CA Paris, 4e ch. B, 12 mai 2000, n° 1998-02816
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Gosteaux, D'Anton Jos SL (Sté), Lohrmann
Défendeur :
Consortium Ménager Parisien (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Boval
Conseillers :
Mmes Mandel, Regniez
Avoués :
SCP Jobin, SCP Bernabe Jardin Cheviller
Avocats :
Mes Boutron, Bensimhon.
LA COUR statue sur l'appel interjeté par M. Gosteaux exerçant sous l'enseigne DG Import, la société D'Anton Jos SL et M. Lohrmann à l'encontre d'un jugement du 18 novembre 1997 rendu par le tribunal de grande instance de Bobigny dans un litige les opposant à la société Consortium Ménager Parisien (CMP).
Référence étant faite au jugement entrepris pour l'exposé des faits, de la procédure et des moyens antérieurs des parties, il suffît de rappeler les éléments essentiels suivants.
La société D'Anton Jos, société espagnole, fabrique et commercialise des poupées reproduisant des visages d'enfant caractérisés par des mimiques très expressives (enfants boudeur, très souriant, pleurant, criant....).
Elle se prévaut de modèles déposés à l'OMPI (visant la France), en date des 29 décembre 1993 et 14 octobre 1994 DM75871 et DM75982 au nom respectivement de Monsieur Boix Masmitja et de Madame Castaneda Garcia dont elle a acquis la propriété par acte notarié du 20 juillet 1995 et d'une licence exclusive pour la fabrication et la commercialisation de poupées déposées à titre de modèles, également à l'OMPI, les 23 juillet 1992 et 30 juillet 1993 sous les références DM023426 et DM026842, consentie, le 19 octobre 1995, par M. Lohrmann, créateur des poupées déposées.
La société D'Anton Jos a autorisé M. Gosteaux à distribuer ces jouets en France.
Une saisie contrefaçon a été pratiquée le 27 janvier 1996, au salon du jouet à Villepinte, sur le stand d'exposition de la société CMP, par le commissaire de police requis par M. Gosteaux "mandaté par D'Anton Jos", sur le fondement de l'article L. 332-1 du Code de la Propriété intellectuelle. Dix poupées ont au cours de ces opérations de saisie été placées sous scellés.
M. Lohrmann, la société D'Anton et M. Gosteaux ont fait citer par acte du 26 février 1996 la société CMP devant le tribunal de grande instance de Bobigny sur le fondement de la contrefaçon et de la concurrence déloyale pour obtenir, outre des mesures de confiscation des stocks et des recettes, paiement de dommages et intérêts.
CMP avait conclu à la nullité de la saisie contrefaçon ainsi qu'au rejet de toutes les demandes et avait sollicité paiement de la somme de 15.000 francs par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par le jugement déféré, le tribunal a
- rejeté la demande en nullité de la saisie contrefaçon.
- relevé que la preuve de la contrefaçon alléguée n'était pas rapportée, les scellés n'ayant pu être produits et la poupée versée aux débats présentée dans une boîte ouverte ne pouvant suffire à établir la preuve de la contrefaçon imputable à CMP.
- débouté la société D'Anton Jos M. Gosteaux et M. Lohrmann de leurs demandes.
- rejeté toute autre demande.
Appelants de ce jugement, D'Anton, M. Gosteaux et M. Lohrmann en poursuivent l'infirmation sauf en ce que la saisie contrefaçon a été déclarée valable. Dans leurs dernières écritures du 23 mars 2000, ils demandent, au vu notamment d'un constat d'achat effectué par huissier le 9 février 1999 de :
- constater que CMP s'est rendue coupable du délit de contrefaçon au sens des articles L. 335-2 et suivants. L. 521-1 et suivants, et L. 713-2 du Code de la Propriété Intellectuelle,
- ordonner la confiscation de tous les stocks de poupées contrefaisantes existant chez CMP en son siège social, en ses établissements secondaires, sous-traitants, détaillants.
- ordonner la confiscation de toutes recettes réalisées par CMP et provenant de la contrefaçon, ce pour les indemniser du préjudice subi,
- condamner CMP au paiement des sommes provisionnelles suivantes :
-- à D'Anton Jos:
la somme de 400.000 francs sur le fondement de la concurrence déloyale, la somme de 1.200.000 francs sur le fondement de la contrefaçon,
-- à M. Gosteaux:
la somme de 250.000 francs sur le fondement de la concurrence déloyale, celle de 250.000 francs sur le fondement de la contrefaçon,
-- à M. Lohrmann, celle de 250.000 francs sur le fondement de la contrefaçon,
- ordonner une mesure d'expertise,
- condamner CMP à payer à chacun d'eux la somme de 50.000 francs par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
CMP, par écritures du 16 mars 2000, réitère sa demande en nullité de la saisie contrefaçon, y ajoutant, conclut à "la nullité de la saisie contrefaçon pratiquée le 9 février 1999", conclut pour le surplus à la confirmation du jugement et ajoutant, sollicite la condamnation de ses adversaires au paiement de la somme de 50.000 francs à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de celle de 25.000 francs par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Sur ce, LA COUR :
Sur la saisie contrefaçon du 27 janvier 1996
Considérant que selon CMP, cette saisie doit être annulée dès lors qu'elle a été pratiquée sans ordonnance du président du tribunal de grande instance et qu'elle n'a pas été suivie d'une saisine du juge du fond dans le délai de 15 jours ;
Mais considérant que la Cour ne peut que confirmer le jugement en ce qu'il a repoussé cette prétention ; qu'en effet, la saisie contrefaçon a été effectuée en application de l'article L. 332-1 du Code de la propriété intellectuelle qui permet une saisie sur requête du commissaire de police, sans que soit nécessaire une autorisation préalable du juge ; que par ailleurs, le défaut d'assignation dans le délai de quinzaine du procès-verbal de la saisie ne peut être invoqué dès lors qu'aux tenues de l'article L. 332-2 applicable, aucune sanction n'est précisée, le non respect du délai de 30 jours seul prévu par ce texte permettant seulement au saisi ou au tiers saisi d'obtenir la mainlevée de la saisie ou son aménagement que le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu la validité du procès-verbal de saisie-contrefaçon;
Sur la "saisie" du 9 février 1999
Considérant que CMP ne saurait être davantage suivie en sa demande en nullité de ce procès-verbal qui est un constat d'achat effectué par huissier pour rapporter la preuve d'actes de contrefaçon mais pour lequel aucun texte ne prévoit la nécessité d'une saisine au fond du juge ; que cette demande sera également rejetée;
Sur le fond
Sur les éléments de preuve
Considérant que les premiers juges ont estimé qu'il n'existait en l'absence de production des scellés aucun document de nature à établir la contrefaçon et les actes de concurrence déloyale invoqués à l'encontre de CMP ;
Considérant que les appelants, en appel, soutiennent que les premiers juges ont à tort écarté, comme élément de preuve une boîte, sur laquelle était apposée une étiquette au nom de CMP, contenant une poupée arguée de contrefaçon ; qu'ils invoquent également le scellé comprenant deux poupées acquises à Lourdes, le 9 février 1999 dans le magasin Loyola Jeunesse Catholique par M. Gosteaux accompagné de Maître Lalanne, huissier ainsi que la facture d'achat n° 32 sur laquelle figure la mention :"2 poupons CMP Emotions" et des factures n° 95 2567 et 95 2977 des 15 et 29 mai 1995 émises par CMP au nom du magasin Loyola Jeunesse Catholique ;
Considérant que l'intimée réitère que les appelants ne rapportent pas la preuve de l'existence d'actes de contrefaçon en l'absence de preuve matérielle de ce qu'elle serait l'auteur de tels actes, le constat en date du 9 février 1999 n'apportant pas davantage la preuve de ce qu'elle aurait commercialisé en France ces poupées ;
Considérant cela exposé qu'en premier lieu, la Cour ne peut que confirmer le jugement en ce qu'il a été retenu que
- en l'absence de production des scellés objet de la saisie contrefaçon, il n'existait aucun élément de preuve de contrefaçon.
- la poupée produite dans une boîte ouverte ne pouvait constituer une preuve de ce qu'elle était commercialisée par CMP, dans la mesure où rien ne permettait de dire avec certitude si l'étiquette apposée sur la boîte l'avait été par CMP ;
Qu'en effet, d'une part, il est constant que les scellés d'origine qui étaient entre les mains du commissaire de police ont été égarés, d'autre part, aucun élément ne permet d'authentifier de manière sûre que l'étiquette apposée sur la boîte présentée ouverte au tribunal et portant le sigle CMP aurait été relative à la poupée arguée de contrefaçon ;
Considérant en second lieu qu'en appel, il résulte du procès verbal de constat en date du 9 février 1999 que deux poupées ont été acquises dans un magasin à Lourdes et qu'ont été versées aux débats des factures en date des 15 et 29 mai 1995 démontrant que ces produits avaient été commandés auprès de CMP ; que les poupées saisies dans des conditions qui ne sont pas critiquables sont des éléments de preuve de nature à justifier les demandes formées par les appelantes ; que CMP, au regard des factures mises aux débats, ne peut prétendre sérieusement n'avoir joué aucun rôle dans la commercialisation des poupées ; qu'il convient en conséquence d'analyser le bien fondé des demandes formées par les appelants, au regard de ces deux seules poupées saisies, CMP faisant par ailleurs valoir exactement que ses adversaires ne sauraient prétendre avoir des droits sur le genre constitué par des poupées comportant des expressions réalistes ;
Considérant qu'il est en outre produit un catalogue émanant d'une entreprise espagnole Nines d'Onil, (qui fabrique les poupées en litige), sur lequel sont présentées plusieurs poupées qui, selon les appelants, seraient la contrefaçon des modèles déposés ; que toutefois, il ne peut être tiré de ce catalogue aucun élément de preuve à l'encontre de CMP dont le nom n'apparaît à aucun moment sur le document produit ;
Sur la contrefaçon
Considérant que les appelants exposent que les deux poupées objet du constat du 9 février 1999 représentent un petit garçon avec un doigt dans le nez et un petit garçon avec la bouche ouverte qui seraient la contrefaçon des modèles 3-2 et 5-2 déposés à l'OMPI le 29 décembre 1993 sous la référence DM/75871 ;
Considérant que les modèles ainsi invoqués déposés par M. Boix Masmitja représentent des dessins de visage d'enfant et non pas des poupées entières : que ce modèle a été cédé à D'Anton Jos par acte notarié en date du 20 juillet 1995 ;
Considérant que M. Lohrmann titulaire d'autres modèles qui ne sont pas en cause sera déclaré mal fondé dans ses demandes ;
Considérant que CMP oppose que ces poupées seraient dénuées de nouveauté et d'originalité, ce "genre de poupées étant fabriqué et réalisé depuis environ une dizaine d'années" ; qu'elle entend rapporter cette preuve par différents catalogues mis aux débats ;
Mais considérant que les divers documents mis aux débats ou bien ne comportent aucune date ou bien comportent une date de 1996, postérieure au dépôt invoqué; qu'ils ne sont en conséquence aucunement pertinents pour détruire sa nouveauté; qu'il n'est pas davantage apporté d'éléments pour contester le caractère original sur le fondement du livre 1 du CPI (étant au surplus relevé qu'il n'est développé par D'Anton aucun moyen sur les droits d'auteur) ;
Considérant qu'il résulte de la comparaison entre les poupées saisies et les modèles :
- que les caractéristiques du modèle 3-2 (poupée représentée bouche ouverte avec deux dents sur la mâchoire inférieure et même emplacement des rides sous les yeux) se retrouvent à l'identique dans une des deux poupées saisies,
- qu'au contraire, les caractéristiques du modèle 5-2 (poupée avec le doigt dans le nez, fortes ridules autour de la narine, rides sous les yeux) ne se retrouvent aucunement dans l'autre poupée qui, d'une part n'a pas le doigt dans le nez, qui d'autre part, présente des joues proéminentes, un nez épaté et un visage très irrégulier qui n'est pas celui du modèle déposé ;
Qu'il s'ensuit que seule la poupée aux traits réguliers constitue la contrefaçon du modèle 3-2 susvisé :
Considérant que CMP ne saurait échapper à sa responsabilité, en prétendant n'être qu'importateur et passer des commandes "en bloc" sans savoir quel sera le visage exact des poupées livrées, alors qu'elle est une professionnelle avertie, que les actes d'importation sont constitutifs de contrefaçon et qu'elle ne peut sérieusement contester avoir vendu la poupée en cause, comme le démontrent les factures mises aux débats, au magasin situé à Lourdes ; que sa responsabilité sera en conséquence retenue dans les actes de contrefaçon du modèle 3-2 du dépôt DM 75871 susvisé à l'égard de D'Anton ; qu'en revanche, M. Gosteaux n'est pas fondé en sa demande en contrefaçon, ne justifiant pas détenir des droits de propriété incorporelle sur les poupées litigieuses ;
- sur la suppression de marque D'Anton Jos
Considérant qu'en appel, D'Anton Jos invoque également les dispositions de l'article L. 713-2 du CPI, faisant observer que sur la nuque d'une des poupées acquises en 1999, existe à la place de sa marque, la dénomination Nines D'Onil et sur l'autre la marque a été supprimée ;
Mais considérant que D'Anton Jos ne saurait être suivie en cette demande dès lors qu'elle ne justifie nullement être titulaire de droit de marque sur le territoire français. n'ayant pas versé aux débats de certificat d'enregistrement de marque ;
Sur la concurrence déloyale
Considérant que, selon les appelants, les poupées commercialisées par CMP sont la copie servile par surmoulage de celles qu'ils commercialisent ; qu'ils soutiennent encore que les prix auxquels son adversaire propose les poupées étaient beaucoup plus faibles que les leurs (35 et 49,50 francs au lieu de 178 francs HT) et que ces actes constituent des agissements déloyaux non seulement à l'encontre de M. Gosteaux distributeur en France, mais également à l'encontre de la société D'Anton Jos qui les fabrique ;
Considérant qu'il convient de relever que si D'Anton Jos prétend que la comparaison entre les poupées présentées à la Cour, fabriquées par elle et celles objet du constat du 9 février 1999 démontrerait qu'il s'agit de surmoulage, (les dimensions se superposant, les expressions des mains et des pieds étant identiques et des signes ayant été effacés), aucun document ne prouve que de telles poupées auraient été mises sur le marché antérieurement à leur date d'acquisition par le magasin de Lourdes, c'est à dire mai 1995 ; qu'il n'existe pas d'élément supplémentaire distinct de ceux déjà retenus au titre de la contrefaçon qui serait de nature à fonder l'action en concurrence déloyale au préjudice de D'Anton Jos ;
Considérant que la commercialisation d'objets contrefaisants constitue à l'égard du distributeur exclusif des actes de concurrence déloyale;qu'il convient sur ce point de faire droit à la demande formée par M. Gosteaux en ce qu'elle porte sur la commercialisation de poupées reproduisant le modèle susvisé, retenu comme étant contrefaisant ;
Considérant qu'ainsi, compte tenu des motifs ci-dessus exposés, même si le dommage subi par les appelants ne saurait avoir l'importance alléguée par eux, les intéressés justifient néanmoins avoir éprouvé un préjudice certain ; qu'eu égard à l'ensemble des circonstances de la cause, la Cour a des éléments suffisants pour fixer, sans qu'il soit nécessaire de recourir à une mesure d'expertise, à la somme de 50.000 francs les dommages et intérêts dus à D'Anton au titre de la contrefaçon du modèle et à celle de 50.000 francs le montant des dommages et intérêts dus à M. Gosteaux au titre de la concurrence déloyale ;
Considérant que la demande de confiscation de recettes n'est pas justifiée : qu'il convient toutefois d'ordonner la confiscation du stock de poupées contrefaisantes dans les termes du dispositif ci-dessous énoncé ;
Considérant que l'équité commande d'allouer à la société D'Anton et à M. Gosteaux la somme de 10.000 francs pour chacun d'eux au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Par ces motifs : Vu les documents versés aux débats en appel, réforme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a rejeté la demande en nullité du procès-verbal de saisie contrefaçon du 27 janvier 1996 ; statuant à nouveau et ajoutant, dit que la société Consortium Ménager Parisien a commis des actes de contrefaçon en important et commercialisant une poupée qui est la contrefaçon du modèle 3-2 déposé à l'OMPI sous le n° DM/75871 dont est titulaire la société D'Anton Jos et des actes de concurrence déloyale à l'égard de M. Gosteaux ; ordonne la confiscation des exemplaires de la poupée litigieuse se trouvant en stock dans les locaux de la société Consortium Ménager Parisien ou dans tous lieux sous son contrôle ; condamne la société Consortium Ménager Parisien à payer à titre de dommages et intérêts : - à la société D'Anton Jos la somme de 50.000 francs, - à M. Gosteaux, celle de 50.000 francs, la condamne à payer à chacun d'eux la somme de 10.000 francs par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; rejette toute autre demande, condamne la société Consortium Ménager Parisien aux entiers dépens, autorise la SCP Jobin avoué, à recouvrer les dépens d'appel selon les dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.