CA Paris, 4e ch. A, 14 juin 2000, n° 1997-24689
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Porcelaines Bernardaud (SA)
Défendeur :
Porcelaines Philippe Deshoulières Lourioux (SA), Galerneau
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Marais
Conseillers :
M. Lachacinski, Mme Regniez
Avoués :
SCP Mira Bettan, Mes Bolling, Olivier
Avocats :
Mes Lubet, Charrière Bournazel, Casalonga.
La société des porcelaines Bernardaud (ci-après Bernardaud) a lancé sur le marché une gamme de lithophanies semi-sphériques sur le pourtour desquelles sont gravés des décors qui s'animent en transparence par un jeu d'ombres et de lumières créé par la flamme d'une bougie. Elle a enrichi cette gamme d'un modèle composé de deux semi-sphères s'emboîtant l'une dans l'autre, utilisant la même technique, et constituant un centre de table.
La société des porcelaines Philippe Deshoulières Lourioux (ci-après Deshoulières) a commercialisé de son côté, dans courant de l'année 1996, un lithophanie composée de deux semi sphères emboîtées, qu'elle a intitulé " lithosphère " et dont elle a déposé le modèle à l'Institut National de la Propriété Industrielle, le 17 novembre 1995, enregistré sous le n° 95.64.12.
Prétendant que la lithosphère reproduisait son œuvre, la société Bernardaud a fait pratiquer une saisie-contrefaçon dans les locaux de cette société, rue Royale, à Paris ainsi qu'au magasin Le Printemps, le 22 novembre 1996.
Le 27 décembre 1997, la société Deshoulières a fait, à son tour, procéder à des saisies contrefaçon à l'encontre de la société Bernardaud tant dans ses locaux de la rue Royale, qu'au sein des magasins Le Printemps et la Samaritaine, excipant de l'antériorité de sa lithosphère.
Saisi des actions en contrefaçon ,le tribunal de commerce de Paris, par jugement du 23 septembre 1997, après jonctions des procédures et intervention volontaire de Stéphane Galerneau, auteur des lithosphères de la société Deshoulières a :
- dit que le modèle lithosphère de la société Deshoulières n'est pas la copie du modèle semi-sphérique de la société Bernardaud, que la société Deshoulières n'a pas commis d'actes de contrefaçon en fabriquant et en commercialisant son modèle, que la société Bernardaud est mal fondée en ses demandes de ce fait et l'en a déboutée,
- dit que le modèle sphérique de la société Bernardaud est la copie du modèle lithosphère de la société Deshoulières, que la société Bernardaud a commis des actes de contrefaçon en fabriquant et en commercialisant son modèle lithosphérique,
- interdit à la société Bernardaud de fabriquer et de commercialiser le modèle contrefaisant et ce, sous astreinte de 5.000 F par infraction constatée,
- condamné la société Bernardaud à payer à la société Deshoulières forfaitairement la somme de 250.000 F en réparation du préjudice subi au titre de la contrefaçon,
- autorisé la publication du jugement dans 5 journaux au choix de la société Deshoulières et aux frais de la société Bernardaud pour un coût n'excédant pas 100.000 F,
- dit abusive et de nul effet la saisie contrefaçon effectuée par la société Bernardaud, le 22 novembre 1996,
- condamné la société Bernardaud à payer à la société Deshoulières la somme de 100.000 F en réparation du préjudice subi au titre de la concurrence déloyale,
- dit la société Bernardaud mal fondée en ses demandes au titre du parasitisme et l'en a déboutée,
- condamné la société Bernardaud à payer à Monsieur Galerneau la somme de 30.000 F en réparation du préjudice qu'il a subi du fait des actes de contrefaçon du modèle lithosphère,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- condamné la société Bernardaud à payer à la société Deshoulières la somme de 50.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
LA COUR,
Vu l'appel interjeté de cette décision par la société Bernardaud le 24 octobre 1997,
Vu les conclusions en date du 26 avril 2000 par lesquelles la société Bernardaud, poursuivant l'infirmation du jugement entrepris, fait valoir à cet effet que :
- que le modèle de lithophanie semi-sphérique, qu'elle a créé et qu'elle commercialise, est une création originale et nouvelle,
- que le modèle lithosphère de la société Deshoulières est la contrefaçon de sa lithophanie semi sphérique, qu'il en reproduit les éléments caractéristiques, sans que la présence d'un bandeau circulaire, non original et indissociable de l'effet technique, soit de nature à écarter la contrefaçon opérée, qu'intégrant sa propre création semi sphérique, elle constitue une œuvre composite ou dérivée,
- que Monsieur Galerneau, qui s'en prétend créateur, ne peut revendiquer aucun droit privatif sur une œuvre non originale et doit être débouté de ses prétentions,
- subsidiairement, que le modèle lithosphère de la société Deshoulières est antériorisé par son propre le modèle " centre de table ", ladite société ne rapportant pas la preuve de la date de sa création,
- vu l'article 1356 du Code civil, que la société Deshoulières est irrecevable en ses demandes en contrefaçon, celle-ci ayant fait l'aveu judiciaire que les lithophanies ne sont pas susceptibles d'être protégées par le droit d'auteur, se privant de la faculté d'exciper d'une quelconque contrefaçon,
- qu'aucun acte de concurrence déloyale ne peut lui être reproché, en raison du caractère limité des opérations de saisies contrefaçon qu'elle a faites pratiquer dans des conditions exemptes de tout abus,
-qu'en revanche, les saisies contrefaçon pratiquées par la société Deshoulières sont abusives, qu'elles se sont accompagnées de dénigrement et que la société a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire en s'appropriant sa création et en la commercialisant à moindre frais,
- plus subsidiairement encore, la société Deshoulières ne démontre ni ne justifie d'un préjudice s'élevant à la somme de 3,1 millions de F, totalement infondé dans son principe et démesuré dans son montant,
et demande en conséquence à la Cour de :
- condamner la société Deshoulières à lui payer une somme de 100.000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure et saisies abusives,
- condamner la société Deshoulières lui payer une somme de 100.000 F à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de dénigrement,
- ordonner la confiscation des recettes procurées à la société Deshoulières par la vente des produits contrefaisant,
- condamner in solidum la société Deshoulières et Monsieur Stéphane Galerneau à lui payer, à titre provisionnel, la somme de 500.000 F à titre de réparation du préjudice subi du fait de la contrefaçon,
- condamner la société Deshoulières à lui payer une somme de 500.000 F à titre de provision en réparation du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale,
- nommer tel expert afin de déterminer l'étendue de la contrefaçon et des actes de concurrence déloyale et le préjudice par elle subi,
- interdire, sous astreinte de 10.000 F par infraction constatée, à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, à la société Deshoulières de procéder à la fabrication et à la commercialisation de tout produit contrefaisant,
- ordonner la destruction de tous produits contrefaisants détenus par la société Deshoulières et/ou par toutes personnes qui les posséderaient du chef de celle-ci, ainsi que de tous matériels de fabrication, et ce, sous contrôle d'huissier,
- prononcer la nullité du dépôt de dessin et modèle effectué auprès de l'Institut National de la Propriété Industrielle, le 17 novembre 1995, et enregistré sous le n° 95.64.12 au nom de la société Deshoulières
- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans 5 périodiques de son choix au frais de la société Deshoulières pour un montant maximum de 20.000 F HT par insertion,
- condamner in solidum la société Deshoulières et Monsieur Stéphane Galerneau à lui payer une somme de 100.000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
Vu les conclusions en date du 11 avril 2000 par lesquelles la société Porcelaines Philippe Deshoulières Lourioux, réfutant point par point l'argumentation de la société appelante, poursuit la confirmation du jugement déféré, sauf sur le montant des dommages-intérêts qu'elle demande à la Cour de porter à la somme de 3.100.000 F au titre de la perte de la marge nette sur un chiffre d'affaires dont elle prétend avoir été privée du faits des actes dénoncées, et à 1.000.000 F au titre des actes de concurrence déloyale et parasitaire, sollicitant au surplus
- la confiscation, à son profit, de toutes les lithophanies composées de deux demi-sphères avec bandeau circulaire à leur jointure, détenues par la société Bernardaud ou par tout détenteur de son chef, ainsi que celle de tous instruments et matériels ayant servi spécialement à la fabrication des lithophanies contrefaisantes, et des recettes perçues par la société Bernardaud en contrepartie de leur vente, et ce, sous contrôle d'huissier,
- la publication de l'arrêt à intervenir dans 5 journaux, français et étrangers, de son choix, pour un coût total n'excédant pas 100.000 F HT aux frais exclusifs de la société Bernardaud,
- l'octroi d'une indemnité de 250.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Vu les conclusions du 23 novembre 2000 aux termes desquelles Stéphane Galerneau, s'associant aux moyens développés par la société Deshoulières quant aux conditions d'exploitation et de cession du modèle lithosphère qu'il a créé, demande à la Cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a constaté l'atteinte portée à ses droits et demande paiement d'une somme de 500.000 F à titre de dommages-intérêts en raison du préjudice qu'il estime avoir subi, ainsi qu'une somme de 100.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en cause d'appel ;
Sur quoi,
Sur l'originalité de la lithophanie semi sphérique de la société Bernardaud :
Considérant que la société Deshoulières prétend qu'en lançant sur le marché des lithophanies semi-sphériques posées sur une soucoupe, la société Bernardaud n'a fait que remettre au goût du jour une forme de lithophanie que la société Wedgwood, plusieurs années avant elle, avait déjà commercialisée ;
Mais considérant que si la lithophanie est une technique traditionnelle de gravure d'un fin biscuit de porcelaine ou de verre opaque qui s'anime en transparence par un jeu savant d'ombre et de lumière provenant de la flamme d'une bougie, remise au goût du jour par la société anglaise Wedgwood sous la forme d'un photophore semi sphérique posée sur un socle épais aux rebords arrondis, déclinant, dans les couleurs spécifiques à cette maison, l'un des modèles de danseuses qui en constitue l'un des signes de ralliement, il y a lieu d'observer que la lithophanie de la société Bernardaud présente une forme légèrement mais perceptiblement supérieure à une demi sphère, qu'elle ne comporte par de rebord en sa partie supérieure et repose, non sur un socle, mais sur une soucoupe et présente une physionomie d'ensemble, résultat d'un processus créatif qui, traduisant le partie pris esthétique de son créateur et sa personnalité, confère à celle-ci la caractère d'œuvre originale ; que les modèles de même genre, telles celles des siècles passés ou de la société Haviland de forme conique, invoqués par la société intimée pour prétendre au caractère banal de l'œuvre, ne présentent nullement dans la même combinaison cette physionomie en sorte que l'originalité n'en est pas détruite ;
Que la lithophanie de la société Bernardaud est bien protégée, en raison de son originalité, par le droit d'auteur ;
Sur la reproduction de la lithophanie semi sphérique de la Bernardaud :
Considérant que la société Deshoulières a déposé, le 17 novembre 1995, à l'Institut National de la Propriété Industrielle, un modèle, enregistré sous le numéro 95.6412, concernant une " lithophanie sphérique en porcelaine appelée lithosphère " qu'elle caractérise comme étant la combinaison de deux sphères en porcelaine qui s'emboîtent l'une dans l'autre et sont réunies harmonieusement par l'adjonction d'un bandeau circulaire à leur jointure ;
Que la société Bernardaud voit dans cette combinaison la simple reproduction de sa lithophanie semi sphérique et soutient qu'il s'agit d'une contrefaçon de son œuvre ;
Mais considérant que la société Bernardaud n'a de droit privatif que sur la combinaison des différents éléments de son œuvre prise dans son ensemble et non sur chacun des éléments pris séparément ; qu'elle ne peut valablement prétendre à un monopole sur tout objet intégrant, de près ou de loin, tout ou partie d'une sphère ; qu'elle ne peut soutenir, sans mauvaise foi, que l'imbrication de deux demi-sphères l'une dans l'autre, qui confère à l'ensemble la physionomie d'une boule, reprendrait les caractéristiques de son modèle semi sphérique ; qu'elle allègue, à tort, sans le démontrer et nonobstant les déclarations qu'a pu faire son auteur, que le bandeau circulaire médian serait indissociable de son effet technique ; que cette assertion est contredite par l'œuvre de la société Haviland qui, pour la réalisation de sa lithophanie ovoïdale, a procédé à l'emboîtage des deux parties sans recourir à un quelconque bandeau médian, démontrant ainsi que la présence de celui-ci n'est rendu indispensable qu'à raison de recherches esthétiques et non d'exigences techniques ;
Que la combinaison des différents éléments constitutifs de la lithosphère telle que ci-dessus décrite, confère à celle-ci, comme la Cour a pu le constater, une physionomie propre qui lui permet de se distinguer d'objets de même nature, produits en original ou en reproduction devant elle, et lui confère le statut d'une création nouvelle bénéficiant de la protection spécifique des dessins et modèles ;
Que cette création présente aussi un caractère original dans la mesure où la combinaison retenue, par les choix opérés, porte l'empreinte de son créateur, Stéphane Galerneau, et se trouve donc également protégée par le droit d'auteur ;
Que la société Bernardaud invoque en vain le brevet déposé par Stéphane Galerneau aux USA, le 4 avril 1997, en ce qu'il vise séparément les deux éléments de la lithosphère, alors, d'une part, que cet élément est sans effet sur l'aspect esthétique du modèle, et que, d'autre part, il n'est ni démontré ni soutenu que les éléments constitutifs de la nouveauté du modèle seraient inséparables de ceux de l'invention et ne pourraient être protégés que conformément aux dispositions du livre VI du Code de la propriété intellectuelle ;
Que le tribunal de commerce en a exactement déduit que le modèle de lithosphère ne constituait pas la contrefaçon de la lithophanie semi sphérique de la société Bernardaud ;
Sur la date de création des objets en litige :
Considérant que la société Bernardaud et la société Deshoulières revendiquent toutes deux l'antériorité sur la création des lithophanies sphériques, la société Bernardaud prétendant que la lithosphère de la société Deshoulières, dont le modèle a été déposé à l'Institut National de la Propriété Industrielle, le 17 novembre 1995, est postérieur au centre de table argué de contrefaçon qu'elle a créé ; que pour rapporter la preuve de l'antériorité de son œuvre, elle produit aux débats les comptes rendus de réunion aux termes desquels le centre de table aurait été conçu dès la fin de l'année 1994 et ajoute que la maquette remise devant le juge des référés attesterait de la création, au plus tard, en mars 1995 ;
Mais considérant que le compte rendu de réunion du 12 décembre 1994, qui indique " étudier aussi des articles plus gros (centre de table) taille à définir ", ne comporte aucune référence à une lithophanie sphérique et évoque une vague idée de recherche ; que celle du 3 janvier 1995 visant un " centre de table, dessin JPM pour semaine prochaine (genre grande litho sur lampe à huile ") n'est pas davantage précise ; que celle du 24 mars 1995 qui mentionne " litho centre de table retenues ; fruits et fleurs " ne comporte aucun dessin ; que seule l'ébauche et la maquette portant mention du 13 avril 1995 permet de fixer à cette date la création de la société Bernardaud ;
Considérant que la société Deshoulières prétend de son côté que l'idée d'une lithophanie sphérique avec bandeau est née dans l'esprit de Stéphane Galerneau, au début de l'année 1994, comme le déclare l'intéressé lui-même ; qu'elle produit à cet effet des plans de coupe précis datés de juin 1994, ainsi que différents dessins originaux de décors de " lithophanie boule ", réalisés par Stéphane Galerneau, en juillet 1994 ; que ces dessins, particulièrement élaborés, attestent à cette date d'un degré avancé de conception et de réalisation ; que la société Deshoulières verse également le contrat général de cession de droits établi, le 2 septembre 1994, et ses avenants spécifiques signés par elle avec le créateur ;
Considérant que ces pièces, qu'aucun élément ne vient contredire et dont rien ne permet d'affirmer qu'elles auraient été établies pour les besoins de la cause, attestent d'une antériorité manifeste de la création de la société Deshoulières ; que ces pièces se trouvent confortées par l'attestation du modeleur céramiste, Monsieur Jean Cacheleux, qui certifie avoir fabriqué un modèle de porcelaine selon commande n° 44 du 3 février 1995, (joint au dossier) ainsi que par la facture du 31 mars 1995 des établissements Goncalves, qui établit la fabrication à cette date de " têtes de roller ", outils de fabrication en acier pour permettre la fabrication en série des lithosphères que s'il est exact que l'œuvre est réputée créée, indépendamment de toute divulgation publique, du seul fait de la réalisation même inachevée de la conception de l'auteur, il résulte de ce qui précède que la société Deshoulières était déjà entrée dans une phase avancée de fabrication lorsque la société Bernardaud a conçu le centre de table argué de contrefaçon, ladite société n'entrant elle-même en phase de fabrication qu'en novembre/décembre 1995 comme en atteste la facture du 12 décembre 1995 relatives aux têtes de roller qu'elle a commandées ;
Considérant que la société Bernardaud ne peut valablement mettre en doute la qualité d'auteur de Stéphane Galerneau au motif que son rôle n'aurait pas été dévoilé lors de la procédure de référé, alors qu'il est constant que celui-ci a toujours été considéré, dans les articles de presse spécialisée, comme le créateur des lithosphères auxquelles son nom est lié, même si l'exploitation en est réalisée par la société Deshoulières à laquelle les droits ont été cédés ;
Que la société Bernardaud, par ailleurs, ne rapporte pas la preuve du caractère apocryphe des conventions passées entre les intimés, le 2 septembre 1994, confirmées par le créateur lui-même présent aux débats ; qu'en effet la signature, le même jour, d'un contrat général et de plusieurs avenants particuliers n'est, en soi, pas critiquable mais constitue, comme le souligne à juste titre les intimés, une pratique courante ; qu'il n'appartient pas la société Bernardaud de s'immiscer dans la technique contractuelle retenue par ces derniers, ni dénoncer l'absence de paiement de toute avance lors de la cession des droits n'ayant pas qualité à le faire ; que la production de ces contrats en cours de procédure ou le dépôt du modèle à l'INPI, plus d'un an après sa création, n'affecte pas le caractère probant des éléments versés par les intimés au dossier ; que ces élément n'ont lieu d'être écartés ;
Qu'au vu des pièces produites, les premiers juges ont exactement estimé que la création de la lithosphère de la société Deshoulières était antérieure à celle du centre de table de la société Bernardaud en sorte que le grief de contrefaçon invoqué par cette dernière n'était pas fondé ;
Sur la recevabilité à agir en contrefaçon de la société Deshoulières :
Considérant que la déclaration d'une partie ne peut être retenue comme constituant un aveu judiciaire, au sens de l'article 1356 du Code civil, que s'il porte sur des points de fait et non de droit ; qu'est dès lors sans valeur l'aveu portant sur le caractère original ou non d'une œuvre et sur son caractère protégeable fait par la société Deshoulières dans ses premières écritures, s'agissant d'une question de droit ;
Que la société Deshoulières souligne par ailleurs, non sans pertinence, que les déclarations invoquées au titre d'un aveu ont été effectuées avant que la décision de référé ait retenue l'originalité de la lithosphère évoquée et que la société Bernardaud ne peut sérieusement, en même temps, se prévaloir de l'inopposabilité à la société Deshoulières d'un défaut d'originalité des lithophanies et revendiquer parallèlement, à son profit, le bénéfice d'une telle originalité ;
Que le moyen sera donc écarté ;
Sur les actes de contrefaçon dénoncés par la société Deshoulières :
Considérant qu'il n'est pas contesté que le centre de table de la société Bernardaud reprend les caractéristiques du modèle de la Société Deshoulières, dont il constitue une copie servile en dépit d'une taille différente, à savoir la combinaison de deux sphères en porcelaine qui s'emboîtent l'une dans l'autre et sont réunies harmonieusement par l'adjonction d'un bandeau circulaire à leur jointure ;
Que les actes de contrefaçon dénoncés par la société Deshoulières à l'encontre de la société Bernardaud sont établis et ont été retenus, à bon droit, par le tribunal ;
Sur les griefs de concurrence déloyale et parasitaire :
a) invoqués par la société Bernardaud :
Considérant que les actes de contrefaçon étant établis à l'encontre de la société Bernardaud, les griefs de concurrence déloyale et parasitaire, qui procèdent de ceux-ci et ne sont pas distincts, ne sont pas fondés ; que la société Bernardaud, contrefacteur, ne peut valablement prétendre que la société Deshoulières aurait eu un comportement parasitaire et que les trois saisies contrefaçon par elle pratiquées, dans des conditions régulières, seraient abusives et lui porteraient préjudice ; qu'elle ne démontre pas davantage que Stéphane Galerneau, son ancien employé licencié, aurait été embauché de façon fautive par la société Deshoulières et se trouverait sous le coup d'une quelconque interdiction d'exercer ses talents dans le domaine de la porcelaine ; que les reproches formulés par la société Bernardaud à l'encontre de la société Deshoulières quant à la politique commerciale menée par celle-ci et la recherche d'un profit immédiat sans prise de risque au détriment de la qualité, outre le fait qu'ils ne sont pas démontrés, relèvent du libre jeu de la concurrence, dès lors que celles-ci ne s'accompagnent d'aucune faute ; qu'il ne peut être reproché à la société Deshoulières de chercher à pénétrer le marché ; que la preuve d'une quelconque faute, n'est, en l'espèce, pas rapportée ;
Considérant, sur le dénigrement, que si la teneur de la décision de première instance a été évoquée dans le magazine italien, Il Gazettino Della Maino de février 1998, sans qu'il soit fait mention de l'acte d'appel, il n'est nullement établi que cette mention résulterait d'une quelconque action ou initiative de la société Deshoulières ou de ses représentants ; que la société Bernardaud ne justifie, en son temps, d'aucune réclamation et n'a sollicité aucune mise au point ; que la preuve d'un dénigrement imputable à la société Deshoulières n'est pas rapportée ;
Qu'il convient, en conséquence, d'écarter les griefs de concurrence déloyale et parasitaire et de dénigrement formulés par la société Bernardaud ;
b) invoqués par la société Deshoulières :
Considérant que le fait d'avoir cherché à tirer profit des investissements entrepris par la victime de la contrefaçon en fabriquant à moindre frais un produit contrefaisant et d'avoir ainsi tenté de parasiter l'image de marque qui peut s'attacher à ce produit ainsi que les investissements publicitaires qui ont pu être réalisés, ne constituent pas des faits de concurrence déloyale et parasitaire distincts de ceux de la contrefaçon mais des simples éléments d'appréciation du préjudice qui en procède;
Considérant, en revanche, qu'il résulte des termes, non contestés, d'une lettre adressée, le 9 octobre 1996, par la société Deshoulières à la société Lalique North America, l'un de ses distributeurs, que la société Bernardaud, avant même de procéder à des saisies contrefaçon, a jeté la suspicion sur les lithosphères de la société Deshoulières auprès des acheteurs en annonçant qu'elle allait agir en contrefaçon ;qu'en agissant de la sorte et en choisissant la période précédant Noël, dont il est constant qu'elle constitue une période particulièrement favorable pour la réalisation des ventes de tels objets, pour poursuivre une action dans les conditions susdites, alors que l'antériorité de ses droits n'était pas établie, la société Bernardaud a manifestement cherché à nuire à la société Deshoulières, d'autant plus qu'elle entendait limiter ses actions en contrefaçon à l'encontre de cette seule société ; que les premiers juges ont exactement estimé que la société Bernardaud avait fait preuve d'acharnement et s'était rendue coupable de manœuvres de concurrence déloyale ;
Sur la réparation du préjudice subi par la société Deshoulières :
Considérant que la société Deshoulières fait valoir que les actes dénoncés tant au titre de la concurrence déloyale et parasitaire qu'au titre de la contrefaçon ont engendré pour elle un grave préjudice ; qu'outre l'atteinte à son modèle et à son image de marque elle a, selon elle, été privée d'une part importante du chiffre d'affaires qu'elle aurait pu réaliser et évalue la perte de la marge nette qui aurait dû en résulter à la somme de 3.100.000 F ; qu'elle réclame en outre une somme de 1.000.000 F au titre de la concurrence déloyale ;
Considérant qu'il convient liminairement de relever que la société Bernardaud ne peut faire grief à la société Deshoulières d'être dans l'incapacité de distinguer le préjudice directement lié à la contrefaçon et celui résultant des actes de concurrence déloyale, alors qu'il est constant que partie des actes qualifiée par la société Deshoulières d'actes distincts de concurrence déloyale (comme le détournement du profit des investissement et de l'action publicitaire) constitue, comme il l'a été précédemment indiqué, non des actes distincts de la contrefaçon mais des éléments d'appréciation du préjudice que les actes de contrefaçon ont réellement causé ;
Considérant qu'il est constant que la contrefaçon réalisée par la société Bernardaud, s'agissant de la lithosphère sphérique, a nécessairement eu pour effet de banaliser le modèle créé par la société Deshoulières ;
Que les accusations portées par la société Bernardaud ont de surcroît jeté la suspicion et le discrédit sur la société Deshoulières et sa capacité de création et entraîné un grave trouble commercial dans la mesure où les distributeurs, parfaitement informés des prétentions de la société Bernardaud, ont suspendu la commercialisation de la lithosphère ; que la lettre adressée par la société Lalique North America et celle de du Printemps, suspendant les ventes, sont révélatrices à cet égard et justifient de la réalité du trouble commercial invoqué ; que ce trouble est d'autant plus important que le produit argué faussement de contrefaçon venait d'être lancé sur le marché où il n'était pas encore parfaitement implanté ;
Que la société Bernardaud ne saurait tenir grief à la société Deshoulières de n'avoir pas poursuivi la commercialisation de son produit en accordant à ses fournisseurs une garantie et invoque en vain le chiffre d'affaires de 270.000 F qu'elle aurait réalisé au moyen des ventes du centre de table contrefaisant ; qu'elle ne démontre nullement que la société Deshoulières aurait " inondé marché de ses produits lors de leur lancement " ni que la clientèle se serait détournée, faute d'intérêt des produits en cause ;
Considérant que si les éléments comptables produits aux débats par la société Deshoulières émanent effectivement de l'expert comptable de cette société et ne concernent qu'une prospective effectuée à partie du chiffre d'affaires réalisé la première année (1996) d'un montant de 1.956.225 F, et si la marge nette prétendument dégagée apparaît quelque peu " optimisée ", la société Bernardaud ne peut valablement prétendre que la contrefaçon dont elle s'est rendue coupable n'aurait eu aucun effet sur le chiffre d'affaires que la société Deshoulières pouvait légitimement escompter du produit créé pour elle qu'elle venait de commercialiser ; que si la société Deshoulières ne démontre pas, dans le cadre de la présente instance, avoir pris toutes les mesures qui s'imposaient pour réduire les effets pervers des faits commis à son encontre et des griefs dont elle faisait l'objet, et s'il n'est pas établi, avec la certitude requise, que l'intégralité de la perte de marge nette de chiffres d'affaires résulterait des actes reprochés et retenus à l'encontre à l'encontre société Bernardaud, la Cour dispose d'éléments suffisant pour fixer à la somme de 800.000 F le montant des dommages-intérêts à allouer au titre de la contrefaçon, outre la somme de 100.000 F que les premiers juges ont exactement allouée au titre de la concurrence déloyale ;
Considérant qu'il convient par ailleurs d'ordonner les mesures de confiscation et destruction des objets contrefaisants selon les modalités énoncées au dispositif ci-après ;
Que la mesure de publication doit également être confirmée, sauf à préciser qu'il devra être fait mention du présent arrêt ;
Que la confiscation des recettes de la société Bernardaud ne s'imposent, en revanche, pas, l'intégralité du montant des dommages-intérêts alloués à la société Deshoulières ayant lieu d'être réglée par les voies ordinaires ;
Sur le préjudice subi par Stéphane Galerneau :
Considérant, compte tenu de ce qui précède, que la société Bernardaud ne peut valablement contester les droits d'auteur de Monsieur Galerneau ; que la presse spécialisée à d'ailleurs toujours associé le nom du créateur à la lithosphère exploitée par la société Deshoulières ;
Que la contrefaçon commise, outre l'atteinte à son droit de créateur, a privé Stéphane Galerneau de partie des royalties auxquelles il pouvait légitimement prétendre, freinant la valeur commerciale du produit concerné ;
Qu'il convient de porter à 100.000 F le montant global des dommages-intérêts, toute cause de préjudice confondus, qui doit lui être accordé en réparation du préjudice personnel qu'il a subi ;
Sur les autres demandes :
Considérant que la société Bernardaud, qui succombe en ses prétentions, la société Bernardaud n'est pas fondée en ses demandes, y compris celle formulée au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Qu'il convient par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile d'allouer à la société Deshoulières une indemnité de 250.000 F et à Stéphane Galerneau celle de 100.000 F pour leurs frais irrépétibles en cause d'appel ;
Par ces motifs, Écarte le moyen d'irrecevabilité soulevé par la société Bernardaud ; Confirme le jugement entrepris sauf sur le montant des dommages-intérêts, Le réformant sur ce point : Condamne la société Bernardaud à payer à la société Deshoulières la somme de 800.000 F de dommages-intérêts au titre de la contrefaçon et la somme de 100.000 F de dommages-intérêts au titre de la concurrence déloyale, La condamne à payer à Stéphane Galerneau la somme de 100.000 F de dommages-intérêts en réparation de son entier préjudice, Y ajoutant, Ordonne la confiscation, aux fins de destruction de toute lithophanie composée de demi-sphère avec bandeau circulaire à leur jointure et de tout matériel ou instruments ayant servi à leur fabrication, ainsi que de tout document publicitaire les reproduisant, lesdites opérations devant s'effectuer sous contrôle d'un huissier au choix de la société Deshoulières et aux frais de la société Bernardaud, Précisant, sur la mesure de publication qu'il devra être fait mention du présent arrêt ; Condamne la société Bernardaud à payer à la société Deshoulières la somme de 250.000 F et à Stéphane Galerneau la somme de 100.000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en cause d'appel, Rejette toute autre demande, Condamne la société Bernardaud dépens et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.