CA Paris, 4e ch. A, 15 mars 2000, n° 1998-01684
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Chipie (SA), Chipie Design (SA)
Défendeur :
Kali (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Marais
Conseillers :
M. Lachacinski, Mme Magueur
Avoués :
SCP Teytaud, Bernabé-Chardin-Cheviller
Avocats :
Mes Schmitt, Benazerah.
La société Kali a pour activité la fabrication et la vente de vêtements en gros.
Revendiquant les droits de création sur un modèle de blouson et sur un modèle de caban, référencés respectivement sous les noms de Serpi et Nico, présentés au salon " intersélection " de mai 1995 pour la saison été 1996, et prétendant que la société Chipie, après avoir passé commande de plusieurs échantillons, commercialisait des modèles similaires contrefaisant les siens, la société Kali, après avoir fait pratiquer une saisie contrefaçon dans les locaux de cette société, 16 rue du Four, Paris 16ème, a saisi le Tribunal de commerce de Paris aux fins de constatation des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale et pour solliciter, outre les mesures d'interdiction et de publication habituelles, l'octroi de dommages-intérêts en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi.
Par jugement du 20 mai 1997, le Tribunal de commerce de Paris a :
- constaté que le procès-verbal de saisie contrefaçon du 9 mai 1996 ne satisfaisait pas aux conditions requises par les dispositions des articles L. 521-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle,
- dit que la société Chipie Industrie s'est rendue coupable d'actes de contrefaçon et de concurrence déloyale à l'encontre de la société Kali,
- fait interdiction à la société Chipie Industrie de fabriquer ou de faire fabriquer et exposer à la vente les articles contrefaisant sous astreinte de 1 000 F par infraction constatée, à compter du 10ème jour qui suivra la signification du jugement, qu'il s'est réservé de liquider,
- dit que la société Kali pourra publier tout ou partie du présent jugement dans quatre journaux de son choix, aux frais de la société Chipie Industrie, sans que le coût de chaque insertion puisse excéder la somme de 25 000 F HT,
- condamné la société Chipie Industrie à payer à la société Kali la somme d'un francs à titre de dommages-intérêts à titre provisionnel,
- renvoyé la cause au 9 septembre 1997 " pour solution " pour permettre à la société Kali de fournir, le cas échéant, tous éléments de preuve relatifs à son préjudice, disant qu'à défaut la société Kali sera déboutée du surplus de ses demandes,
- condamné la société Chipie Industrie à payer à la société Kali la somme de 15 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
Par jugement du 9 janvier 1998, ce même tribunal a :
- pris acte de ce que la société Chipie Design venait aux droits et obligations de la société Chipie Industrie,
- condamné la société Chipie Design à payer à la société Kali la somme de 182 000 F à titre de dommages-intérêts pour actes de contrefaçon et de concurrence déloyale sur le modèle de blouson Serpi et sur le modèle de caban Nico.
LA COUR,
Vu les appels interjetés les 3 décembre 1997 et 20 février 1998 de ces deux décisions par les sociétés Chipie Design (venant aux droits de la société Chipie Industrie) et Boutique Chipie, et la jonction ordonnée, le 4 mai 1998, des deux procédures suivies sous les numéros 98.01684 et 98.0532 ;
Vu les dernières conclusions du 1er janvier 2000 par lesquelles les sociétés Chipie Design et Boutique Chipie poursuivent l'infirmation des jugements entrepris sauf sur l'annulation du procès-verbal de saisie contrefaçon du 9 mai 1996, et font valoir à l'appui de leur recours que :
- le modèle de blouson et de caban ne sont pas protégeables au sens du livre I du Code de propriété intellectuelle :
* les caractéristiques esthétiques de ces modèles, non revendiquées par la société Kali, étant amplement antériorisées et parfaitement banales,
* lesdits modèles ne sont pas protégés par application de l'article L. 111-4 du Code de la propriété intellectuelle parce que divulgués en Chine, qu'il n'est pas établi que le fabricant chinois était à même de revendiquer un droit d'auteur ni ait eu connaissance du présent litige et de la qualité de titulaire des droits d'auteur revendiqués par la société Kali pour éventuellement les lui contester,
- à supposer même les modèles protégeables par le droit d'auteur, la société Kali ne justifie pas être investie desdits droits,
- la preuve de la contrefaçon n'est pas rapportée par la société Kali qui ne communique aux débats ni les vêtements qu'elle a présentés en 1995 ni la description des caractéristiques qu'elle entend revendiquer,
- la société KALI n'est pas en situation de concurrence avec elles puisque ne vendant pas au public,
- en tout état de cause les articles litigieux qu'elles commercialisent ne sont pas identiques à ceux vendus par la société Kali,
- les demandes indemnitaires sont manifestement irrecevables ou à tout le moins exorbitantes et ne sauraient excéder la somme de 43 000 F,
demandant, outre le paiement d'une somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, celui d'une somme de 150 000 F à titre de dommages-intérêts en raison des abus de procédure commis par la société Kali à leur encontre ;
Vu les dernières conclusions en date du 29 novembre 1999 aux termes desquelles la société Kali :
* prétend que :
- le caractère nouveau et original de ses modèles Serpi et Nico est amplement établi et lui permet de bénéficier de la protection instaurée par les livres I et II du Code de la propriété intellectuelle,
- par un faisceau d'éléments circonstanciés, elle rapporte la preuve qu'elle est " l'auteur " des modèles litigieux qu'elle fait façonner en Chine,
- la preuve de la contrefaçon, qui peut s'effectuer par tout moyen, est rapportée, comme celle de la concurrence déloyale,
* poursuit, en conséquence, la confirmation de la décision entreprise sauf sur la réparation du préjudice qu'elle demande à la Cour d'évaluer à dires d'expert, sollicitant, dans l'attente du rapport d'expertise judiciaire, l'octroi d'une provision de 1 086 719 F, outre le paiement d'une somme de 30 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Vu les conclusions en date du 20 janvier 2000 par lesquelles la société Kali sollicite, par application des articles 15 et 16 du Nouveau Code de Procédure Civile, le rejet pur et simple des débats des conclusions signifiées le 1er janvier 2000 par la société Chipie Design, prétendant n'avoir pas disposé du temps nécessaire pour y répondre ;
Sur quoi,
Sur l'incident de procédure :
Considérant que les conclusions signifiées le 11 janvier 2000 par les sociétés appelantes ne font que répondre, sans développer de moyens nouveaux ni formuler de demandes nouvelles, aux conclusions que la société Kali a elle-même faites signifier le 29 novembre 1999 ; que la société Kali ne peut en conséquence sans mauvaise foi prétendre que les droits de la défense et le principe du contradictoire auraient été méconnus ; que l'ordonnance de clôture ayant été reportée au 24 janvier 2000, elle a, au surplus, disposé du temps nécessaire pour répliquer ; que les conclusions susvisées n'ont donc lieu d'être écartées des débats ;
Sur l'action en contrefaçon :
Considérant que pour revendiquer la titularité des droits de propriété incorporelle d'auteur sur les modèles en cause, la société Kali soutient que ceux-ci ont été imaginés par son bureau de style et concrétisés, sous forme de croquis, par sa modéliste qui en a effectué un patronage et a déterminé les spécifications techniques à destination du façonnier chinois auquel la fabrication a été confiée pour des raisons de coût financier ; qu'elle invoque également le fait qu'ayant commercialisé lesdits modèles sous son nom, elle est présumée être titulaire desdits droits à l'égard des tiers contrefacteurs ;
Considérant qu'il est exact qu'en l'absence de revendication de la part de la ou des personnes physiques ayant réalisé l'œuvre, les actes de possession de la personne morale, qui l'exploite sous son nom, font présumer, à l'égard de tiers contrefacteurs, que cette personne est titulaire sur l'œuvre, quelle qu'en soit la qualification, du droit de propriété incorporelle de l'auteur ;
Mais considérant que cette présomption, exorbitante du droit d'auteur, doit s'appliquer restrictivement ;
Or considérant, en l'espèce, que si la société Kali produit aux débats les fiches techniques des deux modèles litigieux, établies par sa modéliste au printemps 1995, ainsi qu'une attestation du façonnier chinois, XU Guomin, du 2 juin 1996, certifiant avoir fabriqué durant la période de juillet 1995 deux modèles oxfords nommés respectivement Serpi et Nico, sur les patrons, les spécifications et les modèles que lui a fournis ladite société, lesdits modèles étant destinés à la société Chipie, il ne résulte d'aucun élément du dossier que la société Kali, nonobstant la présentation qu'elle en a faite au salon " intersélection ", ait exploité ceux-ci ou les ait diffusés auprès du public, sous son nom, en sorte que les modèles lui soient associés ; qu'il s'ensuit que celle-ci ne peut se prévaloir de la présomption ci-dessus rappelée à défaut de rapporter la preuve d'éléments de possession suffisamment précis et circonstanciés pour lui permettre de lui attribuer la titularité des droits ;
Considérant par ailleurs que la société Kali, qui exerce les activités de vente en gros et détail de vêtements pour hommes, femmes et enfants, chaussures et maroquinerie et affirme, sans le démontrer, qu'elle disposerait d'un bureau de style, ne prouve pas que les deux modèles en cause aient été créés au sein de son entreprise et qu'elle détiendrait sur ceux-ci les droits de propriété incorporelle d'auteur ; qu'il n'est pas davantage établi que sa modéliste, qui atteste avoir travaillé la réalisation des toiles et patrons du modèle référencé Serpi mais n'invoque aucun acte créatif, disposerait des compétences professionnelles suffisantes pour procéder à la création d'un modèle de vêtement, activité pour laquelle elle serait employée et rémunérée ;
Qu'à défaut de justifier de la titularité et des droits de propriété incorporelle d'auteur qu'elle revendique sur les modèles litigieux, la société Kali est irrecevable à agir en contrefaçon ;
Sur la concurrence déloyale :
Considérant qu'en commandant à la société Kali des échantillons pour tester les modèles en cause, puis en faisant fabriquer ceux-ci ou, à tout le moins, des produits très similaires et parfaitement substituables, directement auprès d'un façonnier chinois, puis en les vendant, s'appropriant ainsi à moindre frais les efforts commerciaux entrepris par le fournisseur, les sociétés Chipie se sont rendues coupables à son égard d'actes de concurrence parasitaire ;
Que les sociétés Chipie ne démontrent pas, en dépit de certaines difficultés lors de la confection des échantillons, que la société Kali aurait été dans l'impossibilité de satisfaire aux commandes qui lui auraient été adressées ;
Qu'il s'infère de ce comportement déloyal un trouble commercial d'où il résulte un préjudice qui sera entièrement réparé par l'allocation d'une somme de 100 000 F, sans qu'il soit besoin d'ordonner la publication de la décision judiciaire, étant observé que la société Kali ne justifie sur les modèles en cause d'aucune exclusivité ;
Considérant que les sociétés Chipie ne démontrent pas que les diligences entreprises sur le fondement de la contrefaçon, antérieurement à l'introduction de la procédure, procéderaient d'une intention de nuire ou d'une légèreté blâmable, en dépit de la mention erronée faite par la société Kali de l'existence d'un modèle déposé ; qu'elles succombent par ailleurs partiellement dans le cadre de la présente instance ; que leur demande de dommages-intérêts pour procédure abusive doit donc être rejetée ;
Considérant qu'il n'y a pas lieu, compte tenu des circonstances telles que ci-dessus décrites et chacune des parties succombant partiellement en ses prétentions, de faire application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; que les entiers dépens doivent être mis à la charge des sociétés Chipie dont le comportement est à l'origine du présent litige ;
Par ces motifs : Dit n'avoir lieu à rejeter des débats les conclusions du 11 janvier 2000 signifiées par les sociétés Chipie ; Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a retenu à l'encontre des sociétés Chipie Design et Boutique Chipie des actes de concurrence parasitaire, improprement qualifiés d'actes de concurrence déloyale ; Le réformant pour le surplus ; Déclare la société Kali irrecevable à agir en contrefaçon ; Condamne in solidum les sociétés Chipie Design et Boutique Chipie à payer à la société Kali la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts pour concurrence parasitaire ; Rejette toutes autres demandes et y compris au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamner in solidum les sociétés Chipie Design et Boutique Chipie aux entiers dépens et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.