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Décisions

CA Toulouse, 4e ch. soc., 8 juin 2000, n° 1999-02530

TOULOUSE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Roussillon

Défendeur :

Oger

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Roger

Conseillers :

MM. Saint-Ramon, Rimour

Avocats :

SCP Salvaire Labadie, Cabinet Decker.

Cons. prud'h. Castres, du 15 avr. 1999

15 avril 1999

Faits et procédure

Jean-Claude Oger a été embauché à compter du 15 juin 1998 en qualité de conseiller commercial par Patrick Roussillon, exerçant l'activité d'agent d'assurances à Lavaur (81), suivant un contrat de travail à durée indéterminée dans le cadre d'un contrat initiative emploi, pour un salaire mensuel brut de 6.798 francs, auquel se sont ajoutées des commissions par convention verbale entre les parties.

Le salarié a remis à son employeur une lettre datée du 1er octobre 1998 par laquelle il a dit lui confirmer sa démission au 31 octobre 1998 compte tenu d'un préavis d'un mois à respecter, et qu'il n'avait toujours pas reçu l'exemplaire de son contrat de travail malgré ses demandes.

Il prétend avoir remis le jour même cette lettre à son employeur, qui pour sa part expose qu'elle lui a été remise le 5 novembre 1998, date du départ effectif de monsieur Oger.

Ce dernier a ensuite adressé à son employeur un courrier recommandé du 13 novembre 1998 par lequel il a réclamé une rémunération des missions d'audit effectuées pour le tribunal de commerce de Montauban, en proposant un règlement à raison de 2.500 francs par dossier, soit au total de 50.000 francs.

Patrick Roussillon lui a répondu le 26 novembre suivant qu'il lui rappelait que la date mentionnée sur sa lettre manuscrite de démission ne correspondait pas à la réalité car son dernier jour de travail était le 5 novembre 1998, jour de la remise de cette lettre faussement datée du 1er octobre 1998, a contesté ses prétentions à obtenir une rémunération de ses missions d'audit et un taux exorbitant de commission de 70 %, lui précisant que ce taux ne devait en aucun cas dépasser 10 % du montant hors taxes, et lui a reproché d'avoir mis à profit sa présence dans son cabinet d'assurances pour exercer une concurrence déloyale par démarchage de sa clientèle en préparant la mise en place de son propre cabinet de courtage d'assurances, le mettant en demeure de cesser immédiatement ses agissements en se réservant d'en demander dédommagement.

Par une autre lettre recommandée du 30 novembre 1998, Jean-Claude Oger a déclaré à son employeur qu'il confirmait qu'il avait démissionné le 5 novembre 1998, mais que se trouvant alors dans sa période d'essai de six mois il n'avait pas de ce fait de préavis à respecter, qu'il maintenait ses demandes de rémunération complémentaire, et qu'il contestait avoir exercé une concurrence déloyale, car il travaillait principalement hors Lavaur. Un certificat de travail a été établi pour un emploi jusqu'au 5 novembre 1998.

Saisi le 8 décembre 1998 par le salarié de demandes de commissions, d'honoraires sur audits, de participation à un déménagement et de dommages et intérêts, le conseil de prud'hommes de Castres, par jugement du 15 avril 1999, a dit conforme le contrat de travail initiative emploi, a dit valide le préavis effectué par monsieur Oger, a condamné monsieur Roussillon à payer à celui-ci la somme de 10.702,10 francs avec intérêts de droit à partir du 10 décembre 1998, déboutant le salarié du surplus de ses demandes et monsieur Roussillon de l'ensemble de ses demandes, condamnant ce dernier aux dépens.

Celui-ci a interjeté appel de la décision.

Demandes et moyens des parties

Patrick Roussillon demande la réformation du jugement attaqué, le rejet de l'ensemble des prétentions de Jean-Claude Oger, et sa condamnation à lui payer les sommes suivantes :

- à titre d'indemnité compensatrice de délai congé : 6.798 F,

- à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la concurrence déloyale et abusive : 50.000 F,

- en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile : 20.000 F

et sa condamnation à cesser tout démarchage de la clientèle de monsieur Roussillon sous astreinte de 10.000 francs par infraction constatée.

L'appelant expose qu'en fait, JC Oger s'est servi de son activité au sein du cabinet Roussillon pour préparer une activité propre qu'il allait exercer à titre personnel de façon concurrente à celle de son employeur au sein d'une société " Assistance- Assurance-Conseil " qu'il venait de créer qu'il a ensuite remis le 5 novembre 1998, date de son départ effectif, sa lettre de démission faussement datée du 1er octobre 1998 ; qu'en fait, l'activité de cette société concurrente a commencé dès le mois d'octobre 1998.

Il fait valoir

- que sur la demande du salarié avait été convenu un taux de commissions de 10 %, mais absolument pas d'un taux de 70 % qui ne correspond à aucune réalité ; que les commissions réclamées ne sont aucunement justifiées, pour diverses raisons telles que l'absence d'encaissement, la signature par l'intermédiaire du propre cabinet de courtage du salarié, la signature de la proposition d'assurance par Jean-Claude Oger à la place du client, l'absence de déclaration de sinistres antérieurs, la persistance d'une assurance précédente auprès d'un autre assureur, étant précisé qu'en outre le salarié a perçu des avances sur commissions.

- que monsieur Oger est parti aussitôt après avoir démissionné le 5 novembre 1998, de telle sorte qu'il lui est redevable d'une indemnité compensatrice de préavis d'un mois de salaire, conformément à la convention collective des cabinets de courtage d'assurances et de réassurances.

- que le salarié a réalisé de façon préméditée et systématique un détournement de clientèle à son préjudice, se présentant faussement comme l'associé de Patrick Roussillon, présentant des documents subtilisés à ce dernier et modifiés par un jeu de cache et de photocopie, proposant des contrats d'assurances par l'intermédiaire de son propre cabinet de courtage en assurances même avant sa démission, en violation des dispositions de l'article 41 de la convention collective applicable, faisant observer que le salarié n'a jamais prétendu devant le conseil de prud'hommes qu'il n'était pas au courant des termes de la convention collective à cet égard, convention dont la référence figurait sur ses bulletins de paye.

- qu'il n'a jamais été question de rémunérer le salarié pour ses Audits en matière d'assurances, la somme réclamée à ce titre étant en outre exorbitante, supérieure à celle que son employeur a pu percevoir.

- qu'il n'a jamais été convenu que l'employeur prenne en charge une partie des frais de déménagement à Lavaur, qui ne sont d'ailleurs pas justifiés.

- qu'il convient de confirmer la décision du conseil de prud'hommes en ce qu'il a rejeté les demandes du salarié concernant la prétendue nullité du contrat initiative emploi, et la somme de 30.000 francs réclamée à titre de dommages et intérêts et non justifiée.

Jean-Claude Oger conclut à la réformation du jugement dont appel, au rejet de l'ensemble des demandes de Patrick Roussillon et à la condamnation de celui-ci à lui verser les sommes suivantes :

- au titre de commissions : 27.056,75 F

- au titre de la rémunération des audits effectués : 50.000,00 F

- au titre de la participation à son déménagement : 6.000,00 F

- à titre de dommages et intérêts : 30.000,00 F

- en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile : 25.000,00 F

Le salarié expose que dans sa lettre du 30 novembre 1998, il a fait une confusion involontaire entre la date de sa démission du 1er octobre 1998 et celle de son départ effectif le 5 novembre 1998 ; qu'en ce qui concerne le préavis, il n'a pas eu connaissance des dispositions de la convention collective des cabinets de courtage d'assurances et de réassurances, qu'il a cependant respecté le délai-congé exigé par son employeur ; que le taux convenu pour ses commissions était en réalité de 70 %, Patrick Roussillon ne pouvant en outre se prévaloir du retard de cotisations dues par les clients dont les contrats ont été valablement conclus ;

qu'il était convenu qu'il percevrait une rémunération complémentaire au titre des audits réalisés pour le compte du tribunal de commerce de Montauban, que l'employeur facturait à celui-ci ; qu'il n'est pas établi qu'il ait eu connaissance des dispositions de la convention collective concernant l'interdiction de concurrence, contestant en outre formellement avoir exercé une quelconque activité de concurrence déloyale à l'encontre de son employeur, et précisant que sa propre société de courtage n'a commencé son activité que le 10 novembre 1998, soit cinq jours après son départ ;

qu'il était convenu que monsieur Roussillon prenne en charge la moitié de ses frais de déménagement à Lavaur.

Motifs de la décision

Attendu qu'il résulte des documents versés au dossier et des débats

- qu'il est constant comme résultant des déclarations concordantes des parties à cet égard, que Jean-Claude Oger a quitté l'entreprise le 5 novembre 1998.

- que, comme le salarié l'a clairement exposé dans sa lettre recommandée du 30 novembre 1998 rédigée 25 jours après son départ, celui-ci a démissionné le 5 novembre 1998, aucune confusion n'ayant pu avoir lieu sur ce point car il a prétendu dans cette lettre que du fait qu'il se trouvait en période d'essai il n'y avait pas de préavis à respecter, et que sa lettre manuscrite de démission a été antidatée du 1er octobre 1998.

- qu'il n'est aucunement établi que Patrick Roussillon ait donné connaissance à Jean-Claude Oger des dispositions de la convention collective applicable, étant précisé que la seule référence sur les bulletins de salaires à la convention collective prévoyant une période d'essai ne suffit pas à apporter la preuve qu'une telle période ait été convenue au contrat de travail, alors qu'en outre ce dernier n'a pas été établi par écrit.

- que la période d'essai ne se présume pas, que le salarié doit être informé de son existence lors de la conclusion du contrat de travail, et que pour s'imposer obligatoirement aux parties, notamment au salarié, la période d'essai doit avoir été prévue, soit dans une clause expresse du contrat écrit, soit dans une disposition obligatoire de la convention collective applicable et à condition que celle-ci ait été portée à la connaissance du salarié ;

- qu'en l'espèce, en l'absence de contrat écrit et de preuve de la connaissance par le salarié des dispositions applicables de la convention collective, il n'est établi l'existence d'aucune période d'essai.

- qu'en application de l'article L. 122-5 du code du travail, dans le cas de résiliation à l'initiative du salarié, l'existence et la durée du délai congé, qui ne peut être institué par le contrat individuel de travail, résultent soit de la loi, soit de la convention ou de l'accord collectif de travail, ou à défaut des usages pratiqués dans la localité et la profession ; qu'en l'espèce, il n'est cependant pas établi que le salarié ait eu connaissance des dispositions à cet égard de l'article 35 de la convention collective des cabinets de courtage d'assurances et de réassurances; qu'en outre, les circonstances gravement conflictuelles du départ du salarié ne permettent pas d'établir que l'employeur ait réellement voulu que celui-ci exécute un préavis.

Attendu qu'en considération de l'ensemble des éléments précités, la demande de Patrick Roussillon d'une somme de 6.798 francs au titre d'une indemnité compensatrice de délai congé doit être rejetée.

Attendu que le salarié, qui durant l'exécution de son contrat de travail, a été tenu d'une obligation de fidélité vis à vis de son employeur, retrouve son indépendance à la fin de ce contrat.

Attendu que le fait pour un ancien employé de s'établir à son compte pour exercer une activité similaire à celle de son ancien employeur n'est pas fautif, à moins qu'une clause dans le contrat ne lui en fasse défense ; qu'en l'espèce il n'est pas établi l'existence d'une clause de non-concurrence au contrat de travail.

Attendu qu'il n'est en outre pas établi que Jean-Claude Oger ait eu connaissance des dispositions de l'article 41 de la convention collective applicable, interdisant à un ex-salarié de démarcher directement ou indirectement la clientèle appartenant à l'employeur qu'il vient de quitter ; qu'en conséquence, ces dispositions ne sont pas applicables en l'espèce.

Attendu que cependant, l'ex-salarié doit s'abstenir de manœuvres constituant une concurrence déloyale à l'égard de son ancien employeur.

Attendu que la concurrence déloyale consiste pour le salarié en l'emploi de moyens fautifs qui tendent à créer ou à exploiter dans la clientèle une confusion entre les entreprises, ou à détourner cette clientèle, notamment par le dénigrement de l'employeur, par la révélation ou l'utilisation de ses secrets commerciaux, par le transfert de contrats à son profit, par l'emploi de documents qu'il s'est appropriés.

Attendu qu'en l'espèce, les documents produits permettent d'établir que Jean-Claude Oger, gérant de la SARL Assurance-Assistance-Conseil (AAC) à Lavaur, exerçant l'activité d'audits, de conseil et de courtage en assurances des biens et personnes et de toutes opérations s'y rapportant, dont il a déclaré la date du commencement de l'exploitation au 10 novembre 1998, soit 5 jours après son départ de l'entreprise, a aussitôt démarché plusieurs discothèques clientes de son ex-employeur et assureur Patrick Roussillon, en utilisant à cette fin un questionnaire très détaillé de 6 pages et 15 rubriques " pour les discothèques, bowlings, cabarets et casinos, renseignements servant de base à l'établissement d'un éventuel contrat ", qu'il avait intégralement copié et même photocopié sur celui de son ex-employeur monsieur Roussillon, intitulé " étoiles de nuits ", s'appropriant ainsi ce document et détournant cette clientèle.

Attendu que de tels agissements constituent des faits de concurrence déloyale.

Attendu que, compte-tenu des éléments du dossier, le préjudice subi de ce fait par Patrick Roussillon sera équitablement réparé par l'allocation d'une somme de 30.000 francs à titre de dommages et intérêts.

Attendu qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de Patrick Roussillon de condamnation de Jean-Claude Oger à cesser tout démarchage de la clientèle de son ex-employeur sous astreinte de 10.000 francs par infraction constatée, ne pouvant être par avance préjugé du caractère de concurrence déloyale de chacun de ces démarchages.

Attendu qu'en l'absence d'élément de preuve, du caractère global de l'évaluation et du taux de commissions de 70 % tout à fait invraisemblable réclamé, il ne peut être fait droit à la demande du salarié à cet égard.

Attendu que pour des raisons semblables, la demande de rémunération des audits de Jean-Claude Oger doit être rejetée.

Attendu qu'en l'absence de tout élément de preuve d'une dépense ou d'un préjudice à cet égard, doivent être également rejetées les demandes de celui-ci au titre d'une participation à son déménagement, ou de 30.000 francs de dommages et intérêts.

Attendu que par ailleurs, compte-tenu des éléments de la cause, l'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Attendu que Jean-Claude Oger, partie succombante, doit supporter les entiers dépens.

Par ces motifs, la Cour, réforme le jugement du conseil de prud'hommes de Castres du 15 avril 1999, condamne Jean-Claude Oger à payer à Patrick Roussillon la somme de 30.000 francs à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé du fait d'agissements de concurrence déloyale, déboute Patrick Roussillon de ses autres demandes, condamne Jean-Claude Oger à payer les entiers dépens.