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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 5 mai 2000, n° 1998-08905

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

National Chemical System (Sté), Schmitt (ès qual.), Jeanne (ès qual.), Point Rouge Distribution (SARL), Garnier (ès qual.)

Défendeur :

Frabellux (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boval

Conseillers :

Mme Mandel, M. Lachacinski

Avoués :

Mes Ribaut, Bolling, SCP Narrat Peytavi

Avocats :

Mes Klein, Demarcq.

T. com. Meaux, du 20 janv. 1998

20 janvier 1998

Statuant sur les appels interjetés par la société Bâtiment Technique System BTS anciennement dénommée Thec System et les sociétés National Chemical System et Point Rouge Distribution du jugement rendu le 20 janvier 1998 par le Tribunal de commerce de Meaux dans un litige les opposant à la société Frabellux.

Faits et procédure :

Référence étant faite au jugement entrepris pour l'exposé des faits, de la procédure et des moyens antérieurs des parties, il suffit de rappeler les éléments essentiels suivants :

La société Frabellux qui a son siège social à Roubaix (Nord) a pour objet social toutes opérations industrielles et commerciales se rapportant à la fabrication et la vente en gros et au détail de matériel et de produits industriels de maintenance tels que les détergents, savons, peintures, lubrifiants, produits de la protection des métaux et tous autres produits de même nature ou connexes.

Le groupe Theam Technologie est constitué de plusieurs sociétés dont :

- la société Theam Technologie Holding (TTH) dont le président est M. Victor Seita,

- la société National Chemical System (NCS) dont le président est Victor Seita qui a son siège à Noisy-le-Grand (après l'avoir eu à Crécy la Chapelle) dont le capital social est détenu à hauteur de 98,9 % par TTH et qui a pour activité l'achat et la vente de tous produits chimiques,

- la société Thec System qui a son siège social à Crécy la Chapelle (77), dont le gérant est également Victor Seita et qui a pour objet social l'achat et la vente de produits chimiques, le capital social de cette société étant détenu à hauteur de 6,1 % par TTH, de 93,8 % par NCS et par Victor Seita pour le surplus,

Par ailleurs, la société Point Rouge Distribution créée en 1995, a son siège social à Neuilly sur Seine, son gérant est Maryse Daniel, épouse de Victor Seita. Son activité est l'achat et la vente, l'import export de tous produits, le négoce à l'exception de tous produits réglementés et son capital social est détenu à parts égales par les époux Seita.

De novembre 1995 à juin 1996, six VRP de la société Frabellux, liés par une clause de non-concurrence, vont démissionner et entrer au service de la société Thec System et plusieurs autres auraient également été approchés par la même société. L'un d'entre eux, M. Demasy après avoir été engagé par Thec System, a été embauché par la société Point Rouge Distribution le 2 septembre 1996.

Estimant que les sociétés NCS, Thec System et Point Rouge Distribution s'étaient rendues complices de la violation des clauses de non-concurrence auxquels étaient tenus ces six salariés et que ses dirigeants avaient tenu des propos déloyaux à son égard, la société Frabellux les a par exploits en date des 17, 21 et 28 octobre 1996 assignées en concurrence déloyale devant le Tribunal de commerce de Meaux. Elle sollicitait leur condamnation conjointe et solidaire à lui payer une indemnité provisionnelle de 3 000 000 F à valoir sur son préjudice à déterminer par expertise par ailleurs requise, diverses mesures d'interdiction sous astreinte et de publication ainsi que le versement d'une somme de 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Le Tribunal, après avoir retenu que les sociétés Thec System et Point Rouge Distribution avaient des activités concurrentes de celles de Frabellux, que Thec System s'était rendue complice de la violation des clauses de non-concurrence par les salariés démissionnaires et avaient porté atteinte à la solvabilité de la société Frabellux, que Point Rouge Distribution démarchait les clients de cette société par l'intermédiaire de M. Demasy et qu'il y avait eu une concertation frauduleuse, volontaire et déloyale entre les trois sociétés défenderesses en vue de nuire directement à la société Frabellux a :

- condamné conjointement et solidairement les sociétés Thec System, NCS et Point Rouge Distribution à verser à Frabellux une indemnité provisionnelle de 1 000 000 F avec exécution provisoire contre remise d'une caution bancaire,

- ordonné une expertise et commis pour y procéder M. Bernard avec mission notamment de chiffrer les préjudices directs et indirects résultant de la concurrence déloyale.

Concomitamment M. Victor Seita, TTH et NCS cédaient les partis qu'ils détenaient dans la société Thec System à Alexandra Beal, Denise Julevecourt et Fernand Berthe selon procès verbal de l'assemblée générale extraordinaire du 26 octobre 1997. Cette société adoptait comme dénomination social Bâtiment Technique System mais elle était mise en redressement judiciaire par jugement du Tribunal de commerce de Meaux du 29 juin 1998 converti en liquidation judiciaire le 25 janvier 1999, Maître Garnier étant désigné en qualité de mandataire liquidateur. NCS était déclarée en redressement judiciaire par jugement du Tribunal de commerce de Bobigny du 31 mars 1998 et Maîtres Schmitt et Jeanne étaient respectivement désignés en qualité d'administrateur judiciaire et de représentants des créanciers.

Les sociétés NCS et Point Rouge Distribution interjetaient appel du jugement du 20 janvier 1998 le 24 mars 1998 et Maîtres Schmitt et Jeanne intervenaient volontairement à la procédure.

La société BTS interjetait appel le 15 juin 1998 mais le 24 février 2000, Maître Garnier ès qualités prenait des conclusions de désistement, lequel était accepté par la société Frabellux le 8 mars 2000.

Dans le dernier état de leurs écritures, la société Point Rouge Distribution, la société NCS et Maîtres Schmitt et Jeanne ès qualités demandent à la Cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions, de dire Frabellux irrecevable subsidiairement mal fondée en ses prétentions et de la condamner à payer à chacune des sociétés appelantes la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

La société Frabellux demande qu'il lui soit donné acte de ce qu'elle accepte le désistement de Maître Garnier ès qualités et pour le surplus poursuit la confirmation du jugement et réclame la condamnation conjointe et solidaire des sociétés appelantes ou subsidiairement de l'une à défaut de l'autre à lui payer chacune la somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Sur ce, LA COUR,

Considérant qu'eu égard au désistement de Maître Garnier ès qualités et de son acceptation par Frabellux, la Cour n'est plus saisie que du litige opposant cette société aux sociétés NCS et Point Rouge Distribution ;

I- Sur la recevabilité :

Considérant que NCS et Point Rouge Distribution font valoir que Frabellux n'avait aucun intérêt à agir à leur encontre et que son action est irrecevable ;

Mais considérant que la recevabilité d'une demande ne doit pas être confondue avec son bien fondé ; que Frabellux se prétendant victime d'actes de concurrence déloyale qui auraient été commis par ces deux sociétés est recevable à agir à leur encontre ;

II- Sur le fond :

Considérant que Frabellux fait grief à NCS d'avoir participé au débauchage de six de ses salariés liés par une clause de non-concurrence, à savoir MM. Aureau, Demasy, Rousseaux, Stievenard, Palluet et Demelin et d'en avoir tiré profit ;

Mais considérant, que NCS réplique à juste titre que ces six salariés ont été embauchés par la société Thec qui constitue une entité juridique distincte de NCS; que cette société qui, selon l'organigramme du groupe Theam Technologie, appartient au pôle production, vend des produits industriels certes de maintenance (détergents, savons, lubrifiants, nettoyants, désinfectants, déboucheurs, peintures) tout comme Frabellux, toutefois non pas directement à la clientèle mais à d'autres sociétés du groupe dont Thec System laquelle les commercialise auprès des usagers ; qu'il n'est démontré ni qu'elle emploie des commerciaux ni qu'elle ait fait travailler ces six salariés dans son intérêt propre ; que par ailleurs, si la proposition d'embauche adressée le 15 novembre 1995 à M. Rousseaux l'a été sur du papier à en-tête portant les mentions Theam Technologie et National CS, il convient de relever que l'adresse indiquée n'est pas celle de NCS mais de Thec System et que le signataire de la lettre M. Lota était à cette date, directeur des ventes de Thec System (si on se réfère à l'extrait du registre du personnel de cette société) ; que la preuve n'est donc pas établie que NCS a participé au débauchage des six salariés de Frabellux ou en a tiré profit ;

Que le jugement doit donc être infirmé en ce qu'il a condamné NCS pour actes de concurrence déloyale ;

Considérant que le tribunal a retenu que " Point Rouge Distribution avait démarché des clients de Frabellux par l'intermédiaire de son employé M. Demasy, ancien collaborateur de cette dernière pour leur vendre des produits de NCS et de Thec System " ;

Considérant que Point Rouge Distribution fait valoir qu'elle a engagé M. Demasy en qualité de directeur technique, département signalisation et fournitures sanitaires le 2 septembre 1996, après qu'il a été licencié par Thec System (en raison de l'existence de la clause de non-concurrence le liant à Frabellux) et que celui-ci a vendu des produits distincts de ceux de Frabellux ; qu'elle en conclut qu'elle n'a commis aucun acte de concurrence déloyale à l'encontre de Frabellux ;

Considérant que Frabellux réplique que Point Rouge Distribution a une activité de vente de produits chimiques qui s'est considérablement accrue au cours de l'exercice 1997 et que manifestement M. Demasy, sous couvert de prétendues fonctions techniques au sein du département " signalisation et fournitures sanitaires ", a prospecté la clientèle pour lui proposer de tels produits ; qu'elle en conclut que Point Rouge Distribution s'est rendue complice de la violation de la clause de non-concurrence à laquelle M. Demasy était soumis ;

Considérant ceci exposé, qu'il est constant que M. Demasy qui était entré au service de la société Frabellux en 1983 en qualité de VRP pour le secteur Nord, Pas de Calais et Somme, qui a démissionné en mars 1996 alors qu'il était devenu directeur commercial adjoint et qu'il était lié par une clause de non-concurrence, a été engagé dans un premier temps par Thec System en qualité d'inspecteur des ventes " sur les départements de son choix " puis à compter du 2 septembre 1996 par Point Rouge Distribution en qualité de directeur technique département signalisation et fourniture sanitaires ;

Que cette société ne conteste pas qu'elle connaissait la teneur de la clause de non-concurrence à laquelle M. Demasy était soumis (durée de 12 mois pour une activité portant sur des produits identiques ou similaires à ceux de Frabellux dans le secteur attribué à M. Demasy au moment de la rupture) ; qu'il convient au demeurant de relever qu'elle entretient des liens étroits avec la société Thec System, son capital étant détenu par parts égales par M. Victor Seita (dirigeant de Thec) et par son épouse qui en est la gérante ;

Considérant qu'il ressort des comptes de Point Rouge Distribution que pour l'exercice 1997 son chiffre d'affaires pour les activités se rapportant aux produits chimiques, produits similaires à ceux commercialisés par Frabellux, a fortement progressé passant de 1 561 296,80 F à 5 646 747,99 F ;

Que cette progression correspond précisément avec l'arrivée de M. Demasy qui bien que directeur technique chez Point Rouge Distribution n'a manifestement pas rejoint le siège social de la société à Neuilly sur Seine mais a continué à habiter dans le Nord de la France à Verquin (62131) ;

Considérant qu'il résulte de ces éléments que Point Rouge Distribution qui connaissait la clause de non-concurrence à laquelle était tenu M. Demasy lui a, sous couvert d'un emploi de directeur technique dans le secteur des appareils de signalisation et des fournitures sanitaires, en réalité donné des fonctions de cadre commercial dans le secteur des produits chimiques afin de profiter de sa connaissance de la clientèle dans le Nord de la France ce qui a eu pour effet immédiat d'accroître son chiffre d'affaires dans cette branche ;

Qu'un tel comportement est constitutif de concurrence déloyale et engage la responsabilité de Point Rouge Distribution ;

III- Sur l'indemnisation du préjudice :

Considérant qu'il convient à défaut d'éléments d'appréciation suffisants de confirmer la mesure d'expertise ordonnée par les premiers juges tout en ramenant le montant de la provision à la somme de 300 000 F et en précisant que les investigations de l'expert devront être limitées à Point Rouge Distribution et aux conséquences de l'embauche par celle-ci de M. Demasy ;

IV- Sur l'article 700 du nouveau code de procédure civile :

Considérant que l'équité commande d'allouer à la société Frabellux une somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Par ces motifs, Donne acte à Maître Garnier ès qualité de son désistement d'appel et de son acceptation par la société Frabellux et constate en conséquence le dessaisissement de la Cour en ce qui concerne le litige les opposant, Pour le surplus, Confirme le jugement en ce qu'il a condamné la société Point Rouge Distribution pour concurrence déloyale et ordonné une expertise, Le réformant pour le surplus et statuant à nouveau, Dit la société Frabellux recevable mais mal fondée en sa demande à l'encontre de la société National Chemical System, Condamne la société Point Rouge Distribution à verser à la société Frabellux la somme de 30 000 F à titre de provision, Dit que l'expert devra limiter ses investigations à la société Point Rouge Distribution et déterminer quelles ont été les conséquences de l'embauche de M. Demasy par cette société sur le chiffre d'affaires de la société Frabellux, Condamne la société Point Rouge Distribution à payer à la société Frabellux une somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, La condamne aux dépens d'appel, Admet la SCP Narrat Peytavi au bénéfice de l'article 699 du NCPC.