CA Paris, 14e ch. B, 2 juin 2000, n° 2000-03279
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Capitol (SA)
Défendeur :
Self Trade (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cuinat
Conseillers :
MM. André, Valette
Avoués :
SCP Teytaud, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay
Avocats :
Mes Laude, Karpik
La SA Capitol a relevé appel d'une ordonnance de référé du 25 janvier 2000 rendue par le président du Tribunal de commerce de Paris qui, faisant droit à la demande de la SA Self Trade, a notamment :
- interdit à la SA Capitol d'utiliser et diffuser, directement ou indirectement par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit, en quelque lieu que ce soit, tout ou partie du slogan "Self Trade démocratise la Bourse" ainsi que tout autre slogan rattaché au thème d'une démocratisation de la Bourse susceptible de générer un risque de confusion dans l'esprit du public, et ce, sous astreinte de 10.000 F par jour et par infraction constatée ;
- dit se réserver la liquidation éventuelle de cette astreinte ;
- dit qu'il n'y a pas lieu à dommages-intérêts ;
- dit qu'il n'y a pas lieu à publication ;
- condamné la SA Capitol à payer à la SA Self Trade la somme de 20.000 F au titre de l'article 700 du NCPC, ainsi qu'aux dépens.
Au soutien de son appel, la SA Capitol demande par dernières conclusions du 20 avril 2000 l'infirmation de l'ordonnance déférée et prie la Cour de débouter la société Self Trade de l'ensemble de ses demandes, aux moyens que : - la société Capitol oppose à la société Self Trade un droit privatif sur la marque "Capitol démocratise la Bourse ", marque qu'elle a déposée auprès de l'lNPI ;
- les formules utilisées par Self Trade, "Désolé, mais Self Trade démocratise la Bourse" ou bien "Désolé pour ceux que cela dérange, mais Self Trade démocratise la Bourse ", sont distinctes de la formule utilisée par Capitol ; l'expression "démocratise la Bourse ", commune aux deux formules publicitaires litigieuses, comme les expressions relatives à la démocratisation de la Bourse, ne sont pas susceptibles d'appropriation ; l'expression "démocratise la Bourse" est générique et nécessaire et ne présente aucune originalité au fond ou en la forme ;
Self Trade ne saurait prétendre s'approprier l'usage de l'expression "démocratise la Bourse" ni l'usage de toutes les expressions relatives à la démocratisation de la Bourse ;
- la société Capitol n'a à aucun moment recherché une confusion avec Self Trade et en tout état de cause aucun risque de confusion n'existe entre les campagnes publicitaires des deux sociétés, ces campagnes étant nettement différenciées.
Elle demande également que la société Self Trade soit condamnée à lui payer la somme de 30.000 F au titre de l'article 700 du NCPC, ainsi qu'aux entiers dépens.
La SA Self Trade, intimée, conclut en ses dernières écritures du 30 mars 2000 à la confirmation de l'ordonnance en ce qui concerne l'interdiction faite sous astreinte à la SA Capitol, en faisant valoir que la concurrence déloyale commise par cette société est caractérisée par usurpation du slogan "Self Trade démocratise la Bourse" copiant servilement celui de "Capitol démocratise la Bourse" qu'elle utilisait depuis trois mois pour une importante campagne publicitaire, sans que le dépôt de marque tenté a posteriori par Self Trade puisse l'exonérer de sa faute ; que le risque de confusion est avéré, du fait de la similitude employée ; que la société Capitol s'est ainsi placée dans le sillage de Self Trade et s'est livrée au parasitisme commercial ; qu'elle a subi un important préjudice et a dû mener une nouvelle campagne publicitaire, encore plus importante et coûteuse, pour contrecarrer la concurrence déloyale de Capitol.
Elle prie donc la Cour de bien vouloir faire droit à ses prétentions visant à :
- ordonner à la société Capitol de retirer sa demande d'enregistrement n° 99/831180 relative à la marque "Capitol démocratise la Bourse ", et ce, par déclaration écrite à l'INPI dont elle devra justifier auprès de la société Self Trade, sous astreinte de 10.000 F par jour de retard à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir ;
- en infirmant l'ordonnance entreprise à cet égard, condamner la société Capitol à payer à Self Trade la somme de 2.825.111 F à titre de provision sur dommages -intérêts en réparation du préjudice causé à Self Trade, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir ;
- en infirmant l'ordonnance entreprise à cet égard, ordonner la publication de la décision à intervenir - ou du moins de son dispositif - aux frais de la société Capitol, dans les journaux "La Vie Financière", "La Tribune" et "Investir", ainsi que sur le site Internet de la société Capitol capitol.fr et sur le site Boursorama.com ;
- débouter la société Capitol de toutes ses demandes ;
- condamner la société Capitol à payer à Self Trade la somme de 50.000 F au titre de l'article 700 du NCPC, ainsi qu'aux entiers dépens.
Sur ce, LA COUR,
Considérant qu'il est constant que les SA Capitol et Self Trade sont des sociétés concurrentes, agréées par le Conseil des Marchés Financiers et le Comité des Etablissements de Crédit et des Entreprises d'investissement, qui sont habilitées à recevoir ou émettre des ordres de bourse pour le compte de tiers, ainsi qu'à la tenue de comptes de leurs clients et à la conservation d'instruments financiers ;
Considérant qu'il ressort des pièces versées aux débats que la société Self Trade a été créée en novembre 1997 et qu'elle a axé son activité sur la constitution d'une clientèle de particuliers, peu initiés au marché boursier, en leur offrant un accès simplifié et rapide audit marché grâce à son service "en ligne" par Internet (site ouvert en décembre 1998), sur Minitel ou par téléphone, avec un système forfaitaire pour les coûts de transactions et les droits de garde, des outils et des services d'aide à la connaissance du marché et à la prise de décision ;
Que la société Capitol a été, quant à elle, créée en juillet 1999 et n'a débuté son activité qu'en octobre 1999 en ce qui concerne l'ouverture de son site Internet ;
Qu'en raison de la concurrence accrue sur le marché du courtage en ligne à destination des particuliers, la société Self Trade a, fin septembre 1999 et jusqu'en janvier 2000, lancé une campagne de publicité à destination du grand public, en vantant son offre d'accès simplifié et assisté au marché boursier, à partir du slogan "Self Trade démocratise la Bourse" diffusé par voie de presse et d'affichage, ainsi qu'au moyen de plusieurs mailings ;
Que la société Capitol a entrepris, à compter du 17 décembre 1999, une campagne publicitaire par voie de presse, d'affichage et de radio, employant notamment le slogan "Capitol démocratise la Bourse" ;
Mais considérant que l'examen des documents publicitaires diffusés montre que la formule "démocratise la Bourse" n'a été employée par la société Capitol que dans le cadre d'une campagne promotionnelle diversifiée, comprenant la mise en valeur de nombreuses autres indications relatives à une offre tarifaire attractive dirigée vers une clientèle réalisant des transactions de faible montant et gérant une épargne modique ;
Qu'ainsi, la société Capitol a également développé sa campagne autour d'autres formules telles que "La Bourse qui suit le cours de votre vie ", "Capitol, c'est de loin le plus malin ", "Tournez une page de l'histoire boursière ", "Votre finance personnelle en ligne" ou encore "La Bourse pour toutes les bourses", le message "Capitol démocratise la Bourse" n'étant pas le seul employé ;
Que, pour sa part, Self Trade n'a pas employé son slogan "Self Trade démocratise la Bourse" sur son site Internet où elle a utilisé d'autres formules, telles que "Self Trade révolutionne le monde de la Bourse" ; qu'en ce qui concerne la presse, Self Trade a axé sa campagne publicitaire sur les journaux financiers, alors que Capitol a utilisé également les journaux destinés au grand public ; qu'en outre, la communication de Self Trade pendant la période incriminée était fondée sur trois dessins humoristiques accompagnés de légendes comprenant les termes "Self Trade démocratise la Bourse ", qui se plaçaient en opposition avec les professionnels de la finance, tandis que Capitol présentait, quant à elle, la Bourse comme un univers à découvrir et à partager avec les professionnels ; qu'enfin, les offres tarifaires des deux sociétés étaient très différentes ;
Que dès lors, aucun autre élément de la campagne concurrente développée par la société Capitol ne présentant de similitude et les noms des sociétés étant bien distincts, il s'avère que le seul emploi de la formule "démocratise la Bourse" suivant le nom de la société Capitol, alors que la société Self Trade employait le plus souvent son slogan "Self Trade démocratise la Bourse" dans une phrase commençant par :
"Désolé, mais..."
ou "Désolé pour ceux que cela dérange, mais..."
ou encore "Certains ne s'en remettront peut-être pas, mais..." et se finissant par "... Self Trade démocratise la Bourse",
n'apparaît pas susceptible de créer une confusion dans l'esprit du consommateur d'attention moyenne, lequel disposait dans les annonces respectives des deux sociétés d'un grand nombre d'éléments distinctifs, sans que les termes apparaissant génériques et purement descriptifs de "démocratise la Bourse" puissent, malgré leur emploi similaire, créer le risque de confusion indispensable pour caractériser la concurrence déloyale ;
Que Self Trade n'apporte du reste aucune preuve ou attestation établissant que le risque de confusion allégué se serait réalisé auprès de tel ou tel consommateur ;
Qu'il n'est pas davantage établi que la société Capitol se soit placée dans le sillage de la société Self Trade et se soit livrée au parasitisme commercial, alors que la campagne publicitaire mise en œuvre par Capitol apparaît nettement différenciée dans ses offres, dans sa tonalité et dans les vecteurs choisis ;
Qu'il s'ensuit que l'ordonnance entreprise sera infirmée en toutes ses dispositions et que la Cour dira n'y avoir lieu à référé sur les mesures d'interdiction sollicitées ;
Considérant que la demande de la société Self Trade visant à ordonner à la société Capitol de retirer sa demande d'enregistrement auprès de l'INPI de la marque "Capitol démocratise la Bourse ", n'a pas lieu d'être accueillie dès lors que la concurrence déloyale alléguée n'est pas établie avec l'évidence requise en référé, pas plus que le trouble manifestement illicite invoqué corrélativement par Self Trade ;
Que la société Self Trade succombant en appel, ses autres demandes relatives à l'octroi de dommages-intérêts et à la publication de la décision seront rejetées ;
Considérant que l'équité conduit à condamner la société intimée à verser à l'appelante une indemnité compensant une partie de ses frais irrépétibles ;
Par ces motifs : LA COUR, Déclare la SA Capitol bien fondée en son appel ; Infirme, en toutes ses dispositions, l'ordonnance entreprise ; Statuant à nouveau : Dit n'y avoir lieu à référé ; Rejette toutes les demandes de la SA Self Trade ; Condamne la SA Self Trade à payer à la société Capitol la somme de 20.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; La condamne également aux dépens de première instance et d'appel ; admet la SCP Fisselier-Ceilloux-Boulay, avoué, au bénéfice de l'article 699 du NCPC.