preuve de la contrefaçon de marque par reproduction, ou à tout le moins par imitation, est, en tout état de cause, suffisamment rapportée par la production de la lettre des Douanes du 20 janvier 1997 et de ses annexes, par les procès-verbaux de constat des douanes des 17 janvier, 21 et 24 mars 1997, ainsi que par la production au débat du flacon "Folia" acquis en France, objet de la pièce 5 régulièrement communiquée,

- le parasitisme provient :

- de la dénomination Folia qui reprend, au terme d'une similitude intellectuelle, la copie de la marque figurative,

- de la volonté de s'inscrire comme un parfum d'automne alors que Kenzo a lancé un parfum d'été,

- d'une différence considérable entre les prix pratiqués sur le même marché, Kenzo Parfums exportant également en Russie le produit en cause,

et demandent, en conséquence, à la Cour :

- de porter à 500.000 francs le montant des dommages-intérêts octroyés à chacune des sociétés Kenzo et Kenzo Parfums, la première, au titre de la contrefaçon de marque, la seconde, au titre de la concurrence déloyale et parasitaire,

- d'interdire également à la société CMC Paris et Jean-Louis Vermeil la commercialisation du flacon Folia prétendument modifié, produit aux débats, le 29 mai 2000, mais qui, selon elles, constitue également la contrefaçon de la marque,

- d'octroyer à la société Kenzo une somme complémentaire de 300.000 francs de dommages-intérêts en raison de l'aggravation du préjudice résultant de la mise sur le marché de ce deuxième flacon contrefaisant,

- de dire, à tout le moins, que les actes de contrefaçon dénoncés constituent des actes de concurrence déloyale et parasitaire ;

Sur quoi,

Sur la recevabilité à agir de la société Kenzo Parfums :

Considérant que la société Kenzo Parfums, anciennement société Tamaris, justifie de son changement de dénomination sociale par la production d'un extrait K bis la concernant ;

Qu'elle justifie également, par la production d'un certificat d'identité de la marque, que la licence d'exploitation qui lui a été consentie a été régulièrement publiée au registre national des marques ;

Que les moyens soulevés par la société CMC Paris et Jean-Louis Vermeil, qui tendent à l'irrecevabilité de l'action entreprise par la société Kenzo Parfums, ont été, à bon droit, écartés par le tribunal ;

Sur la nullité de la procédure de saisie contrefaçon du 28 janvier 1997 :

Considérant que les sociétés Kenzo et Kenzo Parfums prétendent qu'en sollicitant du président du tribunal de grande instance de Bobigny, le 21 janvier 1997, l'autorisation de pratiquer une saisie réelle des marchandises retenues en douanes et en faisant pratiquer celle-ci, le 28 janvier suivant, elles ont satisfait aux exigences de l'article L. 716-8 du Code de la propriété intellectuelle, lequel, selon elles, ne requiert que la justification dans le délai de 10 jours de la prise de mesures conservatoires mais non la saisine des juridictions civiles ou pénales ; qu'elles en déduisent que l'assignation au fond qu'elles ont fait délivrer, le 25 mars 1997, dans les 15 jours de la notification par le procureur de la République du classement sans suite de l'affaire, l'a été dans les délais requis dès lors qu'elles avaient manifesté sans équivoque, en portant plainte, leur intention de se joindre à la procédure pénale ;

Mais considérant que la saisie réelle de marchandises présumées contrefaites est soumise, sans distinction, aux exigences de l'article L. 716-7 du Code de la propriété intellectuelle, lequel s'applique aux mesures de saisies sollicitées même dans le cadre d'une retenue en douanes ;

Qu'à défaut pour les requérantes de s'être pourvues, soit par la voie civile, soit par la voie correctionnelle, dans le délai de quinzaine (le simple dépôt de plainte étant insuffisant), les opérations de saisies pratiquées le 28 janvier 1997 sont nulles de plein droit, conformément aux dispositions de l'article précité ;

Que le délai imparti étant un délai de forclusion, les sociétés intimées soutiennent en vain que le dépôt de plainte aurait eu pour effet d'en suspendre le cours ;

Que la nullité des opérations a été retenue à bon droit par le tribunal ;

Sur la preuve des actes incriminés :

Considérant que la preuve des faits de contrefaçon peut s'effectuer par tous moyens ;

Considérant que le tribunal a exactement retenu qu'en dépit de la nullité des opérations de saisie-contrefaçon, lesquelles ne présentent aucun caractère obligatoire, la preuve des faits incriminés résultait suffisamment de la confrontation du courrier adressé, le 20 janvier 1997, par l'administration des douanes, courrier auquel se trouvait annexée la facture de la société CMC Paris et Jean-Louis Vermeil attestant de l'envoi à Moscou de 30.048 flacons 75 ml, référencé Folia, au flacon de même dénomination acquis sur le territoire français par les requérantes ;

Que cette preuve se trouve confortée par les procès-verbaux établis par l'administration des douanes en février/mars 1997, ainsi que par les écritures de la société CMC Paris et Jean Louis Vermeil, laquelle, aux termes de longs développements, conteste que le flacon Folia présente une quelconque similitude avec le flacon de la société Kenzo déposé à titre de marque ;

Qu'il convient au surplus de relever qu'en produisant aux débats, peu de jours avant la clôture, un flacon prétendument modifié pour tenir compte des griefs formulés - le capuchon translucide ayant été remplacé par un capuchon doré - la société CMC Paris et Jean Louis Vermeil a reconnu, de façon implicite mais exempte d'ambiguïté, que le flacon en cause, commercialisé sous la dénomination Folia, était bien celui qui a fait l'objet de la retenue en douanes ;

Que le grief tenant à l'absence de preuve des faits incriminés doit, comme en première instance, être écarté ;

Sur les faits de contrefaçon ;

Considérant que le flacon en forme de feuille déposé à titre de marque par la société Kenzo constitue un signe parfaitement arbitraire et distinctif pour désigner les produits et services visés à l'enregistrement, notamment les parfums ; qu'il n'est nullement descriptif ; que sa validité ne saurait donc être contesté :

Considérant [que] le tribunal a exactement constaté que le flacon Folia de la société CMC Paris et Jean-Louis Vermeil reproduisait les deux principales caractéristiques du flacon déposé par la société Kenzo à titre de marque, à savoir la forme d'une feuille présentée, pointe en haut, inclinée légèrement de façon identique, ainsi que des nervures régulières ; qu'il a justement relevé que si le flacon incriminé ne présentait pas d'excroissance en forme de goutte d'eau ni de nervures de côtés évoquant un empilement de feuilles, si la forme du capot en V était inversé, et si les nervures latérales étaient moins nombreuses, ces différences n'affectaient pas l'impression d'ensemble, laissant ainsi subsister, en raison de la reprise des éléments visuels arbitraires, caractéristiques de la marque déposée, un risque de confusion dans l'esprit d'un consommateur d'attention moyenne ; qu'il en a, à bon droit, déduit que le flacon en cause constituait l'imitation illicite de ladite marque et que la contrefaçon alléguée était avérée ;

Que la présence d'un capuchon doré, tel qu'il figure dans l'exemplaire fourni devant la Cour par la société CMC Paris et Jean Louis Vermeil, le 29 mai 2000, au lieu et place d'un capuchon translucide, n'est pas de nature à détruire le caractère illicite de l'imitation de la marque déposé et n'exclut nullement le risque de confusion, dès lors que la reprise des éléments figuratifs, dans leur forme, laisse accroire à une origine commune ;

Que le grief de contrefaçon de marque doit donc être retenu pour le flacon Folia dans les deux versions concernées, capuchon translucide ou capuchon doré ;

Sur les faits de concurrence déloyale :

Considérant qu'il n'est pas démontré, notamment au moyen de sondages, que la dénomination Folia et la représentation d'une feuille sur l'emballage du parfum de la société CMC Paris et Jean Louis Vermeil seraient associées, dans l'esprit d'une clientèle de moyenne attention, à la forme du flacon de la société Kenzo déposé à titre de marque; que le tribunal a écarté, à juste raison, le grief de parasitisme et de concurrence déloyale tiré de cette utilisation;

Mais considérant qu'il n'est pas contesté que la société CMC Paris et Jean-Louis Vermeil commercialise, au moyen du flacon critiqué, un parfum au prix de 13,50 francs, celui de la société Kenzo variant entre 62,77 francs pour le flacon 50 ml et 71,74 francs pour la flacon 100 ml ; que le tribunal, par des motifs pertinents que la Cour adopte, a exactement retenu que cette différence considérable de prix caractérisait un acte distinct de concurrence déloyale commis au détriment de la société Kenzo Parfums; qu'il importe peu que le produit en cause soit destiné à la Russie dès lors qu'il est établi, par les pièces du dossier, que la société Kenzo Parfums exporte également son parfum à destination de ce pays dans des proportions non négligeables et que le produit, comme le prouve l'acquisition qu'elle en a faite, se trouve également sur le marché français et concerne, ne serait-ce que pour partie, une clientèle commune;

Sur la réparation des préjudices :

Considérant que l'atteinte portée à la marque de la société Kenzo est d'autant plus grave que l'imitation illicite porte sur un nombre important d'exemplaires ; que la facture du 12 décembre 1997, jointe à la notification de la retenue en douanes, régulièrement produite, révèle à tout le moins la commercialisation de 30.048 flacons référencés Folia ; qu'il convient de souligner que la contrefaçon de marque s'est perpétrée postérieurement à la décision de première instance, comme en atteste le flacon au capuchon doré produit par l'appelante aux débats ;

Que la contrefaçon dénoncée, en banalisant la marque a pour effet de la dévaloriser ;

Que le montant des dommages-intérêts pour contrefaçon de marque subi par la société Kenzo doit en conséquence être porté à la somme de 300.000 francs ;

Considérant, comme le relève pertinemment le tribunal, que les faits de concurrence déloyale commis au préjudice de la société exploitante, licenciée exclusive, ont causé à celle-ci un grave préjudice ; que la société CMC Paris et Jean Louis Vermeil prétend à tort que le préjudice serait inexistant en raison de la retenue en douanes des produits, lesquels sont également présents sur le marché français et portent atteinte à l'exploitation de la marque ;

Qu'eu égard à l'importance du préjudice réellement causé, le montant des dommages-intérêts sera également porté à la somme de 300.000 francs ;

Considérant que les mesures d'interdiction, de confiscation aux fins de destruction et de publication, ordonnées à bon droit par le tribunal, doivent être confirmées, sauf à être étendues aux flacons comportant un capuchon doré, la publication devant, de surcroît, mentionner le présent arrêt ;

Sur les autres demandes :

Considérant que la société CMC Paris et Jean-Louis Vermeil, contrefactrice, est mal fondée en sa demande de dommages-intérêts à défaut de démontrer que les opérations de saisie contrefaçon du 28 janvier 1997, en dépit de leur annulation, lui auraient causé un quelconque préjudice pour avoir été abusivement entreprises et l'avoir privée d'une commercialisation à laquelle elle aurait pu légitimement prétendre ; que cette demande a été rejetée, à bon droit, par le tribunal ;

Que succombant en ses prétentions, elle doit être également déboutée de la demande qu'elle a formée au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs : confirme la décision entreprise, sauf sur l'évaluation du préjudice, y ajoutant, dit que le flacon qui comporte un capuchon doré, constitue également la contrefaçon de la marque n° 92422381 appartenant à la société Kenzo et dont la société Kenzo Parfums est licenciée exclusive, en conséquence, étend les mesures d'interdiction ordonnées par les premiers juges à ce flacon, réformant le jugement déféré sur le montant des dommages-intérêts, condamne la société CMC Paris et Jean-Louis Vermeil à payer à chacune des sociétés Kenzo et Kenzo Parfums la somme de 300.000 francs à ce titre ; dit que la mesure de publication autorisée par les premiers juges devra faire mention du présent arrêt, rejette toute autre demande, condamne la société CMC Paris et Jean-Louis Vermeil aux dépens et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.