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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 12 mai 2000, n° 1998-26733

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

La Maison de l'Enfant (Sté)

Défendeur :

Bonpoint (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mandel

Conseillers :

Mme Regniez, M. Lachacinski

Avoués :

SCP Duboscq-Pellerin, SCP Valdelièvre-Garnier

Avocats :

Mes Antoine-Lalance, Favre-Gilly.

T. com. Paris, 15e ch., du 20 nov. 1998

20 novembre 1998

Faits et procédure :

Référence étant faite au jugement entrepris pour l'exposé des faits, de la procédure et des moyens antérieurs des parties, il suffit de rappeler les éléments essentiels suivants :

La société Bonpoint spécialisée dans la mode enfantine, se prévalant de ses droits sur 5 robes et estimant que LMDE offrait à la vente des modèles en reproduisant les caractéristiques essentielles, a fait procéder le 7 juillet 1997 à une saisie contrefaçon sur le stand de LMDE au salon de la mode enfantine après y avoir été autorisée par ordonnance.

C'est dans ces circonstances, que par exploit en date du 1er août 1997, elle a assigné LMDE devant le tribunal de commerce de Paris pour faits de contrefaçon et de concurrence déloyale. Elle sollicitait outre des mesures d'interdiction sous astreinte, de confiscation, de destruction et de publication, la condamnation de LMDE à lui payer la somme de 500.000 F à titre de dommages et intérêts et celle de 50.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

LMDE concluait à la nullité du procès verbal de saisie contrefaçon et à ce que Bonpoint soit déboutée de ses demandes. Reconventionnellement elle réclamait sa condamnation à lui payer la somme de 500.000 F à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la saisie contrefaçon, celle de 1.000.000 F en réparation du préjudice d'ordre commercial, financier et d'image occasionné par les actes de concurrence déloyale commis à son encontre par Bonpoint ainsi que 20.000 F en application de l'article 700 du NCPC. Enfin elle demandait que des mesures de publication soient ordonnées.

Le tribunal par le jugement entrepris après avoir rejeté la demande en nullité de la saisie contrefaçon et retenu que les modèles invoqués étaient originaux a

- dit que LMDE s'était rendue coupable d'actes de contrefaçon à l'égard des modèles de robe "Jour", "Marianne", "Jeep" "Eugénie " et "Ephéméride",

- fait interdiction à LMDE de continuer à fabriquer et à mettre en vente les modèles contrefaisants sous astreinte de 1.000 F par infraction constatée à compter de la signification du jugement,

- ordonné des mesures de confiscation et de destruction.

- condamné LMDE à payer à Bonpoint la somme de 250.000 F à titre de dommages et intérêts et celle de 50.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- ordonné l'exécution provisoire.

LMDE qui a interjeté appel de cette décision le 10 décembre 1998, prie la Cour dans le dernier état de ses écritures de

- infirmer le jugement entrepris,

- annuler la saisie contrefaçon du 7 juillet 1997,

- dire Bonpoint irrecevable à invoquer le bénéfice des Livres 1 et 3 du Code de la propriété intellectuelle,

- dire que les modèles invoqués ne sont pas susceptibles de bénéficier de la protection par le droit d'auteur,

- en tout état de cause, débouter Bonpoint de ses demandes en contrefaçon et en concurrence déloyale,

- dire que Bonpoint a commis à son encontre des actes de concurrence déloyale et la condamner à lui payer la somme de 1.000.000 F à titre de dommages et intérêts

- ordonner des mesures de publication de l'arrêt à intervenir,

- condamner Bonpoint à lui payer la somme de 100.000 F à titre de dommages et intérêts pour saisie contrefaçon et procédure abusives et celle de 50.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile,

Bonpoint poursuit la confirmation du jugement sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande en concurrence déloyale et en ce qui concerne le montant des dommages et intérêts et les mesures de publication. Formant appel incident de ces chefs, elle prie la Cour de condamner LMDE à lui payer en réparation du préjudice par elle subi du fait des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale la somme de 500.000 F, d'ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans six revues de son choix et aux frais de l'appelante dans la limite de 30.000 F par insertion, de condamner LMDE à lui verser pour les frais hors dépens par elle engagés en appel une somme de 50.000 F.

Sur ce, LA COUR

I. Sur la validité de la saisie contrefaçon:

Considérant que LMDE fait valoir que la saisie doit être annulée au motif qu'elle a été effectuée sur le fondement de l'article L. 521-1 du Code de la propriété intellectuelle alors qu'aucun des modèles invoqués par Bonpoint n'a fait l'objet d'un dépôt ;

Considérant que Bonpoint réplique que dans sa requête, elle s'est prévalue des dispositions de la loi du 11 mars 1957, que l'ordonnance a visé par erreur les articles L. 521-1 à L. 521-4 du Code de la propriété intellectuelle alors qu'il y avait lieu de se référer aux articles L. 332-1 à L. 332-4 du Code de la propriété intellectuelle mais que cette irrégularité constitue une erreur matérielle qui n'est pas susceptible d'affecter la validité de l'ordonnance et qui peut être réparée par la juridiction à laquelle la décision est déférée ; qu'elle ajoute qu'il est établi par les pièces de la procédure qu'elle n'a jamais prétendu que ses modèles avaient fait l'objet d'un dépôt et qu'elle n'a revendiqué que le bénéfice de la loi du 11 mars 1957 ;

Considérant ceci exposé que contrairement à ce que soutient Bonpoint ce n'est pas exclusivement l'ordonnance qui vise les articles L. 521-1 à L. 521-4 du Code de la propriété intellectuelle mais la requête présentée au magistrat en vue d'être autorisé à faire pratiquer une saisie contrefaçon ; qu'en effet même si en pages 1 et 2 de la requête Bonpoint indique qu'elle est titulaire des droits d'auteur sur 5 modèles et que "cette œuvre bénéficie de la protection accordée par la loi du 11 mars 1957" elle conclut au 4ème paragraphe de la page 2 que ces faits constituent le délit de contrefaçon prévu et réprimé par le Code de la propriété intellectuelle, notamment en son article L. 521-4 .." et demande ensuite à être autorisée " en conformité des dispositions de l'article L. 521-1 du Code de la propriété intellectuelle à faire procéder, par tout huissier de son choix, à la saisie réelle des modèles argués de contrefaçon" ;

Or considérant que si la contrefaçon d'un modèle peut être constatée et sanctionnée sur le fondement des lois du 14 juillet 1909 (Livre 5 du Code de la propriété intellectuelle) et 11 mars 1957 (Livre 1 et 3 du Code de la propriété intellectuelle) les mesures autorisant une saisie contrefaçon se distinguent par leurs modalités et leur finalité selon qu'il s'agit d'un modèle déposé ou d'une œuvre protégeable par le droit d'auteur ; que notamment lorsque la saisie est pratiquée sur le fondement d'un modèle déposé, le requérant doit se pourvoir soit par la voie civile, soit par la voie correctionnelle dans le délai de quinzaine (à compter de la saisie) faute de quoi la description ou saisie est nulle de plein droit, sans préjudice des dommages et intérêts ;

Considérant que Bonpoint ne saurait prétendre que les visas par elle retenus procèdent d'une erreur simplement matérielle ; que les textes par elle cités relatifs aux erreurs matérielles affectant un jugement ne sont pas susceptibles de recevoir application en l'espèce ;

Considérant que les modèles dont se prévaut Bonpoint n'ayant fait l'objet d'aucun dépôt et celle ci ayant cependant sollicité du juge des requêtes le droit de faire pratiquer une saisie contrefaçon sur le fondement de l'article L. 521-I du Code de la propriété intellectuelle, tout en s'abstenant au surplus de pourvoir devant le tribunal dans le délai de quinzaine (la saisie ayant été pratiquée le 7 juillet 1997 et l'assignation délivrée le 1er août suivant) s'ensuit que la saisie doit être annulée ;

II. Sur la titularité des droits sur les modèles invoqués:

Considérant que LMDE soutient que les documents communiqués par Bonpoint ne permettent pas de rapporter la preuve d'une création déterminée à une date certaine ;

Considérant que Bonpoint invoque cinq modèles dénommés : Jour, Marianne, Eugénie, Ephéméride, Jeep;

Qu'elle rapporte la preuve par des fiches comportant les croquis et noms des modèles, par des ordres de fabrication accompagnés d'un détail des fournitures, des factures des façonniers hongrois ou malgache, des bons de commande de ses clients et franchisés et des factures à eux adressés ainsi que par des photographies originales que

- " Jour " a été fabriqué en Hongrie en décembre 1995 et commercialisé sous son nom à partir de mars 1996 pour la collection été 1996, observation étant faite qu'il est peu vraisemblable dans ces conditions qu'il ait pu être présenté en vitrine en juillet 1995,

- " Mariane " a été présenté dès juillet 1996, fabriqué en Hongrie en décembre 1996 et janvier 1997 et commercialisé sous son nom à partir de janvier 1997 pour la collection été 1997,

- " éphéméride " a été fabriqué en mars 1994 à Madagascar et présenté en juin 1994 dans les vitrines de Bonpoint,

- la fabrication du modèle " Jeep " a été commandée à la société NPJ Limited à " Hongkong " en juillet 1996, la livraison effectuée en novembre 1996 et le modèle manifestement commercialisé pour la saison été 1997 ;

Qu'en l'absence de toute revendication de là ou des personnes physiques qui auraient créé ces quatre modèles, Bonpoint qui justifie les avoir exploités sous son nom à la date de l'assignation, est présumée à l'égard de LMDE être titulaire des droits d'exploitation sur ces modèles et donc recevable à agir en contrefaçon ;

Considérant en revanche, que le croquis présentant pour l'été 1997 un modèle dénommé Eugénie étant très flou quant au dessin des smocks, aucune des photographies datées ne présentant un modèle identique à celui montré à la Cour comme étant la robe Eugénie et les autres documents afférents à ce même modèle n'étant pas plus précis, rien ne permet de déterminer si le modèle produit en original devant la Cour correspond à la robe Eugénie fabriquée à Madagascar en février 1997 ; que Bonpoint ne justifiant pas de la date de création et de commercialisation de ce modèle en France est donc irrecevable à agir en contrefaçon de ce chef;

III. Sur la contrefaçon :

Considérant que pour les motifs exposés ci dessus, il convient de n'apprécier que l'originalité et la contrefaçon des robes dénommées Jour, Mariane, Ephéméride et Jeep;

A. Modèle "Jour"

Considérant que LMDE qui invoque un certain nombre de documents, fait valoir que ce modèle n'est pas original et qu'au surplus le modèle incriminé Gatine n'en constitue pas la contrefaçon;

Considérant que Bonpoint expose que sa robe se caractérise en ce qu'elle comporte un gros grain de même couleur, apposé sur le devant de la robe, du col à la taille, et sur lequel sont cousus des boutons de nacre ; qu'elle ajoute que le modèle Gatine qui a la même forme reproduit ces détails de décoration sur le devant;

Considérant que l'originalité du modèle Jour devant être appréciée à la date de décembre 1995, tous les documents produits par LMDE postérieurs à cette date sont dénués de pertinence ;

Considérant que même si Bonpoint ne revendique pas la protection d'une robe évasée avec des manches ballons, une taille haute froncée, un col Claudine et un noeud dans le dos, il résulte des documents produits et notamment des catalogues Muestras y Motivos de 1984 qu'il était connu de placer sur le devant des robes pour petites filles une patte de boutonnage réalisée dans le même tissu et la même couleur que la robe avec des boutons de nacre à titre décoratif sur le dessus; qu'il n'est pas contesté que le modèle Mariette de LMDE pour l'été 1990 comportait sur le devant une patte de boutonnage garnie de petits boutons; que par ailleurs il était connu dès février 1993 (catalogue Vogue Bambini) d'utiliser sur des robes pour fillettes des bandes de gros grain décoratives ; que dans ces conditions, en concevant d'employer pour une patte de boutonnage décorative du gros grain, Bonpoint n'a pas fait œuvre créatrice et n'a pas marqué son modèle de l'empreinte de sa personnalité ; qu'elle ne peut donc bénéficier d'une protection par le droit d'auteur pour le modèle Jour et qu'en conséquence sa demande en contrefaçon de ce chef sera rejetée ;

B. Modèle "Mariane"

Considérant que LMDE qui invoque un certain nombre de documents, fait valoir que ce modèle n'est pas original et qu'au surplus le modèle incriminé Hollande n'en constitue pas la contrefaçon ;

Considérant que Bonpoint expose que sa robe se caractérise par sa forme trapèze sans manches avec un col Claudine en tissu blanc contrasté avec le reste de la robe;

Considérant que l'originalité du modèle Mariane devant être appréciée à la date de juillet 1996, tous les documents produits par LMDE postérieurs à cette date sont dénués de pertinence ;

Considérant qu'il était connu avant juillet 1996 de placer sur des robes pour fillettes des cols Claudine en tissu blanc contrastant avec la couleur de la robe (Vogue Bambini février 1993 et 1994) et que dès janvier 1996 était publiée dans la revue Moda Bimbi une photographie montrant une fillette avec une robe de forme trapèze sans manches en tissu imprimé avec un col blanc se nouant par deux pointes ; que par ailleurs des robes de forme trapèze sans manches pour petites filles avaient été commercialisées par la société italienne Simonetta dès mars avril 1996 ;

Considérant que même si le mérite de la création n'est pas un critère de la protection et même si aucun de ces documents ne montre une robe reproduisant toutes les caractéristiques du modèle Mariane, il demeure qu'en se limitant à associer un col Claudine blanc connu depuis de longues années pour égayer les robes de petites filles à une robe de forme trapèze sans manches, également connue, Bonpoint n'a pas marqué son modèle de l'empreinte de sa personnalité et ne lui a pas conféré un caractère original permettant de le distinguer d'autres modèles appartenant au même style; que le jugement doit donc être réformé en ce qu'il a dit que ce modèle bénéficie de la protection de la loi du 11 mars 1957 aujourd'hui codifiée sous les articles L 111-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle ; qu'il s'ensuit que l'intimée sera également déboutée de sa demande en contrefaçon de ce chef;

3. Modèle Ephéméride

Considérant que LMDE qui invoque un certain nombre de documents, fait valoir que ce modèle n'est pas original et qu'au surplus le modèle incriminé Hyacinthe n'en constitue pas la contrefaçon;

Considérant que Bonpoint expose que sa robe se caractérise en ce qu'elle comporte les éléments décoratifs suivants : emmanchures "raglan" bordées d'un petit volant plissé du même coloris que la robe de même que l'encolure, smocks à motif de guirlandes de roses sur le devant ;

Considérant que l'originalité du modèle Ephéméride devant être appréciée à la date de mars 1994, tous les documents produits par LMDE postérieurs à cette date sont dénués de pertinence ;

Considérant que si LMDE communique plusieurs catalogues reproduisant des broderies pour smocks, aucun de ceux ci ne montre des motifs identiques à ceux ornant le modèle Ephéméride ; que le modèle Sybille de LMDE dont la date de création n'est pas établie présente un décolleté en carré dépourvu de volant ; que par ailleurs les modèles de robes à smocks photographiés dans les revues Muestras y Motivas ainsi que dans le catalogue Poème de la société ADC présentent soit des manches ballons et un col Claudine ou volanté soit des petites manches à volants et un large col volanté souvent en dentelles venant se poser à plat sur le devant de la robe ;

Qu'en concevant de doter les emmanchures et l'encolure de sa robe (dépourvue de manches) d'un très fin volant plissé du même ton et dans le même tissu que la robe et de décorer les smocks d'une guirlande de petites roses formant deux V aplatis, Bonpoint a conféré à son modèle une physionomie propre, permettant de le distinguer d'autres robes à smocks et reflétant la personnalité de son auteur ; que le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a dit que ce modèle était original ;

Mais considérant que le modèle incriminé Hyacinthe ne reproduit pas les caractéristiques susvisées ; que le seul fait de choisir comme thème de broderie des petites roses ne suffit pas à rendre ce modèle contrefaisant dès lors, d'une part, que la forme de la guirlande n'est pas la même (les roses étant beaucoup plus espacées, les feuilles plus nombreuses et le dessin formant 3 petits ronds dans le bas et 4 petits V dans le haut) et d'autre part, que la robe comporte des petites manches avec un volant plissé et le col une petite collerette fixée par un biais et venant se poser à plat sur le devant de la robe ; que ces éléments confèrent au modèle Hyacinthe une physionomie d'ensemble entièrement distincte de celle du modèle Ephéméride ; que le jugement doit donc être infirmé en ce qu'il a condamné LMDE pour contrefaçon de ce modèle ;

4. Modèle Jeep

Considérant que LMDE qui invoque un certain nombre de documents, fait valoir que ce modèle n'est pas original et qu'au surplus le modèle incrimine Hélène n'en constitue pas la contrefaçon ;

Considérant que Bonpoint expose que son modèle se caractérise en ce qu'il s'agit d'une robe salopette, forme trapèze, en toile écrue, avec une large poche sur le devant et deux poches plaquées à l'arrière et une couture dans le dos ;

Considérant que l'originalité du modèle Jeep devant être appréciée à la date de juillet 1996, tous les documents produits par LMDE postérieurs à cette date sont dénués de pertinence ;

Considérant que dès les années 1970 la société Molli commercialisait des robes salopette se fermant sur les épaules par des boutons, en forme de trapèze avec deux petites poches sur le devant ; que dans le numéro de janvier-février 1993 de Vogue Bambini sont photographiées aux pages 218, 219 et 220 deux robes salopettes dotées de poches sur le devant ainsi que dans le dos pour la seconde ; que dans le numéro de septembre-octobre 1995 de la même revue est présentée en pages 202 et 203 une robe salopette en toile, en forme de trapèze, avec deux poches droites plaquées sur le devant et se fermant sur les épaules par des crochets; que dans la revue Moda Bimbi de janvier 1996 est également photographiée en page 41 une robe salopette de forme trapézoïdale avec deux poches en biais sur le devant et se fermant par un bouton sur chaque côté ;

Considérant qu'il résulte de ces éléments que Bonpoint ne saurait revendiquer un droit privatif sur une robe salopette en forme de trapèze ; que le seul fait d'avoir placé sur le devant une grande poche unique au lieu de 2 petites poches sur le côté ou sur le devant, ne suffit pas à conférer à son modèle un caractère original permettant de le distinguer des autres modèles de robes salopettes existant déjà sur le marché ; que le choix d'une toile écrue pour confectionner une robe salopette ne constitue pas une caractéristique protégeable par le droit d'auteur dès lors que ce matériau ne donne pas un aspect ornemental ou décoratif à la robe ; qu'au surplus, il convient de relever d'une part, que pour l'été 1997 (saison pour laquelle a été créé le modèle Jeep selon la fiche produite par Bonpoint) la robe salopette avec une ou plusieurs poches sur le devant était largement commercialisée par d'autres entreprises et correspondait à un phénomène de mode pour petites filles, d'autre part que sur la robe incriminée les poches ne sont pas disposées de manière identique (deux petites poches sur le devant et une petite poche à l'arrière placée sur le côté);

Que le jugement doit donc être infirmé en ce qu'il a dit que le modèle Jeep bénéficiait de la protection par le droit d'auteur et était contrefait par la robe Hélène;

IV. Sur la concurrence déloyale

Considérant que Bonpoint fait grief à LMDE de s'être inspirée très largement de ses idées, thèmes et modèles, d'avoir ouvert des boutiques à proximité des siennes, d'avoir repris la même décoration pour ses vitrines à l'occasion des soldes de janvier et enfin de commercialiser ses produits à un prix inférieur ;

Considérant que les photographies mises aux débats révèlent que pour les soldes tant LMDE que Bonpoint ont mis en vitrine 6 mannequins portant des robes blanches, les lettres du mot Soldes étant inscrites en rouge sur chacune des robes; que l'attestation de Monsieur Beaugrand étalagiste n'étant confortée par aucune facture d'août 1995 et la photographie de la vitrine Bonpoint portant la date de juillet 1997 alors que celle du magasin LMDE est datée d'octobre 1997 (les photographies étant communiquées par LMDE) l'intimée justifie avoir l'antériorité d'une telle présentation ; qu'il s'ensuit qu'en reprenant à l'identique la décoration adoptée par Bonpoint pour annoncer ses soldes, LMDE a eu un comportement fautif constitutif de concurrence déloyale;

Considérant en revanche que le fait de s'implanter à proximité d'un concurrent et de vendre des articles similaires à moindre prix correspond au jeu normal de la libre concurrence et n'est pas fautif, observation étant faite au surplus que le modèle "Mariane" de Bonpoint était proposé à la vente dans le catalogue de la Redoute Printemps/Eté 1998 au prix de 199 F et dans les boutiques Bonpoint au prix de 375 F alors que LMDE vendait son modèle Hollande au prix de 475 F ; que de même LMDE commercialisait la robe Hélène à un prix supérieur à Bonpoint (les chiffres indiqués par LMDE sur la pièce 68 n'étant pas contestés);

Considérant enfin que la reprise d'idées ou de thèmes au surplus à la mode n'est pas en elle-même fautive;

Considérant dans ces conditions que le préjudice subi par Bonpoint du fait de la seule reprise d'une décoration de vitrine sera réparé par le versement d'une somme de 20.000 F;

V. Sur les demandes de LMDE :

Considérant que LMDE fait valoir que Bonpoint a commis des actes de concurrence déloyale à son encontre en commercialisant une copie servile d'un modèle de paletot pour bébé dont elle a acquis la propriété de la société Molli et en faisant usage du nom "Molli" pour désigner ce paletot ;

Considérant que Bonpoint ne conteste pas vendre une copie servile du paletot dont se prévaut LMDE mais soutient que :

- pendant près de 20 ans elle a acheté à la société Ruegger des articles en maille Molli réalisés par un sous traitant la société Frilo et qu'en accord avec Ruegger ces articles étaient griffés Bonpoint,

- en 1992 le représentant de la société Molli en France, Monsieur Migault lui a indiqué que Ruegger avait fait faillite et que la fabrication des vêtements "Molli" serait poursuivie par Frilo avec laquelle elle a continué à travailler,

- "elle ne saurait se voir reprocher la mise en vente de copies serviles du modèle paletot pour bébé de la marque Molli dès lors que son fournisseur, Frilo qui fabrique et commercialise ce modèle, n'a pas été condamné pour copie servile du modèle Molli, encore moins pour contrefaçon, par l'arrêt de la Cour d'appel de Versailles du 24 avril 1997, communiqué par la défenderesse"

- les attestations produites par LMDE n'établissent nullement que Bonpoint chercherait à créer une confusion entre ses articles et ceux vendus par LMDE sous la marque Molli ;

Considérant ceci exposé qu'il résulte des pièces mises aux débats que :

- par contrat en date du 17 juillet 1992 Ruegger ( suite à sa cessation d'activité) a vendu à Mavor en particulier la totalité de son stock, certaines machines, certains éléments du mobilier, les droits sur la marque Molli,

- Mavor a revendu le 21 octobre suivant à Monsieur Larpin les droits sur la marque et celui ci a également acquis (article 6 du contrat) "tout ce qui existe en matière de modèles, dessins et croquis, listes d'adresses de clients, vieux catalogues et tout ce qui peut être utile à la reconstitution d'un marché de la marque"

-Monsieur Larpin a cédé à la société Molli SA le 6 septembre 1993 "tous les droits, bénéfices et obligations découlant du contrat du 21 octobre 1992"

- par acte du 9 avril 1996, la société Molli SA a vendu son fonds de commerce à LMDE

- par contrat en date du 16 décembre 1997 la société Molli a cédé à LMDE ses droits sur la marque internationale Molli déposée le 23 mars 1966, renouvelée et désignant la France ainsi que ses droits patrimoniaux et extra patrimoniaux sur des modèles anciennement exploités par la société Ruegger sous la marque Molli dont deux modèles 3135 (correspondants à ceux objet du présent litige) étant précisé que ceux ci n'avaient fait l'objet d'aucun dépôt

- ce contrat a été inscrit à l'OMPI le 3 décembre 1999 en ce qui concerne la marque Molli,

Considérant qu'il résulte de ces différents actes que les modèles de paletot Molli ont été commercialisés avant 1991 par Ruegger, puis par Molli SA jusqu'à 1997 et ensuite par LMDE, laquelle a au surplus acquis les droits sur la marque internationale Molli en ce qu'elle désigne notamment la France ;

Considérant qu'il est constant, que le paletot fabriqué par Frilo et vendu par elle sous sa marque à compter d'octobre 1993 constitue la copie servile du modèle 3135 ; que Bonpoint ne conteste pas en avoir acquis auprès de cette société ;

Considérant que Bonpoint ne saurait pour échapper au grief de concurrence déloyale se prévaloir de l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Versailles le 24 avril 1997 dès lors que, ni LMDE, ni Bonpoint n'étaient parties à ce litige, que depuis cette date LMDE a acquis les modèles de Ruegger dont le paletot en cause et que, dans cette précédente procédure, il n'était pas reproché aux défendeurs de commercialiser un paletot reproduisant celui référencé 3135 que l'intimée qui pendant de nombreuses années avait acheté le modèle 3135 à Ruegger, qui se l'était vu proposer en mars 1994 par Molli SA et qui en tant que professionnel de la mode enfantine savait manifestement que les produits marqués Molli (dont le paletot 3135) continuaient à être proposés à la vente et vendus en France par Molli SA puis par LMDE, a eu un comportement contraire aux usages loyaux du commerce en commandant à Froli et en vendant sous sa marque un paletot en tous points identique à celui référencé 3135 (forme, dimensions, couleurs, maille, boutons, doublage), que le jugement sera donc infirmé de ce chef ;

Considérant en revanche, que s'il résulte de plusieurs attestations de clientes et de factures que Bonpoint en 1996 a fait usage du nom "Molli" pour désigner des articles de layette laissant croire faussement aux acheteuses qu il s'agissait d'articles de marque "Molli" alors qu'ils émanaient de Frilo. LMDE ne peut en faire grief à Bonpoint compte tenu de ce qu'elle n'a acquis les modèles de Molli SA et la marque Molli qu'en décembre 1997 et que la cession de la marque n'a été inscrite qu'en décembre 1999 ;

Considérant que si la layette Molli bénéficie d'une notoriété certaine et si le comportement de Bonpoint a eu nécessairement pour effet de détourner une partie de la clientèle de LMDE, il demeure que l'appelante n'a commercialisé le paletot en cause qu'à compter de 1997 et ne fournit aucun élément comptable permettant de déterminer son chiffre d'affaires dans ce secteur ; que dans ces conditions et sans qu'il soit besoin de recourir à une mesure d'expertise, son préjudice sera réparé par le versement d'une somme de 300.000 F; qu'il sera également fait droit aux mesures de publication dans les conditions précisées au dispositif ;

Considérant enfin, que LMDE soutient que la procédure de saisie contrefaçon lui a causé un préjudice qu'elle évalue à la somme de 100.000 F;

Mais considérant que la preuve n'est pas rapportée que la saisie a généré un trouble dans les activités de LMDE, que l'huissier n'a saisi que deux exemplaires de chacun des modèles invoqués par Bonpoint et qu'il n'est pas contesté que la saisie a été effectuée le dernier jour du salon de la mode enfantine ; que LMDE sera en conséquence déboutée de sa demande en paiement de dommages et intérêts de ce chef;

VI. Sur l'article 700 du nouveau code de procédure civile

Considérant que Bonpoint qui succombe pour l'essentiel sera déboutée de sa demande sur ce point; qu'en revanche l'équité commande d'allouer à LMDE la somme de 40.000 F.

Par ces motifs, infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, prononce la nullité de la saisie contrefaçon du 7 juillet 1997, dit que la société Bonpoint est irrecevable à agir en contrefaçon du modèle Eugénie, dit que les modèles de Bonpoint dénommés Jour, Mariane et Jeep ne sont pas susceptibles de bénéficier de la protection des Livres 1 et 3 du Code de la propriété intellectuelle, dit que le modèle Ephéméride bénéficie d'une telle protection, déboute la société Bonpoint de sa demande en contrefaçon du modèle Ephéméride, dit que la société LMDE a commis un acte de concurrence déloyale à l'encontre de la société Bonpoint en reprenant pour présenter ses soldes la même décoration de vitrine et la condamne à lui payer la somme de 20.000 F à titre de dommages et intérêts, dit que la société Bonpoint a commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société LMDE en commercialisant une copie servile du modèle de paletot de la marque Molli et la condamne à lui payer la somme de 300.000 F à titre de dommages et intérêts, autorise la société LMDE à faire publier le dispositif du présent arrêt dans trois revues de son choix et aux frais de la société Bonpoint à concurrence de 25.000 F HT par insertion, déboute les parties du surplus de leurs demandes, condamne la société Bonpoint à payer à la société LMDE la somme de 40.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile, la condamne aux dépens de première instance et d'appel, admet la SCP Duboscq et Pellerin au bénéfice de l'article 699 du NCPC.