CA Paris, 4e ch. B, 5 mai 2000, n° 1998-01148
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
OGF (SA)
Défendeur :
Pompes Funèbres Privées (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Boval
Conseillers :
Mmes Mandel, Regniez
Avoués :
SCP Valdelièvre Garnier, SCP Fisselier Chiloux Boulay
Avocats :
Mes Duminy, Morron
LA COUR statue sur appel interjeté par la société Groupement d'Entreprises de Services (précédemment PFG, aux droits de laquelle se trouve actuellement la société OGF SA, intervenue volontairement dans la procédure, d'un jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 21 novembre 1997 dans un litige l'opposant à la société Pompes Funèbres Privées (PFP).
Le jugement entrepris a exactement exposé les faits de la cause. Il suffit d'indiquer que :
- la société PFP, entreprise de pompes funèbres, s'est installée en 1992 à St Maur des Fossés, ville dans laquelle était implantée la société PFG qui avait obtenu l'autorisation par arrêté du 21 avril 1977 d'établir une chambre funéraire dans des locaux lui apparentant, rue de l'Ermitage, locaux indépendants de ses locaux commerciaux,
- PFP soutient que sa concurrente ne gère pas cette chambre funéraire dans la stricte neutralité imposée par les textes légaux, entretient une confusion entre cette activité de service public et son activité commerciale de pompes funèbres pour drainer à son profit la clientèle, et maintient une position dominante grâce à des conventions conclues avec des maisons de retraite et des cliniques prévoyant le transfert des personnes décédées dans ces établissements dans la chambre funéraire gérée par elle.
C'est dans ces circonstances que PFP a assigné son adversaire, d'une part, en référé pour obtenir la nomination d'un expert et, d'autre part, au fond, par acte du 6 juin 1996, complété par des écritures prises après expertise, devant le Tribunal de commerce de Paris, sur le fondement de la concurrence déloyale pour obtenir, outre la publication de l'arrêt, sa condamnation au paiement de la somme de 14 002 383,60 F à titre de dommages et intérêts ainsi que celle de 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
PFG avait conclu au débouté, exposant qu'elle n'avait commis aucune faute dans l'exercice de sa profession, et elle avait formé une demande reconventionnelle en réparation du préjudice qui lui aurait été causé par la violation du contrat de concession.
Le tribunal, par son jugement du 21 novembre 1997, a :
- dit bien fondée la demande en concurrence déloyale,
- disjoint la demande reconventionnelle,
- condamné PFG (actuellement OGF) à payer à la société PFP la somme de 500 000 F en réparation de son préjudice et celle de 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
- ordonné la publication du jugement dans un journal local de la ville de St Maur des Faussés.
Ayant interjeté appel, OGF qui poursuit la réformation intégrale du jugement, prie la Cour de :
- lui donner acte de son intervention,
- déclarer mal fondée en toutes ses demandes PFP,
- ordonner, en conséquence, la restitution de la somme de 500 000 F versée en exécution du jugement,
- condamner PFP à payer la somme de 50 000 F en réparation du préjudice causé pour procédure abusive, celle de 30 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
PFP a signifié des conclusions devant la Cour tendant à la confirmation du jugement sauf sur le montant des dommages et intérêts. Formant appel incident de ce chef, elle sollicite de la Cour la condamnation de son adversaire au paiement de la somme de 11 700 189,90 F TTC avec intérêts à compter de l'assignation introductive d'instance. Elle demande en outre paiement de la somme de 10 000 F par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
La Cour vise expressément pour un plus ample exposé le jugement entrepris et les dernières écritures signifiées respectivement les 12 novembre 1999 et le 21 mai 1999 par OGF et PFP.
Sur ce, LA COUR,
Considérant qu'au soutien de son appel, OGF dont il n'est pas contesté qu'elle vient aux droits de PFG (Groupement d'Entreprises de Services), expose que les premiers juges ont, à tort, estimé qu'elle avait manqué à son obligation de neutralité par " l'existence d'un bureau d'accueil dans les locaux d'accès à la chambre funéraire qui comportait le sigle PFG en évidence ainsi que son n° de téléphone et que l'on y trouvait des plaquettes publicitaires et qu'elle avait ainsi créé une confusion entre le service public que constitue l'exploitation d'une chambre funéraire et celui commercial d'une entreprise de pompes funèbres ", alors qu'elle a respecté toutes les prescriptions réglementaires et qu'elle n'a jamais dirigé les clients venant pour la chambre funéraire sur ses services commerciaux qui se trouvent à plus d'un kilomètre de ces lieux ;
Qu'elle ajoute, sur les autres griefs invoqués par son adversaire, que :
- elle ne peut être tenue pour responsable du non-respect du délai de dix heures (nécessaire pour joindre la famille afin que cette dernière puisse prendre une décision) que doivent respecter les établissements privés ou publics (article 3 du décret n° 94-1027 du 23 novembre 1994), dans lesquels sont décédées des personnes, avant de les transférer d'office dans les chambres funéraires,
- les conventions, qu'elle avait signées avec diverses cliniques et maisons de retraite ont été dénoncées par lettres en date du 18 juillet 1997, par application de la loi du 8 janvier 1993 entrée en vigueur,
- sa part de marché importante sur le secteur de Saint-Maur s'explique en grande partie par l'ancienneté de son entreprise et non pas par les comportements fautifs qui lui sont reprochés,
- elle n'est pas la seule entreprise en concurrence avec PFP sur ce marché (l'entreprise FBI, à l'enseigne Roc'Eclerc n'ayant pas de magasin sur place mais un dépôt où elle peut être jointe par téléphone) ;
Considérant, cela exposé, que la Cour ne peut que confirmer la décision des premiers juges en ce que, sans reprendre tous les griefs ci-dessus exposés, ils ont néanmoins estimé que la situation du bureau d'accueil de PFG tel qu'il se présentait dans les locaux du funérarium, avec une porte d'accès commune avec les services d'exploitation (utilisés pour les voitures des PFG) ne répondait pas suffisamment au critère de neutralité qui doit être d'autant plus strictement observé que PFG a, comme l'a relevé l'expert, une position dominante à St Maur des Fossés ; qu'il ne peut être sérieusement contesté que PFG a depuis de longues années des relations privilégiées avec les différents établissements de santé du secteur, ce qui doit la conduire à éviter toute ambiguïté dans la gestion du funérarium ; que par ailleurs, comme l'ont relevé exactement les premiers juges, il est certain que les familles, dont les proches ont été transportés au funérarium, et qui sont fragilisées par la situation douloureuse qu'elles traversent, seront naturellement portées, pour l'organisation des obsèques, à s'adresser à l'entreprise dont ils auront vu le bureau d'accueil du funérarium, le sigle et le numéro de téléphone, ce d'autant plus que le transfert dans ce lieu est parfois effectué sans leur autorisation préalable (soit en raison des conventions signées par PFG avec les cliniques et les maisons de retraite, soit parce que le transfert du corps a été effectué par les établissements de santé sans attendre le délai de 10 heures imposé par l'article 3 du décret du 23 novembre 1994) ;
Considérant en conséquence que dans la mesure où il a été relevé par l'expert que le signe PFG se retrouvait à l'intérieur des locaux d'accueil, que s'y trouvaient également le numéro de téléphone des services commerciaux ainsi que des publicités de PFG, celle-ci a eu un comportement déloyal en ne maintenant pas une neutralité complète dans la gestion du funérarium, ce qui a eu pour conséquence de détourner une partie de la clientèle à son profit; que le jugement sera donc confirmé ;
Considérant qu'au titre des mesures réparatrices, PFP expose que les dommages et intérêts alloués par les premiers juges ne suffisent pas à réparer son préjudice ; qu'elle estime qu'il n'a pas été tenu compte de la progression normale de la part du marché qui aurait dû être la sienne s'il n'y avait pas eu de concurrence déloyale, l'expert ayant relevé qu'une part de marché de 24 % était possible ; qu'elle soutient, en outre, que son préjudice doit être équivalent à la perte de sa marge brute et non pas de la seule marge nette ;
Considérant qu'il est répliqué à titre subsidiaire par PFG que pour le calcul du préjudice il doit être tenu compte seulement du gain manqué et non pas d'un préjudice hypothétique et que les éléments de calcul pris en compte par PFP sont erronés, en ce qu'ils ont pour base l'ensemble des décès comptabilisés à la mairie alors que doivent en être exclus les décès qui ont eu lieu à l'extérieur de St Maur des Fossés ;
Considérant cela exposé que les critiques de PFG concernant l'argumentation de son adversaire sur le préjudice sont fondées dès lors que :
- d'une part, les agissements déloyaux reprochés à PFG ont pour origine le détournement de clientèle se rapportant aux défunts par la chambre funéraire et non pas pour les personne décédées à l'extérieur de St Maur des Fossés,
- d'autre part, le préjudice doit être apprécié en fonction du gain manqué et non pas en considération de pertes hypothétiques ;
Considérant qu'il en résulte que PFP fait une évaluation erronée de son préjudice et ne démontre pas en quoi la somme de 500 000 F qui lui a été allouée par les premiers juges par des motifs pertinents que la Cour fait siens est insuffisante ; qu'il convient en effet de relever que l'expertise a mis en évidence que d'autres entreprises que celles en cause dans le litige prenaient une part non négligeable dans le marché ; qu'il n'est en outre pas démontré que PFG aurait poursuivi les agissements déloyaux incriminés ; que les intérêts au taux légal courront à compter du jugement par application de l'article 1153-1 du code civil ;
Considérant en conséquence que la Cour confirmera le jugement sur le montant des dommages-intérêts ;
Considérant qu'il convient de confirmer la mesure de publication et de rejeter les demandes en dommages et intérêts et en restitution formées par OGF qui succombe dans son appel ;
Considérant que l'équité commande d'allouer à l'intimée la somme de 10 000 F au titre des frais d'appel non compris dans les dépens ;
Par ces motifs, Confirme le jugement en toutes ses dispositions ; Y ajoutant ; Condamne la société OGF à payer à la société Pompes Funèbres Privées la somme de 10 000 F par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Rejette toute autre demande ; Condamne la société OGF aux dépens d'appel ; Autorise la SCP Fisselier Chiloux, avoué, à les recouvrer, selon les dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.