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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 17 mars 2000, n° 1998-14169

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Guy Cotten (SA), Chattawak (SA)

Défendeur :

Adecco Travail Temporaire (SA), Grimaldi, COGEP (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boval

Conseillers :

Mme Mandel, Mme Regniez

Avoués :

Mes Baufume, Huyghe, SCP Lagourgue, SCP Gibou-Pignot-Grappotte-Benetreau

Avocats :

Mes Meyer, Marmond, Parleani, Verniau, Laurent.

TGI Paris, du 23 mars 1998

23 mars 1998

Appel a été interjeté par les sociétés Chattawak et Guy Cotten d'un jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris du 23 mars 1998 dans un litige les opposant aux côtés de M. Le Cam à la société Adecco, laquelle avait appelé en garantie la société COGEP et M. Grimaldi, directeur de publication du " Figaro ".

Référence étant faite au jugement entrepris pour l'exposé des faits, de la procédure et des moyens antérieurs des parties, il suffit de rappeler les éléments essentiels suivants.

M. Le Cam, navigateur, a participé à la course à la voile " La solitaire du Figaro " qui s'est déroulée au mois d'août 1996. Il avait notamment comme sponsors les sociétés Chattawak et Guy Cotten.

La société Ecco, aux droits de qui se trouve Adecco, a conclu avec Le Figaro, organisateur de la course, une convention de partenariat aux termes de laquelle elle s'était engagée à acquérir des espaces publicitaires à hauteur de 250 000 francs hors taxes dans le quotidien " Le Figaro ", en pages " Vie de la Solitaire ".

Lors de l'organisation de la précédente course en 1995, Ecco s'était adressée pour la " promotion de son image ", à la COGEP, agence conseil en publicité. Elle avait publié dans Le Figaro une pleine page publicitaire reproduisant sur une moitié la photographie de trois avions de la " patrouille " Ecco en démonstration de vol, sur l'autre, celle de M. Philippe Poupon, vainqueur de la course, sur son bateau, avec le titre suivant : " Ecco, partenaire officiel, félicite Philippe Poupon, vainqueur de la Solitaire du Figaro ".

Eu 1996, Ecco s'est à nouveau adressée à cette agence.

Le 31 août 1996, Le Figaro a publié une pleine page publicitaire reprenant la publicité ci-dessus décrite, à l'exception de la photographie du navigateur qui a été remplacée par celle de Jean Le Cam, vainqueur de la course 1996, sur son bateau, et de la mention qui comportait le nom de Jean Le Cam.

Estimant que la publication de 1996 constituait à la fois une violation des droits du navigateur sur son nom et son image et des agissements parasitaires vis à vis de ses sponsors, Jean Le Cam ainsi que Chattawak et Cotten ont, par acte du 28 avril 1997, assigné la société Adecco devant le tribunal pour obtenir, outre des mesures d'interdiction et de publication, sa condamnation au paiement :

- à Jean Le Cam, de la somme de 400 000 francs à titre de dommages et intérêts, sur le fondement des articles 9 et 1382 du Code Civil en réparation du préjudice économique consécutif à ce parasitisme,

- aux sociétés Cotten et Chattawak, de celle de 400 000 francs à chacune d'elles, à titre de dommages et intérêts, sur le fondement de l'article 1382 en réparation du préjudice économique consécutif à ce parasitisme.

Adecco avait appelé en garantie, par acte des 19 et 22 septembre 1997, la COGEP et M. Grimaldi, (en sa qualité de directeur de publication du Figaro), estimant que COGEP n'avait pas, au regard des dispositions de l'article 1147 du Code civil, rempli son obligation d'élaborer un message publicitaire conforme aux lois et règlements en vigueur, et que M. Grimaldi, avait commis une faute, en acceptant de le publier.

Adecco avait conclu au rejet des demandes de Chattawak et de Guy Cotten, soutenant n'avoir commis aucune faute, et COGEP ainsi que M. Grimaldi avaient conclu au rejet de l'appel en garantie.

Par jugement du tribunal de grande instance de Paris du 23 mars 1998, le tribunal a :

- condamné la société Adecco à payer à Jean Le Cam la somme de 50 000 francs à titre de dommages et intérêts ainsi que celle de 10 000 francs en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

- condamné COGEP à garantir intégralement la société Adecco de ces condamnations,

- rejeté toute autre demande principale ou en garantie,

- dit n'y avoir lieu à publication ni à exécution provisoire du jugement.

M. Jean Le Cam n'a pas interjeté appel et n'a pas été attrait dans la procédure.

Les sociétés Chattawak et Guy Cotten, qui ont interjeté appel à l'encontre de la société Adecco poursuivent l'infirmation du jugement. Dans le dernier état de leurs écritures du 3 septembre 1999, elles prient la cour de :

- dire que la publicité parue en pleine page du Figaro du 31 août 1996, dont Adecco est l'annonceur constitue à leur égard des agissements parasitaires répréhensibles sur le fondement de l'article 1382 du Code civil,

- faire interdiction à Adecco d'utiliser de quelque façon que ce soit et sur tout support que ce soit, l'usage et le nom de Jean Le Cam, sous astreinte de 100 000 francs par infraction constatée,

- condamner Adecco à verser à Chattawak la somme de 400 000 francs à titre de dommages et intérêts et à Cotten la somme de 400 000 francs au même titre,

- ordonner la publication du jugement dans cinq journaux au choix des demanderesses dans la limite d'un coût global de 200 000 francs HT

- condamner Adecco à payer à chacune d'elles la somme de 30 000 francs par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Adecco, formant appel provoqué à l'encontre de la société COGEP et de M. Grimaldi, les a assignés dans la procédure d'appel, pour les voir, en tant que de besoin, condamnés à la garantir de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées contre elle au profit des sociétés Chattawak et Cotten.

Adecco, dans ses écritures du 29 novembre 1999, à titre principal, conclut à la confirmation du jugement et à titre subsidiaire, sollicite la garantie de COGEP et de M. Grimaldi. Elle réclame en tout état de cause la condamnation de tous ses adversaires au paiement de la somme de 15 000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

M. Grimaldi conclut à la confirmation du jugement et demande la condamnation d'Adecco au paiement de la somme de 30 000 francs par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

COGEP, par écritures du 22 novembre 1999, conclut à la réformation du jugement en ce qu'elle a été condamnée à garantir Adecco des condamnations prononcées au bénéfice de M. Le Cam. Pour le surplus, elle poursuit la confirmation du jugement en ce que les demandes des sociétés Chattawak et Cotten ont été rejetées et réclame leur condamnation " conjointe et solidaire " avec Adecco au paiement de la somme de 50 000 francs à titre de dommages et intérêts ainsi que celle de 30 000 francs HT au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Sur ce, LA COUR :

Sur l'appel principal :

Considérant que les appelantes font grief aux premiers juges :

- d'avoir énoncé que "cette publicité qui associe étroitement la marque Ecco à l'image du seul vainqueur de la compétition et non à la course elle-même, a pu créer dans l'esprit du public l'idée d'une relation privilégiée entre cette entreprise de travail temporaire et Jean Le Cam, que la mention " partenaire officiel de la course " " ne suffisait pas à écarter ",

- d'avoir indiqué que " Adecco avait fait le choix de ne plus faire apparaître le nom des sponsors ",

- et de ne pas avoir tiré les conséquences de ces constatations à leur égard alors qu'elles étaient seules habilitées en leur qualité de sponsors à se prévaloir d'une relation privilégiée avec M. Le Cam et que l'association ainsi faite dans la publicité était de nature à créer dans l'esprit du public l'idée d'une relation privilégiée entre Adecco et M. Le Cam, à leur détriment ;

Qu'elles leur reprochent, en outre, d'avoir estimé :

- " qu'Adecco avait eu un rôle officiel dans la compétition gagnée par l'équipage qu'elles parrainaient ",

- et que, " sans l'engagement financier de cette dernière (Adecco) dans l'organisation de la course, elles-mêmes n'auraient pas pu bénéficier des retombées de leurs investissements ", énonçant au surplus qu'elles n'apportaient pas la preuve de ce qu'elles disposaient de l'exclusivité de l'utilisation commerciale du patronyme et de l'image de M. Le Cam, alors que la convention passée entre Adecco et Le Figaro (qui par ailleurs ne leur est pas opposable) n'autorisait nullement Adecco à associer son nom à celui du vainqueur de la course ;

Que les appelantes ajoutent qu'elles ont, en parrainant M. Le Cam, et donc en procédant à des investissements importants durant plusieurs années, escompté légitimement tirer profit des retombées de sa notoriété s'il était vainqueur, et qu'Adecco, en s'arrogeant la victoire de M. Le Cam, en occultant volontairement leurs noms de façon à apparaître comme le seul partenaire de M. Le Cam, a eu un comportement parasitaire ;

Considérant que les premiers juges ont estimé avec raison que le grief de comportement parasitaire adressé à Adecco était dénué de fondement ; qu'ils ont justement relevé que la publicité d'Adecco saluant le vainqueur de l'épreuve au financement de laquelle elle avait participé ne constituait pas un détournement des efforts financiers consentis par les sponsors de M. Le Camque sous réserve de la question désormais tranchée des droits à l'image personnels du compétiteur et en l'absence de restrictions particulières convenues entre les organisateurs et les participants de la course (ou les sponsors de certains d'eux), en ce qui concerne l'usage du nom et de l'image du vainqueur de la course, cette publicité, qui apparaît conforme aux usages en matière de parrainage d'événements sportifs, ne peut être tenue pour fautive -rien ne permettant de retenir qu'Adecco aurait délibérément occulté le nom des deux sponsors qui étaient apposés en certains endroits sur le bateau; que le jugement sera donc confirmé ;

Sur l'appel provoqué

Considérant que COGEP poursuit la réformation du jugement en ce qu'elle a été condamnée à garantir Adecco de la condamnation prononcée au bénéfice de M. Le Cam ; qu'elle fait valoir :

- qu'Adecco lui avait commandé, en 1996, la publicité, sous la forme utilisée lors de la précédente course du " Solitaire ",

- qu'alors que l'année précédente elle avait eu un rôle de création, elle n'a eu aucune initiative de conception ou de création dans la publicité de 1996, n'ayant agi qu'en qualité de mandataire de l'annonceur, pour une réalisation technique d'une annonce choisie par Adecco ;

Mais considérant que cette argumentation est dénuée de pertinence dès lors que, s'il est exact que la commande passée par l'annonceur en 1996 ne portait pas sur un travail de création, Adecco a réutilisé la publicité créée en 1995 par COGEP ; que cette dernière ne prétend pas pour la publicité de 1995 avoir avisé l'annonceur, contrairement à son obligation de conseil, de l'exigence de l'accord de la personne dont l'image était reproduite ; que l'absence de contestation ou de litige à propos de cette première publicité est indifférente au débat ; qu'elle ne constitue en effet pas une cause étrangère au sens de l'article 1147 du code civil de nature à exonérer Cogep de sa responsabilité dans l'inexécution de ses obligations ; que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a condamné COGEP à garantir Adecco des condamnations prononcées au profit de M. Le Cam ;

Sur les autres demandes

Considérant qu'il ne saurait être fait droit à la demande de dommages et intérêts formée par COGEP dès lors qu'aucun élément ne démontre qu'Adecco aurait agi avec une légèreté fautive en l'appelant en cause en appel, et alors que les appelantes n'ont formé aucune demande contre elle ;

Considérant qu'il n'est pas contraire à l'équité de laisser à la charge des appelants, d'Adecco et COGEP, leurs frais d'appel non compris dans les dépens ; que M. Grimaldi ayant été manifestement mis en cause à tort (alors qu'il est directeur de la publication du Figaro et que le présent litige n'a pas trait aux lois sur la presse) Adecco sera condamnée à lui payer une indemnité de 20.000 F pour ses frais non compris dans les dépens ;

Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris ; Rejette toute autre demande ; Condamne la société Adecco à payer à M. Grimaldi une indemnité de 20.000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne les sociétés Chattawak et Guy Cotten aux entiers dépens, à l'exception de ceux relatifs à la mise en cause de M. Grimaldi et de la société COGEP qui seront à la charge de la société Adecco ; Autorise Maître Huyghe, Maître Lacourgue, et la SCP Gibou-Pignot-Grapotte Benetreau, avoués, à les recouvrer, selon les dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.