CA Pau, 1re ch., 20 avril 2000, n° 98-02847
PAU
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Lecointe
Défendeur :
Longuet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pujo-Sausset
Conseillers :
Mme Massieu, M. Petriat
Avoués :
SCP Longin, Me Marbot
Avocats :
Mes Ryf, Barnaba Loco, Casadebaig.
Attendu que par un acte authentifié par notaire le 22 novembre 1995, Madame Longuet a cédé à Monsieur Lecointe tous ses droits dans l'activité de pédicurie uniquement, dépendant du cabinet de pédicure-podologue exploité dans un local sis à Pau, 13 avenue du Général de Gaulle, et notamment :
- la clientèle civile de pédicurie,
- la clientèle pour la fabrication de semelles thermoformées,
- et le matériel servant à ces activités ;
Qu'elle s'engageait par une clause de non-concurrence, à ne pas exercer des activités de cette nature dans un rayon de 20 km, pendant 5 ans ;
Que Monsieur Lecointe s'engageait à régler une somme de 300 000 F ;
Attendu que Madame Longuet a transféré ses activités de podologue 24, boulevard d'Alsace Lorraine à Pau, à 700 mètres environ ;
Attendu que le 21 mai 1997, Monsieur Lecointe a assigné Madame Longuet devant le Tribunal de Grande Instance de Pau pour voir retenir des manquements à l'obligation de non-concurrence, et obtenir, en conséquence, une indemnité de 500 000 F, outre 15 000 F en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;
Attendu que par jugement du 8 juillet 1998, il a été débouté au motif que les pièces produites au soutient de cette action étaient insuffisamment probantes ;
Qu'il s'agissait :
- du jugement prononcé le 19 mai 1994 par le Tribunal de Grande Instance de Mont-de-Marsan ayant condamné Madame Longuet pour violation d'une obligation de non-concurrence souscrite le 4 août 1987 à l'égard d'un tiers,
- d'un procès verbal de Maître Bertails, huissier de justice, déclarant qu'il avait demandé un rendez-vous au cabinet de Madame Longuet pour faire réaliser des semelles thermoformées, et qu'il lui avait été répondu que cela était possible,
- de la baisse du chiffre d'affaires de l'activité cédée, par rapport à celui réalisé par Madame Longuet,
- de l'absence de la présentation à la clientèle et de la vétusté du matériel cédé ;
Attendu que Monsieur Lecointe est régulièrement appelant de cette décision ;
Qu'il réitère devant la Cour sa demande de dommages et intérêts, et il sollicite, à peine d'une astreinte de 500 F par jour de retard, la fermeture de " l'établissement de pédicurie-podologie " exploité par Madame Longuet, 24 boulevard Alsace Lorraine à Pau, ainsi que la publication du présent jugement dans deux journaux locaux ;
Qu'il réclame aussi 15 000 F en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;
Attendu qu'aux pièces déjà présentées en première instance, il ajoute :
- une attestation de Madame Molas qui déclare que Madame Longuet a réalisé pour son fils des semelles dites de " réflexologie " qui sont des semelles thermoformées ; et il fait valoir que les livres comptables de Madame Longuet ne contiennent plus que les recettes depuis janvier 1997, et ce, pour cacher les dépenses, et plus particulièrement des achats auprès de la Société Sidas-Podiatech qui commercialise les matériaux et appareils destinés au thermoformage ;
Qu'il déduit de l'examen des livres de rendez-vous communiqués par Madame Longuet, que celle-ci pratique encore des soins de " pédicurie " ;
Qu'il se plaint du défaut de présentation à la clientèle ;
Attendu que Madame Longuet a conclu à la confirmation du jugement en développant des explications sur les différences entre " soins " de pédicurie et actes de podologie, entre semelles thermoformées et semelles proprioceptives ;
Qu'elle a réclamé une indemnité de 20 000 F ainsi que 8 000 F en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;
Vu les conclusions de Monsieur Lecointe du 28 septembre 1999 ;
Vu les conclusions de Madame Longuet du 28 avril 1999 ;
Attendu qu'il appartient à Monsieur Lecointe, demandeur à l'action en dommages et intérêts, de démontrer les manquements de Madame Longuet, le préjudice qu'il subit, et le lien de causalité entre la faute et le préjudice ;
Attendu que le jugement du Tribunal de Grande Instance de Mont-de-Marsan est étranger aux faits de la présente affaire et est donc dépourvu de toute valeur probante ;
Attendu que Monsieur Lecointe ne se plaint plus, devant la Cour, de la mauvaise qualité du matériel cédé ;
Attendu qu'il évoque un manquement à l'obligation de présentation à la clientèle, mais l'acte du 22 novembre 1995 ne contient pas de stipulations en ce sens ;
Attendu que le témoignage de Maître Bertails démontre que Madame Longuet prend des rendez vous pour faire des semelles thermoformées (17 mars 1997) ;
Attendu que le témoignage de Madame Molas fait état de la fabrication de semelle dite de " reflexologie " ; qu'il est accompagné des semelles litigieuses faites d'un matériau (mousse et résine) identique à celui que Madame Longuet décrit, au moyen du " guide du thermoformage - Guy Capron " (17 juillet 1998) ; que ces semelles ne sont pas des semelles " proprioceptives ", faites en liège, et dont Madame Longuet s'est réservé la fabrication ;
Attendu qu'il apparaît que Madame Longuet se livre donc à la fabrication de semelles thermoformées ;
Attendu que Madame Longuet a produit aux débats ses carnets de rendez-vous des années 1994 à 1997 ; qu'elle explique que soins signifie : soins de pédicurie, SO : semelles orthopédiques, RSO : renouvellement de semelles orthopédiques et CONT : contrôle ; et que le tarif de soins (pédicurie) est de 150 F, alors que la réalisation des semelles varie de 450 à 650 F ;
Attendu qu'à partir de 1996, le mot soins n'apparaît plus, sauf quelques exceptions relevées par Monsieur Lecointe ;
Attendu que les lettres SO, RSO, ou CONT, au regard des noms des clients, ne permettent aucun contrôle de la nature des semelles réalisées : thermoformées ou proprioceptives ;
Attendu que le 14 octobre 1997, Madame Longuet a fait dresser un procès-verbal de constat par Maître Gomez, huissier de justice, pour démontrer l'absence de matériel de thermoformage dans son cabinet ;
Mais attendu que selon le guide du thermoformage, qu'elle produit aussi, il s'agit d'un matériel de petite dimension aisément transportable, ce qui prive de toute pertinence les constatations de l'huissier, agissant sur demande de Madame Longuet elle-même ;
Attendu que l'ensemble des documents produits par Madame Longuet n'est pas de nature à démentir la démonstration de Monsieur Lecointe selon laquelle elle a, à deux reprises au moins, réalisé ou offert de réaliser des semelles thermoformées et ce, dans les limites de temps et d'espace de l'obligation de non-concurrence ;
Attendu, dans ces conditions, que la preuve d'un manquement à l'obligation de non-concurrence est apportée ;
Attendu qu'il n'est pas démontré que la baisse du chiffre d'affaires, évoquée par Monsieur Lecointe, à la supposer établie, soit la conséquence des actes de concurrence déloyale commis par Madame Longuet, plutôt que celle de l'incapacité personnelle de Monsieur Lecointe à retenir et élargir une clientèle existante ;
Attendu qu'il n'en demeure pas moins, qu'en se livrant à des actes prohibés, Madame Longuet a privé Monsieur Lecointe d'une partie de sa clientèle potentielle, et a nui au développement de la clientèle cédée ;
Attendu qu'en l'état des justifications produites, il convient d'arbitrer à 150 000 F le montant de l'indemnité ;
Attendu que la durée de l'interdiction contractuelle étant presque entièrement écoulée, il n'y a pas lieu de prévoir d'autre modalité de réparation du préjudice ;
Attendu qu'en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, Madame Longuet versera à Monsieur Lecointe la somme de 10 000 F ;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Déclare l'appel recevable, Réforme le jugement prononcé le 8 juillet 1998 par le Tribunal de Grande Instance de Pau, Condamne Madame Longuet à payer à Monsieur Lecointe une indemnité de 150 000 F , La condamne à lui payer une indemnité de 10 000 F en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, La condamne aux dépens de première instance et d'appel, Dit qu'ils seront recouvrés en la forme prévue en matière d'Aide JURInelle.