CA Paris, 4e ch. B, 17 mars 2000, n° 1998-19135
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
NSP (SA)
Défendeur :
Mille et Une Nuits (SA) ; Librairie Arthème Fayard (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Boval
Conseillers :
Mmes Mandel, Regniez
Avoués :
SCP Bommart Forster, SCP Fisselier Chiloux Boulay
Avocats :
Mes Pierrat, de la Porte des Vaux, Naccach.
LA COUR statue sur l'appel interjeté par la société NSP d'un jugement rendu à son encontre le 19 juin 1998 par le tribunal de commerce de Paris dans un litige l'opposant à la société Mille et Une Nuits aux côtés de laquelle intervient en appel la société Librairie Arthème Fayard.
Mille et Une Nuits (qui serait aujourd'hui contrôlée par Fayard qui intervient en appel à ses côtés) a inauguré en France en 1993 le marché du livre à 10 F créé en Italie par la collection Millelire.
Elle reproche à NSP d'avoir édité à partir de 1997 des ouvrages d'une collection intitulée l'Esprit Frappeur reprenant le prix, le format, la présentation graphique et les thèmes de ses ouvrages. Elle a fait assigner NSP devant le tribunal de commerce demandant, outre des mesures de publication, qu'il soit jugé qu'elle s'était livrée à des actes de concurrence déloyale à son encontre, qu'elle soit condamnée à lui payer les sommes de 500.000 F à titre de dommages-intérêts, qu'il lui soit ordonné sous astreinte de mettre fin à ces agissements et de retirer du marché les ouvrages litigieux.
NSP avait conclu au débouté et réclamé reconventionnellement 50.000 F à titre de dommages intérêts pour procédure abusive.
Dans son jugement du 19 juin 1998, le tribunal de commerce :
- a dit que par le choix de certaines couvertures et de certains thèmes de ses ouvrages NSP s'est rendue coupable de concurrence déloyale et parasitaire à l'encontre de Mille et Une Nuits,
- lui a fait interdiction de publier des ouvrages du type "livre à 10 F" dont les couvertures présenteraient des caractéristiques d'ordre visuel voisines de celles habituellement mises en œuvre par Mille et Une Nuits,
- l'a condamnée à payer à la société Mille et Une Nuits la somme de 100.000 F à titre de dommages intérêts et celle de 30.000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- a autorisé la société Mille et Une Nuits à publier à ses frais le jugement dans tous périodiques de son choix,
- a ordonné l'exécution provisoire sauf sur les mesures de publication.
Ayant interjeté appel, NSP poursuit la réformation du jugement entrepris et réclame que son adversaire soit condamnée à lui payer les sommes de 50.000 F à titre de dommages intérêts pour procédure abusive et de 25.000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Mille et Une Nuits et Fayard prient la Cour :
- d'infirmer partiellement la décision querellée,
- de dire que NSP s'est rendue coupable à leur encontre d'actes de contrefaçon et de concurrence déloyale,
- de condamner NSP à payer à Mille et Une Nuits et Fayard la somme de 1 million de francs à titre de dommages intérêts,
- de faire interdiction à NSP de publier tout nouvel ouvrage reproduisant les caractéristiques principales des ouvrages publiés par Mille et Une Nuits et Fayard, sous astreinte de 1000 F par infraction constatée,
- de dire et juger à cet égard que ces caractéristiques consistent en la réunion des éléments suivants :
format 10,5 x 15, couverture de couleur vive sur laquelle, également en couleurs vives et variées, s'inscrit le titre de l'ouvrage suivant des caractères typographiques variables,
- d'ordonner sous astreinte de 1000 F par jour de retard passé la signification du jugement, la communication par NSP à Mille et Une Nuits et Fayard de la liste exhaustive des titres parus dans la collection l'Esprit Frappeur,
- d'ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans le Nouvel Observateur, Livres Hebdo et Le Monde aux frais de NSP,
- de condamner NSP à payer à Mille et Une Nuits et Fayard une indemnité de 50.000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur ce, LA COUR,
Considérant que Mille et Une Nuits et Fayard forment pour la première fois en appel à l'encontre de NSP - qui n'en conteste pas toutefois la recevabilité - une demande en contrefaçon; qu'elles exposent que l'originalité des couvertures de Mille et Une Nuits caractérise une création artistique protégeable par le droit d'auteur et que leur adversaire en reproduisant ces couvertures a commis des actes de contrefaçon ;
Mais considérant que les couvertures très variées des ouvrages de Mille et Une Nuits et Fayard (qui se bornent à indiquer qu'elles se caractérisent par un format 10 x 15 - en lui-même non protégeable - et "des couvertures de couleur vive sur lesquelles, également en couleurs vives et variées, s'inscrit le titre de l'ouvrage suivant des caractères typographiques variables"), même si elles manifestent une certaine communauté de style, ne constituent pas globalement une œuvre individualisable et protégeable par le doit d'auteur; que Mille et Une Nuits et Fayard seront déboutées de leur demande en contrefaçon ;
Considérant qu'invoquant à nouveau la concurrence déloyale et le parasitisme, elles reprochent à NSP d'avoir imité l'identité visuelle de leurs ouvrages et leurs thèmes, d'avoir cherché à créer un risque de confusion dans l'esprit du consommateur, d'autant plus qu'elles ont fait en sorte que ces ouvrages du même format que les leurs, soient placés par les libraires dans les présentoirs spéciaux qu'elles ont fait installer dans les lieux de vente;
Considérant que NSP soutient que ce grief est infondé en faisant valoir :
- que ses adversaires s'efforcent en réalité de s'assurer un monopole sur le marché des livres à 10 F de format 10,5 x 15 alors qu'elles se sont elles-mêmes bornées à importer ce concept d'Italie,
- que Mille et Une Nuits et Fayard ne peuvent pas non plus prétendre à un monopole sur des thèmes d'actualité et fédérateurs,
- que ses adversaires ayant publié 200 titres dont les couvertures sont parfois très diverses, le tribunal ne peut être suivi en ce qu'il leur a octroyé un monopole sur les couvertures en couleurs,
- qu'il ne peut pas lui être reproché d'avoir cherché à susciter un risque de confusion alors que les ouvrages concernés s'adressent à un public particulièrement "alerte";
Mais considérant que l'examen des ouvrages respectivement publiés par les parties qui ont été versés aux débats, fait apparaître que les livres de NSP antérieurs au prononcé du jugement entrepris constituent comme l'a retenu le tribunal une imitation du style général graphique des couvertures des ouvrages de Mille et Une Nuits ; qu'ils reprennent leurs tons dominants notamment jaune et rose "fluo" s'étendant sur toute la hauteur de la couverture, leur disposition de lettres irrégulières, la présence au bas de la couverture d'un cartouche noir dans lequel s'inscrit la dénomination Mille et Une Nuits en y plaçant les mots l'Esprit Frappeur; que si l'adoption du même format qui est celui des cartes postales et qui est utilisé par d'autres éditeurs n'est pas répréhensible en elle-même, de même que ne peut être incriminée la reprise de certains thèmes insusceptibles d'appropriation comme le génocide du Rwanda ou le cannabis, les autres éléments précédemment rappelés caractérisent de la part de NSP un comportement fautif constitutif de concurrence déloyale en ce qu'il consiste à imiter la présentation des produits de Mille et Une Nuits ;
Considérant que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a retenu dans son principe le grief de concurrence déloyale ;
Considérant sur les mesures réparatrices que le montant (100.000 F) des dommages intérêts alloués par le Tribunal répare exactement le préjudice subi par Mille et Une Nuits ;
Considérant en revanche que les mesures d'interdiction prononcées par le tribunal apparaissent excessivement vagues et sont de nature à compromettre la liberté de la concurrence; que le jugement sera réformé de ce chef ; que les caractéristiques dont les intimées prétendent voir interdire l'emploi par leur adversaire (format 10,5 x 15, et couverture de couleur vive sur laquelle, également en couleurs vives et variées, s'inscrit le titre de l'ouvrage suivant des caractères typographiques variables) sont également trop vagues pour asseoir une mesure d'interdiction, rappel étant fait de ce que le format 10,5 x 15 ne saurait être réservé à un éditeur ;
Considérant qu'ont été présentés à la cour les derniers ouvrages de la collection l'Esprit Frappeur, qui se distinguent des précédents en ce que leur couverture est divisée en deux parties superposées de même taille, celle du haut comportant le titre et le nom de l'auteur écrits en lettres régulières et horizontales, celle du bas étant constituée d'un aplat de couleur sans inscriptions, hormis dans la partie inférieure droite un cartouche noir dans lequel est inscrite en lettres blanches la dénomination l'Esprit Frappeur soulignée par un logo : une tâche rouge prolongée par des éclaboussures ;
Considérant que cette présentation, sous réserve du cartouche inférieur qui s'apparente trop étroitement à celui des livres des Mille et Une Nuits, n'apparaît plus appeler de critique ; qu'il sera fait interdiction à NSP d'utiliser dans le format des ouvrages en cause, d'autres graphismes que celui ci-dessus décrit, mais également de présenter la dénomination l'Esprit Frappeur dans un cartouche noir ;
Considérant qu'il n'y a lieu de faire droit, ni à la demande des intimés tendant à ce qu'il soit ordonné à NSP de communiquer une liste des ouvrages qu'elle a fait paraître, ni aux demandes de dommages intérêts ou d'indemnité pour ses frais irrépétibles présentées par l'appelante dont la responsabilité est retenue ;
Considérant que les intimées seront autorisées à faire publier un extrait du présent arrêt aux frais de leur adversaire, dans deux journaux ou revues de leur choix dans la limite d'un coût de 20.000 F par insertion;
Considérant que l'équité commande d'allouer aux intimées une indemnité complémentaire de 10.000 F pour leurs frais irrépétibles d'appel ;
Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la société NSP avait commis des actes de concurrence déloyale, et prononcé à son encontre des condamnations à dommages intérêts, ainsi qu'au titre des frais irrépétibles et des dépens ; Le réformant pour le surplus, statuant à nouveau et ajoutant : Fait interdiction à la société NSP sous astreinte de 1000 F par infraction constatée passé la signification du présent arrêt de publier de nouveaux ouvrages de format 10,5 x 15, si leur couverture n'est pas divisée en deux parties superposées de même taille, celle du haut comportant le titre et le nom de l'auteur écrits en lettres régulières et horizontales, celle du bas étant constituée d'un aplat de couleur sans inscriptions, autres que les mots l'Esprit Frappeur et le logo associé qui ne devront cependant pas s'inscrire dans un cartouche noir ; Autorise les intimées à faire publier un extrait du présent arrêt aux frais de leur adversaire, dans deux journaux ou revues de leur choix dans la limite d'un coût de 20.000 F par insertion ; Condamne la société NSP à payer aux intimées une indemnité complémentaire de 10.000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Rejette toute autre demande ; Condamne la société NSP aux dépens d'appel ; Admet la SCP Fisselier Chiloux Boulay au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.