CA Paris, 4e ch. B, 5 mai 2000, n° 1997-20938
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Parfums Guy Laroche (SA)
Défendeur :
SDVP Parfums Majesty (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Boval
Conseillers :
Mmes Mandel, Regniez
Avoués :
SCP Teytaud, Me Olivier
Avocats :
Mes Mendras, Casalonga.
LA COUR statue sur l'appel interjeté par la société Parfums Guy Laroche d'un jugement rendu le 4 juillet 1997 par le Tribunal de grande instance de Paris dans un litige l'opposant à la société Distribution Via Paris SDVP Parfums Majesty.
Parfums Guy Laroche est titulaire des deux marques complexes suivantes:
- la marque Drakkar Noir déposée le 21 décembre 1989 sous le n° 1.566.513 pour désigner des produits de la classe 3 et notamment des parfums; cette marque déposée en couleurs est décrite comme suite dans le dépôt: "Sur un fond de couleur noir mat agrémenté sur toute sa surface d'une succession de points ronds en relief et de même couleur, apparaît un rectangle de couleur noir brillant - dont tous les côtés sont surmontés par une ligne de couleur gris clair - au centre duquel se trouve la dénomination Drakkar Noir en lettres blanche. Ledit rectangle semble sous-tendu par une ligne diagonale de couleur rouge dont on ne voit, en arrière du rectangle précité, que les extrémités supérieure et inférieure"; elle est représentée ci-dessous:
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- la marque Drakkar Noir déposée le 8 février 1990 et enregistrée sous le n° 1.574.574 pour désigner des produits de la classe 3, notamment des parfums; cette marque constituée par la représentation d'un flacon de parfum de couleur sombre sur lequel apparaît la dénomination Drakkar Noir en lettres blanches sur deux lignes est représentée ci-après:
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Parfums Guy Laroche a constaté que Via Paris commercialisait un parfum pour homme sous la dénomination Dragon Noir dans des flacons comportant une combinaison de couleurs noir mat et noir brillant et dans des emballages comportant une combinaison des couleurs noir et rouge. Via Paris avait déposé le 2 décembre 1994 pour désigner notamment des parfums la marque Dragon Noir enregistrée sous le n° 94 547 482 ci-dessous représentée:
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Estimant que Via Paris contrefaisait sa marque et commettait à son préjudice des actes de concurrence déloyale dans la mesure où selon elle, la fragrance de Dragon Noir était la reproduction de celle de Drakkar Noir, Parfums Guy Laroche l'avait faite assigner en contrefaçon et concurrence déloyale devant le Tribunal de grande instance de Paris par acte du 10 octobre 1996. Outre les mesures habituelles d'interdiction sous astreinte, de confiscation et de publication, elle demandait l'annulation de la marque Dragon Noir et réclamait que son adversaire soit condamnée à lui payer la somme de 500 000 F à titre de provision à valoir sur ses dommages-intérêts à déterminer par voie d'expertise.
Via Paris avait conclu au débouté et réclamé que Parfums Guy Laroche soit condamnée à lui payer la somme de 500 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive.
Par son jugement du 4 juillet 1997, le tribunal, qui a retenu le grief de contrefaçon de marques mais rejeté celui de concurrence déloyale, a:
- dit que Via Paris en déposant la marque Dragon Noir et en commercialisant des produits de parfumerie sous cette marque a commis des actes de contrefaçon des marques Drakkar Noir n° 1 566 513 et 1 574 574 appartenant à Parfums Guy Laroche,
- interdit à Via Paris de poursuivre ces agissements sous astreinte de 1 000 F par infraction constatée à compter de la signification du jugement,
- prononcé la nullité de la marque Dragon Noir,
- ordonné de ce chef la transmission du jugement à l'INPI pour transcription au Registre National des Marques,
- condamné la société Via Paris à payer à la société Parfums Guy Laroche une somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts,
- autorisé Parfums Guy Laroche à faire procéder à trois mesures de publication aux frais de son adversaire et dans la limite d'un coût total de 60 000 F HT,
- débouté Parfums Guy Laroche du surplus de ses demandes et Via Paris de sa demande reconventionnelle,
- ordonné l'exécution provisoire du chef de la mesure d'interdiction,
- condamné Via Paris au paiement d'une indemnité de 12 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Suivant déclaration en date du 3 septembre 1997, Parfums Guy Laroche a interjeté contre ce jugement un appel limité d'une part au montant des condamnations prononcées sur la demande en contrefaçon de marques et, d'autre part, aux dispositions du jugement ayant rejeté ses demandes sur le fondement de la concurrence déloyale.
Aux termes de ses dernières écritures Parfums Guy Laroche prie la cour de:
- confirmer les dispositions du jugement ayant accueilli dans son principe l'action en contrefaçon de marques formée par la société Parfums Guy Laroche, à l'encontre de la société Via Paris,
- Infirmer ledit jugement en ce qu'il a rejeté les demandes formées par la société Parfums Guy Laroche, à l'encontre de la société Via Paris,
- Infirmer ledit Jugement en ce qu'il a rejeté les demandes formées par la société Parfums Guy Laroche sur le fondement des principes en matière de concurrence déloyale et parasitaire,
- Constater qu'en commercialisant, sous la dénomination Dragon Noir, un parfum dont la fragrance copie servilement ou quasi-servilement celle du parfum Drakkar Noir, la société Via Paris s'est livrée à des actes de concurrence déloyale et parasitaire caractérisés,
- Interdire à la société Via Paris la poursuite des agissements incriminés et ce sous astreinte de 10 000 F par infraction constatée,
- Ordonner la confiscation en vue de leur destruction de tous éléments ou documents détenus par la société Via Paris constitutifs de contrefaçon des marques de la société Parfums Guy Laroche ou de concurrence déloyale et parasitaire à l'égard de cette dernière,
- Condamner la société Via Paris à payer à la société Parfums Guy Laroche la somme de 500 000 F à titre de dommages et intérêts provisionnels et désigner tel expert qui plaira au tribunal avec mission de réunir les éléments permettant l'évaluation du surplus du préjudice subi,
- Ordonner, et ce, à titre de complément de dommages et intérêts, la publication de la décision à intervenir dans cinq journaux au choix de la société Parfums Guy Laroche et aux frais de la société Via Paris,
- Condamner la société Via Paris à payer à la société Parfums Guy Laroche la somme complémentaire de 30 000 F à titre d'indemnité par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Via Paris prie la cour de:
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Parfums Guy Laroche de ses demandes en concurrence déloyale,
- réformer le jugement en ce qu'il a prononcé la nullité de la marque Dragon Noir et prononcé diverses sanctions pour contrefaçon des marques Via Paris,
- condamner Parfums Guy Laroche à lui payer une somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,
- condamner Parfums Guy Laroche à lui payer une indemnité de 50 000 F pour ses frais irrépétibles.
Sur ce LA COUR:
Sur la contrefaçon
Considérant que la cour adopte expressément les motifs pertinents et longuement détaillés par lesquels le tribunal a retenu que les deux marques Drakkar Noir invoquées par Parfums Guy Laroche étaient contrefaites en ce que la marque incriminée et les produits commercialisés sous cette marque comportaient la dénomination Dragon Noir; que les contestations de Via Paris qui prétend que le terme Noir devait être écarté de la comparaison des deux expressions parce qu'il aurait un "caractère banal" qui le priverait de tout pouvoir distinctif pour les produits de parfumerie ne sont pas fondées alors que l'adjectif Noir qualifie les substantifs Drakkar Noir et Dragon Noir; qu'il a estimé avec raison que les ressemblances entre les dénominations étaient renforcées par le fait que les deux marques étaient présentées sur un fond noir et figuraient l'une et l'autre dans un encadré, le premier mot se trouvant en outre sur une ligne alors que le second était placé juste en dessous; que Via Paris soutient encore vainement - puisqu'elle ne produit aucun élément pertinent à l'appui de cette affirmation - que ces dispositions seraient usuelles, banales et sans pouvoir distinctif pour les produits considérés; que les premiers juges, critiqués également de ce point de vue par Via Paris, doivent être approuvés d'avoir dit que l'existence du dragon doré sur le signe et les produits incriminés n'était pas de nature à empêcher la confusion entre les marques en présence, la partie dénominative de la marque invoquée étant porteuse de la distinctivité de celle-ci; qu'ils ont, enfin, estimé avec raison que, même si la forme du flacon figuré par la marque 1 574 574 n'était pas reprise par le produit de Via Paris, l'imitation de la partie dénominative de cette marque caractérisait en l'espèce la contrefaçon par imitation;
Considérant que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a retenu à l'encontre de Via Paris les griefs de contrefaçon des marques invoquées par Parfums Guy Laroche;
Sur la concurrence déloyale
Considérant que Parfums Guy Laroche ayant reproché à Via Paris des actes de concurrence déloyale et parasitaire qui auraient consisté à reproduire la fragrance de Drakkar Noir, le tribunal a repoussé ce grief aux motifs que:
- l'analyse chromatographique produite par Parfums Guy Laroche au soutien de sa demande ne pouvait pas être retenue, ayant été réalisée par un laboratoire du Groupe L'Oréal auquel appartient cette société,
- les deux parfums entrant dans la même famille de fragrances à base de fougère, et l'analyse même de Parfums Guy Laroche montrant qu'ils n'étaient pas rigoureusement identiques, l'imitation alléguée n'était pas suffisamment établie,
- le sondage également produit par Parfums Guy Laroche n'était pas probant, étant dépourvu de caractère contradictoire et les questions posées ayant été choisies par la seule société demanderesse;
Considérant que Parfums Guy Laroche communique à nouveau en appel l'enquête par sondage qu'elle avait déjà produite en première instance et qui avait été justement écartée par les premiers juges; qu'elle a en revanche fait procéder par un laboratoire indépendant, les Laboratoires Simon du Groupe des Laboratoires Wolff, à une nouvelle analyse chromatographique dont il ressort que sur 26 composés, 21 se retrouvent avec des teneurs pratiquement identiques dans Dragon Noir et Drakkar Noir, les teneurs des trois autres composés étant en revanche différentes, et deux composés présents dans Drakkar Noir ne figurant pas dans Dragon Noir; que ces similitudes massives établies par analyse corroborent la comparaison olfactive des deux eaux de toilette qui fait apparaître que Dragon Noir n'a pas simplement en commun avec Drakkar Noir d'être une eau de toilette à base de senteur "fougère", mais qu'elle constitue une imitation caractérisée, une copie servile, du produit de Parfums Guy Laroche; qu'il s'ensuit que par réformation du jugement, le grief de concurrence déloyale par imitation de produit sera retenu à l'encontre de Via Paris ;
Sur les mesures réparatrices
Considérant qu'en l'état des éléments du dossier, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande d'expertise réitérée devant la cour par la société appelante; qu'au vu des éléments précédemment mentionnés, le montant des dommages-intérêts alloués par le tribunal à Parfums Guy Laroche pour les actes de contrefaçon apparaît réparer exactement son préjudice; qu'il convient en revanche d'accorder à la société appelante pour l'indemnisation du dommage qui lui a été causé par les agissements constitutifs de concurrence déloyale commis à son détriment par Via Paris une somme complémentaire de 100 000 F;
Considérant que les mesures d'interdiction et de publication ordonnées par les premiers juges apparaissent appropriées et seront confirmées sauf à préciser que les mesures d'interdiction s'appliqueront aussi aux actes jugés constitutifs de concurrence déloyale et que les publications tiendront compte du présent arrêt; qu'eu égard aux mesures d'interdiction sous astreinte qui ont été assorties de l'exécution provisoire et dont il n'est pas prétendu qu'elles auraient été enfreintes, il n'y a pas lieu de faire droit aux demandes de confiscation aux fins de destruction reprises en appel par Parfums Guy Laroche; que le jugement sera également confirmé en ce qu'il a prononcé la nullité de la marque Dragon Noir et prévu la transcription de la décision de ce chef au Registre National des Marques;
Considérant que la responsabilité de Via Paris étant retenue, celle-ci sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive;
Considérant que l'équité commande d'allouer à Parfums Guy Laroche une indemnité complémentaire de 18 000 F pour ses frais irrépétibles d'appel;
Par ces motifs: Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a rejeté les demandes formées par la société Parfums Guy Laroche au titre de la concurrence déloyale; Réformant de ce seul chef, statuant à nouveau et ajoutant: Dit qu'en commercialisant sous la dénomination Dragon Noir un parfum imitant le parfum Drakkar Noir de la société Parfums Guy Laroche, la société Distribution Via Paris SDVP Parfums Majesty a commis au préjudice de celle-ci des actes constitutifs de concurrence déloyale; Interdit à la société Distribution Via Paris SDVP Parfums Majesty de poursuivre ces actes sous astreinte de 1 000 F par infraction constatée passé la signification du présent arrêt; Condamne la société Distribution Via Paris SFVP Parfums Majesty à payer à la société Parfums Guy Laroche la somme de 100 000 F en réparation du préjudice résultant de ces actes de concurrence déloyale; Dit que les publications ordonnées en première instance devront faire mention du présent arrêt; Condamne la société Distribution Via Paris SDVP Parfums Majesty à payer à la société Parfums Guy Laroche une indemnité complémentaire de 18 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Rejette toute autre demandes; Condamne la société Distribution Via Paris SDVP Parfums Majesty aux dépens d'appel; Admet la SCP Teytaud au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.