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Décisions

CA Amiens, ch. com., 30 mai 2000, n° 97-04941

AMIENS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Phyto-Service (SA), Bruyagri (SA), Landgold & Co (Sté)

Défendeur :

Sopra (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chapuis de Montaunet

Conseillers :

M. Roche, Mme Rohart-Messager

Avoués :

SCP Le Roy, SCP Selosse Bouvet, Andre

Avocats :

Mes Lebegue, Givry

T. com. Saint-Quentin, du 10 oct. 1997

10 octobre 1997

Vu le jugement du 10 octobre 1997 par lequel le Tribunal de Commerce de Saint Quentin a :

- constaté que les Stés Landgold, Phyto-Service et Bruyagri commercialisaient en France, sans autorisation administrative, et donc de façon illicite, un produit concurrent de celui développé et distribué par la Sté Sopra, et ce sous le numéro d'homologation initialement attribué par le Ministère de l'Agriculture au produit vendu par ladite Sté Sopra, une telle pratique n'ayant pu avoir pour effet que d'entretenir la confusion dans l'esprit des revendeurs et des clients et donc de fausser le marché, et par suite, de causer un préjudice indiscutable à la Sté Sopra,

- condamné en conséquence, in solidum, la Sté Landgold, la Sté Phyto-Service et la Sté Bruyagri à payer à la Sté Sopra la somme de 3.000.000 F à titre de dommages-intérêts, calculée sur la base de 50.000 litres de produits litigieux commercialisés indûment par les sociétés défenderesses au prix de 330 F HT, le préjudice à retenir n'étant toutefois pas égal au chiffre d'affaires perdu mais à la marge brute sur le produit augmentée d'une partie des lourds investissements et frais de recherches consentis par la Sté Sopra en vue de mettre le produit Karate sur le marché,

- ordonné l'interdiction de l'importation et de la commercialisation du produit Lambda-C en France à compter du prononcé du jugement, de façon directe ou indirecte, sous la forme actuelle ou toutes autres formes similaires contenant le principe actif lambda-cyhalothrine et qui n'aurait pas reçu une autorisation de vente ou une homologation spécifique et ce, sous une astreinte définitive de 1.000 F par infraction constatée,

- ordonné la publication du dispositif du jugement dans quatre journaux au choix de la Sté Sopra dans la limite de 2.500 F par annonce,

- condamné les Stés Landgold, Phyto-Service et Bruyagri à payer à la Sté Sopra la somme de 10.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

- débouté les Stés Landgold, Phyto-Service et Bruyagri de l'ensemble de leurs demandes reconventionnelles,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- condamné les Stés Landgold, Phyto-Service et Bruyagri en tous les dépens, en ce compris les frais d'expertise.

Vu l'appel interjeté par les Stés Phyto-Service, Bruyagri et Landgold.

Vu l'acte du 2 septembre 1999 par lequel la Sté Phyto-Service a signifié son désistement de l'appel susvisé.

Vu, enregistrées le 14 janvier 2000, les conclusions présentées par les Stés Bruyagri et Landgold et tendant à:

- infirmer le jugement et, statuant à nouveau,

à titre principal,

- constater qu'il ne saurait leur être reproché d'avoir commercialisé le produit Lambda C, eu égard à la décision de relaxe prononcée par la juridiction pénale,

à titre subsidiaire,

- constater qu'elles ont mis légitimement, en raison du droit communautaire, le produit Lambda C sur le marché français,

- en tout état de cause, dire la Sté Sopra mal fondée,

- faisant droit à la demande reconventionnelle, condamner la Sté Sopra à payer:

* au titre du préjudice commercial la somme totale de 14.000.000 F dont, 8.500.000 F à verser à la Sté Bruyagri et 5.500.000 F à verser à la Sté Landgold,

* au titre du préjudice moral la somme de 1.000.000 F à chacune des Stés Phyto-Service, Bruyagri et Landgold,

- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans les quatre revues spécialisées dans le domaine des produits phytosanitaires aux frais de la Sté Sopra, chacune de cas publications étant limitée à 20.000 F,

- condamner la Sté Sopra à payer à chacune d'elles la somme de 100.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

- la condamner aux dépens de première instance et d'appel dont distraction pour ces derniers au profit de la SCP Le Roy, avoué aux offres de droit.

Vu, enregistrées le 29 février 2000 les conclusions présentées par la Sté Sopra et tendant à:

- in limine litis, dire et juger que les Stés Landgold et Bruyagri en raison des conclusions récapitulatives régularisées devant la 4ème Chambre Commerciale de la Cour d'Appel d'Amiens, ont formulé des propos diffamatoires et injurieux, portant atteinte à son honneur et à sa considération,

en conséquence,

- supprimer des débats les passages suivants des conclusions récapitulatives des Stés Landgold et Bruyagri :

"On peut s'étonner dès lors de la présence de M. Urbain Hubau, ancien animateur de la Sté Hubau dont il restait administrateur et naturellement associé, dans la composition de la juridiction consulaire, alors qu'elle avait à statuer sur un litige qui intéressait au premier chef la Sté Bruyagri, dont la Sté Hubau a toujours été commercialement le concurrent.

Mais on peut être scandalisé que M. Urbain Hubau ne se soit pas déporté, alors qu'il avait à participer au jugement d'un litige initié par Sopra, fournisseur de la SA Hubau contre Bruyagri concurrent régional de la Sté Hubau.

Il serait en effet inconcevable qu'une entreprise de distribution de produits phytosanitaires réalisant 47 millions de chiffre d'affaires dans ce secteur, ne travaille pas avec Sopra ... Et il ne saurait être contesté que la SA. Hubau a distribué au cours des précédentes campagnes agricoles, au moins les produits suivants Karate (en conditionnement 3L), Reglone, Winer, Open, Fusalade.

Il est donc incontestable que la Sté Hubau, et au-delà M. Urbain Hubau ont ainsi entretenu des relations commerciales suivies avec Sopra, et ce depuis fort longtemps.

Dès lors la Cour pourra s'interroger sur la raison qui a pu pousser Sopra à saisir le Tribunal de Commerce de Saint Quentin, d'une action dirigée contre Phyto-Service principale intéressée alors que cette dernière dépend des juridictions de Blois et que toutes les pièces justificatives de sa demande, proviennent non pas du secteur commercial de Bruyagri mais de celui de Phyto-Service....

Comme sur la présente, dans le jugement d'arguments qui n'apparaissent pas avoir été même évoqués par l'une ou l'autre des parties..

Cette évocation permettra à la Cour, d'une part, de mesurer l'intérêt qui peut s'attacher à la décision attaquée, rendue dans des conditions de légitimes suspicions.

La Sté Sopra qui depuis 1995 devant le Tribunal de Commerce de Saint Quentin, ne fait qu'abuser d'une position illégitime de l'Etat Français.

L'Etat de droit français ... ne saurait tolérer ... qu'une société privée telle Sopra se substitue à lui pour tenter de faire régner l'ordre, qui plus est illégitime dans le cas d'espèce".

Cette évocation permettra à la Cour d'apprécier les méthodes de Sopra tant au regard du présent litige que plus généralement dans la défense des intérêts de son groupe de pression, notamment dans le maintien d'une position illégitime de l'administration française, depuis 1991, au regard d'une directive communautaire.

La Sté Sopra se livre à l'exercice périlleux de dénaturer et de mépriser les communications textes et jurisprudences verses par les appelantes.

La Cour dispose d'une preuve supplémentaire des contestations émises par les appelantes relatives au choix de M. Rosset et mensongèrement niées par Sopra.

Il faut bien en déduire l'existence d'une étroite communauté d'intérêts sinon d'une collusion..

La prétention de la Sté Sopra affirmant que le Tribunal Correctionnel (de Blois) aurait statué sans qu'aucune preuve ne lui soit apportée est une nouvelle injure à la justice.

L'attitude méprisante de l'intimée à l'égard de la justice à Blois trouve un prolongement à l'égard du Sénat.

Comme elle l'a déjà fait tout au long de la première instance, la Sté Sopra tente d'abuser la Cour par sa manœuvre Karate - Karate Vert

Sopra avec l'accréditation totale et le concours du SPV a réussi en moins de deux ans, par une parfaite mise en scène franco-française, à cloisonner non moins parfaitement le très convoité marché national.

(Les) autres agriculteurs européens pour lesquels Sopra et l'expert Rosset n'ont pas l'ombre d'une considération.

Ce dossier, totalement hors sujet puisqu'en 1995 date des faits objets de cette procédure, les appelantes étaient encore de droit fondées à commercialiser " l'ancienne formulation " du Karate est néanmoins révélateur de la duplicité et des méthodes de l'intimée ".

En tout état de cause, en conséquence,

- condamner les Stés Landgold et Bruyagri à lui payer solidairement une somme de 500.000 F chacune à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice,

- ordonner la publication par extrait de la décision à intervenir s'agissant du présent incident dans trois revues spécialisées à son choix et aux frais des Stés Landgold et Bruyagri sans que le coût de chaque insertion n'excède la somme de 30.000 F TTC,

- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir s'agissant du présent incident, vu l'urgence et la gravité des atteintes portées contre son honorabilité et sa considération,

Sur le fond,

- il convient d'attirer l'attention de la Cour sur les interrogations subsistantes relativement au protocole d'accord qui a existé dans cette affaire et au désistement qui s'en est suivi dans la mesure où les conclusions déposées postérieurement par les appelantes ne prennent pas en compte l'existence de ce désistement ; qu'il faut bien prendre en compte qu'il existe dans ce dossier une possibilité de condamnation in solidum en raison de la demande de confirmation pure et simple formulée qu'au surplus, le sort des dépens doit être analysé distinctement et le préjudice commercial et moral dont se prévalaient initialement les trois sociétés appelantes doit aujourd'hui être clairement précisé pour les deux sociétés restantes,

En toutes hypothèses, il convient pour la Cour de:

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- débouter les Stés Bruyagri et Landgold de l'intégralité de leurs demandes, fins, moyens et conclusions,

- condamner in solidum les Stés Bruyagri et Landgold à lui verser la somme de 100.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile outre les entiers dépens dont distraction sera ordonnée au profit de la SCP Selosse Bouvet et Andre, avoué aux offres de droit.

Vu, enregistrées le 10 mars 2000 les conclusions présentées par la Sté Sopra et tendant à ce qu'il lui soit donné acte de ce qu'elle accepte le désistement de la Sté Phyto-Service signifié le 2 septembre 1999 et de ce qu'elle abandonne toute demande incidente à l'encontre de cette société.

Vu les réquisitions du Ministère Public, lequel s'en rapporte sur l'appréciation que la Cour pourra faire de l'application de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881.

Sur ce

Sur le désistement de la Sté Phyto-Service

Attendu qu'il y a lieu de donner acte à la société susvisée de son désistement; que celui-ci, fait sans réserve, est parfait; l'intimée ayant déclaré l'accepter et abandonner toute demande incidente.

Sur la demande formée par la Sté Sopra et tendant a la suppression de certains passages des conclusions présentées par les Stés Landgold et Bruyagri

Attendu qu'aux termes de l'article 24 du Nouveau Code de Procédure Civile:

"Les parties sont tenues de garder en tout le respect dû à la justice. Le juge peut, suivant la gravité des manquements, prononcer, même d'office, des injonctions, supprimer les écrits, les déclarer calomnieux, ordonner l'impression et l'affichage de ses jugements" qu'ainsi le devoir des parties au regard de leur obligation de réserve est de défendre leur cause en évitant, notamment, l'usage d'expressions injurieuses ou diffamatoires.

Attendu, en l'espèce, qu'aux pages 34 et 35 des conclusions des appelantes il est indiqué:

"On peut s'étonner dès lors de la présence de M. Urbain Hubau ancien animateur de la Sté Hubau dont il restait administrateur et naturellement associé, dans la composition de la juridiction consulaire, alors qu'elle avait à statuer sur un litige qui intéressait au premier chef la Sté Bruyagri, dont la Sté Hubau a toujours été commercialement le concurrent.

Mais ont peut être scandalisé que M. Urbain Hubau ne se soit pas déporté, alors qu'il avait à participer au jugement d'un litige initié par Sopra, fournisseur de la SA. Hubau, contre Bruyagri, concurrent régional de la Sté Hubau.

Il serait en effet inconcevable qu'une entreprise de distribution de produits phytosanitaires réalisant 47 millions de chiffre d'affaires dans ce secteur, ne travaille pas avec Sopra ... et il ne saurait être contesté que la SA. Hubau a distribué au cours des précédentes campagnes agricoles, au moins les produits suivants Karate (en conditionnement 3L) Reglone, Winer, Open, Fusilade.

Il est donc incontestable que la Sté Hubau et au-delà M. Urbain Hubau ont ainsi entretenu des relations commerciales suivies avec Sopra et ce depuis longtemps.

Dès lors, la Cour pourra s'interroger sur la raison qui a pu pousser Sopra à saisir le Tribunal de Commerce de Saint Quentin, d'une action dirigée contre Phyto-Service principale intéressée alors que cette dernière dépens des juridictions de Blois, et que toutes les pièces justificatives de sa demande proviennent non pas du secteur commercial de Bruyagri mais de celui de Phyto-Service..

Comme sur la présence, dans le jugement, d'arguments qui n'apparaissent pas avoir été même évoqués par l'une ou l'autre des parties...

Cette évocation permettra à la Cour, d'une part, de mesurer l'intérêt qui peut s'attacher à la décision attaquée rendue dans des conditions de légitimes suspicions";

Que les passages précités doivent être regardés comme calomnieux dès lors qu'ils insinuent une éventuelle partialité d'un des juges consulaires ayant rendu la décision et soupçonnent la Sté Sopra d'avoir "choisi" sa juridiction ; que le caractère inconvenant de tels propos est d'autant plus caractérisé que les sociétés appelantes n'ont pas jugé utile d'user de la procédure de récusation des magistrats prévue par l'article 341 du Nouveau Code de Procédure Civile ; qu'à la page 38 des mêmes conclusions il est également mentionné:

"Il faut bien en déduire l'existence d'une étroite communauté d'intérêts sinon d'une collusion ..." (s'agissant de la Direction Générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ainsi que de la Sté Sopra) ; que ce passage constitue une imputation outrageante pour les intéressées et devra, dès lors, tout comme celui précité, être supprimé et ce, sans que l'exception de vérité à l'action en diffamation puisse être utilement invoquée ; qu'il n'y a, cependant, pas lieu d'indemniser l'intimée du préjudice dont elle excipe à ce titre ni d'ordonner la publication de la présente décision sur ce qu'elle ordonne la suppression des passages précités ; qu'enfin, les autres passages des conclusions des appelantes dont fait état la Sté Sopra, s'ils traduisent la vivacité du débat contentieux, ne comportent pas de termes excédant manifestement les limites d'une défense légitime; qu'il n'en sera, donc, pas ordonnée la suppression.

Sur la prétendue irrecevabilité des demandes présentées par la Sté Sopra

Attendu, tout d'abord, que si les appelantes soutiennent que le Tribunal de Commerce de Saint Quentin aurait dû "surseoir à statuer jusqu'à l'issue de l'instance pénale en cours" devant le Tribunal Correctionnel de la même ville et ce, afin de ne pas méconnaître la règle "le criminel tient le civil en l'état", il convient de relever que cette dernière règle n'est pas une fin de non recevoir que le juge serait tenu de relever d'office en raison de son caractère d'ordre public mais une exception tendant à suspendre le cours de l'action ; qu'en l'espèce, aucune demande de sursis à statuer n'ayant été formulée en première instance, le moyen d'irrecevabilité avancé à ce titre ne peut qu'être rejeté; qu'au surplus, et en tout état de cause, le sursis ne se serait imposé que tant qu'il n'avait pas été statué définitivement sur l'action publique ; que le Tribunal Correctionnel ayant rendu son jugement le 28 janvier 1998, est devenu sans intérêt le moyen tiré d'une éventuelle violation de l'article 2 de l'article 4 du Code de Procédure Civile qu'enfin, il n'est pas démontré, par les écritures des appelantes, que la décision pénale aurait été de nature à influer sur la décision civile.

Attendu, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 5 du Code de Procédure Civile : "La partie qui a exercé son action devant la juridiction civile compétente ne peut la porter devant la juridiction répressive. Il n'est est autrement que si celle-ci a été saisie par le Ministère Public avant qu'un jugement sur le fond ait été rendu par la juridiction civile" ; que si la règle ainsi posée interdit d'abandonner la voie civile pour la voie pénale, elle n'empêche nullement, en revanche, la partie civile de renoncer à sa constitution tant qu'un jugement n'est pas intervenu pour porter sa réclamation devant la juridiction civile que, par suite, les appelantes n'étaient pas fondées à soulever l'exception tirée de La règle "Electra una via" devant la juridiction civile que constitue le Tribunal de Commerce de Saint Quentin.

Attendu, en troisième lieu, que les Stés Bruyagri et Landgold invoquent à l'appui de leur argumentation, fondée sur l'irrecevabilité des demandes formées par la Sté Sopra, "l'autorité de la chose jugée du jugement rendu par le Tribunal Correctionnel de Blois le 14octobre 1997"; que, cependant, s'il n'est pas permis à une juridiction civile de remettre en question ce qui a été définitivement, nécessairement et certainement décidé par le juge pénal sur l'existence du fait qui forme la base commune de l'action civile et de l'action pénale, sur sa qualification ainsi que sur la culpabilité de celui à qui le fait est imputé, l'action civile et l'action pénale auxquelles les Stés Bruyagri et Landgold font référence ne procèdent pas du même fait ; qu'en effet, l'affaire portée devant le Tribunal Correctionnel de Blois a pour origine une plainte de la DGCCRF à l'encontre de MM. Roques, Gossehume et Straumann, co-gérants de la Sté Surcouf, pour avoir mis en vente deux produits phytosanitaires (Lambda C et Deltaland) sans homologation sur le territoire français ; qu'aux termes du jugement rendu les prévenus concernés avaient entrepris les démarches nécessaires pour obtenir des services du Ministère de l'Agriculture l'autorisation de mise sur le marché ; que la présente instance oppose des parties différentes et s'il est également question de mise sur le marché de produits phytosanitaires sans homologation, les circonstances sont distinctes dès lors que les Stés Landgold et Bruyagri n'ont jamais formulé de demande d'homologation ; que, de toute façon, l'autorité de la chose jugée au pénal ne s'exerce que sur l'action civile proprement dite, c'est-à-dire sur celle qui est exercée contre le prévenu par la victime ou par ses ayants droits en vue de la réparation du dommage résultant directement de l'infraction considérée ; que, dès lors, les appelantes ne peuvent arguer de l'autorité de la chose jugée attachée au jugement correctionnel susmentionné sur l'action civile, distincte et spécifique, exercée par la Sté Sopra et objet de la présente instance.

Sur la nullité du rapport d'expertise effectué par M. Rosset à raison de la partialité alléguée de ce dernier

Attendu qu'ainsi que les premiers juges l'ont justement relevé le choix du Professeur Rosset a été accepté par l'ensemble des parties et ledit expert a mené à bien sa mission ponctuée par des réunions avec les parties sans qu'aucune de celles-ci ne sollicitent sa révocation ; qu'au demeurant, M. Rosset a organisé deux réunions d'expertise en présence des parties les 3 octobre 1995 et 14 mai 1996;

Qu'enfin, il sera souligné que c'est à la demande des appelantes que le magistrat chargé du contrôle des expertises au Tribunal de Commerce de Saint Quentin a convoqué les parties à une réunion tenue le 11 juillet 1996 et à laquelle étaient présents les conseils de ces dernières ; que les Stés Landgold et Bruyagri ne sauraient donc invoquer à nouveau, à cette occasion, une prétendue méconnaissance du principe du contradictoire.

Au fond

Attendu qu'il résulte de l'instruction que la Sté Sopra, filiale de la société de droit anglais Zeneca, a commercialisé en France à partir du mois d'octobre 1986 le produit Karate, insecticide polyvalent destiné à l'agriculture et dont le principe actif est la Lambdacyhalothrine ; que le numéro d'homologation 85 00 564 sous lequel ce produit était vendu a été retiré par le Ministère de l'Agriculture le 8 juillet 1994 et ce, à la demande de la Sté Sopra qui avait décidé de ne plus vendre que le produit Karate Vert à compter du 21juillet 1993 ; qu'à la fin de l'année 1994, la Sté Sopra s'étant aperçue qu'un produit Lambda C était commercialisé en France avec une étiquette mentionnant son homologation sous le numéro 85 00 564 susmentionné a fait procéder, par devant huissier, à l'achat de bouteilles dudit produit auprès du magasin Phyto Caen, enseigne commerciale de la Sté Phyto-Service, ainsi qu'auprès des Ets Bruyagri ; qu'à la suite de l'assignation en référé des appelantes par la Sté Sopra par actes des 15 et 17 mai 1995, le juge compétent du Tribunal de Commerce de Saint Quentin a, par ordonnance du 29 juin 1995, désigné en qualité d'expert M. Rosset avec, notamment, comme mission de procéder aux analyses comparatives des produits Karate et Lambda C et de se faire communiquer les résultats des diverses études auxquelles il avait déjà été procédé à ce sujet ; qu'alors que l'étiquette apposée sur les bidons de Lambda C porte la mention "cette formulation est homologuée en France sous le n°85 00 564", impliquant de la sorte une identité entre la formulation de ce produit et celle du Karate, homologuée, ainsi qu'il a été ci-dessus rappelé, sous le même numéro, le rapport expertal relève ce qui suit:

"La composition du Lambda C n'est pas conforme à celle que sous-tend le numéro d'homologation (85 00 564) figurant sur l'étiquette en français du produit.

S'il contient bien de la Lambda Cyhalothrine à la teneur nominale de 50g L il n'est pas formulé avec le diluant du dossier d'homologation. Il ne contient que l'un des deux surfa ctants décrits dans ce même dossier d'homologation.

Toutefois, bien que le diluant du Lambda C ne soit pas le même que celui du Karate il a un point éclair qui est conforme à l'AV n°8500564.

Le fait de faire figurer sur l'étiquette en français du Lambda C la mention:

Cette formulation est homologuée en France sous le n°85 00 564 est susceptible d'induire en erreur le consommateur français d'une part, la composition du Lambda C n'est pas conforme à celle ayant reçu l'homologation n°8500564; d'autre part, elle sous-entend que le Lambda C fait l'objet de contrôles des services compétents du Ministère Français de l'Agriculture alors que ce n'est pas le cas.

Le diluant du Karate est un solvant industriel A dont l'analyse du Laboratoire Crepin a montré qu'il contenait un hydrocarbure benzénique majoritaire (72 %) le 1, 3, 5 triméthylbenzène (...) Ceci a été confirmé par l'analyse du Laboratoire Wolff (...) et par le Laboratoire Gemloux (...) Mais s'agissant d'un produit industriel, le diluant A ne contient pas que du 1, 3, 5 triméthylbenzène mais aussi d'autres hydrocarbures benzéniques (..)

Le diluant du Lambda C est un autre mélange d'hydrocarbures benzéniques, le Shellsol A. Lui aussi contient du 1, 3. 5 triméthylbenzène mais à une teneur de 30 % seulement (Laboratoire Crepin, vérifié par nos soins) et d'autres hydrocarbures benzéniques (...)

Le diluant du Lambda C se définit pas rapport à un solvant industriel qui est un mélange complexe d'hydrocarbures benzéniques, donc de la même famille que ceux du diluant A du Karate mais qui ne contient pas les mêmes hydrocarbures et pour ceux qui sont les mêmes pas aux mêmes teneurs";

Que, par suite, et compte tenu de ce qu'en application tant de la loi modifiée du 2 novembre 1993 relative à l'organisation du contrôle des produits antiparasitaires à usage agricole que de l'arrêté ministériel du 1er décembre 1987 l'homologation est accordée pour un produit déterminé et sous un nom commercial donné à la suite d'une demande émanant du responsable de la mise sur le marché français, les appelantes n'ont pu, sans commettre de faute engageant leur responsabilité, procéder à la commercialisation en France, sans avoir préalablement sollicité l'autorisation administrative nécessaire, d'un produit concurrent de celui développé et distribué par la Sté Sopra et ce, sous le numéro d'homologation initialement attribué au produit Karate vendu jusqu'en juillet 1993 par la Sté Sopra ; que si les appelantes invoquent, dans leurs écritures, "les objectifs et dispositions de la directive 91/414 qui s'imposent à l'administration quant à la légitimité de la mise en marché de Lambda C en France" ainsi que "la reconnaissance par l'administration du manquement au droit communautaire consécutif à son refus d'autoriser les importations", le caractère contraignant d'une directive sur lequel est fondé la possibilité d'invoquer celle-ci devant une juridiction nationale n'existe selon l'article 189 du Traité instituant la communauté européenne qu'à l'égard de tout Etat membre destinataire et il s'ensuit qu'une directive ne peut pas, par elle-même, créer d'obligations dans le chef d'un particulier ou être alléguée en tant que telle à l'encontre de celui-ci et ce, même s'il appartient au juge national d'interpréter le droit positif interne conformément à la directive ; que, dans ces conditions, les Stés Landgold et Bruyagri ne sont pas fondées à invoquer "l'autorité de la chose jugée des arrêts rendus par la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation le 27 février 1995" et à revendiquer l'application des dispositions de la directive n°91/414/CE du 15 juillet 1991 sur l'homologation simplifiée des produits phyto-sanitaires à l'encontre de la Sté Sopra alors, surtout, qu'aucune démarche n'a précédé la commercialisation du Lambda C en vue d'obtenir une autorisation de mise sur le marché ; qu'en tout état de cause, et à supposer même que les sociétés appelantes aient pu s'exonérer de la réglementation interne applicable en la matière, elles ne pouvaient, sans entraîner une confusion obligée dans l'esprit de la clientèle et méconnaître, de ce fait, directement les règles de loyauté commerciale, utiliser un numéro d'homologation afférent à un produit dont les caractéristiques ne sont pas identiques à celui mis sur le marché ainsi qu'il a été ci-dessus indiqué et dont le nom commercial était différent; que, de même, les intéressées ne sauraient invoquer le principe de libre circulation des marchandises énoncée à l'article 30 du Traité susmentionné pour justifier une telle appropriation d'un numéro d'homologation ; qu'enfin, l'homologation accordée pour un produit Lambda C à la Sté Phyteron 2000 le 9 mai 2000 ne permet aucunement - même s'il s'agissait du produit commercialisé par les appelantes en 1994 et 1995 - de légitimer a posteriori la pratique concurrentielle déloyale susanalysée consistant en la mise sur le marché d'un produit portant le numéro d'homologation donnée à un autre ; qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que ne peut qu'être rejetée la demande en réparation formée par la Stés Landgold et Bruyagri à la suite du prétendu préjudice commercial et moral que l'action engagée par l'intimée leur aurait occasionné ; que, par ailleurs, les appelantes ne démontrent nullement l'existence de prétendus "propos des équipes de vente de Sopra auprès de tous les clients agriculteurs de la Sté Bruyagri les menaçant de complicité d'actes illégitimes" qu'il en est de même de la "publicité faite par voie de presse à l'initiative de Sopra informant les clients français des procédures en cours dont celle devant le Tribunal de Commerce de Saint Quentin" ; que les Stés Landgold et Bruyagri ne peuvent davantage faire état du préjudice que leur aurait porté la publication du jugement déféré dès lors que la Sté Sopra a pris soin de faire mentionner dans les quatre journaux auxquels elle avait confié, à ses frais, la publicité de ladite décision qu'un appel de celle-ci avait été interjeté ; qu'ainsi les droits des parties doivent être regardés comme ayant été suffisamment sauvegardés.

Attendu qu'il convient, en conséquence, de débouter les Stés Landgold et Bruyagri de l'ensemble de leurs exceptions et prétentions et de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions, étant observé que la Cour fait sien le mode de calcul - au demeurant non contesté en tant que tel - retenu par les premiers juges pour apprécier le montant du préjudice généré par la concurrence déloyale provoquée par la faute susétablie commise par les appelantes.

Sur l'application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile

Attendu que les Stés Landgold et Bruyagri verseront in solidum à l'intimée la somme de 15.000 F sur le fondement de l'article susvisé.

Par ces motifs, La COUR : Statuant publiquement et contradictoirement; Reçoit l'appel jugé régulier en la forme; Donne acte à la Sté Phyto-Service de son désistement; Ordonne la suppression des débats des passages suivants des conclusions des Stés Landgold et Bruyagri: page 34 : lignes 28 à 37, page 35 : lignes 1 à 17, page 38 : lignes 17 et 18 ; Au fond, confirme le jugement; Déboute les Stés Landgold et Bruyagri de l'ensemble de leurs demandes; Déboute la Sté Sopra du surplus de ses conclusions; Condamne les Stés Landgold, Bruyagri et Phyto- Service aux dépens d'appel avec - en ce qui concerne ceux à la charge des Stés Landgold et Bruyagri - droit de recouvrement direct au profit de la SCP Selosse Bouvet et Andre, avoué; Condamne in solidum les Stés Landgold et Bruyagri à verser à la Sté Sopra la somme de 15.000 F au titre des frais hors dépens.