CA Paris, 4e ch. A, 19 avril 2000, n° 1999-24200
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Arnholdt Echafaudages (SARL), Plettac Echafaudages (SARL)
Défendeur :
Layher (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Marais
Conseillers :
M. Lachacinski, Mme Magueur
Avoués :
SCP Tazé Bernard Belfayol Broquet, SCP Verdun Seveno
Avocats :
Mes Milchior, Zeidenberg.
LA COUR,
Vu le jugement du tribunal de commerce de Créteil du 19 octobre 1999 qui a:
- condamné la société Arnholdt à cesser la vente, la location, le montage sur le territoire français de matériel de la société Layher non conforme à la législation française, sous astreinte de 10.000 F par infraction constatée, huit jours après la signification du présent jugement, avec un maximum de 1.000.000 F,
- dit que les sociétés Plettac et Arnholdt ont commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société Layher et crée un préjudice commercial à cette dernière,
- constaté que l'échafaudage "Perfect Contur-Metrix" correspond à l'échafaudage déjà interdit par le jugement du 12 juin 1997 du même tribunal,
- ordonné le retrait du marché français du matériel Perfect Contur-Metrix,
- interdit aux sociétés Plettac et Arnholdt de commercialiser sous quelque forme que ce soit (vente, location, montage ou autre) sur le territoire français, l'échafaudage Perfect Contur-Metrix et ce, sous astreinte de 20.000 F par infraction constatée huit jours après la signification du jugement, avec un maximum de 2.000.000 F,
- condamné solidairement les Sociétés Plettac et Arnholdt à payer à la société Layher la somme de 200.000 F à titre de provision sur le montant des dommages-intérêts qui seront fixés après expertise,
- désigné M. Rey en qualité d'expert avec mission de fournir tous éléments techniques, factuels ou comptables de nature à permettre d'évaluer le préjudice subi par la société Layher,
- ordonné la publication du jugement dans le journal "Le Moniteur du Bâtiment et des Travaux Publics" aux frais solidaires des sociétés Plettac et Arnholdt à concurrence de 30.000 F,
- condamné solidairement les sociétés Plettac et Arnholdt à payer à la société Layher la somme de 30.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
Vu l'appel de cette décision interjeté le 10 décembre 1999 par les sociétés Plettac et Arnholdt Echafaudages ci-après Arnholdt;
Vu les dernières écritures signifiées le 30 décembre 1999 par lesquelles la société Arnholdt, poursuivant l'annulation du jugement déféré en ce qu'il a statué ultra petita en ordonnant le retrait du marché français du matériel dénommé "Metrix" et en ce qu'il a statué extra petita dans la définition de la mission d'expertise, demande en tout état de cause de le réformer en son intégralité et de :
- supprimer toute interdiction de commercialiser un matériel Layher non conforme à la réglementation française et de lui donner acte de ce qu'elle n'a pas commercialisé de matériel de ce type,
- condamner la société Layher à lui payer la somme de 500.000 F pour procédure abusive pour avoir demandé de prononcer cette interdiction,
- dire n'y avoir lieu à interdiction de commercialiser le matériel Metrix, à retrait de ce matériel, à publication de la décision et à expertise,
- subsidiairement, de dire que la mise en jeu des règles du droit de la concurrence déloyale telle qu'effectuée par le jugement entrepris constitue une entrave à la libre circulation des marchandises contraire à l'article 28 du traité CE,
- condamner, en tout état de cause, la société Layher à lui payer la somme de 1.000.000 F en réparation de son préjudice, celle de 500.000 F pour procédure abusive et celle de 100.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir aux frais de la société Layher dans Le Moniteur, Les Echos et Capital,
Vu les dernières conclusions signifiées le 30 décembre 1999 par lesquelles la société Plettac, reprenant les moyens de droit et de fait soulevés par la société Arnholdt, formulent des demandes en tous points identiques ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 7 février 2000 aux termes desquelles la société Layher sollicite la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et l'allocation d'une somme de 30.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Sur quoi,
- Sur la nullité du jugement entrepris
Considérant que la société Layher fait valoir à juste titre qu'en ordonnant le retrait du marché français du matériel dénommé "Metrix" alors qu'elle avait sollicité exclusivement l'interdiction de commercialiser ce matériel, le tribunal n'a pas statué au-delà de sa saisine, ces deux mesures produisant les mêmes effets ;
Considérant que si les premiers juges ont étendu la mission de l'expert au delà de ce qui était demandé par la société Layher en le chargeant de calculer le préjudice subi du fait de la vente du matériel litigieux et non, comme sollicité dans ses écritures, par la seule location de ce matériel, la cour saisie par l'effet dévolutif de l'appel est compétente pour rectifier, si elle l'estime justifiée, cette erreur conformément à l'article 462 du nouveau code de procédure civile, sans qu'il y ait lieu à annulation même partielle de la décision entreprise ;
Sur la concurrence déloyale
Considérant que la société Layher commercialise en France un système d'échafaudages tubulaires mis au point par la société de droit allemand Wilhelm Layher, qui a fait l'objet d'un brevet étendu à la France le 7 octobre 1975 et tombé dans le domaine public depuis le 7 octobre 1995 ;
Considérant que par jugement du 12 juin 1997, devenu définitif, le tribunal de commerce de Créteil a fait interdiction à la société Plettac de commercialiser sous quelque forme que ce soit, sur l'ensemble du territoire français le système d'échafaudage Rondo et plus généralement tout système qui, basé sur l'utilisation du brevet Layher, tombé dans le domaine public, serait une copie du matériel Layher de type Allround ;
Considérant que la société Layher estime que le système d'échafaudage dénommé "Metrix" mis sur le marché par la société Plettac et par la société Arnholdt, spécialisée dans la location et le montage d'échafaudages, constitue une imitation du système d'échafaudage Layher Universel et ne présente aucune spécificité susceptibIe de le distinguer de ce dernier avec lequel il est compatible ; qu'elle soutient que les deux sociétés Plettac et Arnholdt appartiennent au Groupe allemand Plettac AG et que l'autorité de chose jugée attachée au jugement du 12 juin 1997 s'opposait à la commercialisation d'un matériel constituant une copie du matériel Layher ; qu'elle ajoute que la compatibilité des matériels Metrix et Layher présente des dangers pour la sécurité et qu'en commercialisant l'échafaudage Metrix les sociétés Plettac et Arnholdt exercent à son encontre une concurrence déloyale et parasitaire ;
Considérant que les sociétés Plettac et Arnholdt exposent que la compatibilité entre les produits ne devient illicite et constitutive de concurrence déloyale que s'il existe un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle et soulignant les différences entre les pièces essentielles qui composent les échafaudages Metrix et Layher Universel, et le fait que leurs clients sont des professionnels estiment que ce risque n'est pas démontré ;
Considérant que le jugement du 12 juin 1997 n'est pas opposable à la société Arnholdt, contrairement à ce que soutient l'intimée; qu'en effet, la société Arnholdt, qui n'était pas partie à l'instance, constitue une entité juridique distincte de la société Plettac même si elles appartiennent au groupe allemand Plettac AG;
Considérant que cette décision ayant interdit, outre le système d'échafaudage dénommé Rondo, "tout système qui basé sur l'utilisation du brevet Layher, tombé dans le domaine public, serait une copie du matériel Layher de type Allround", il convient de rechercher si le matériel incriminé offert à la vente par la société Plettac sous la dénomination Metrix en constitue la copie;
Considérant qu'il ressort de l'examen du brevet Layher que le système d'échafaudage tubulaire à fermeture par clavetage revendiqué est caractérisé - en ce que les éléments tubulaires verticaux sont pourvus, à intervalles réguliers, d'anneaux métalliques en forme de collets présentant des ouvertures de formes différentes et - en ce que les éléments horizontaux présentent des fentes dont l'écartement est au moins égal à l'épaisseur des anneaux destinées à recevoir une clavette ; que l'assemblage de l'échafaudage s'opère en amenant les fentes des extrémités des éléments horizontaux sur un anneau d'un élément vertical de façon à ce que les ouvertures aménagées dans les parties constituant la fente viennent coïncider avec l'une des ouvertures de l'anneau, puis les extrémités des éléments horizontaux sont reliées à l'élément vertical par une clavette traversant les ouvertures ;
Que la société Layher fait valoir à juste titre que le noeud d'assemblage, composé d'un morceau de moise (élément horizontal pourvu de fentes), du poteau comprenant le disque et d'une tête de diagonale, représente l'élément essentiel de ce système d'échafaudage ;
Considérant que si les moises commercialisées sous la dénomination Metrix comportent des fentes identiques à celles des éléments horizontaux Layher, la couronne du disque comme la tête d'assemblage se distinguent par leurs formes différentes ;
Qu'alors que le disque revendiqué dans le brevet Layher et illustré par les figures jointes se caractérise par sa forme circulaire, le contour de la couronne du disque Metrix est formé de courbes concaves et convexes ; que, contrairement à ce que soutient l'intimée, cette forme répond à des fonctions précisées dans la plaquette publicitaire, à savoir permettre un meilleur stockage des poteaux par emboîtage et éviter à ceux-ci de rouler sur les planchers ;
Que la tête d'assemblage située aux deux extrémités des moises et des diagonales, légèrement plus haute dans le matériel Metrix, présente en outre une encoche, absente dans le matériel Layher, destinée à faciliter le démontage ;
Qu'il n'y a pas lieu de comparer les autres éléments de l'échafaudage que la société Layher considère comme secondaires;
Considérant que le matériel commercialisé sous la dénomination Metrix ne constituant pas la copie du matériel Layher de type Allround, la société Layher est mal fondée à se prévaloir de l'autorité de chose jugée attachée au jugement du 12 juin 1997;
Considérant que dans leurs dernières écritures, les sociétés Plettac et Arnholdt ne contestent pas la compatibilité des matériels Metrix et Layher;
Considérant que la compatibilité des produits, libres de droits de propriété intellectuelle, ne constitue pas en soi une pratique déloyale dès lors qu'il n'existe entre eux, aucun risque de confusion;
Considérant que si la plaquette publicitaire de la société Plettac relative à l'échafaudage multidirectionnel Metrix met en évidence le caractère "100% compatible" de son matériel, elle ne contient aucune référence précise au matériel Layher; que les correspondances produites par la société Layher ne concernent que le matériel Rondo ou Assco;
Que sur les étiquettes apposées sur les produits, même s'il ne s'agit pas d'un moyen d'identification fiable en raison de leur mauvaise tenue sur le support et de leur faible résistance à l'abrasion, comme le reconnaît la société Layher, apparaît de manière visible pour l'utilisateur, le nom de la société Plettac en lettres blanches sur fond rouge, de telle sorte qu'il lui est possible de les différencier des éléments Layher ;
Que tant la différence d'apparence des couronnes de disques d'assemblage, des têtes de diagonales qui ont été examinées ci-dessus, que les mentions du nom des fabricants sur ces produits sont de nature à écarter le risque de confusion allégué, la clientèle concernée étant essentiellement composée de professionnels ;
Considérant que pour s'opposer à la commercialisation de l'échafaudage Metrix, la société Layher invoque également les dangers pour la sécurité qu'engendre la compatibilité ainsi que le risque de retrait de l'agrément Afnor, dont bénéficie son matériel;
Considérant que l'office public pour la Prévention du bâtiment et des Travaux Publics, comme le Bureau Veritas, déconseillent la technique du panachage des composants d'échafaudage sur une structure ; que l'Institut national de Recherche et de Sécurité observe, dans une lettre adressée le 23 janvier 1996 à la société Layher, que "la simple compatibilité dimensionnelle ne permet pas de garantir la tenue aux charges d'exploitation prévues de l'ensemble monté" ;
Mais considérant qu'il appartient à la société Layher de veiller à faire respecter les consignes de sécurité prônées par ces organismes officiels lors du montage des échafaudages, dont elle fournit les éléments, en attirant l'attention des monteurs et utilisateurs sur les risques encourus par l'utilisation d'éléments de modèle différents dont ils ignorent les caractéristiques ; qu'au surplus, aucune conséquence sur l'absence de sécurité des éléments d'échafaudages Metrix ne peut être tirée des essais non contradictoires sur la résistance des éléments d'échafaudages Metrix et Layher, produits par les parties, dont les résultats sont divergents ;
Considérant que, par ailleurs, la société Layher ne démontre pas que l'échafaudage de type Allround qu'elle commercialise encourt le risque de retrait de la norme NF, du seul fait de la substitution de matériel provenant de fabricants différents ;
Qu'en effet, s'il résulte d'une lettre adressée par l'Afnor le 24 décembre 1997 à la société Layher que l'introduction de tout élément étranger au modèle d'échafaudage certifié NF retire ipso facto la marque à ce modèle dont on ne peut plus garantir la sécurité initialement certifiée, le même organisme écrivait, le 30 novembre 1998, à la société Plettac que la marque NF ne certifiait pas le montage des produits sur chantier dès lors qu'il n'en assure pas le contrôle; que surtout la société Plettac produit aux débats un projet daté du 29 janvier 1999, mis au point par l'Afnor, qui envisage la délivrance de l'agrément à des structures d'échafaudages montées à partir de sous-ensembles préfabriqués appartenant à des modèles différents dès lors que des essais en montages mixtes auront été effectués ;
Considérant qu'en l'absence de tout risque de confusion sur l'origine des produits, la seule recherche de la compatibilité entre les produits Metrix et Layher ne constitue donc pas un acte de concurrence déloyale ;
Considérant que la société Layher ne rapporte pas la preuve que la société Arnholdt a commercialisé sur le territoire français du matériel d'occasion de sa fabrication, non conforme à la réglementation française ;
Considérant que la société Layher reproche également à la société Plettac d'avoir utilisé les mêmes noms que ceux par elle choisis pour désigner les pièces de l'échafaudage Metrix et d'avoir débauché son personnel afin d'avoir accès aux fichiers de clientèle ;
Mais considérant que les ouvrages techniques produits aux débats montrent que les termes de "moise" ou "lisse" sont indifféremment employés pour désigner l'élément horizontal reliant deux montants ; qu'il en est de même du mot "montant" pour identifier l'élément vertical et de celui de "diagonale" pour dénommer le tube de consolidation de l'échafaudage encore appelé "contreventement" ;
Que l'on ne saurait davantage faire grief à la société Plettac d'avoir, dans une plaquette publicitaire, employé le substantif "universel" dans son acception courante ;
Considérant que les attestations produites par la société Layher émanent toutes de ses salariés, parmi lesquels certains, après avoir travaillé au sein de la société Plettac, ont été à nouveau embauchés par la société Layher;
Qu'en l'absence d'autres éléments, ces seules attestations sont insuffisantes pour établir tant la réalité du débauchage reproché, dont il n'est pas au demeurant démontré qu'il ait eu pour conséquence la désorganisation de l'entreprise, que le détournement de clientèle qui en serait résulté ; qu'en l'absence de preuve de manœuvres déloyales, il ne peut être reproché à la société Plettac d'avoir, à des fins commerciales, accordé des remises à certains clients ;
Considérant qu'il s'ensuit que la société Layher sera déboutée de l'ensemble de ses demandes ; que le jugement déféré sera donc infirmé ;
- Sur les demandes des sociétés Plettac et Arnholdt
Considérant que la société Plettac et la société Arnholdt estiment avoir subi un préjudice du fait de l'interdiction de commercialiser l'échafaudage Metrix;
Mais considérant que les appelantes, qui ne produisent aux débats aucun élément comptable permettant de chiffrer le préjudice allégué et notamment la part que représentait l'exploitation de ce matériel dans leur chiffre d'affaires, seront entièrement déboutées de leur demande de ce chef;
Considérant que la société Layher ayant pu de bonne foi se méprendre sur la portée et l'étendue de ses droits, la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive formée par les sociétés Plettac et Arnholdt sera également rejetée ;
Considérant, en revanche, qu'il sera fait droit à la mesure de publication sollicitée dans les limites qui seront précisées au dispositif;
Considérant que les dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile doivent bénéficier aux sociétés appelantes ; qu'il leur sera alloué à ce titre chacune la somme de 100.000 F ;
Que l'appel ayant été déclaré fondé, la société Layher doit être déboutée de sa demande de ce chef;
Par ces motifs, infirme en toutes ses dispositions le jugement déféré, statuant à nouveau, déboute la société Layher de l'ensemble de ses demandes au titre de la concurrence déloyale, déboute la société Plettac et la société Arnholdt de leurs demandes de dommages-intérêts, autorise les sociétés Plettac et Arnholdt à publier le présent arrêt dans trois journaux ou revues de leur choix, aux frais de la société Layher, sans que ceux-ci puissent excéder la somme de 20.000 F par insertion, condamne la société Layher à payer à la société Plettac et à la société Arnholdt chacune la somme de 100.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, condamne la société Layher aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.