Livv
Décisions

CA Versailles, 1re ch. A, 16 mars 2000, n° 3411-97

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Claire, Fédération Nationale des Orthophonistes

Défendeur :

Flahaut

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Gabet-Sabatier

Conseillers :

M. Martin, Mme Liauzun

Avoués :

SCP Lissarague-Dupuis, Associés, SCP Lambert-Debray-Chemin

Avocats :

Mes Mouchart, Grinsmir.

TGI Pontoise, du 14 janv. 1997

14 janvier 1997

Madame Geneviève Flahaut, exerçant la profession d'orthophoniste, 46 rue de Gisors à Pontoise, a signé, le 18 mai 1994, un " contrat d'assistant collaborateur " avec Madame Gina Claire, lequel prévoyait, notamment, en son article 13, la clause de non-concurrence suivante :

" A l'expiration du contrat ou lors de sa résiliation par l'une des parties, en application des articles 9 et 11, Madame Gina Claire s'interdira d'exercer pendant trois ans dans un rayon de dix kilomètres ".

L'article 14 du même contrat précisait :

" En cas de violation de l'article 13, Madame Gina Claire versera à Madame Flahaut une indemnité correspondant au quart du prix de cession du cabinet de Madame Flahaut, établi selon les règles de la profession. Pour l'évaluation de ce prix, il pourra être fait appel à un expert désigné par la Fédération des Orthophonistes de France ".

Le 8 mars 1995, Madame Claire a adressé un courrier à Madame Flahaut par lequel elle l'informait de sa décision de mettre fin au contrat d'assistant collaborateur, à effet du 31 juillet 1995, compte tenu du préavis contractuel.

Postérieurement au départ de Madame Claire, Madame Flahaut a fait constater par géomètre que le nouveau cabinet de Madame Claire était situé, à vol d'oiseau, à 6 kilomètres 3 de son cabinet et, invoquant un non-respect de la clause de non-concurrence elle a, par acte du 12 mars 1996, fait assigner Madame Claire devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Pontoise.

Par ordonnance en date du 10 avril 1996, le juge des référés a ordonné à Madame Claire de faire cesser immédiatement toute activité professionnelle au 30 boulevard de l'Evasion à Cergy et d'une façon générale dans un rayon de dix kilomètres à vol d'oiseau et désignait un expert aux fins d'établir le montant de l'indemnité due.

Par arrêt en date du 6 mai 1998, la présente Cour a infirmé cette décision au motif de l'existence d'une contestation sérieuse.

Madame Claire a saisi à son tour la juridiction de Pontoise, au fond, pour entendre dire qu'elle n'avait commis aucune violation contractuelle et que la distance de dix kilomètres prévue par la clause contractuelle devait être calculée non pas à vol d'oiseau mais en prenant en considération le trajet routier le plus court qui est en l'espèce de 10 kilomètres 200.

Elle ajoutait en outre qu'il ne saurait y avoir concurrence déloyale dans la mesure où Madame Flahaut, à raison de ses diplômes, est limitée à certaines spécialités différentes de celles exercées par Madame Claire.

Par jugement contradictoire en date du 14 janvier 1997, le tribunal de grande instance de Pontoise a retenu que la notion de rayon contenue dans la convention était très claire et devait s'entendre de la notion géométrique et non de la notion floue et fluctuante du trajet routier. Le tribunal a dit, en conséquence, que les prétentions de Madame Claire étaient dénuées de fondement et, sur la demande reconventionnelle de Madame Flahaut tendant à l'allocation de dommages-intérêts, le tribunal a rappelé le contenu de l'article 14 fixant les critères de l'indemnisation forfaitaire et conventionnelle ; il a en conséquence rejeté la demande reconventionnelle.

Madame Claire a interjeté appel de cette décision.

La Fédération Nationale des Orthophonistes est intervenue volontairement aux côtés de l'appelante.

Par conclusions communes, elles prient la Cour :

- d'infirmer le jugement et d'annuler les dispositions conventionnelles figurant aux articles 13 et 14 du contrat de collaboration,

- subsidiairement, de dire que Madame Claire est fondée à interpréter la clause de non-concurrence à partir du trajet routier le plus court,

- plus subsidiairement encore, de dire que ladite clause de non-concurrence ne peut s'appliquer qu'aux actes permis à Madame Flahaut personnellement, et en tout état de cause de réduire la clause pénale à la somme de 1 franc de dommages-intérêts,

- de rejeter toute demande de dommages-intérêts supplémentaires,

- de condamner Madame Flahaut au paiement de la somme de 10.000 francs au titre des frais irrépétibles.

Madame Flahaut prie la Cour de confirmer le jugement en ce qu'il a retenu l'existence d'une violation de la clause de non-concurrence et, formant appel incident, sollicite la condamnation de Madame Claire au paiement de l'indemnité contractuellement prévue égale au quart de la valeur de son cabinet, à fixer à dire d'expert. Elle demande en outre la somme de 100.000 francs à titre de dommages-intérêts complémentaires et la somme de 15.000 francs au titre des frais irrépétibles.

Sur ce,

Considérant que l'intervention volontaire de la Fédération Nationale des Orthophonistes n'est pas contestée en cause d'appel ; qu'au reste cet intervenant ne fait que conclure aux côtés de l'appelante et ne forme aucune demande personnelle ;

Sur la nullité de la clause de non-concurrence :

Considérant que l'article 13 sus-cité fait la loi des parties et prévoit clairement une interdiction d'exercer pendant trois ans " dans un rayon de dix kilomètres " ; que le litige portait initialement, à la requête de Madame Claire, sur la seule interprétation du terme " rayon de ", celui-ci devant, selon Madame Flahaut, avoir pour référence une distance calculée à vol d'oiseau alors que Madame Claire entend faire prendre en considération une distance calculée à partir du trajet routier le plus court ;

Qu'en cause d'appel, Madame Claire conclut à titre principal à la nullité de la clause de non-concurrence en rappelant qu'une telle clause est licite si " elle ne porte pas atteinte à la liberté du travail en raison de son étendue dans le temps et dans l'espace, compte-tenu de l'activité du salarié et n'est illicite que dans la mesure où elle le fait " ;

Qu'elle invoque la " Jurisprudence récente " selon laquelle la clause, pour être valable, ne doit pas seulement être limitée dans le temps et dans l'espace, mais doit avant tout résulter d'un intérêt légitime pour l'entreprise ou la personne à protéger et laisser au salarié la possibilité d'exercer une activité conforme à son expérience et à sa formation, ladite clause devant être appréciée à partir de l'activité réelle et non seulement de sa définition statutaire ;

Que selon Madame Claire, et l'intervenante, il y a défaut d'intérêt légitime à protéger " du point de vue de l'espace ", dans la mesure où la clientèle des orthophonistes est une clientèle essentiellement composée de jeunes enfants pour lesquels les parents recherchent un praticien situé à proximité de leur domicile, compte tenu de la durée dans le temps des soins prodigués et de leur volonté de limiter les déplacements ;

Qu'elle fait encore valoir que Madame Flahaut ne saurait demander la protection d'activités qu'elle ne peut elle-même pratiquer, faute pour elle de détenir tous les diplômes nécessaires pour la pratique de certains actes ;

Considérant que Madame Flahaut n'a pas expressément conclu sur la demande de nullité mais fait valoir que le contrat ne comporte nulle référence aux actes pratiqués par les parties et qu'avec ses collaboratrices, elle effectue l'ensemble des actes de la profession, le cabinet ayant vocation au plein exercice de son activité ;

Mais considérant que la clause de non-concurrence est licite lorsqu'elle est limitée dans le temps et dans l'espace et qu'elle ne conduit pas à porter une atteinte non justifiée par la protection de son bénéficiaire, à la liberté d'exercice de celui qui la souscrit ;

Qu'en l'espèce, la clause est limitée à trois années, aujourd'hui écoulées, et à un rayon de trois kilomètres que ni cette durée ni cette distance ne constituent des termes excessifs ;

Que peu importe la durée courante des traitements subis par les clients ; que pareillement Madame Claire fait vainement valoir que Madame Flahaut n'a pas les diplômes nécessaires pour pratiquer tous les actes de sa profession, ce qui, d'une part, n'est pas établi avec certitude et qui, d'autre part, est sans conséquence dès lors qu'il n'est pas contesté qu'avec des collaborateurs, le cabinet assure l'intégralité des actes de la profession ;

Que la clause litigieuse présente bien un caractère légitime pour Madame Flahaut dans la mesure où à peine une année après la signature du contrat de collaboration, Madame Claire a décidé de mettre un terme à cet engagement pour se livrer à une pratique individuelle de la profession ; qu'elle ne saurait soutenir que la clause a été ou est de nature à porter atteinte à sa liberté d'exercice dès lors que depuis son départ elle a toujours exercé sa profession et qu'en mars 1997, elle s'est installée au-delà du rayon litigieux ;

Que Madame Claire n'est pas fondée à invoquer la nullité de la clause par elle souscrite ;

Sur le contenu de la clause de non-concurrence

Considérant que la convention fait référence à " un rayon de dix kilomètres " ; que le terme rayon est généralement et couramment défini comme étant la distance déterminée à partir d'un centre ; que ce rayon ne peut être calculé que d'une manière unique, géométrique et linéaire, selon l'expression couramment utilisée de " vol d'oiseau " ; que vainement Madame Claire fait valoir que la distance à retenir est celle du trajet routier le plus court, celui-ci n'étant pas une référence fixe dans le temps ni l'espace ;

Que la Cour présentement n'est pas tenue par les motifs d'un arrêt rendu sur appel d'une ordonnance de référé ;

Que vainement Madame Claire invoque les usages de la profession qui, selon elle, retiennent une clause limitée à la zone d'influence du praticien ; que la zone de dix kilomètres n'est pas excessive et qu'aucun élément ne permet d'établir avec pertinence et certitude la prétendue zone d'influence d'un orthophoniste ;

Que l'argumentation tirée par Madame Claire de la limite des actes pouvant être pratiqués par Madame Flahaut n'est pas plus fondée ; que d'une part, cette limitation n'est pas expressément établie en la personne de Madame Flahaut ; que d'autre part, Madame Claire ne conteste pas, qu'avec des collaboratrices, Madame Flahaut réalise l'intégralité des actes relevant de sa profession et, qu'enfin, la clause de non-concurrence est générale ;

Qu'il n'est pas contesté que l'installation de Madame Claire a été réalisée à 6 kilomètres 3 et que cette dernière s'est rendue coupable d'une violation de ses engagements contractuels ;

Sur les conséquences du manquement imputable à Madame Claire :

Considérant que la convention prévoit une indemnisation égale au quart du prix de cession du cabinet de Madame Flahaut ;

Que l'ordonnance de référé du 6 mai 1998 avait ordonné une expertise sur ce point ; que ladite ordonnance a été entièrement réformée par la Cour ;

Que Madame Claire prie la Cour de dire que l'indemnisation prévue doit être analysée comme étant une clause pénale laquelle, à raison de son caractère excessif, doit être réduite au franc symbolique ;

Que Madame Flahaut demande à la Cour, conformément à la convention, que l'indemnité soit fixée par dire d'expert désigné par la Fédération des Orthophonistes de France ; qu'elle demande, en outre, la somme de 100.000 francs à titre de dommages-intérêts complémentaires ;

Mais considérant que la convention ne fait pas obligation aux parties de saisir un expert désigné par la Fédération des Orthophonistes de France mais prévoit qu'il " pourra être fait appel à un expert désigné ".

Que Madame Flahaut ne donne présentement aucun élément, aucune indication, aucune valeur pouvant permettre à la Cour de déterminer et d'analyser les conséquences de la convention ;

Qu'il convient d'ordonner une mesure d'expertise judiciaire aux frais avancés de Madame Flahaut afin de déterminer la valeur de cession de son activité au jour de la cessation de la collaboration entre les parties ;

Qu'en l'attente de ces éléments la Cour sursoit à statuer sur toutes demandes relatives aux dommages-intérêts ;

Que pareillement une mesure de sursis doit être prononcée en ce qui concerne les frais irrépétibles ;

Par ces motifs, la Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, déboute Madame Claire de sa demande de nullité de la clause de non-concurrence, confirme le jugement déféré en ce qu'il a dit que la clause conventionnelle relative à l'étendue géographique de la clause de non-concurrence liant les parties devait être prise en considération à partir de la distance linéaire et géométrique de dix kilomètres, constate et dit que Madame Claire a manqué à cette obligation, avant dire droit sur les conséquences de cette violation, ordonne une mesure d'expertise, désigne pour y procéder : Monsieur Daniel Osowsni, 8 rue de l'Eglise, 95810 Epiais Rhus, Tél. : 01.47.33.57.75 lequel aura pour mission, en la présence des parties ou celles dûment appelées, de proposer à la Cour une valeur de cession du cabinet de Madame Flahaut, au jour de la cessation de la collaboration entre les parties, dit que l'expert devra déposer son rapport dans les trois mois de sa saisine et que de toute difficulté il saisira Madame Liauzun, magistrat chargé du contrôle de l'expertise, fixe la provision à valoir sur la rémunération de l'expert à la somme de 5.000 francs (cinq mille francs) et dit que cette somme devra être consignée au Greffe de la Cour, dans le mois du présent arrêt, par Madame Flahaut.