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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 3 mai 2000, n° 1998-06443

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

LG Conseil Utopies (SARL), COM'N.B (SARL)

Défendeur :

Jammes, Association La prévention routière

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marais

Conseillers :

M. Lachacinski, Mme Magueur

Avoués :

SCP Bommart Forster, SCP Fanet-Serra, Me Baufumé

Avocats :

Mes Blanchard, Doumic, Mendras.

TGI Paris, 3e ch., 2e sect., du 12 déc. …

12 décembre 1997

La Cour,

Vu le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 12 décembre 1997 qui a:

- débouté Olivier R. Jammes de sa demande fondée sur la contrefaçon de ses affiches,

- dit que l'Association La Prévention Routière en utilisant pour les besoins de sa campagne de prévention 1995, des affiches reproduisant un fauteuil d'handicapé vide et un ours en peluche allongé sur le macadam a commis des agissements parasitaires au préjudice d'Olivier R. Jammes,

- condamné l'association La Prévention Routière à payer à Olivier R. Jammes la somme de 60.000 F à titre de dommages-intérêts,

- autorisé Olivier R. Jammes à faire publier en entier ou par extraits, le dispositif du jugement dans trois journaux ou revues de son choix, aux frais de l'association La Prévention Routière sans que le coût total des insertions dépasse la somme de 60.000 F HT,

- condamné les Sociétés COM'N.B. et Utopies à garantir l'association La prévention Routière des condamnations prononcées à son encontre à hauteur des deux tiers,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- condamné l'association la Prévention Routière à payer à Olivier R. Jammes la somme de 12.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile

Vu l'appel de cette décision interjeté le 12 février 1998 par les sociétés LG Conseil-Utopies et COM'NB et le 4 mars 1998 par l'association La Prévention Routière,

Vu les conclusions signifiées le 11 mai 1998 par les quelles les sociétés LG Conseil-Utopies et COM'NB, poursuivant l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il a retenu l'existence d'un comportement parasitaire, soutiennent que l'exploitation des deux thèmes revendiqués par Olivier R. Jammes ne peut être jugée fautive dès lors qu'ils ne sont pas susceptibles d'appropriation et qu'ils étaient dépourvus de toute originalité au jour de leur exploitation par ce dernier, et demandent à la Cour :

- de débouter Olivier R. Jammes de toutes ses prétentions,

- constatant que la procédure engagée revêt un caractère abusif, de le condamner à leur payer la somme de 50.000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 35.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

- subsidiairement, de rejeter l'appel en garantie formé à leur encontre par l'association La Prévention Routière et de condamner cette dernière à leur payer la somme de 35.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile

Vu les dernières écritures signifiées le 3 mars 2000 aux termes desquelles l'association la Prévention Routière sollicite la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a débouté Olivier R. Jammes de ses demandes au titre de la contrefaçon, son infirmation en toutes ses autres dispositions et invoquant tant le défaut de reproduction servile des photographies, que le caractère limité de l'activité créatrice et des investissements de l'intimé ainsi que l'absence de notoriété des affiches, conclut

- à titre principal, au rejet des demandes et à la condamnation de l'intimé à lui payer la somme de 50.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau, code de procédure civile,

- à titre subsidiaire, à sa garantie par les sociétés COM'NB et LG Conseil- Utopies et à leur condamnation au paiement de la somme de 50.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile

Vu les dernières conclusions signifiées le 21 février 2000 par lesquelles Olivier R.Jammes, poursuivant la confirmation de la décision déférée en ce qu'elle a accueilli sa demande, ordonné une mesure de publication et rejeté les demandes reconventionnelles et son infirmation pour le surplus, demande à la cour de:

- constater que l'association La Prévention Routière a commis un acte de contrefaçon en copiant ou imitant deux annonces, celle utilisée par la ville de Toulouse représentant un ours en peluche étendu, portant une trace de pneu et celle représentant un fauteuil d'infirme vide dans un univers déserté,

- subsidiairement, confirmer le jugement en ce qu'il a dit que l'association La Prévention Routière a commis un acte de parasitisme,

- condamner l'association La Prévention Routière à lui payer la somme de 500.000 F à titre de dommages-intérêts, subsidiairement, désigner un expert afin de recueillir tous éléments permettant de déterminer son préjudice,

- condamner l'association La Prévention Routière à lui payer la somme de 35.000 F par application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile

Sur quoi,

- Sur la contrefaçon

Considérant que les appelants ne critiquent pas les dispositions du jugement entrepris reconnaissant la qualité d'auteur d'Olivier R. Jammes sur l'affiche représentant un fauteuil pour handicapé vide, créée en 1970, et sur celle représentant un ours en peluche allongé sur une route, réalisée en 1993 ;

Considérant qu'Olivier R. Jammes prétend que les caractéristiques essentielles de ces deux œuvres ont été reprises dans les affiches diffusées par l'association La Prévention Routière lors de la campagne de sensibilisation aux risques de la conduite automobile, lancée en 1995;

Que l'association La Prévention Routière et les sociétés COM'NB et LG Conseil-Utopies, chargées par cette dernière de la conception et de l'exécution des affiches litigieuses, répliquent que les seuls éléments communs entre les photographies revendiquées et les affiches consistent en l'exploitation de thèmes identiques, non susceptibles d'appropriation, et matérialisés de manière différente ;

Considérant qu'Olivier R. Jammes a réalisé en 1970 un "visuel" ayant pour thème la sécurité routière représentant un fauteuil pour handicapé vide au milieu d'une route de campagne, accompagné du slogan "votre prochaine voiture.. .peut-être. Cela dépend de vous ";

Que l'affiche diffusée par la Prévention Routière au cours de la campagne publicitaire 1995 est illustrée par un fauteuil quasi-identique posé sur un triangle jaune de signalisation, se détachant sur un fond blanc, surmonté du slogan "Si ce modèle de voiture ne vous séduit pas, roulez moins vite";

Considérant que les premiers juges ont exactement relevé que le seul élément commun aux deux affiches est le fauteuil pour handicapé ; que s'il en constitue l'élément essentiel, en évoquant de manière figurée mais brutale les conséquences dramatiques des accidents de la circulation, l'environnement dans lequel ils sont placés, une route déserte sur la première, un cadre abstrait sur la seconde - le panneau de signalisation symbolisant seul la circulation routière suffit à distinguer sensiblement les deux affiches ;

Considérant que l'affiche créée en 1993 par Olivier R.Jammes, dans le cadre de la campagne de prévention organisée par la Mairie de Toulouse, représente un ours en peluche abandonné au milieu d'une chaussée marquée d'une trace de freinage, accompagnée du slogan " Et la prochaine fois, qui ? 50 Km/h. Parfois c'est encore trop."

Que sous le slogan "Si vous ne voulez pas mettre en jeu la vie d'un enfant, ralentissez !", l'affiche diffusée en 1995 par la Prévention Routière montre un ours maculé de taches gisant sur un passage protégé ;

Considérant que si l'on retrouve sur ces deux affiches un ours en peluche abandonné, doté du même pouvoir évocateur - symboliser l'enfant victime d'un accident - d'une part, leur composition - stylisée pour la seconde, le passage protégé étant représenté par des bandes noires, alors que sur la première la structure de la chaussée et l'ombre de l'ours apparaissent nettement - d'autre part, les slogans qui les accompagnent, leur confèrent un aspect d'ensemble propre qui les différencie; que l'affiche seconde, bien que mettant en scène le même thème, révèle donc la démarche créative et l'apport personnel de l'agence de publicité ;

Considérant qu'il s'ensuit que le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté Olivier R. Jammes de ses demandes au titre de la contrefaçon;

- Sur le parasitisme

Considérant qu'Olivier R. Jammes soutient qu'en s'emparant de la campagne de prévention qu'il a créée, la Prévention Routière a copié le fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'un investissement économique et a commis un acte de parasitisme fautif;

Que les appelantes répliquent que les deux thèmes revendiqués par Olivier R. Jammes étaient dépourvus d'originalité lorsqu'il les a lui-même exploités que la Prévention Routière ajoute qu'il ne justifie d'aucun investissement conséquent et d'aucune notoriété ;

Mais considérant que les deux affiches litigieuses reprennent les concepts choisis par Olivier R. Jammes consistant à évoquer les conséquences dramatiques des accidents de la circulation par des images sobres mais porteuses d'un message fort, caractérisées par la seule présence d'un fauteuil pour handicapé vide ou d'un ours en peluche abandonné au milieu de la chaussée ;

Qu'il ressort de l'examen des pièces produites aux débats que si les "visuels" antérieurs utilisaient, en vue du même objectif de prévention des accidents, l'image de personnes handicapées assises dans leur fauteuil, il n'apparaît jamais vide de tout occupant ; que le thème de l'ours en peluche gisant seul sur la chaussée n'est pas davantage illustré par ces documents, les jouets qu'il s'agisse de poupées ou d'ours étant l'accessoire d'une mise en scène montrant l'enfant lui-même ;

Considérant qu'en reprenant ces deux concepts qui, par le choix qu'ils traduisent, témoignent d'un réel travail intellectuel et présentent une valeur économique indéniable, l'association La Prévention Routière a commis un acte de parasitisme ; que si la preuve n'est pas rapportée de la réception par la Prévention Routière du dossier "Sécurité routière" constitué par Olivier R. Jammes, les deux affiches réalisées par l'intimé avaient fait l'objet de campagnes d'affichage, celle représentant l'ours en peluche ayant en outre été primée en 1995 par le jury des Affichades SUP de CCO de Toulouse, prix décerné au niveau national ;

Que par la reprise de ces thèmes, l'association La Prévention Routière a profité à moindre coût des efforts de conception et de réalisation publicitaire mis en œuvre par l'intimé ; que ces agissements constituent une faute manifeste engageant sa responsabilité civile ;

Que le tribunal a donc retenu à juste titre l'existence d'actes de parasitisme ;

- Sur les mesures réparatrices

Considérant que les deux affiches litigieuses ont fait l'objet d'une exploitation importante ; que les agissements parasitaires, qui portent atteinte à l'image de marque et à la réputation professionnelle d'Olivier R Jammes, justifient l'allocation d'une indemnité de 100.000 F, sans qu'il soit nécessaire de recourir à une mesure d'instruction ;

Que le jugement sera confirmé en ce qu'il a fait droit à la mesure de publication qui apparaît justifiée ;

- Sur l'appel en garantie

Considérant qu'en leur qualité de professionnelles de la publicité et de la communication, la société LG Conseil Utopies et la société COM'NB devaient s'assurer que les graphismes qu'elles proposaient à la Prévention Routière étaient libres de droits et qu'ils pouvaient être exploités sans risques d'entraîner des poursuites de la part de tiers ; que l'association La Prévention Routière, qui a confié la conception et l'exécution des affiches litigieuses à deux agences qualifiées, est bien fondée à solliciter la garantie intégrale des condamnations prononcées à son encontre ;

Considérant que les sociétés LG Conseil Utopies et COM'NB qui succombent en leur appel doivent être déboutées de leurs demandes de dommages-intérêts et sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile

Considérant que les dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile doivent bénéficier à Olivier R. Jammes ; qu'il lui sera alloué à ce titre la somme complémentaire de 30.000 F ;

Que la solution du litige commande de débouter l'association La Prévention Routière de sa demande de ce chef à l'encontre de l'intimé; qu'en revanche, les sociétés LG Conseil-Utopies et COM'NB seront condamnées à lui payer à ce titre la somme de 30.000 F ;

Par ces motifs : Confirme le jugement déféré sauf sur le montant des dommages-intérêts et en ce qu'il a condamné les sociétés Conseil LG-Utopies et COM'NB à garantir l'association La Prévention Routière à concurrence des deux tiers, Le réformant sur ces points et statuant à nouveau, Condamne l'association la Prévention Routière à payer à Olivier R. Jammes une indemnité de 100.000 F à titre de dommages-intérêts en réparation des agissements parasitaires commis à son encontre et la somme complémentaire de 30.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, Condamne les sociétés Conseil LG-Utopies et COM'NB à garantir l'association La Prévention Routière des condamnations prononcées à son encontre, y compris de celle afférente aux dépens, Condamne les sociétés Conseil LG-Utopies et COM'NB à payer à l'association la Prévention Routière la somme de 30.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, Rejette le surplus des demandes, Condamne l'association La Prévention Routière aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.