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Décisions

CA Paris, 1re ch. G, 21 juin 2000, n° 1997-02733

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Gordon and Breach Science Publishers (Ltd.), Gordon and Breach Science Publishers (SA), G + B Publishing Services (Sté), Harwood Academic Publishers (GmbH), Overseas Publishers Association (bv), International Publishers Distributor (Ltd)

Défendeur :

The American Institute of Physics (association), The American Physical Society (association), Estate Succession of Henry H. Barschall

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidents :

Mmes Favre, Pascal, M. Boval

Conseiller :

MM Le Dauphin

Avoués :

SCP Teytaud, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

Avocats :

Mes Dellecker, Toison.

TGI Paris, 3e ch., 1re sect., du 27 nov.…

27 novembre 1991

LA COUR, est saisie en tant que juridiction de renvoi après cassation de l'appel interjeté par les associations de droit américain The American Institute of Physics (AIP), The American Physical Society (APS) ainsi que par le représentant personnel de l'Estate de M. Henry H. Barschall (mort en cours de procédure, en 1997) à l'encontre d'un jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris, le 27 septembre 1991, dans un litige les opposant aux sociétés Gordon & Breach Science Publishers Inc (de droit américain), Gordon & Breach Science Publishers Ltd et International Publishers Distributor Ltd venant aux droits de STBS Ltd (de droit britannique), G + B Services SA (anciennement Gordon & Breach Science Publishers SA) et Harwood Academic Publishers GmbH (toutes deux de droit suisse), ainsi qu'à la société Overseas Publishers Association BV (de droit néerlandais).

Par acte du 7 septembre 1987, les sociétés aujourd'hui intimées (les sociétés Gordon and Breach), qui constituent un groupe international d'entreprises de presse publiant et diffusant un grand nombre de journaux et revues scientifiques, ont fait assigner devant le tribunal de grande instance de Paris les appelants, deux sociétés savantes de forme associative, ATP et APS qui publient notamment des journaux de physique, et M. Henry H. Barschall, ancien dirigeant d'APS et auteur d'articles publiés dans les journaux des deux associations. Les sociétés demanderesses, qui reprochaient à leurs adversaires des actes de concurrence déloyale, de dénigrement et de publicité comparative, incriminaient trois articles écrits par M. Barschall, l'un paru en 1986 dans la revue "Physics Today", les deux autres en 1988 dans "Physics Today" et dans le "Bulletin of the American Physical Society".

Par jugement du 27 novembre 1991, le tribunal a :

- dit que le droit français s'applique en ce qui concerne la diffusion en France des journaux Physics Today et Bulletin of the American Physical Society,

- dit que Henry H. Barschall, The American Institute of Physics et The American Physical Society s'étaient rendus coupables de concurrence déloyale par publicité comparative illicite à l'égard des demanderesses par la publication en décembre 1986 et juillet 1988 d'articles sur le coût des journaux de physique,

- ordonné la publication du dispositif dans les plus prochains numéros devant être diffusés en France de Physics Today et Bulletin of the American Physical Sociely, ce sous astreinte de 200 F par abonné français,

- autorisé les demanderesses à publier le jugement in extenso ou par extraits dans les périodiques publiés par Gordon & Breach aux frais des défendeurs dans la limite globale de 50.000 F,

- condamné in solidum les défendeurs au paiement d'une somme de 10.000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Henry H. Barschall, The American Institute of Physics et The American Physical Society ayant interjeté appel, cette cour (4ème Ch, Section A) a, par arrêt du 11 mai 1994 :

- réformé le jugement en ce qu'il avait dit la loi française applicable,

- dit que le droit des Etats Unis était seul applicable au litige,

- dit en conséquence qu'il serait sursis à statuer :

- soit jusqu'à ce qu'il ait été définitivement fait droit à la " motion to dismiss " opposée par les appelants à la demande formée contre eux aux Etats Unis,

- soit en cas de rejet de cette procédure incidente, jusqu'à ce qu'il ait été définitivement statué sur l'instance introduite devant la cour fédérale de première instance du district sud de New York.

Par arrêt du 14 janvier 1997, la Cour de cassation a, sur pourvoi formé par les intimées :

- cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt rendu le 11 mai 1994 au motif qu'en décidant que la loi applicable était celle des Etats-Unis, alors que tant le fait générateur constitué par la diffusion des revues, que le lieu de réalisation du dommage se situaient en France, la cour d'appel avait méconnu la règle selon laquelle la loi régissant la responsabilité extra-contractuelle est celle de l'Etat où le fait dommageable s'est produit,

- renvoyé la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Par déclaration du 5 février 1997, les sociétés Gordon and Breach ont saisi cette cour sur renvoi.

M. Henry H. Barschall étant décédé le 4 février 1977, elles ont, le 16 mai 1997, fait assigner sa succession (Estate) en reprise d'instance.

The American Institute of Physics, The American Physical Society et l'Estate de M. Henry H. Barschall représentée par Eleanor F. Barschall se sont constitués le 12 août 1997.

Les dernières conclusions, en date du 6 mars 2000, de The American Institute of Physics ,The American Physical Society et du représentant personnel de l'Estate de M. Henry H. Barschall, appelants, comportent le dispositif ci-après :

"Constater que la United States District Court Southern District of New York a rendu quatre décisions devenues définitives statuant sur la demande des Intimées de voir réparer le préjudice subi du fait de la diffusion des articles litigieux aux Etats-Unis et dans le monde.

Constater que les Intimées, par la déclaration (stipulation) qu'elles ont versée aux débats le 6 juin 1997 devant la United States District Court Southern District of New-York ont expressément déclaré accepter s'en remettre, pour l'ensemble des sociétés de leur groupe, à la décision rendue aux Etats-Unis dès lors que celle-ci est devenue définitive.

En conséquence,

Constater, conformément aux dispositions de l'article 394 du Nouveau Code de Procédure Civile, que les Intimées ont entendu se désister complètement de toute instance et action et renoncer au bénéfice des décisions rendues à leur profit en dehors des Etats-Unis.

Infirmer purement et simplement l'ensemble des dispositions rendues par le Tribunal de Grande Instance de Paris le 27 novembre 1991.

Subsidiairement :

Dire et juger que les demandes présentées par les Intimées dans leurs conclusions en date du 3 mai 1999 concernant la prétendue diffusion de lettres sur le territoire français en 1987 et 1988 sont prescrites conformément aux dispositions de l'article 2270-1 du Code Civil et subsidiairement, qu'elles constituent des demandes nouvelles au sens de l'article 564 du Nouveau Code de Procédure Civile.

En conséquence,

Déclarer ces demandes irrecevables.

Très subsidiairement :

Rendre un arrêt avant dire droit, faisant droit aux demandes suivantes :

Constater que les sociétés Gordon and Breach Science Publishers Inc., Gordon and Breach Science Publishers SA, Gordon and Breach Science Publishers Ltd, Harwood Academic Publishers GmbH, STBS Ltd et Overseas Publishers Association BV n'ont pas valablement respecté les formalités de la Section 859.03 de la loi applicable de l'Etat du Wisconsin (Etats-Unis) relative aux actions en reprise d'instance à l'encontre d'une succession.

En conséquence, faire droit à la fin de non-recevoir présentée par la Succession du Professeur Barschall et infirmer le jugement entrepris en ce qui concerne le Professeur Barschall et sa succession. Dès lors, constater que l'action des Intimées est interrompue du fait du décès du Professeur Barschall, et qu'elle ne peut être valablement reprise du fait du non-respect des dispositions de l'article 859.03 de la loi applicable aux successions de l'Etat du Wisconsin.

Très très subsidiairement :

Prononcer le sursis à statuer jusqu'à ce que les juridictions américaines aient définitivement statué sur la validité de la reprise d'instance de l'action des Intimées à l'encontre de la Succession du Professeur Barschall conformément aux dispositions de l'article 859.03 de la loi applicable aux successions de l'Etat du Wisconsin.

Infiniment subsidiairement :

Si par impossible, la Cour ne prononce pas le sursis à statuer, il est demandé a la Cour de :

Faire application des dispositions des conventions de Bruxelles et Lugano et prononcer un arrêt conciliable avec les décisions rendues par les juges allemands et suisses qui ont consacré le caractère licite de la diffusion des articles du Professeur Barschall et débouté les Intimées de leurs demandes, fins et prétentions.

Dire et juger que les articles litigieux et leur diffusion sont licites au regard du Préambule de la Constitution et de l'article 10 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme.

Très infiniment subsidiairement :

Dire et juger que les articles litigieux et leur diffusion en France sont licites sur le fondement de l'article 1382 du Code Civil et plus généralement au regard du droit français.

Très très infiniment subsidiairement :

Si, par impossible, la Cour considère que les sociétés Gordon and Breach Science Publishers Inc., Gordon and Breach Science Publishers SA, Gordon and Breach Science Publishers Ltd, Harwood Academic Publishers GmbH, STBS Ltd et Overseas Publishers Association BV ont subi un préjudice en France, constater que ce préjudice a été amplement réparé par le communiqué figurant dans les numéros de novembre 1988 et de mars 1989 de Physics Today.

Très très très infiniment subsidiairement :

Donner acte aux Appelants que les sociétés Gordon and Breach Science Publishers Inc., Gordon and Breach Science Publishers SA, Gordon and Breach Science Publishers Ltd, Harwood Academic Publishers GmbH, STBS Ltd et Overseas Publishers Association BV demandent uniquement la réparation du préjudice subi par elles sur le territoire français.

En conséquence, ordonner la publication de l'arrêt à intervenir par encart détachable uniquement dans les exemplaires diffusés en France des revues Physics Today et Bulletin of the American Physical Society.

Autoriser les sociétés Gordon and Breach Science Publishers Inc., Gordon and Breach Science Publishers SA, Gordon and Breach Science Publishers Ltd, Harwood Academic Publishers GmbH, STBS Ltd et Overseas Publishers Association BV à publier le jugement à intervenir uniquement dans les exemplaires diffusés en France des périodiques publiés par Gordon & Breach et cités dans les articles visés dans leur assignation.

En tout état de cause

Infirmer purement et simplement le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

Débouter purement et simplement les sociétés Gordon and Breach Science Publishers Inc., Gordon and Breach Science Publishers SA, Gordon and Breach Science Publishers Ltd., Harwood Academic Publishers Gmbh, STBS Ltd et Overseas Publishers Association BV de l'intégralité de leurs demandes, fins et prétentions.

Condamner solidairement les sociétés Gordon and Breach Science Publishers Inc., Gordon and Breach Science Publishers SA, Gordon and Breach Science Publishers Ltd, Harwood Academic Publishers GmbH, STBS Ltd et Overseas Publishers Association BV au paiement de la somme de 300.000 Francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Aux termes de leurs dernières conclusions, signifiées également le 6 mars 2000, les intimées prient la cour de :

- "Recevoir les intimées, les dire bien fondées,

- Dire et juger que les intimées ne sont pas forcloses en leurs demandes relatives à la diffusion de courriers en France faisant référence aux articles publiés en décembre 1986 et en juillet 1988 sur le coût des journaux de physique,

- Dire et juger que les intimées ne se sont jamais désistées de leur instance et encore moins de leur action,

- Dire et juger que les intimées ont régulièrement mis en cause la Succession (Estate) du Professeur Barschall, décédé en cours de procédure,

- En conséquence, dire et juger qu'il n'y a pas lieu de surseoir à statuer en attendant le jugement à intervenir du tribunal de l'Etat de Wisconsin (Etats-Unis),

- Dire et juger The American Institute of Physics, The American Physical Society, et Monsieur Henry H. Barschall irrecevables, et en tout cas mal fondés en leurs appels,

- Les débouter de leurs appels en toutes fins qu'ils comportent,

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- Reçu les Sociétés Gordon and Breach Science Publishers, Inc., G+B Publishing Services SA, Gordon and Breach Science Publishers, Ltd, Harwood Academic Publishers GmbH, Overseas Publishers Association BV, International Publishers Distributor Ltd en leurs demandes, les ayant dit bien fondées,

- Dit que le droit français s'applique en ce qui concerne la diffusion en France des journaux "Physics Today" et "Bulletin of The American Physical Society",

- Dit que Monsieur Henry H. Barschall, l'American Institute of Physics et l'American Physical Society se sont rendus coupables de concurrence déloyale par publicité comparative illicite à l'égard des intimés, par la publication en décembre 1986 et en juillet 1988 d'articles sur le coût des journaux de physique,

- Ordonné, en conséquence, la publication du dispositif du jugement dans le corps même des plus prochains numéros devant être diffusés en France des revues " Physics Today " et "Bulletin of The American Physical Society" et ce sous astreinte de 200 FF par abonné français,

- Autorisé les intimées à publier in extenso ou par extraits le jugement dans les périodiques scientifiques publiés par Gordon and Breach et cités dans les articles susvisés litigieux, aux frais des appelants, dans la limite globale de 50.000 F,

- Dire que Monsieur Henry H. Barschall, l'American Institute of Physics et l'American Physical Society se sont rendus coupables de concurrence déloyale par publicité comparative illicite à l'égard des intimés, par la diffusion de courriers en France faisant référence aux articles publiés en décembre 1986 et en juillet 1988 sur le coût des journaux de physique,

- Pour le surplus, infirmer le jugement entrepris et statuant à nouveau :

-- Condamner les appelants in solidum au paiement de 100.000 FF, montant du préjudice subi en France par les intimées,

- Porter la condamnation en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile à la somme de 100 000 FF."

Sur ce LA COUR :

Sur le moyen tiré par les appelants d'un désistement des intimées :

Considérant que les appelants exposent que les intimées, qui avaient notamment engagé à propos des mêmes faits une action contre eux aux Etats-Unis (dont elles ont été déboutées par un arrêt définitif de Cour d'appel fédérale pour le deuxième circuit du 25 janvier 1999), avaient déposé le 6 juin 1997 devant la Cour fédérale du district sud de New York une "stipulation" (déclaration) aux termes de laquelle elles auraient indiqué s'en remettre pour l'ensemble des sociétés du groupe à la décision devant être rendue aux Etats-Unis après appel ;

Considérant que cette "stipulation", versée aux débats, mentionne que :

"Les défendeurs dans le cadre de la procédure ci-dessus référencée stipulent par les présentes que toute décision, après appel, dans le cadre de l'action engagée contre l'American Institute of Physics et l'American Physical Society engagée par Gordon & Breach Science Publishers SA (une société suisse), STBS Ltd et Harwood Academic Publishers Gmnbh le 23 septembre 1993, dans le district sud de New York et maintenant poursuivie par OPA (Overseas Publishing Association) Amsterdam BV, Harwood Academic Publishers GmbH et Gordon & Breach Science Publishers SA (une société de Grande-Bretagne), liera et aura tous les effets bloquants permis de par la loi sur toutes les sociétés impliquées de quelque façon que ce soit dans la publication, la commercialisation ou la distribution de journaux de physique avec le nom Gordon and Breach ou Harwood, y compris, de manière spécifique tous les demandeurs nommés originellement" ;

Considérant que les appelants prétendent que cette stipulation vaut désistement d'instance et d'action de la part des intimées, dès lors que celles-ci ont été désormais définitivement déboutées de leurs demandes aux Etats-Unis ;

Mais considérant que le désistement d'instance ou d'action ne se présume pas et ne peut résulter que d'actes non équivoques démontrant sans ambiguïté la volonté d'une partie de renoncer à ses demandes ; qu'alors que les intimées ont constamment manifesté devant cette cour l'intention de poursuivre l'action engagée en France, la "stipulation" invoquée, faite devant une juridiction américaine et qui ne comporte aucune référence aux procédures pendantes dans d'autres pays, ne peut être interprétée comme valant désistement de leur instance ou de leur action en France ;

Sur les contestations de la régularité de la procédure à l'égard de la succession de M. Henry H. Barschall

Considérant que les appelants font valoir que les formalités prévues par la loi de l'Etat du Wisconsin, à laquelle est soumise la succession de Henry H. Barschall, n'ayant pas été respectées, l'instance serait interrompue ; qu'ils prient la cour de constater cette interruption et subsidiairement de surseoir à statuer jusqu'à ce que les juridictions américaines aient définitivement statué sur la validité de la reprise d'instance à l'encontre de la succession de M. Henry H. Barschall, conformément à la loi applicable aux successions de l'Etat du Wisconsin ;

Considérant que les intimées qui avaient d'abord effectué une déclaration de créance à l'encontre de la succession conformément aux § 859.01 et 859.02 de la loi du Wisconsin, ont procédé ensuite, mais hors délais, à "une notification de substitution de partie défenderesse", conformément au § 859-03 ; que les parties s'opposent sur la portée des textes ci-dessus mentionnés, les appelants invoquant la tardiveté de la mise en œuvre du § 859.03, les intimées soutenant que cette disposition a un caractère facultatif, et qu'elles ont en toute hypothèse rempli leurs obligations au regard de la loi applicable à la succession en procédant à une déclaration de créance ;

Considérant que quoiqu'il en soit de l'issue de cette contestation, dont serait actuellement saisie une juridiction de l'Etat du Wisconsin, celle-ci ne pourrait affecter que l'exécution aux Etats Unis de la décision à intervenir dans la présente instance, mais non la régularité de la procédure menée en France ;

Considérant que cette instance, ayant été interrompue par le décès de M. Barschall, devait être reprise conformément à l'article 373 du nouveau Code de procédure civile ;

Considérant, sur l'application de ce texte, qu'à la suite du décès de M. Henry H. Barschall, il est constant que ses ayants droit ont été régulièrement assignés en reprise d'instance, et que Mme Barschall, représentant personnel de l'Estate de M.Henry H. Barschall a constitué avoué aux côtés de l'American Institute of Physics et de l'American Physical Society ; que la procédure a donc été valablement reprise devant cette cour ; que la fin de non-recevoir tirée de l'interruption de l'instance, et les demandes tendant à la mise hors de cause de l'Estate de Henry H. Barschall, ou au prononcé d'un sursis à statuer seront rejetées ;

Sur l'argumentation tirée des dispositions des conventions de Bruxelles et de Lugano

Considérant que se prévalant des décisions définitives rendues en 1991 en Allemagne et en 1999 en Suisse qui ont débouté leurs adversaires de toutes leurs prétentions, les appelants soutiennent que cette cour serait tenue de rendre un arrêt "conciliable" avec lesdites décisions et ne pourrait en conséquence que débouter les intimées de toutes leurs demandes ; qu'ils apparaissent se fonder sur l'article 27 de la Convention de Bruxelles qui prévoit que "Les décisions ne sont pas reconnues... 3° si la décision est inconciliable avec une décision rendue entre les mêmes parties dans l'Etat requis." ;

Mais considérant que cette argumentation ne saurait prospérer, le texte invoqué permettant seulement au juge de l'Etat requis devant lequel la reconnaissance d'une décision étrangère donne lieu à contestation, de refuser cette reconnaissance si la décision étrangère et une décision précédemment rendue dans l'Etat requis comportent des conséquences juridiques qui s'excluent mutuellement ; que cette disposition n'est pas applicable en l'espèce alors que la reconnaissance des décisions étrangères n'est pas en cause ; qu'en toute hypothèse, aucune règle des Conventions de Bruxelles et de Lugano n'impose à la cour, appelée à trancher le présent litige suivant le droit français, de se conformer aux décisions rendues par les juridictions Allemandes ou Suisses en application de leurs législations internes respectives ;

Sur la recevabilité des demandes des intimées se rapportant à la diffusion en France en 1987 et 1988 de lettres d'AIP et APS

Considérant que les intimées qui, initialement, n'avaient fait grief à leurs adversaires que de la diffusion en France des articles parus en 1986 et 1988, ont, dans leurs conclusions du 3 mai 1999, présenté pour la première fois des demandes concernant des lettres qui auraient été envoyées sur le territoire français par AIP en septembre 1987 et par APS en mai 1988 ; qu'elles ont formé une demande additionnelle, priant la cour de dire que "Monsieur Henry H. Barschall, l'American Institute of Physics et l'American Physical Society se sont rendus coupables de concurrence déloyale par publicité comparative illicite à l'égard des intimés, par la diffusion de courriers en France faisant référence aux articles publiés en décembre 1986 et en juillet 1988 sur le coût des journaux de physique" ;

Considérant que les appelants soulèvent l'irrecevabilité de ces demandes, en faisant valoir que celles-ci seraient prescrites par application de l'article 2270-1 du Code civil, et qu'elles tomberaient sous le coup de la prohibition des demandes nouvelles en appel ;

Considérant, sur le premier point, que si l'article 2270-1 du Code civil dispose que "les actions en responsabilité civile extra-contractuelles se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation", cette prescription ne court qu'à compter de la date où le fait dommageable a été révélé à la victime si celle-ci n'en avait pas eu précédemment connaissance ; qu'en l'espèce, les intimées exposent qu'elles n'ont eu connaissance de l'existence des lettres litigieuses qu'à l'occasion de la procédure de pre-trial discovery menée aux Etats Unis après qu'elles y aient introduit une action en septembre 1993 ; que les appelants ne contestent pas ce fait, mais soutiennent que les intimées ne sauraient tirer profit de la tardiveté de l'introduction de leur action aux Etats Unis, et ne pourraient être admises à prétendre avoir été dans l'impossibilité absolue d'agir à propos de ces lettres avant la discovery ; que cependant dès lors que les intimées, n'ont pas connu avant 1993 l'existence des lettres litigieuses, elles étaient bien dans l'impossibilité absolue de former auparavant des demandes de réparation à leur propos ; que la prescription n'a donc commencé à courir qu'à compter de 1993 et n'était pas acquise au moment de la présentation des demandes litigieuses, en 1999 ;

Considérant, sur le second point, que l'article 564 du nouveau Code de procédure civile qui prohibe les prétentions nouvelles en appel, réserve le cas où celles-ci visent à faire juger les questions nées de la révélation d'un fait ; qu'en l'espèce la révélation, postérieurement au jugement, de l'existence des lettres litigieuses rend recevables les demandes formées concernant ces lettres ;

Sur les moyens tirés par les appelants du principe de la liberté d'expression

Considérant que les appelants invoquent le principe de la liberté d'expression, consacré, tant par le préambule de la Constitution de 1946, que par la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme ; qu'ils soutiennent qu'une condamnation sanctionnant la publication des articles incriminés au titre de la concurrence déloyale constituerait une violation de la liberté d'expression ;

Mais considérant que la liberté d'expression ne confère pas de droit absolu qui ferait obstacle à la sanction du dénigrement ou de la publicité comparative illicite ;qu'aussi bien le préambule de la Constitution de 1946, que la CEDH, disposent expressément que cette liberté doit s'exercer sans abus et notamment sans porter atteinte à la réputation d'autrui ;

Considérant que les appelants prétendent également que, selon la jurisprudence de la Cour européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, l'exercice de la liberté d'expression de M. Henry H. Barschall ne pourrait être entravée au motif qu'elle aurait constitué un acte fautif de concurrence déloyale par publicité comparative illicite, alors que, d'une part, les normes juridiques en la matière n'auraient pas été énoncées avec suffisamment de précision pour permettre à l'intéressé de régler sa conduite, et, que d'autre part, elles n'auraient pas été pas suffisamment accessibles à un ressortissant américain rédigeant un article qui n'aurait été destiné qu'au public des Etats-Unis ;

Mais considérant, sur ce dernier point, que l'argumentation des appelants qui ont étendu leurs activités à la France, ne saurait leur permettre d'éluder l'application de la loi française, alors que tant le fait générateur constitué par la diffusion des revues, que le lieu de réalisation du dommage allégué dans le présent litige se situent en France;que, par ailleurs, l'absence de législation spécifique sur la publicité comparative en France à l'époque des faits litigieux, n'empêche pas que d'éventuels agissements fautifs en ce domaine puissent être sanctionnés en application des principes généraux de la responsabilité civile ;

Sur le fond des griefs adressés aux appelants par les sociétés Gordon and Breach

Considérant que les sociétés Gordon and Breach incriminent principalement trois articles, intitulés respectivement "The cost of physics journals", "The cost/effectiveness of physics journals" et "The cost of physics Journals : a survey", écrits par M. Henry H. Barschall, qui ont été publiés pour les deux premiers dans la revue "Physics Today" de l'AIP, en décembre 1986 et juillet 1988, et pour le troisième dans le "Bulletin of the American Physical Society" de l'APS ;

Considérant que le premier de ces articles (Le coût des journaux de physique) étudie le coût par 1 000 caractères d'un échantillon de revues de physique, de mathématiques et de philosophie ; qu'il est accompagné d'un tableau où figurent pour quinze journaux de physique, quatre journaux d'optique, quatre journaux de mathématiques et quatre journaux de philosophie, le nom de l'éditeur, le prix de l'abonnement pour les bibliothèques et le coût par 1 000 caractères ;

Considérant que cet article de trois pages :

- constate la récente et importante augmentation des prix de journaux de physique qui oblige les bibliothécaires de tout le pays à réduire leurs abonnements,

- rappelle qu'en 1983 l'American Mathematical Society a procédé à une étude détaillée du coût par 1 000 caractères en 1982 de différents journaux de mathématiques publiés aux Etats Unis,

- indique qu'il a été décidé à l'Université du Wisconsin de procéder suivant la même méthode (évaluation du nombre moyen de caractères par page, multiplié par le nombre de pages, enfin calcul du coût par 1.000 caractères à partir du prix d'abonnement) à une étude sur des journaux de physique "en choisissant un peu au hasard un ou deux journaux publiés par les plus importants éditeurs de journaux de physique" et de philosophie,

- mentionne que :

"Alors qu'on se serait attendu à ce que les journaux publiés par les organisations à but non lucratif soient moins chers que ceux publiés par les éditeurs commerciaux, le rapport coût par caractère de plus de 40 entre les publications commerciales les plus chères et les publications d'éditeurs à but non lucratif les moins chères est plus important que ce à quoi on se serait attendu",

- ajoute :

"Les bibliothèques bénéficient de façon importante du coût peu élevé par mot imprimé des journaux publiés par l'AIP et ses associations membres. Ces journaux ont également une plus grande diffusion et touchent un plus grand nombre de lecteurs que les journaux commerciaux...

En tant que Président du comité consultatif de la bibliothèque de notre département de physique, j'assume la tâche déplaisante de conseiller notre bibliothécaire en ce qui concerne les journaux dont l'abonnement doit être annulé. Bien évidemment, l'un des points les plus importants à prendre en considération est de savoir comment les gens utilisent ce journal, et si ce journal n'est pas disponible dans un autre lieu sur le campus. Mais je prête également attention au coût et mon avis est influencé non seulement par le prix du journal mais aussi par le prix par mot imprimé. " ;

Considérant que si le texte de l'article ne mentionne pas Gordon and Breach, il est fait référence à cet éditeur au travers d'une citation de l'étude de l'American Mathematical Association selon laquelle le coût des journaux de mathématiques variaient de 0,80 cent par 1.000 caractères pour le "Journal of the American Statistical Society" à 35 cents pour "Applicable Analysis" de Gordon and Breach ; que par ailleurs dans le tableau présentant 15 journaux de physique rangés par ordre croissant de coût par 1.000 caractères, les quatre premières places sont occupées par des publications de l'AIP ou de l'APS, alors qu'un journal de Gordon and Breach (Parti des Accelerators) vient en dernier ;

Considérant que le deuxième article (Le rapport coût/effectivité des journaux de physique) portant sur plus de 200 journaux consacrés à différents domaines de la physique, ajoute aux données examinées dans le précédent article, une étude du rapport coût/efficacité des journaux mesurée par le rapport entre le coût par caractère et la fréquence des citations faites des articles publiés dans les différents journaux dans les deux ans suivant la publication ; qu'il est assorti d'un tableau divisé en huit domaines mentionnant le titre des journaux, le nom de leurs éditeurs, leur prix, leur nombre de pages, le coût par 1.000 caractères, l'impact (défini comme le nombre de citations par article après deux ans, ce nombre de citations étant extrait du Scientific Citation Index publié en 1986) et le rapport coût/impact ; qu'il comporte un autre tableau intitulé "Prix d'abonnement par éditeur" sur lequel figurent les noms de 24 éditeurs, classés par ordre de prix moyen par 1.000 caractères et de rapport moyen coût/impact ;

Considérant que cet article de quatre pages qui comporte de longs développements sur l'importance de la hausse du prix des journaux scientifiques, les causes de cette augmentation (les variations du cours du dollar essentiellement, mais aussi l'accroissement très important de la pagination, la diminution du nombre des abonnements qui conduit à un renchérissement du coût des abonnements maintenus, l'abandon de la pratique consistant à demander aux auteurs de contribuer aux frais de publication), propose diverses solutions techniques (utilisation notamment de l'informatique) pour réduire les coûts et se termine par la conclusion suivante :

"Il n'y a pas de solution simple, mais les auteurs peuvent aider les bibliothèques de physique en publiant leurs articles dans les journaux ayant un prix par caractère bas. En général, les articles de tels journaux auront également un "impact" plus important, de sorte que les auteurs tireront également bénéfice d'une publication de leurs articles dans ces journaux." ;

Considérant que Gordon and Breach à nouveau n'est pas citée dans le corps de l'article ; que cependant, dans le premier tableau, des publications d'AIP ou d'APS sont en tête de chacune des catégories, alors que des journaux de Gordon and Breach qui ne figurent que dans deux catégories, y viennent en dernier rang; que dans le deuxième tableau résumant les données pour 24 éditeurs, APS, AIP et Gordon and Breach viennent respectivement en deuxième, cinquième et dernière position ;

Considérant que le troisième article (Le coût des journaux de physique : une étude) paru dans le Bulletin of the American Physical Society est présenté comme le compte-rendu complet de l'étude donnant lieu à la publication faite simultanément dans Physics Today ; qu'il comporte des tableaux où sont mentionnés 200 journaux de physique, pour lesquels sont indiqués les noms des éditeurs, le prix, le nombre de pages, le coût par 1 000 caractères, l'impact et le rapport coût/impact ;

Considérant que le corps de cet article ne fait pas non plus mention de Gordon and Breach ; que dans les tableaux ses publications apparaissent parmi celles ayant les rapports coût par 1 000 caractères et coût/impact les plus élevés ;

Considérant que The American Institute of Physics, The American Physical Society et le représentant personnel de l'Estate de M. Henry H. Barschall ne contestent plus sérieusement la décision des premiers juges en ce qu'il ont dit que le droit français s'appliquait en ce qui concerne la diffusion en France des journaux Physics Today et Bulletin of the American Physical Society ;que le jugement sera confirmé de ce chef ;

Considérant que poursuivant au contraire la réformation du jugement en ce qu'il a retenu que la publication des articles précédemment mentionnés était constitutive d'une publicité comparative illicite, les appelants font valoir :

- que lesdits articles n'ont pas le caractère d'une publicité, ni à plus forte raison d'une publicité comparative,

- que même à admettre la qualification de publicité comparative, celle-ci n'aurait aucun caractère fautif, en l'absence de tout dénigrement de Gordon and Breach et d'inexactitudes dans les données qu'ils comportent ;

Considérant que les appelants soutiennent ainsi en premier lieu que les articles litigieux ne constituaient pas une publicité parce qu'ils visaient à communiquer aux bibliothécaires américains des informations d'intérêt général sur le coût des revues de physique et n'avaient pas eu pour but de promouvoir les produits de l'APS ou de l'AIP ; qu'ils indiquent que celles-ci ne les ont en rien suscités; qu'ils ajoutent que ces articles (qui pour les deux derniers se rapportent à l'étude de plus de 200 revues) n'auraient procédé à aucune comparaison entre les publications de l'AIP et de ses associations membres, d'une part, et celles de Gordon and Breach, d'autre part ;

Mais considérant que cette argumentation ne saurait pour l'essentiel être suivie ; que si rien ne permet de retenir que l'APS, ou l'AIP dont elle dépend, auraient suscité les études entreprises par M. Barschall, il est constant que, même s'il s'agit d'organismes à but non lucratif, ces deux associations développent une activité importante d'édition de revues, dans laquelle elles se trouvent en concurrence avec des éditeurs ayant la forme de sociétés commerciales, telles que les sociétés du groupe Gordon and Breach ;que ces articles énoncent notamment que "Les bibliothèques bénéficient de façon importante du coût peu élevé par mot imprimé des journaux publiés par l'AIP et ses associations membres" ;que de même, après avoir mis en valeur le prix peu élevé par caractère des publications de l'APS/AIP, ils énoncent que "les auteurs peuvent aider les bibliothèques de physique en publiant leurs articles dans des journaux ayant un prix par caractère bas" et que "les auteurs tireront également bénéfice d'une publication dans ces journaux" ; que de telles mentions ont manifestement pour effet de promouvoir les produits des associations appelantes ;que leur publication dans les revues de ces associations, même si elle peut répondre à un but d'information, procède au moins pour partie d'une démarche publicitaire ;

Considérant que les études incriminées mettent en parallèle les publications des éditeurs associatifs et des éditeurs commerciaux ;que même si les sociétés du groupe Gordon and Breach ne sont pas désignées dans le corps des articles, les tableaux joints mentionnent expressément les publications desdites sociétés- peu important que celles-ci soient citées dans l'un des articles au milieu d'un très grand nombre d'autres journaux ;que ces tableaux qui permettent une comparaison entre les prix et les caractéristiques de certaines des publications des associations appelantes, d'une part, et des sociétés Gordon and Breach, d'autre part, réalisent bien une publicité comparative ;

Considérant qu'à la date des faits litigieux, aucun texte ne régissait ce type de publicité qui en tout cas n'était nullement prohibée;que pour déterminer si les faits incriminés dans la présente espèce ont eu un caractère fautif, il convient donc de rechercher si les publications litigieuses ont réalisé un dénigrement, ou bien ont été inexactes, trompeuses, ou autrement déloyales ;

Considérant que le dénigrement consiste à jeter le discrédit sur les produits ou l'entreprise d'un concurrent ; que la simple publication de données faisant apparaître le coût élevé des publications du groupe Gordon and Breach, en l'absence de toute formulation acrimonieuse ou péjorative, ne peut être tenue comme constitutive de dénigrement ;

Considérant que les intimées soutiennent que les comparaisons tirées par leurs adversaires des études du professeur Barschall auraient été trompeuses ; qu'elles leur font grief de n'avoir pas tenu compte de la nature des journaux mis en présence, d'avoir procédé à une sélection "biaisée" des publications prises en considération parmi leurs revues de physique, d'avoir ignoré le fait que les journaux des sociétés Gordon and Breach rémunèrent les auteurs, contiennent beaucoup de formules mathématiques qui renchérissent leurs coûts de composition, enfin qu'ils ne bénéficient pas des mêmes aides financières que les publications des éditeurs associatifs ;

Considérant que sur le premier point ci-dessus mentionné, les intimées font valoir que leurs publications sont beaucoup plus spécialisées que celles des appelants, ce dont il résulte qu'elles ont des tirages beaucoup plus faibles (en moyenne 8 fois moins importants que ceux des revues d'APS) et qu'elles font l'objet eu égard à l'étroitesse de leur domaine d'un nombre de citations moindre ; qu'elles en concluent que les comparaisons de prix par 1.000 caractères, et de coût/impact sont dénuées de pertinence et trompeuses ;

Mais considérant que l'argumentation tirée de la spécialisation des revues est réfutée par les appelants, qui observent exactement que la plupart des 200 journaux de physique recensés dans les articles de 1988 sont également très spécialisés ; qu'ils démontrent ainsi que les Comments publiés par Gordon and Breach sur la physique nucléaire, ne sont pas plus spécialisés que Physical Review C d'APS exclusivement consacrée à la physique nucléaire, ou la revue Nuclear Physics publiée par l'International Atomic Energy Agency, et que les coûts par 1.000 caractères de ces revues sont respectivement de 17,4, 1,1 et 1,5 cents, ce qui dément l'existence de la corrélation alléguée par les sociétés Gordon and Breach entre le degré de spécialisation et les rapports coût/caractère et coût/impact ;

Considérant que si les sociétés Gordon and Breach font grief au professeur Barschall d'avoir ignoré 13 de leur 24 journaux de physique dans l'article paru dans le Bulletin of the American Physical Society, les appelants répliquent que l'auteur a exposé dans l'article sa méthode de sélection, consistant à s'appuyer sur la liste des revues inscrites sous la rubrique physique dans le livre de Ulrich, l'Annuaire des Périodiques Internationaux, quelques revues citées dans ce livre ayant été omises parce qu'elles n'étaient pas disponibles à l'Université du Wisconsin ; qu'ils établissent que parmi les 13 revues prétendument omises, six seulement figuraient dans la rubrique Physique de l'ouvrage d'Ulrich, parmi lesquelles, à la date de clôture de l'étude, une seule était disponible à l'université du Wisconsin (Survey on High Energy Physics) mais n'avait pas été incluse, la bibliothèque n'en ayant reçu qu'un seul numéro et un même volume de cette revue couvrant plusieurs années ; qu'ils en déduisent exactement que les prétendues omissions imputées au professeur Barschall résultent de l'application des règles de sélection dont le lecteur était expressément informé (et qu'elles n'ont pas nui aux sociétés Gordon and Breach, Survey on High Energy Physics étant manifestement un échantillon trop limité pour être inclus dans l'étude -et en affecter les résultats dans un sens favorable aux intimées) ;

Considérant, sur l'incidence des formules mathématiques insérées dans le texte, que les appelants soutiennent que les sociétés Gordon and Breach ne démontrent pas que leurs revues contiendraient davantage de formules mathématiques que d'autres publications de physique ; qu'elles relèvent que le juge suisse a constaté que trois seulement des onze journaux des intimées cités par le professeur Barschall : Crystal Lattice Devices (38 %), Phys Chem Liquids (39 %) et Radiation Effects (39 %) avaient un pourcentage de texte par rapport au non-texte inférieur au journal des appelants présentant le pourcentage le plus faible à cet égard, le Journal Accoustical Soc. (42 %) et que cette différence ne pouvait être tenue pour significative ;

Considérant que les appelants exposent encore, s'agissant de la rétribution des auteurs, que celle-ci n'avait pas, même à l'époque des faits litigieux, le caractère exceptionnel que lui prêtent les sociétés Gordon and Breach (ils donnent ainsi l'exemple de la revue l'APS, Review of Modem Physics qui rémunère les auteurs) ; que, sur les aides financières, ils indiquent que si elles bénéficient de donations, celles-ci ne sont affectées en aucun cas à leurs activités de publication mais à des programmes de physique, tels que, par exemple, l'histoire de la physique ;

Considérant, de manière plus générale, que la contestation par les intimées des méthodes de comparaison mises en œuvre dans les publications incriminées se heurte au fait que ces méthodes étaient utilisées antérieurement dans les études scientifiques du même type ;que le premier article incriminé fait ainsi expressément référence à l'étude sur les journaux de mathématique parue en 1982 dans les Notices of the American Mathematical Society utilisant le critère du coût par 1 000 caractères ; qu'est également produit aux débats un article publié, dès 1933, dans Industrial and Engineering Chemistry sur le coût comparé de journaux de chimie utilisant le critère du coût moyen par 10 000 caractères ; qu'un article de Paul H. Ribbe paru en mai/juin 1988 dans American Mineralogist confrontait encore les prix d'abonnement des revues de minéralogie à leur facteur d'impact, calculé, comme dans l'étude du Professeur Barschall publiée en juillet 1988, par référence au nombre des citations relevées par the Institute of Scientific Information (organisme tiers) dans son Science Citation Index ; que les sociétés Gordon and Breach (qui n'ont pas donné suite à l'offre plusieurs fois réitérée par l'AIP et l'APS d'exprimer leur point de vue dans les revues où sont parues les études contestées) n'ont pas proposé d'utiliser d'autres méthodes de comparaison, mais se sont bornées, en insistant sur la spécificité de leurs publications, à critiquer l'inclusion de leurs journaux dans les comparaisons faites suivant ces méthodes usuelles -dont l'application a l'avantage de fournir des données quantitatives concourant à la transparence du marché ;

Considérant que les appelants font également valoir :

- que les études incriminées concernaient les coûts supportés par les bibliothèques et non les coûts (au demeurant inconnus du public) supportés par les maisons d'édition, et n'ont jamais prétendu porter d'appréciation sur la valeur scientifique des publications examinées,

- que ces études ont été présentées en termes mesurés, sans qu'il soit allégué que les critères d'appréciation proposés auraient été les seuls à prendre en considération (le Professeur Barschall précisant au contraire en conclusion de son premier article "l'un des points les plus importants à prendre en considération est de savoir comment les gens utilisent ce journal, ... mais je prête également attention au coût et mon avis est influencé non seulement par le prix du journal mais aussi par le prix par mot imprimé") ;

Considérant qu'il se déduit des éléments qui précèdent que la critique de la méthode adoptée par les articles incriminés n'est pas fondée ;qu'il n'est pas démontré que cette méthode aurait été trompeuse, tendancieuse, ou déloyale ;

Considérant que les intimées prétendent que les articles incriminés comportaient de nombreuses erreurs ; qu'elles exposent que les prix d'abonnement mentionnés pour leurs revues auraient été inexacts, qu'il n'aurait pas été tenu compte du fait que leurs prix affichés comprennent un surcoût de 10 % à titre de licence de photocopie donnant droit à l'abonné de faire un nombre illimité de photocopies (surcoût que l'abonné peut éviter en renonçant à la licence), que n'ont pas été non plus pris en considération la remise de 10 % consentie aux bibliothèques renouvelant leur abonnement, ni le fait que les abonnés de certains journaux de des sociétés Gordon and Breach reçoivent gratuitement d'autres bulletins dans le même domaine ;

Mais considérant que les appelants répliquent que si le calcul du nombre de pages et des prix de diverses revues publiées par les sociétés Gordon and Breach était particulièrement complexe parce que ces revues ne sont pas publiées sur une base calendaire, ce problème a été traité par le Professeur Barschall qui a indiqué dans l'article paru en 1988 dans le Bulletin of the American Physical Society :

"Pour quelques journaux, la fin d'une année de volumes ne correspond pas à la fin de l'année calendaire de telle sorte qu'il existe une incertitude quant au nombre de volumes dans l'année, donc quant au prix de l'abonnement annuel. Cette incertitude n'affecte pas la détermination du coût par caractère, étant donné que le coût par volume donc par page est connu" ;

Considérant que les sociétés Gordon and Breach qui font référence à l'inclusion dans leurs coûts d'abonnement d'une licence de photocopie facultative ne justifient pas de ce que cette caractéristique ait été portée à la connaissance des abonnés ; qu'elles produisent un modèle de lettre sans démontrer qu'il aurait été effectivement envoyé ; qu'elles ont elles-mêmes reconnu dans leurs écritures devant les juridictions américaines que cette lettre n'était à la disposition que de "certaines classes d'abonnés" ; que les juridictions suisses ont exactement relevé que les sociétés Gordon and Breach n'étaient pas fondées à faire grief à leurs adversaires de la non-prise en compte de pratiques tarifaires occultes, et observé que ces prestations complémentaires n'avaient quasiment aucun poids dans le cadre général de la comparaison ;

Considérant qu'aucune pièce produite devant la cour ne justifie des remises de 10 % accordée selon les sociétés Gordon and Breach aux bibliothèques lors des renouvellements d'abonnements ;

Considérant, s'agissant des services gratuits, que les appelants exposent, sans être démentis, que les seuls documents gratuits disponibles pour les abonnés de Gordon and Breach à l'époque de l'étude étaient des Bulletins où figuraient des "abstracts" d'articles devant être publiés dans des numéros ultérieurs et que la prise en compte de ces Bulletins aurait conduit à une duplication injustifiée des données ; qu'ils soulignent que le nombre de pages de ces Bulletins correspondait à environ 5 à 7 % des pages contenues dans les revues auxquelles ils étaient joints et que leur prise en compte n'aurait pas affecté de manière significative les résultats de l'étude ;

Considérant qu'il convient d'ajouter :

- qu'un expert désigné par Gordon and Breach dans le cadre de la procédure américaine, le Professeur Kingma, qui s'est efforcé de démontrer l'existence d'erreurs dans les articles incriminés, a lui-même reconnu que la prise en compte des corrections induites par les erreurs qu'il alléguait, n'aurait pas changé les résultats des études du Professeur Barschall (audition du 9 juin 1987, pages 137 et 138) ;

- qu'un autre expert de Gordon and Breach, Donald King a déclaré que selon lui "Il n'y avait absolument aucun doute sur le fait que le professeur Barschall avait fait un bon travail, un travail complet, et avec de bonnes intentions" (audition du 12 juin 1997, page 481) ;

Considérant qu'en définitive aucun élément du dossier ne conduit à mettre en doute la fiabilité des résultats publiés par les appelants, les inexactitudes dénoncées par Gordon and Breach étant, soit dépourvues d'incidence sur ces résultats, soit non démontrées ;qu'en l'absence par ailleurs de dénigrement, de tromperie ou d'autres pratiques déloyales, les griefs adressés par les intimées aux publications incriminées sont dépourvus de fondement ;que le jugement sera réformé en ce qu'il a dit que ces publications étaient constitutives de concurrence déloyale par publicité comparative illicite, ainsi que du chef des mesures réparatrices qu'il a ordonnées ;

Considérant que ne saurait prospérer la demande additionnelle présentée devant la cour par les intimées et concernant l'envoi en 1987 et 1988 par AIP et APS de lettres accompagnées d'articles du Professeur Barschall, dès lors que ces articles ne sont pas eux mêmes fautifs ;

Considérant que l'équité commande d'allouer aux appelantes une indemnité globale de 100 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement en ce qu'il a dit que le droit français s'applique s'agissant de la diffusion en France des journaux Physics Today et Bulletin of the American Physical Society ; Le réforme pour le surplus ; Statuant à nouveau et ajoutant ; Déboute les sociétés Gordon & Breach Science Publishers Inc, Gordon & Breach Science Publishers Ltd, International Publishers Distributor Ltd, G + B Services SA, Harwood Academic Publishers GmbH et Overseas Publishers Association BV de leurs demandes tendant à voir dire que leurs adversaires se sont rendus coupables de concurrence déloyale par publicité comparative illicite, et à voir ordonner de ce chef diverses mesures réparatrices ; Les condamne in solidum à payer à The American Institute of Physics, The American Physical Society et au représentant personnel de l'Estate de M. Henry H. Barschall une indemnité globale de 100 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Rejette toute autre prétention des parties ; Condamne in solidum les sociétés Gordon & Breach Science Publishers Inc, Gordon & Breach Science Puiblishers Ltd, International Publishers Distributor Ltd, G + B Services SA, Harwood Academic Publishers GmbH et Overseas Publishers Association BV aux dépens de première instance et d'appel qui comprendront les dépens afférents à l'arrêt cassé ; Admet la SCP Fisselier Chiloux Boulay au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.