Cass. com., 21 mars 2000, n° 98-12.688
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Maquet (SA)
Défendeur :
Becker Holding (SA), Becker Médical (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Leclercq
Rapporteur :
M. Huglo
Avocat général :
M. Jobard
Avocats :
SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, Me Le Prado.
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Colmar, 16 décembre 1997), que la société de droit allemand Maquet, qui a pour objet la fabrication et la vente de matériel médical de haute technicité, a résilié, à compter du 31 décembre 1996, le contrat de concession qui la liait pour la distribution de ses produits dans une grande partie de la France à la société Becker médical; qu'elle a créé une succursale sur le territoire français pour assurer la commercialisation directe de ses produits ; que, le 7 mai 1997, les sociétés Becker Holding, Becker médical et Sodiprho (les sociétés Becker) ont assigné la société Maquet en concurrence déloyale ; que celle-ci a fait valoir l'incompétence des juridictions françaises, en invoquant l'existence d'une clause attributive de juridiction aux tribunaux de Rastatt (Allemagne) dans le contrat de concession qui la liait à la société Becker médical ;
Sur le premier moyen, pris en ses trois branches : - Attendu que la société Maquet fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté cette exception d'incompétence alors, selon le pourvoi, d'une part, que le juge doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux, sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée ; que la société Maquet avait fait valoir que les demandes des sociétés Becker étaient relatives aux conséquences de la rupture du contrat et étaient donc de nature contractuelle, si bien qu'en ne recherchant pas si les demandes dont elle était saisie n'étaient pas relatives aux droits et obligations des parties après la rupture du contrat de concession, la cour d'appel a méconnu l'article 12 du nouveau Code de procédure civile, et privé sa décision de base légale, au regard de l'article 17 de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 ; alors, d'autre part, que la cour d'appel a statué sur les conditions dans lesquelles certaines commandes de la société Becker Médical avaient été satisfaites, ainsi que sur les droits et obligations des parties après la rupture du contrat de concession, notamment sur la charge des contrats d'entretien et de la garantie contractuelle ; qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu la compétence exclusive du Tribunal désigné par les parties au contrat violant ainsi les articles 5-1 et 17 de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 ; et alors, enfin, que la Cour de justice des communautés européennes a dit pour droit qu'un tribunal compétent, au titre de l'article 5, alinéa 3, pour connaître de l'élément d'une demande reposant sur un fondement délictuel, n'est pas compétent pour connaître des autres éléments de la même demande, reposant sur des fondements non délictuels, si bien qu'en retenant que les éléments des demandes des sociétés Becker reposant sur un fondement contractuel, ne pouvaient être dissociés des éléments de la demande reposant sur un fondement délictuel, la cour d'appel a violé les articles 5, alinéa 1, 5, 3 et 17 de la convention de Bruxelles ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant constaté que les sociétés Becker ne revendiquaient l'application d'aucune des clauses du contrat de concession et ne se prévalaient d'aucune inexécution contractuelle mais fondaient leur demande sur des faits de concurrence déloyale résidant dans le débauchage de salariés et de sous-traitants, ainsi que dans le détournement de commandes en vue de capter leur clientèle, et retenu que la demande de reprise des stocks n'était formulée qu'au titre de la réparation du préjudice subi du fait des détournements de clientèle allégués, la cour d'appel, par ces seuls motifs, a légalement justifié sa décision de retenir la compétence des juridictions françaises, sans encourir les griefs visés par les deux premières branches du moyen ;
Attendu, en second lieu, que la cour d'appel n'a pas qualifié certaines des demandes des sociétés Becker de contractuelles ; que le grief visé à la troisième branche du moyen est dès lors inopérant ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le second moyen, pris en ses six branches : - Attendu que la société Maquet fait encore grief à l'arrêt d'avoir retenu à son encontre des faits de concurrence déloyale alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'en retenant à la charge de la société Maquet l'existence d'actes de désorganisation des sociétés Becker Médical et Sodiprho, par l'intermédiaire du personnel de celles-ci après avoir estimé qu'elles ne rapportaient la preuve d'aucune manœuvre de débauchage de leur personnel, la cour d'appel n'a pas tiré de ses propres énonciations les conséquences légales, qui s'en évinçaient nécessairement au regard des articles 1382 et 1383 du Code civil alors, d'autre part, qu'en se prononçant de la sorte aux seuls motifs que la société Maquet avait engagé, sur une période de plus de six mois, quatre des neuf salariés de la société Decker Médical et un des six salariés de la société Sodiprho et que si elle n'était pas à l'origine de la démission de ces salariés, elle ne pouvait ignorer la complète désorganisation qui en résultait pour ces dernières, cependant que la connaissance de cette désorganisation caractérisait à elle seule, la concurrence déloyale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 1383 du Code civil alors, encore, qu'en retenant à la charge de la société Maquet l'existence d'actes de désorganisation des sociétés Becker Médical et Sodiprho par l'intermédiaire des sous-traitants de celles-ci, sans relever l'existence de la moindre manœuvre de débauchage de ces sous-traitants, et aux seuls motifs que la société Maquet avait conclu de nouveaux contrats de sous-traitance avec trois d'entre eux et engagé le quatrième en qualité de technicien, plus de trois mois après qu'ils aient dénoncé les contrats qui les unissaient à la société Sodiprho, et qu'elle ne pouvait ignorer la complète désorganisation qui en résultait pour cette dernière, en sorte qu'elle avait ainsi commis un acte de concurrence déloyale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 1383 du Code civil, alors, encore, qu'en retenant, d'office, sans avoir préalablement invité les parties à présenter leurs observations à cet égard, que la mauvaise volonté mise par la société Maquet à satisfaire les commandes de la société Becker Médical était confirmée, tant par l'absence de réponse précise aux demandes qui avaient été formulées par courriers des 31 décembre 1996, 4 février 1997, 28 avril 1997, 31 juin 1997 et 26 août 1997 que par une note manuscrite apposée par un dirigeant de la Société Maquet sur une télécopie du 10 juin 1997, la cour d'appel, qui a méconnu le principe de la contradiction, n'a pas satisfait aux exigences de l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ; alors, en outre, qu'en se bornant à relever, pour retenir l'existence d'un acte de "détournement de commande", constitutif de concurrence déloyale, que le centre hospitalier de Nice avait, le 29 janvier 1997, annulé une commande qu'il avait passée le 20 janvier précédent, en indiquant avoir accepté le devis qui lui avait été adressé par la société Sodiprho "par erreur", sans constater qu'il s'était ensuite adressé à la société Maquet à cet effet, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 1383 du Code civil ; et alors, enfin, que la lettre-circulaire du 12 février 1997 dont l'arrêt rappelle le contenu ne comporte ni propos dénigrants ni indications inexactes, qu'en estimant que son envoi par la société Maquet s'analysait en "une manœuvre caractérisant la concurrence déloyale", la cour d'appel a violé les articles 1382 et 1383 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant constaté que la démission de la plupart des salariés de la société Becker Médical constituant son service commercial, suivie de l'embauche quasi immédiate de ses salariés par la société Maquet, personnel qui occupait des "postes-clés" au sein de la société Becker Médical, avait privé celle-ci de l'essentiel de sa force de vente, ces départs très rapprochés dans le temps rendant difficile, voire impossible, le remplacement de ces salariés de haut niveau et la formation de leurs successeurs au cours de la période de préavis de rupture, démissions coïncidant avec la perte par la société Becker Médical de sa qualité de concessionnaire des produits Maquet, et retenu que, bien que les sociétés Becker ne rapportent pas la preuve de manœuvres de débauchage, la société Maquet qui prétend ne pas être à l'origine de la démission de ces salariés ne pouvait ignorer la complète désorganisation qui en résultait pour les sociétés Becker, la cour d'appel a ainsi légalement justifié sa décision de retenir à l'encontre de la société Maquet des faits de concurrence déloyale résidant dans la désorganisation du service commercial de la société Becker Médical ;
Attendu, en second lieu, qu'ayant constaté que quatre sous-traitants de la société Sodiprho, qui assuraient la maintenance et le service après vente pour quarante départements français, ont dénoncé les 28 et 30 septembre 1996 dans des termes identiques le contrat de sous-traitance qui les liait à cette société et ont adressé leurs offres de services dans des termes identiques à la société Maquet, laquelle a aussitôt conclu de nouveaux contrats avec trois d'entre eux et a embauché le quatrième en qualité de technicien, et retenu que la société Maquet n'avait pu ignorer la grave désorganisation qui en résultait pour les sociétés Becker, ainsi que l'existence de clauses de non-concurrence dans les contrats qui liaient ces sous-traitants à la société Sodiphro puisque ces clauses étaient mentionnées dans les offres de service de deux de ces sous-traitants, la cour d'appel a ainsi légalement justifié sa décision de retenir à l'encontre de la société Maquet des faits de concurrence déloyale résidant dans le débauchage des sous-traitants ;
Attendu, en troisième lieu, que la société Maquet ne conteste pas que les courriers et la note manuscrite mentionnés par la quatrième branche du moyen ont été régulièrement produits aux débats ; qu'ils sont donc réputés avoir été discutés contradictoirement ;
Attendu, en quatrième lieu, que la cour d'appel a constaté que le défaut de confirmation de commandes et de livraison a permis à la société Maquet de s'approprier les commandes de la société Becker Médical que celle-ci n'avait pu satisfaire et ne s'est pas fondée exclusivement sur l'annulation de la commande du centre hospitalier de Nice ; qu'elle a ainsi légalement justifié sa décision sans encourir les griefs de la cinquième branche du moyen ;
Attendu, enfin, que la cour d'appel a retenu que la lettre-circulaire de la société Maquet du 12 février 1997 mentionnait qu'elle était désormais la seule structure habilitée à réaliser la maintenance des équipements de la marque, tandis que les sociétés Becker Médical et Sodiphro étaient encore habilitées à assumer les obligations du service après-vente portant sur le matériel vendu par elles, ainsi que la société Maquet l'avait d'ailleurs rappelé à la société Becker Médical ; qu'elle a pu en déduire que les propos inexacts contenus dans la lettre-circulaire étaient constitutifs de concurrence déloyale; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi.