Livv
Décisions

Cass. com., 27 juin 2000, n° 98-22.692

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Louis Max (SA)

Défendeur :

La Grande Cave (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dumas

Rapporteur :

Mme Mouillard

Avocats :

SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, SCP Nicola, de Lanouvelle.

T. com. Nuits-saint-Georges, du 5 mars 1…

5 mars 1997

LA COUR : - Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué (Dijon, 5 novembre 1998) que, dans le cadre de plans de cession arrêtés par deux jugements du tribunal de commerce de Beaune du 24 juin 1994, le fonds de commerce et les actifs immobiliers de la Société commerciale des bourgognes de marque (SCBM) ont été acquis pour partie par la société Louis Max et pour partie par la société La Grande Cave, les parts sociales de la Société des grands vins à Vougeot (SGVV), filiale de la SCBM, étant cédées en totalité à la société La Grande Cave ; que, pendant la période de réorganisation qui a suivi ces cessions, les anciens salariés de la SGVV, repris par la société La Grande Cave, et ceux de la SCBM, repris par la société Louis Max, ont partagé des locaux communs ; qu'entre les mois de mars et octobre 1995, plusieurs agents commerciaux de la société La Grande Cave ont démissionné au profit de la société Louis Max ; que reprochant à la société Louis Max divers actes de concurrence déloyale, la société La Grande Cave l'a assignée en paiement de dommages-intérêts ;

Sur le premier moyen, pris en ses sept branches et sur le second moyen, pris en ses cinq branches, les moyens étant réunis : - Attendu que la société Louis Max fait grief à l'arrêt de sa condamnation alors, selon le pourvoi, d'une part, que l'embauche de salariés à des conditions de rémunération plus élevées ne saurait caractériser une faute constitutive de concurrence déloyale que s'il a eu pour effet de désorganiser l'entreprise concurrente ; qu'en s'abstenant de vérifier de façon concrète si les départs de 17 salariés sur un effectif qui en compte 140 avaient entraîné une désorganisation du service commercial, et avaient eu des conséquences financières au niveau de la clientèle de la société La Grande Cave, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; alors, d'autre part, que la société Louis Max avait soutenu que les allégations de la société La Grande Cave selon lesquelles M. Bajade serait le commercial qui aurait "orchestré" le départ des "meilleurs VRP" ne reposent sur aucun élément de preuve, M. Bajade étant au demeurant l'un des derniers à avoir rejoint la société Louis Max ; qu'elle avait produit le tableau récapitulatif des "démissions" qui révèle que trois salariés seulement avaient été engagés après M. Bajade ; qu'ainsi, en déduisant la volonté de la société Louis Max de débaucher le personnel de la société concurrente, y compris par des moyens déloyaux, de la circonstance que la plupart des salariés démissionnaires relevaient de la région dont la responsabilité incombait à M. Bajade et que deux autres VRP de La Grande Cave, J. Luet et Michèle Legendre, ont déclaré avoir été sollicités par lui au mois de novembre pour le rejoindre, cette proposition étant assortie d'une offre de commission de 25 % (+ 7 %), la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé l'existence d'un débauchage, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; alors, partant, que la cour a, pour les mêmes raisons, violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, de surcroît, qu'en retenant que la société Louis Max avait commis une concurrence déloyale parce qu'elle avait engagé 17 salariés de la société La Grande Cave sans se préoccuper de la clause de non-concurrence qu'avaient souscrite deux de ceux-ci et en la condamnant à payer une certaine somme à cette société, la cour d'appel a violé le principe constitutionnel de la liberté d'entreprendre de la société Louis Max ; alors, encore, qu'en retenant que la société Louis Max avait commis une concurrence déloyale parce qu'elle avait engagé 17 salariés de la société La Grande Cave sans se préoccuper de la clause de non-concurrence qu'avaient souscrite deux de ceux-ci, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé la connaissance qu'avait la société Louis Max de l'existence de ces clauses a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; alors, de plus, qu'après avoir relevé que sur les 17 salariés, objet du litige, 4 ont respecté leur préavis, 3 en ont été dispensés, 6 étaient à temps partiel, 2 étaient multicartes et 2 n'ont fait que passer chez Louis Max, le Tribunal avait retenu que dans ces conditions, il n'est pas démontré que la société Louis Max se soit rendue coupable de débauchage donc de concurrence déloyale ; qu'en s'abstenant de répondre à ce chef des motifs du jugement dont la société Max avait sollicité la confirmation, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences des articles 455 et 954 du nouveau Code de procédure civile ; alors, au surplus, que, dans ses conclusions d'appel, la société Louis Max avait soutenu que la société La Grande Cave avait elle-même indiqué avoir licencié M. Le Crom qui lui était lié par une clause de non-concurrence, pour absence de production, de recrutement et d'encadrement de son équipe, et ajouté que celui-ci n'apparaissait pas comme dangereux au niveau d'une quelconque concurrence ; qu'en retenant que la société Louis Max avait commis un acte de concurrence déloyale en engageant celui-ci sans répondre à ce chef de moyen de nature à avoir une influence juridique sur l'issue du litige, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, par ailleurs, que le tribunal de commerce avait retenu qu'il ressort des pièces versées aux débats que les raisons du départ des salariés de La Grande Cave sont, outre l'attrait d'un salaire plus intéressant, le fait que La Grande Cave a poussé à la démission son personnel par suite de la nouvelle méthode instaurée, à savoir le démarchage téléphonique direct de la clientèle, ce qui aboutissait en fait à une diminution du salaire du VRP ; qu'en s'abstenant de répondre à ce chef de motifs du jugement dont la société Louis Max avait demandé la confirmation, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé les pressions ni les manœuvres de débauchage de la part de la société Louis Max, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; alors, en outre, que dans ses conclusions d'appel, elle avait soutenu qu'à les supposer établis, les incidents relatés par les attestations proviennent plus probablement de l'identité d'adresse résultant de l'hébergement de La Grande Cave par Louis Max pendant plusieurs mois et de l'incompréhension par certains clients peu avertis des mécanismes, à vrai dire bien complexes, de la reprise par des sociétés différentesdes divers éléments du fonds de la SCBM ; que les pièces communiquées par La Grande Cave montrent d'ailleurs que la confusion a pu se produire en faveur de La Grande Cave qui a aussi bien reçu des courriers adressés à Noirot Carrière ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen de nature à exercer une influence juridique sur l'issue du litige, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; alors, au demeurant, que la cour d'appel a pour les mêmes raisons violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, enfin, que le fait qu'un VRP démissionnaire ait annulé une commande passée par un client à son ancien employeur pour la remplacer par une autre au profit de son nouvel employeur n'implique pas par elle-même une confusion entre les deux sociétés ; qu'en retenant que la société Louis Max a voulu créer une confusion parce que M. Yves Robigou a annulé une commande passée par M. Arneodo à La Grande Cave pour être "hors délais" et l'a remplacée par une autre commande au profit de la Maison Noirot Carrière, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; alors, finalement, qu'en condamnant la société Louis Max à payer la somme de 300 000 francs à titre de dommages-intérêts, après avoir constaté que la société La Grande Cave ne démontrait pas que les départs des VRP vers la société Louis Max avaient entraîné une baisse significative de son chiffre d'affaires, la cour d'appel qui n'a pas précisé les pièces sur lesquelles elle s'est fondée, n'a pas mis la Cour de Cassation en mesure d'exercer son contrôle, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, que la cour d'appel a retenu, justifiant par là- même sa décision, que seize agents commerciaux de la société La Grande Cave ont, dans une période de temps courte, quitté leur employeur en demandant à être dispensés de préavis, pour bénéficier chez leur nouvel employeur de conditions de rémunération très avantageuses ; que trois d'entre eux étaient tenus, lors de leur embauche, par une clause de non-concurrence, notamment M. Bajade, responsable des régions Midi, Drôme-Ardèche et Lyon, dont la plupart des démissionnaires relevaient, et qui a effectué des démarches auprès d'autres VRP, afin qu'ils le rejoignent, en leur proposant une commission de 7 % plus élevée ;que les juges ajoutent que ces salariés ont prospecté immédiatement, voire même avant leur démission, les clients de leur ancien employeur et, pour certains, ont tenté de créer la confusion avec leur nouvel employeur afin de détourner des commandes au profit de ce dernier, en prétendant soit que l'un avait succédé à l'autre, soit qu'ils avaient fusionné, ou en substituant d'office l'un à l'autre sous un prétexte fallacieux ;qu'à partir de ces constatations et énonciations, déduites de son appréciation souveraine des faits de la cause, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a pu estimer que la société Louis Max avait usé de procédés déloyaux afin de s'approprier la clientèle de son concurrent ;

Attendu, en second lieu, que les juges du fond apprécient souverainement le montant du préjudice dont ils justifient suffisamment l'existence par l'évaluation qu'ils en font ; que les moyens ne sont fondés en aucune de leurs branches ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi.