CA Paris, 4e ch. B, 2 juin 2000, n° 1998-25753
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Européenne de Spectacles (SARL)
Défendeur :
Active Animation (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Boval
Conseillers :
Mme Mandel, M. Lachacinsky
Avoués :
SCP Varin-Petit, SCP Monin
Avocats :
Me Dumet-Boissin, SCP Vogel, Vogel.
Faits et procédure
Référence étant faite au jugement entrepris pour l'exposé des faits, de la procédure et des moyens antérieurs des parties, il suffit de rappeler les éléments essentiels suivants :
EPS d'abord exploitée en nom propre par Monsieur Pacherie puis transformée en SARL en 1993 a pour activité notamment l'organisation ou la production de spectacles. Suite à la liquidation judiciaire de la société Meghan Organisation, elle a, par acte des 14 et 20 avril 1998 acquis la clientèle attachée au fonds de commerce de Meghan Organisation ainsi que le fichier clients.
De son côté, la société Active Animation, créée en octobre 1997 et qui a pour objet d'organiser les événements pour les particuliers, les entreprises et les associations, a embauché le 11 mars 1998, Messieurs Zafran et Larbaa, anciens agents commerciaux démissionnaires de Meghan Organisation.
Active Animation, faisant grief à EPS d'avoir, courant mai 1998, commis à son encontre des actes de dénigrement l'a par exploit en date du 2 juillet 1998, assignée selon la procédure à jour fixe devant le tribunal de commerce de Paris. Elle sollicitait outre la cessation sous astreinte de ces agissements et des mesures de publication, la condamnation de cette société à lui payer la somme de 102 700 F à titre de dommages et intérêts et celle de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.
EPS concluait au rejet des prétentions d'Active Animation et reconventionnellement réclamait la condamnation de celle ci à lui verser la somme de 200 000 F en réparation du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale, notamment par détournement de clientèle dont elle avait été victime du fait de cette société ainsi que celle de 25 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Par ailleurs elle sollicitait des mesures de publication et la cessation sous astreinte des actes incriminés.
Le tribunal estimant que la preuve des actes de dénigrement était rapportée mais qu'en revanche EPS ne justifiait d'aucun acte de débauchage, détournement de fichiers et cherchait en réalité à intimider un nouveau concurrent a :
- condamné EPS à payer à Active Animation la somme de 60 000 F à titre de dommages et intérêts,
- ordonné la cessation de tout acte de dénigrement sous astreinte de 20 000 F par infraction constatée et la publication de sa décision dans Infosce aux frais d'EPS dans la limite de 5 000 F et ce avec le bénéfice de l'exécution provisoire. Par ailleurs il a alloué à Active Animation la somme de 12 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.
EPS qui a interjeté appel de ce jugement le 10 novembre 1998 prie la Cour de débouter Active Animation de l'intégralité de ses demandes et de la condamner pour actes de concurrence déloyale à lui verser la somme de 200 000 F à titre de dommages et intérêts et celle de 20 000 F pour ses frais hors dépens. Elle réclame de plus des mesures de publication de l'arrêt à intervenir.
Active Animation poursuit la confirmation du jugement sauf en ce qui concerne les mesures de réparation de son préjudice. Formant appel incident sur ce point, elle demande qu'EPS soit condamnée à lui payer la somme de 102 700 F à titre de dommages et intérêts et que soit ordonnée la cessation de tout acte de dénigrement sous astreinte de 50 000 F par infraction constatée ainsi que la publication de l'arrêt. Au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile, elle sollicite le versement d'une somme de 30 000 F.
Sur ce, LA COUR
I. Sur la demande principale :
Considérant qu'EPS soutient que les deux seuls écrits produits par Active Animation pour rapporter la preuve des actes de dénigrement dont elle aurait été victime, rédigés en termes évasifs, ne sont pas pertinents ; que les faits relatés ne sont ni objectivement, ni matériellement vérifiables et ne la concernent pas personnellement ;
Mais considérant qu'il résulte de la lettre envoyée le 22 mai 1998 par M. Lietot, secrétaire du comité d'entreprise du Crédit Mutuel à Active Animation, qu'EPS, après avoir adressé le 7 mai 1998 au Crédit Mutuel une lettre d'information faisant part de ce qu'elle avait racheté le fichier clients de Meghan (société dont le Crédit Mutuel avait été client) a, par l'intermédiaire de son commercial, M. Cambert, appelé cette société pour lui proposer d'organiser son spectacle de fin d'année en lui expliquant qu'une procédure judiciaire était en cours contre le dirigeant et un commercial d'Active Animation pour vol de fichier et de matériel, que celle ci ne serait pas à même d'organiser leur spectacle de fin d'année et que le fait de lui avoir versé 60 000 F était " grave, très grave " ;
Que de même, après l'envoi de la même lettre d'information et des appels téléphoniques d'EPS, la société Barclays Bank qui avait retenu pour son spectacle de fin d'année la proposition que lui avait faite Active Animation le 10 avril 1998, lui a adressé le 26 mai suivant une lettre lui indiquant qu'elle n'entendait pas finaliser ce projet :
Considérant que ces lettres du Crédit Mutuel et de Barclays Bank, dénuées de toute ambiguïté, qui ne peuvent être suspectées de partialité et qui sont antérieures à l'introduction de l'instance établissant, ainsi que l'ont retenu les premiers juges, qu'EPS a dénigré Active Animation d'une part en faisant croire au Crédit Mutuel que son dirigeant faisait l'objet d'une procédure judiciaire pour vols (alors qu'à cette date aucune instance n'était en cours) et que la solvabilité de la société était douteuse, d'autre part en insinuant auprès de ce client et de la Barclays Bank que l'intimée ne serait pas à même d'organiser leur spectacle de fin d'année), que le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a condamné de ce chef EPS ;
Considérant qu'Active Animation fait valoir que les premiers juges ont fait une appréciation inexacte de son préjudice qu'elle évalue à la somme de 102 700 F ;
Mais considérant que le tribunal ayant effectivement pris en compte la perte du contrat de 52 700 F avec la société Barclays Bank et la société Active Animation ne produisant aucun élément nouveau devant la Cour tendant à démontrer qu'elle aurait été discréditée auprès d'autres sociétés, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a condamné l'appelante à lui verser la somme de 60 000 F et ordonné des mesures d'interdiction et de publication ; que la publication effectuée en vertu de l'exécution provisoire ayant été assortie, suite à une ordonnance de référé, d'un écart mentionnant l'appel, il sera fait droit à une nouvelle mesure de publication dans les conditions précisées au dispositif ;
II. Sur la demande reconventionnelle
Considérant qu'EPS fait valoir qu'après avoir embauché Messieurs Zafran et Larbaa qui étaient liés par une clause de non-concurrence, la société Active Animation a détourné son fichier clients et démarché systématiquement la clientèle ; qu'elle ajoute qu'avant l'arrivée de ces deux commerciaux, l'intimée n'avait aucune activité de producteur de spectacle ; qu'en outre elle fait grief à Active Animation d'avoir proposé un spectacle intitulé " Noël sur glace " produit par elle depuis plusieurs années et d'organiser des spectacles tels que " Le Cirque de Laponie " alors que son dirigeant n'est pas titulaire de la licence requise pour ce faire ;
Considérant qu'Active Animation lui oppose que :
- l'acte du 28 avril 1998 par lequel elle aurait acquis la clientèle attachée au fonds de commerce de la société Meghan est nul, le juge commissaire n'ayant autorisé que la cession du fichier clients,
- ce fichier clients a été acheté en toute connaissance de la démission des anciens commerciaux de Meghan,
- la clause de non-concurrence insérée dans le contrat de M. Zafran a été privée par le jugement de cession,
- le démarchage ne constitue pas un acte de concurrence déloyale
- les critiques relativement aux spectacles ne sont pas fondées
Considérant ceci exposé, que si le contrat de M. Zafran, seul communiqué, contenait une clause de non-concurrence au profit de la société Meghan, EPS ne peut s'en prévaloir dès lors que le bénéfice de cette clause ne lui a pas été transmis par l'acte de cession des 14 et 20 avril 1998 ; que de plus, outre le fait qu'il n'est pas établi q'Active Animation aurait débauché Messieurs Zafran et Larbaa, il résulte des termes mêmes de la requête présentée le 24 mars 1998 au juge commissaire (soit après l'embauche le 11 mars 1998 de ces deux commerciaux par Active Animation) que EPS a offert d'acquérir le fichier clients de Meghan alors qu'elle savait que ces deux salariés qui maîtrisaient parfaitement ce fichier étaient entrés au service d'une autre société ; qu'au demeurant elle précisait faire son affaire personnelle de tout éventuel détournement de clientèle ;
Considérant par ailleurs qu'une entreprise ne bénéficie d'aucun droit privatif sur sa clientèle et que le démarchage de la clientèle d'un concurrent n'est fautif que s'il s'accompagne d'actes contraires aux usages loyaux du commerce ;
Or considérant qu'en l'espèce, EPS ne rapporte pas la preuve qu'Active Animation se serait procurée par un moyen ou un autre un double du fichier clients de Meghan ou qu'elle aurait bénéficié de conventions précédemment négociées par Messieurs Zafran ou Larbaa alors qu'ils étaient employés par Meghan ou que ceux-ci lui auraient fourni des informations privilégiées sur la clientèle de leur ancien employeur ;
Considérant enfin qu'EPS ne démontre pas en quoi le spectacle " Noël sur glace " proposé par Active Animation serait similaire à son propre spectacle, que les plaquettes de présentation mises aux débats sont totalement distinctes ; qu'au surplus EPS ne justifie bénéficier d'aucun droit exclusif sur les numéros des artistes se produisant dans le cadre de ce spectacle ;
Considérant que le grief relatif à la licence d'entrepreneur de spectacle est tout autant mal fondé, Active Animation étant titulaire d'une licence ministérielle n° 752330 et la preuve n'étant pas rapportée que celle ci ne l'autorise pas à produire un spectacle de cirque ; qu'au surplus il convient de relever qu'il aurait été pour le moins imprudent de la part d'Active Animation de proposer cette prestation au Ministère de la Culture si elle n'avait pas bénéficié des autorisations nécessaires ;
Que le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a débouté EPS de ses demandes ;
III. Sur l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile
Considérant qu'EPS qui succombe sera déboutée de sa demande sur ce point ; qu'en revanche, l'équité commande d'allouer à Active Animation pour les frais hors dépens par elle engagés en appel une somme de 15 000 F.
Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Autorise la société Active Animation à faire publier le dispositif du présent arrêt dans la revue Infos Ce aux frais de la société Européenne de Spectacles dans la limite de 15 000 F, Condamne la société Européenne de Spectacles à payer à la société Active Animation une somme de 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile, La condamne aux dépens d'appel, Admet Me Moin, avoué au bénéfice de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.