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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 28 juin 2000, n° 1998-20822

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Éditions Neressis (SA)

Défendeur :

FNAIM

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marais

Conseillers :

M. Lachacinski, Mme Magueur

Avoués :

SCP Teytaud, Me Kieffer Joly

Avocats :

Mes Benatar, Bigiaoui.

T. com. Paris, 9e ch., du 6 sept. 1990

6 septembre 1990

Faits et procédure :

La société Les Éditions Neressis, société éditrice du journal "De Particulier à Particulier" destiné aux transactions immobilières entre particuliers a fait paraître un guide pratique intitulé "Je vends en défendant mes intérêts".

Reprochant à la société Les Éditions Neressis d'avoir diffusé dans ce guide des allégations portant atteinte à son image ainsi qu'une publicité comparative mensongère, la Fédération Nationale de l'Immobilier (FNAIM) l'a assignée le 21 mai 1998 devant le tribunal de commerce de Paris afin d'obtenir, outre la cessation sous astreinte de la diffusion de cette brochure et la publication de la décision à venir, sa condamnation à lui payer la somme d'un franc à titre de dommages-intérêts.

Par jugement assorti de l'exécution provisoire du 22 juillet 1998, le tribunal a :

- donné acte à la société Les Éditions Neressis que son guide pratique "je vends en défendant mes intérêts" n'est plus publié depuis le 1er juillet 1998,

- que la société Les Éditions Neressis a engagé sa responsabilité à l'égard de la Fédération Nationale de l'Immobilier en raison des actes de dénigrement de la profession d'agent immobilier,

- dit qu'elle s'est rendue coupable de publicité mensongère,

- condamné la société Les Éditions Neressis à payer la Fédération Nationale de l'Immobilier la somme d'un franc à titre de dommages-intérêts,

- fait interdiction de poursuivre la publication et la diffusion de son guide pratique sous astreinte,

- autorisé la Fédération Nationale de l'Immobilier à publier à ses frais le jugement en tout ou en partie dans tous journaux ou périodiques de son choix,

- condamné la société Les Éditions Neressis à payer à la Fédération Nationale de l'Immobilier la somme de 5.000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

LA COUR,

Vu l'appel interjeté le 4 septembre 1998 par la Société Les Éditions Neressis;

Vu les conclusions signifiées le 6 mars 2000 par la société Les Éditions Neressis tendant à voir déclarer irrecevable la demande de dommages-intérêts formée contre elle par la FNAIM en réparation du préjudice moral individuel de ses adhérents qu'elle n'a pas qualité à solliciter, au rejet de l'ensemble de ses demandes et à la condamnation de la FNAIM à lui payer, outre la somme de 20.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, la somme d'un franc à titre de dommages-intérêts pour les actes de dénigrement commis à son encontre, l'arrêt à venir devant être publié dans les journaux de son choix ;

Vu les conclusions signifiées le 12 avril 2000 par lesquelles la FNAIM sollicite la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions, à l'exception de celles se rapportant au montant de la condamnation qui devra être porté à la somme de 700.000 F correspondant à la réparation du préjudice moral causé à l'ensemble de ses 7.000 adhérents par la diffusion de la brochure litigieuse, soit "la somme symbolique de 100 F par adhérent" et à la publication de la décision à venir aux frais de la société Les Éditions Neressis dans quatre journaux de son choix, dont le sien propre "De Particulier à Particulier", la société appelante devant en outre être condamnée à lui payer la somme de 20.000 F pour ses frais non compris dans les dépens;

Sur quoi,

Considérant que les conclusions signifiées tardivement le jour de l'ordonnance de clôture pour régularisation du bordereau comportant cinq nouvelles pièces devront être écartées des débats pour ne pas avoir permis à la société Les Éditions Neressis d'en prendre régulièrement connaissance et d'y répondre ;

Sur la recevabilité à agir de la FNAIM :

Considérant que la société Les Éditions Neressis soutient liminairement que la FNAIM est irrecevable à agir pour solliciter la réparation d'un préjudice éventuellement causé à l'intérêt collectif de la profession d'agent immobilier ;

Mais considérant que l'article 7 de ses statuts datés du 1er décembre 1996 prévoit notamment qu'elle a pour objet la représentation et la défense des intérêts professionnels et économiques des syndicats professionnels qui adhérent à ses statuts ;

Que faisant grief à la société Les Éditions Neressis d'avoir tenu des propos dénigrants à l'égard de l'ensemble des membres qu'elle représente, elle est donc recevable à agir pour défendre les professionnels qu'elle représente à l'occasion de faits qui portent un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession d'agent immobilier;

Que la FNAIM est également en droit de soutenir qu'elle est recevable à agir au titre de la concurrence déloyale dans la mesure où elle s'adresse, comme la société Les Éditions Neressis, entreprise de presse spécialisée dans les annonces immobilières, à la même clientèle et qu'elles effectuent l'une et l'autre le même type d'opérations commerciales ;

Sur les actes de dénigrement imputés à la société Les Éditions Neressis par la FNAIM :

Considérant que la FNAIM reproche à la société Les Éditions Neressis d'avoir dénigré dans la brochure "Je vends en défendant mes intérêts" la profession d'agent immobilier en insinuant par un raisonnement a contrario qu'elle ne s'intéresserait qu'à l'argent sans envisager les avantages qu'apportent les prestations que ces professionnels fournissent aux vendeurs et aux acquéreurs, d'être inutile et inefficace, d'être constituée de personnes agissant de façon malhonnête, administrative et despotique;

Considérant que la société Les Éditions Neressis soutient que la brochure litigieuse ne contient aucun acte de dénigrement à l'encontre de la FNAIM, qu'elle ne fait qu'évoquer les avantages auxquelles sa clientèle peut prétendre en utilisant ses services et qu'elle diffuse des informations se rapportant aux frais supportés par les acquéreurs d'un bien immobilier qui ne sont pas mensongères;

Mais considérant que les premiers juges ont exactement analysé, par une motivation que la cour adopte que le contenu du guide pratique "Je vends en défendant mes intérêts" contient des propos dénigrants à l'encontre de la FNAIM ;

Qu'en effet, en posant sous la rubrique "Économisez votre argent" , des questions pernicieuses, telles "A votre avis qu'elle est la solution la moins coûteuse" ou "Effectivement, qui va le mieux défendre vos intérêts ?, Vous-même ou un autre ? La réponse est évidente." pour faire accroire que la profession d'agent immobilier a pour seule vocation de diminuer les sommes devant revenir au vendeur d'un bien immobilier, en se moquant de l'intermédiaire qui fait perdre au vendeur la réalisation d'une affaire parce qu'il "s'est trompé de clé", en indiquant que les particuliers en ont assez d'être assistés "plus ou moins bien, d'ailleurs", en reprochant à l'agent immobilier de donner à l'acheteur le sentiment de cacher des informations indispensables à la réalisation d'une vente et "s'il passe par un autre canal" de le faire "attendre la réponse des jours et parfois des semaines" pour les obtenir, en soutenant que "De Particulier à Particulier" est un groupe indépendant qui n'est inféodé à aucun intérêt" et que les futurs acquéreurs "ont la certitude qu'ils pourront conclure une transaction sans commission, honnête, efficace et fiable", en affirmant que les vendeurs n'auront pas "des dizaines de papier à remplir", en concluant que le coût d'une annonce dans leur journal n'est pas comparable avec une commission d'intermédiaire, puisque "pour le coût d'une commission d'agence de 50.000 francs, vous (les vendeurs) pouvez faire paraître votre annonce avec photo dans le Particulier de Particulier, chaque semaine, pendant plus de six ans", en suggérant aux vendeurs de laisser "les annonces avec "coquet", "charmant", exceptionnel" , "à saisir" aux professionnels qui décrédibilisent leurs publicités en employant ces adjectifs, la société Les Éditions Neressis a outrepassé son droit à la libre critique ou la libre information et commis des actes de dénigrement fautifs à l'encontre de la FNAIM ;

Que de manière générale, les termes utilisés par la société appelante dans la brochure litigieuse sont destinés à faire croire aux lecteurs que la seule vocation des agents immobiliers est de gagner facilement de l'argent sans contrepartie significative et que seules les transactions conclues entre particuliers par l'intermédiaire de leur journal sont "honnêtes, efficaces et fiables" ;

Considérant que par tous ces propos péjoratifs visant toute une profession, la société Les Éditions Neressis a engagé sa responsabilité ;

Considérant que la FNAIM est également fondée à reprocher à la Société Les Éditions Neressis d'avoir procédé dans ses publicités intitulées "Les multiples avantages d'une vente de particulier à particulier" et "Pour gagner du temps et de l'argent, vendez de Particulier à Particulier" à une comparaison dénigrante entre les prestations qu'elle propose à ses clients par l'intermédiaire d'annonces à faire paraître dans son journal et celles offertes par les agences immobilières, alors qu'il est manifeste que chacune des sociétés opposées offrent, certes au même public constitué de vendeurs et d'acheteurs de biens immobiliers, des services manifestement différents ;

Considérant que la FNAIM soutient également que la société Les Éditions Neressis est coupable d'avoir diffusé dans sa brochure de la publicité mensongère ;

Considérant qu'en déclarant que pour le vendeur les frais de notaire sont moins élevés en l'absence de commission et en systématisant une telle règle pour lui donner une valeur légale ou réglementaire, la société Les Éditions Neressis a manifestement commis une faute, dans la mesure où les parties au contrat sont libres de déterminer laquelle d'entre elles supportera la commission de l'intermédiaire et que la commission versée à celui-ci n'entre pas dans l'assiette des droits de mutation à titre onéreux, lorsque le mandat précise qu'elle sera mise à la charge de l'acquéreur, que le mandant soit celui-ci ou le vendeur;

Que cette publicité fausse de nature à induire en erreur et à détourner la clientèle des services proposés par les agents immobiliers constitue un acte de concurrence déloyale fautif ;

Considérant que la FNAIM n'est toutefois pas fondée à soutenir que la société Les Éditions Neressis a violé les dispositions des articles L. 121-8 et suivants du Code de la consommation ;

Qu'en effet, la publicité qui met en comparaison des biens ou services en utilisant la citation ou la représentation de la raison sociale ou de la dénomination sociale, du nom commercial ou de l'enseigne d'autrui n'est autorisée que si elle est loyale, véridique et qu'elle n'est pas de nature à induire en erreur le consommateur; que si la comparaison porte sur les prix, elle doit concerner des produits identiques vendus dans les mêmes conditions et indiquer la durée pendant laquelle sont maintenus les prix mentionnés comme siens par l'annonceur ;

Or considérant que si la société Les Éditions Neressis n'a effectivement jamais désigné de façon nominative la FNAIM dans la brochure et les publicités litigieuses alors que les agents immobiliers adhérents de la FNAIM sont aisément identifiables pour les consommateurs auxquels les documents s'adressent, il convient toutefois de faire observer que les services proposés par la société Les Éditions Neressis et les adhérents de la FNAIM n'étant manifestement pas identiques, leur comparaison dans les termes contenus dans les documents susvisés n'est pas de nature à induire en erreur le consommateur auquel ils sont destinés, condition nécessaire pour que le grief de publicité trompeuse soit constitué ;

Considérant que la FNAIM n'est également pas fondée à soutenir qu'en opérant une comparaison, même négative, destinée à créer une confusion dans l'esprit du consommateur en laissant croire que les prestations offertes par le journal de Particulier à Particulier sont identiques, voire supérieures à celles proposées par les agents immobiliers, la société Les Éditions Neressis a eu à son encontre un comportement parasitaire résultant de l'idée de substitution entre les services ;

Qu'en effet, prétendre comme le fait la société Les Éditions Neressis qu'il est possible de vendre un bien immobilier par l'intermédiaire de la publication d'annonces dans son journal, sans avoir recours à des agents immobiliers ne saurait constituer un agissement parasitaire fautif, puisqu'[il] n'est manifestement pas établi qu'elle a cherché à tirer indûment profit de la notoriété ou des investissements de la FNAIM et qu'il ne saurait lui être interdit, sous peine d'une atteinte à la liberté du commerce, de s'adresser à une clientèle commune qui est celle qui souhaite vendre ou acheter des biens immobiliers ;

Que par des motifs propres à la cour, le jugement déféré sera partiellement confirmé ;

Considérant que sans qu'il y ait [lieu] de retenir la méthode de calcul justement critiquée par la société Les Éditions Neressis, la cour dispose des éléments suffisants pour condamner cette dernière à payer à la FNAIM la somme de 50.000 F à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice ;

Sur les demandes reconventionnelles de la société Les Éditions Neressis :

Considérant que la société Les Éditions Neressis reproche à la FNAIM d'avoir, en réponse au dernier numéro du "Particulier à Particulier" dans lequel avait été portée la mention "Agent immobilier s'abstenir", diffusé à tous ses adhérents une lettre datée du 23 février 1998 dans laquelle étaient opposées aux qualités de sérieux, de rigueur, de transparence et de sécurité pour le client des agents immobiliers adhérents "les insuffisances du particulier";

Qu'à cette lettre, non confidentielle puisque destinée à être diffusée aux 7.000 adhérents de la FNAIM, étaient jointes des affichettes dont l'une comportait le slogan suivant "Quand vous louez, achetez ou vendez à un particulier, vous avez une vraie garantie : celle de prendre des risques";

Que compte tenu du contexte de "guerre" commerciale que se livrent les parties, la FNAIM ne saurait sérieusement soutenir que cette affichette qui mentionne le terme "particulier" ne vise pas spécifiquement la société Les Éditions Neressis dont Le seul objet est précisément de diffuser les annonces des particuliers et que les deux documents ne peuvent être examinés ensemble du fait qu'il n'existerait aucun véritable lien indissociable entre eux;

Que le constat d'huissier dressé les 8 et 9 juin 1998 qui fait état de l'apposition de l'affichette litigieuse sur huit devantures d'agents immobiliers parisiens confirme la réalité des agissements dont il n'est pas contesté qu'ils sont imputables à la FNAIM;

Que celle-ci ne saurait donc déduire du silence de la société Les Éditions Neressis qui n'a pas estimé devoir promptement réagir, dès 1996, date de diffusion du slogan susvisé, la preuve de l'inexistence des actes de dénigrement qui lui sont reprochés ;

Considérant que ce comportement fautif imputable à la FNAIM a occasionné à la société Les Éditions Neressis un préjudice certain qui justifie sa condamnation à payer à cette dernière la somme de 1 franc demandée à titre de dommages-intérêts ;

Sur les mesures accessoires :

Considérant que la gravité des faits imputés tant à la société Les Éditions Neressis qu'à la FNAIM justifie la publication du présent arrêt dans les conditions visées au dispositif;

Qu'il convient en outre de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a fait interdiction sous astreinte à la Société Les Éditions Neressis de poursuivre la diffusion de son guide pratique "Je vends en défendant mes intérêts" ;

Sur les frais non compris dans les dépens :

Considérant qu'il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de la société Les Éditions Neressis et de la FNAIM la totalité des frais non compris dans les dépens qu'elles ont engagés, tant en première instance qu'en cause d'appel ;

Que le jugement déféré sera en conséquence réformé de ce chef;

Par ces motifs, Écarte des débats les conclusions signifiées par la Fédération Nationale de l'Immobilier le jour de l'ordonnance de clôture, Déclare la Fédération Nationale de L'Immobilier recevable à agir, Donne acte à la société Les Éditions Neressis de ce qu'elle a cessé de diffuser la brochure litigieuse, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a dit que la société Les Éditions Neressis a engagé sa responsabilité à l'égard de la Fédération Nationale de l'Immobilier et lui a fait interdiction sous astreinte de poursuivre la diffusion du guide pratique "Je vends en défendant mes intérêts", Le réformant pour le surplus et statuant à nouveau, Condamne la société Les Éditions Neressis à payer à la Fédération Nationale de l'Immobilier la somme de 50.000 francs à titre de dommages-intérêts, Condamne la Fédération Nationale de l'Immobilier à payer à la société Les Éditions Neressis la somme de 1 franc au même titre, Ordonne la publication du dispositif du présent arrêt, en entier ou par extraits dans les journaux "De Particulier à Particulier", le Figaro et Ouest France aux frais partagés par moitié de la société Les Éditions Neressis et de la Fédération Nationale de l'Immobilier, Déboute la Fédération Nationale de l'Immobilier et la société Les Éditions Neressis de leurs autres demandes comprenant celles formées au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Fait masse des dépens de première instance et d'appel lesquels seront supportés par moitié par chacune des parties et dit que ceux d'appel pourront être recouvrés par les avoués de la cause dans les conditions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.