CA Paris, 4e ch. A, 6 septembre 2000, n° 1998-12551
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Lafarge Mortiers (Sté)
Défendeur :
Bricorama (SA), Société auxiliaire de fournitures pour entreprises (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Marais
Conseillers :
M. Lachacinski, Mme Maguer
Avoués :
SCP Duboscq Pellerin, SCP Hardouin-Herscovici, SCP Gaultier Kistner Gaultier
Avocats :
Mes Paquet, Chaumanet, Moray.
Faits et procédure :
La société Produits Chimiques du Nord commercialise depuis 1990 ses produits à l'aide de conditionnements qui se présentent sous la forme d'un sac en papier rectangulaire contenant le produit dans un sac en plastique.
Ayant constaté que la société Bricorama, à qui elle avait jusqu'en 1996 fourni ses produits, avait adopté pour les mêmes produits un conditionnement qui selon elle était identique au sien, la société Produits Chimiques du Nord l'a assignée le 22 août 1997 devant le tribunal de commerce de Créteil sur le fondement de la concurrence déloyale en paiement de la somme de 600.000 francs à titre de dommages-intérêts et de celle de 30.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La Société auxiliaire de fournitures aux entreprises (Safe), en sa qualité de fournisseur de la société Bricorama, est intervenue volontairement dans la procédure.
La Cour,
Vu le jugement du 8 avril 1998 qui a donné acte à la société Safe de son intervention volontaire, débouté la société Produits Chimiques Du Nord et la Safe de l'ensemble de leurs demandes, rejeté les demandes formées par les parties sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et condamné la société demanderesse aux entiers dépens ;
Vu l'appel interjeté le 3 juin 1998 par la société Produits Chimiques Du Nord et le 2 octobre 1998 par la société Lafarge Produits Formules venant aux droits de la société Produits Chimiques Du Nord;
Vu les conclusions signifiées le 12 mai 2000 par lesquelles la société Lafarge Mortiers, anciennement dénommée Lafarge Produits Formules venant aux droits des sociétés Produits Chimiques Du Nord, sollicite 1'infirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions, l'interdiction sous astreinte de la commercialisation des produits litigieux, la publication de la décision à venir et la condamnation de la société Bricorama à lui payer, outre la somme de 35.00 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code procédure civile, celle de 600.000 francs à titre de dommages-intérêts en réparation des actes de concurrence déloyale commis à son encontre;
Vu les conclusions signifiées le 20 avril 1999 de la société Bricorama tendant à la confirmation du jugement entrepris et à la condamnation de la société Lafarge Produits Formules et de la société Produits Chimiques Du Nord à lui payer la somme de 35.000 francs en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, et à titre subsidiaire, au cas où elle serait condamnée, la garantie de la société Safe;
Vu les conclusions signifiées le 15 mai 2000 par lesquelles la société Safe conclut, à titre principal, à la confirmation du jugement du 8 avril 1998 et subsidiairement, s'il était fait droit à la demande des appelantes, au rejet de la demande de garantie formée par la société Bricorama et à la condamnation de la société Lafarge Produits Formules et de la société Produits Chimiques Du Nord à lui payer la somme de 40.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Sur quoi,
Considérant que la société Lafarge Mortiers soutient que, depuis 1990, la société Produits Chimiques Du Nord commercialise ses produits sous la marque L'artisan, puis Erto dans un conditionnement particulier qui les distingue nettement des produits de ses concurrents ;
Que ce conditionnement se présente sous la forme d'un sac en papier de forme rectangulaire doublé d'un sac en plastique contenant le produit, sur lequel sont apposées :
- au recto, une étiquette couvrant la quasi totalité de l'emballage, sur laquelle figurent de haut en bas : la nature du produit, la légende descriptive de son usage, une photographie d'un exemple d'utilisation ainsi que la marque de distribution,
- au verso, une liste de produits commercialisés par la société Produits Chimiques Du Nord, suivie de leurs modes et de leurs préconisations d'emploi ;
Qu'elle fait grief à la société Bricorama, qui connaissait le mode de conditionnement de ses produits pour les avoir commercialisés jusqu'en 1996, d'avoir adopté un conditionnement identique pour vendre les mêmes produits sous les marques Bricorama ou Batkor ;
Considérant qu'elle reproche également à la décision déférée d'avoir à tort opéré une distinction entre la nature de l'emballage - un sac en plastique contenant le produit placé à l'intérieur d'un sac en papier - et la présentation de l'emballage, alors qu'elle n'a jamais incriminé isolément chaque élément particulier des conditionnements litigieux ;
Considérant que la société Bricorama ne conteste pas que la société Produits Chimiques Du Nord a commercialisé ses produits dans un sac en papier rectangulaire contenant un sac en plastique, sur lequel ont été apposées les mentions sus-visées à compter de l'année 1990 et qu'elle a mis les siens dans le commerce postérieurement à cette date ;
Qu'il doit en revanche être admis que pour un consommateur d'attention moyenne, seul l'aspect extérieur de l'emballage des produits de bricolage qui ont souvent des propriétés identiques est de nature à exercer une influence sur son choix, à l'exclusion du mode de conditionnement intérieur qui n'est pas révélé au moment de l'achat du produit ;
Considérant que les sociétés Produits Chimiques du Nord et Bricorama commercialisent l'une et l'autre les mêmes produits, - mortier rapide, enduit de bouchage -- ciment gris-blanc - ciment fondu - ciment prompt - enduit de bouchage - dans des sachets rectangulaires en papier ;
Que si chacun des emballages opposés se distingue essentiellement par ses couleurs, jaune vif pour la société Bricorama, vert et bleu nuit pour la société Produit Chimiques du Nord, par l'emploi de bandes verticales de couleur vive sur les sachets vendus par la société appelante, par la hauteur des sachets, plus importante chez cette dernière société, par les mentions de poids - 1,5 kg ou 2 kg pour l'une au lieu de 2,5 kg pour l'autre et de marques différentes - Batkor et Erto, il n'en demeure pas moins qu'ils présentent une apparence extérieure identique résultant de la même largeur des sachets et de ce qu'ils reproduisent l'un et l'autre dans un même ordre, la nature du produit et sa destination et surtout une photographie identique prise sous le même angle servant à illustrer l'usage que le bricoleur peut faire du produit(- mortier blanc et mortier gris : présentation d'un mur en briques et d'une main manipulant une truelle - plâtre fin : présentation d'un mur de briques creuses à côté d'une porte ou d'une fenêtre -- mortier réfractaire : présentation d'un muret de briques destinées à la construction d'un barbecue avec sa grille de cuisson) ;
Que la société Bricorama n'est donc pas fondée à soutenir que les photographies reprennent des exemples "extrêmement classiques" d'utilisation du produit contenu dans l'emballage, alors que sa connaissance des emballages des produits concurrents qu'elle avait commercialisés jusqu'en 1996 lui imposait de s'en démarquer en adoptant une présentation différente de nature à ne pas faire croire au consommateur que ses produits ont la même origine que ceux de la société Produits Chimiques Du Nord ;
Que le fait que tous les conditionnements de toute la gamme de produits commercialisés par la société Bricorama reprennent les caractéristiques des conditionnements des produits de la société Produits Chimiques Du Nord n'est donc pas fortuit mais révèle de la part de la société intimée une volonté fautive d'opérer une confusion favorable à ses produits;
Qu'il importe peu dès lors, comme le soutient la société Safe, que les produits opposés ne soient plus vendus dans les mêmes circuits de distribution, dès lors que l'acheteur d'un produit marqué Batkor dans un magasin Bricorama peut être conduit à penser qu'il achète un produit ayant la même origine que le produit Erto;
Que la société Bricorama et la société Safe ne peuvent davantage tenter de justifier les ressemblances entre les conditionnements en invoquant la nature des produits qui exigerait des présentations standard ou des impératifs d'ordre technique et fonctionnel ;
Qu'à l'inverse, il est démontré par les pièces versées aux débats que les autres fabricants, Vpi, Sakmix, Toupret ou Homega utilisent d'autres modes de conditionnement de produits identiques ainsi que des présentations d'emballage différentes
Qu'enfin, la société Bricorama ne saurait invoquer les emballages Safe et Salsi identiques à ceux que la société Produits Chimiques Du Nord commercialise, dès lors que celle-ci soutient, sans être contredite, avoir autorisé cet usage
Que le grief de concurrence déloyale doit donc être retenu
Considérant que la cour dispose des éléments suffisants pour apprécier le préjudice subi par la société Lafarge Mortiers venant aux droits de la société Produits Chimiques du Nord du fait des actes de concurrence déloyale commis par la société Bricorama à la somme de 100.000 francs;
Qu'il convient également de faire droit à la mesure d'interdiction sollicitée, mais de rejeter la demande de publication de la présente décision, laquelle n'apparaît pas justifiée
Considérant que la société Safe, dont il n'est pas contesté qu'elle est une ancienne cliente de la société Produits Chimiques du Nord s'oppose pertinemment à la demande en garantie formée contre elle par la société Bricorama aux motifs qu'elles ont toutes les deux participé à la réalisation du conditionnement et du façonnage du sac concernant son poids, sa couleur, son code barre et sa photographie;
Que la demande de garantie formée par la société Bricorama sera donc rejetée
Considérant que la société Bricorama doit être condamnée à payer à la société Lafarge Mortiers la somme de 30.000 francs en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Que les demandes formées au même titre par les sociétés intimées seront rejetées
Par ces motifs : Infirme le Jugement déféré en toutes ses dispositions et statuant à nouveau, Dit que la société Bricorama a commis des actes de concurrence déloyale en commercialisant des produits sous des conditionnements similaires aux siens, Condamne la société Bricorama à payer à la société Lafarge Mortiers la somme de 100.000 francs à titre de dommages-intérêts, Interdit à la société Bricorama d'utiliser pour vendre des enduits, mortiers, ciments, plâtres, colles un conditionnement qui se présente sous la forme d'un sac en papier rectangulaire sur lequel est apposé une étiquette couvrant la totalité de l'emballage sur laquelle figure de haut en bas la nature du produit, une légende descriptive de son usage, une photographie démontrant un exemple d'utilisation similaire à celui qu'utilise la société Lafarge Mortiers et la marque de distribution, Dit que cette interdiction est assortie d'une astreinte de 200 francs par infraction constatée, 15 jours à compter de la signification du présent arrêt, Rejette la demande de garantie formée par la société Bricorama à l'encontre de la société auxiliaire de fournitures pour entreprises Safe ; Déboute les parties de leurs autres demandes, Condamne la société Bricorama à payer à la société Lafarge Mortiers la somme de 30.000 francs en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, La condamne aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction pour ces derniers au profit de la SCP d'avoués Duboscq & Pellerin dans les conditions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.