Livv
Décisions

CA Paris, 5e ch. C, 10 mars 2000, n° 1998-19008

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Petit Bateau (SA)

Défendeur :

Fromageries Bel (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Desgrange

Conseillers :

M. Bouche, Savatier

Avoués :

SCP Fisselier- Chiloux-Boulay, Me Moreau

Avocats :

Mes Le Stanc, Cousin.

T. com. Paris, 19e ch., du 4 juin 1998

4 juin 1998

A partir du 26 août 1996, la société Petit Bateau a fait diffuser à la télévision un film publicitaire pour les sous-vêtements pour enfants qu'elle produit. Elle l'avait commandé à l'agence RSCG et en a confié la réalisation à M. Guerand.

A partir du 1er janvier 1997, la société Fromageries Bel a fait diffuser à la télévision un film publicitaire pour les boîtes rondes de fromage La Vache Qui Rit, qu'elle avait commandé à l'agence TBWA et qui a été réalisé par le même réalisateur.

Les deux films mettent en scène des enfants et leurs scénarios sont fondés sur la juxtaposition de scènes très courtes, dites vignettes.

La société Petit Bateau, invoquant les ressemblances entre les deux films, a assigné la société Fromageries Bel pour voir juger que celle-ci avait commis un acte de parasitisme à son préjudice et a demandé qu'elle soit condamnée à cesser l'exploitation du film litigieux et à lui payer la somme de 10 000 000 F de dommages intérêts.

Par jugement du 4 juin 1998, le tribunal de commerce de Paris a rejeté les demandes de la société Petit Bateau et l'a condamnée à payer à la société Fromageries Bel la somme de 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

A l'appui de son appel, la société Petit Bateau fait valoir, dans ses dernières écritures en date du 24 novembre 1999, auxquelles il est renvoyé, qu'au regard de la perception du spectateur consommateur, les deux films ont des similitudes frappantes et que le film La Vache Qui Rit a une forme reprise du film Petit Bateau, sa construction, qui est identique sans nécessité ni logique interne, résultant d'une simple volonté de copier. Elle soutient que la conscience de se situer dans le sillage de ce film ressort de ce que dans le film La Vache Qui Rit, apparaît un bateau fait d'une boîte de ce produit, ce qui fait référence à la marque Petit Bateau. Elle prétend qu'en s'inscrivant dans le succès du film Petit Bateau, qui ne lui appartient pas, et en minimisant ainsi la portée de celui remporté par son initiateur au prix d'investissements très lourds, la société fromageries bel a commis un acte de parasitisme fautif engendrant au détriment de la société Petit Bateau un anéantissement de ses investissements.

Elle conclut à l'infirmation du jugement et à la condamnation de la société fromageries bel dans les termes de l'exploit introductif d'instance. Elle demande que cette dernière soit condamnée à lui verser la somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Dans ses dernières écritures en date du 14 octobre 1999, auxquelles il est renvoyé, la société Fromageries Bel conteste avoir eu l'intention de copier le film Petit Bateau et invoque l'absence de ressemblance des films. Elle prétend, enfin, que son film est issu de réflexions et d'un projet de 1994.

La société fromageries bel conclut au débouté de la société Petit Bateau et à la condamnation de celle-ci à lui verser la somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur ce, LA COUR :

Considérant qu'il appartient à la société Petit Bateau, qui invoque un acte de parasitisme, de rapporter la preuve de la faute qu'elle impute à la société Fromageries Bel ; qu'il lui faut donc établir que celle ci a eu la volonté d'exploiter le succès rencontré par le film Petit Bateau, diffusé à partir des derniers jours d'août 1996, lorsqu'elle a élaboré sa campagne de publicité et fait réaliser son film La Vache Qui Rit ;

Considérant, d'une part, que les ressemblances existantes entre les deux films ne sont pas suffisantes pour caractériser cette volonté; qu'en effet, si les deux films se rapprochent par leur apparence formelle, celle-ci découle de l'emploi de la même technique reposant sur la juxtaposition de très courtes scènes, sans souci narratif, ce qui donne un rythme très rapide aux films, de l'utilisation d'enfants comme acteurs principaux, et de leurs conclusions par une phrase mise en valeur qui se démarque de la bande son: "A quoi ça sert d'imaginer des vêtements si on peut rien faire dedans. Petit Bateau" pour le film Petit Bateau, et "La Vache Qui Rit, on devrait tous rire au moins une fois par jour", pour l'autre film ;

Que, dans le contexte de films publicitaires s'adressant à des publics ayant des caractéristiques communes, pour vanter des produits qui sont l'un et l'autre de notoriété ancienne et à destination des enfants, ces éléments, même réunis, ne présentent pas une particulière originalité, pas plus que l'utilisation, dans l'une des vignettes du film La Vache Qui Rit, d'un bateau, dont la coque est une boîte de fromage, avec lequel un enfant joue dans une baignoire ;

Qu'au contraire, le message des deux films est différent et fait appel à des ressorts différents; que pour le film Petit Bateau, il s'agit de mettre en avant l'idée que les sous vêtements de la marque, qui ne sont pas montrés, ne brident pas la liberté, en représentant des exemples d'enfants transgressant les interdits des parents, lesquels sont rappelés par le texte de la chanson "Fais pas ci, fais pas ça" de Jacques Dutronc que les images illustrent ; que pour le film La Vache Qui Rit, il s'agit de mettre en valeur la marque et son produit, la boîte ronde, omni présente dans les images, en faisant passer l'idée que celle-ci peut unir les générations - trois sont représentées - dans le rire provoqué par le détournement par les enfants de ce produit prétexte à des pitreries, le tout sur un fond de musique "rock'n'roll" chantée en anglais par Chuck Berry ; que le premier film a une ambiance dure, accentuée par l'apparition d'adultes effrayants, l'utilisation en alternance de scènes en noir et blanc ou en sépia, et de cadrages insolites ; que le second, a une ambiance chaude et colorée, plus naturelle, d'harmonie familiale - la famille apparaissant unie pour une photo de groupe -, et est filmé principalement à hauteur des yeux d'un enfant avec des cadrages classiques ;

Considérant, d'autre part, qu'il ressort des documents échangés par les deux sociétés avec leurs agences de publicité que celles-ci ont travaillé en même temps sur un concept se rapprochant, avec un réalisateur commun qui a nécessairement apporté à chacun des films sa propre marque technique et esthétique, dans le style qui lui était demandé ;

Que, le réalisateur du film Petit Bateau qui avait été choisi lors d'une réunion du 26 juin 1996, après avoir rédigé une note d'intention le 19 juin 1996, dans laquelle il indiquait croire "qu'il faut tordre et durcir au maximum toutes les situations" et proposait une liste de scènes, a soumis à l'agence et à la société un découpage du film le 19 juillet 1996 ; que le film a été tourné après cette date ;

Que, dés le 9 avril 1996, la société Fromageries Bel définissait ce qu'elle attendait du film qu'elle entendait voir réaliser en demandant à l'agence de travailler sur l'idée "du partage de tendresse et de joie de vivre dans les familles : la famille comme lieu du bonheur, lieu du rire" et indiquait qu'elle souhaitait "développer une signature de marque fondée sur l'essentialité du rire : on devrait tous rire au moins une fois par jour" ; que, pour plusieurs des vignettes, le film a repris des éléments déjà proposés par l'agence en novembre 1994 ; que la volonté de montrer la boîte du produit dans toutes les scènes était exprimée très tôt ; que l'étude et la réflexion se sont poursuivies jusqu'au milieu du mois de juillet 1996, le film étant présenté à la société Fromageries Bel, selon elle, le 17 juillet 1996 ;

Considérant qu'ainsi, il n'est établi ni que, lorsqu'elle a élaboré le film La Vache Qui Rit, La Société Fromageries Bel ait entendu s'inspirer du film Petit Bateau pour profiter d'un succès qui n'était pas encore acquis lorsqu'elle travaillait à son propre film, ni même qu'elle le connaissait ;

Que la société Petit Bateau sera donc déboutée de ses demandes et le jugement confirmé en toutes ses dispositions ;

Considérant que l'équité commande que la société Petit Bateau soit condamnée à verser à la société Fromageries Bel une somme de 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs : Confirme en toutes ses dispositions le jugement attaqué ; Condamne la société Petit Bateau à payer à la société Fromageries Bel la somme de 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; La condamne aux dépens qui seront recouvrés par l'avoué concerné comme il est dit à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.