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Décisions

CA Reims, ch. civ. sect. 1, 8 mars 2000, n° 97-1778

REIMS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Top (SA), Martel Agro Chimie (SARL)

Défendeur :

Monsanto (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Ciabrini

Conseillers :

Mme Belaval, M. Perrot

Avoués :

Mes Thoma-le Runigo, Chalicarne Delvincourt Jacquemet, Genet, Braibant

Avocats :

SCP Robert Collin, Associés, Mes Very, Saint-Esteben.

T. com. Troyes, du 3 mars 1997

3 mars 1997

La société Monsanto produit et commercialise en France sous la marque " Roundup " un herbicide à base de glyphosate. Se plaignant de ce qu'un distributeur de produits phytopharmaceutiques, la société Martel Agro Chimie, distribuerait et commercialiserait en France un produit concurrent dénommé " Glyphosaat " sans autorisation de mise sur le marché, la société Monsanto a obtenu du président du Tribunal de commerce de Troyes la désignation d'huissier de justice chargé de se livrer à toutes constatations utiles dans les locaux de la société Martel Agro Chimie. Selon procès-verbal de constat du 10 mars 1995, la société Martel Agro Chimie détenait des herbicides dénommés " Glyphosate Agrichim Glyphosaat 360 " et " Roundup Plus N " en vue de leur commercialisation sans autorisation de mise sur le marché français. La société Martel indiquait à l'huissier qu'elle avait acheté ces produits à la société Top.

Par acte d'huissier en date du 12 février 1996, la société Monsanto a assigné la société Martel Agro Chimie et la société Top devant le Tribunal de commerce de Troyes pour voir dire que ces deux sociétés commercialisaient des produits herbicides concurrents des produits Monsanto en violation de la réglementation communautaire et interne applicable, adoptaient ainsi un comportement constitutif d'un acte de concurrence déloyale, lui causant un préjudice et devaient être condamnées à retirer sans délai tous les produits litigieux et à en cesser la commercialisation sous astreinte et à réparer son préjudice après expertise.

Par jugement en date du 3 mars 1997, le Tribunal de commerce de Troyes a enjoint la société Martel et la société Top de retirer les produits litigieux du marché, les a condamnées à payer une astreinte de 1 000 F par produit non retiré ou vendu à compter de la date de signification du jugement, a dit que les deux sociétés avaient commis un acte de concurrence déloyale au préjudice de la société Monsanto en commercialisant des produits concurrents au Roundup sans respecter les dispositions légales et réglementaires contournant la procédure d'homologation nécessaire en la matière, et a nommé Monsieur Losa en qualité d'expert à l'effet d'évaluer le préjudice de la société Monsanto, le tout avec exécution provisoire.

La société Top et la société Martel Agro Chimie ont interjeté appel du jugement. Elles ont obtenu, par ordonnance du 2 juillet 1997, la suspension de l'exécution provisoire de la disposition du jugement ordonnant la mesure d'instruction.

Vu les conclusions de la société Top du 16 juin 1997 et du 13 décembre 1999.

Vu les conclusions de la société Martel Agro Chimie du 16 septembre 1998 et du 24 novembre 1999.

Vu les conclusions de la société Monsanto en date du 19 octobre 1999.

Sur ce :

1. sur l'absence d'autorisation de mise sur le marché

Attendu que le premier juge a retenu que l'importation d'un herbicide en provenance d'un autre Etat membre devait faire l'objet d'une procédure d'homologation par dérogation au principe de la libre circulation des biens, fut-elle allégée, et que les sociétés Martel et Top n'établissaient pas être bénéficiaires d'une autorisation de mise sur le marché français ;

Attendu qu'il est constant que le " Roundup Plus N " est importé d'Espagne, cependant que le " Glyphosaat 360 " est importé de Belgique ; qu'il est tout aussi constant que ces produits ont reçu des autorisations de mise sur le marché de ces pays mais pas d'autorisation de mise sur le marché français ;

Attendu que la réglementation communautaire (directive du 15 juillet 1991) met en œuvre une reconnaissance mutuelle des autorisations entre Etats membres ; qu'ainsi, tout Etat membre auquel est présentée une demande d'autorisation d'un produit phytopharmaceutique déjà autorisé dans un autre Etat membre doit s'abstenir d'exiger la répétition des tests et analyses déjà effectués dans la mesure où les conditions agricoles, phytosanitaires et environnementales, notamment climatiques, intéressant l'utilisation du produit sont comparables dans les régions concernées et autoriser également la mise sur le marché dudit produit sur son territoire lorsque le produit contient uniquement des substances actives inscrites à l'annexe 1 de la directive ;

Attendu que la réglementation française ayant transposé en droit interne la directive communautaire du 15 juillet 1991, à savoir le décret du 5 mai 1994 relatif au contrôle des produits phytopharmaceutiques, pose le principe d'une procédure d'autorisation préalable à toute mise sur le marché de ces produits ; que l'Etat français se réserve le droit de délivrer l'autorisation si les substances actives contenues dans le produit sont inscrites sur la liste communautaire des substances actives et si l'instruction de la demande révèle l'innocuité du produit à l'égard de la santé publique et de l'environnement ;

Attendu que les restrictions nationales d'importation échappent à l'interdiction des restrictions quantitatives posée par l'article 30 du traité de Rome lorsqu'elles sont justifiées notamment par des raisons de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou de préservation des végétaux ; qu'ainsi les restrictions posées par le décret précité à une demande d'autorisation de mise sur le marché français d'un produit nouveau sont conformes à la législation communautaire ;

Attendu que la réglementation française prévoit que l'autorisation de mise sur le marché français d'un produit déjà autorisé dans un autre Etat membre est accordée sans exiger la répétition des tests et analyses déjà effectués pour l'obtention de l'autorisation dans cet autre Etat membre, et dans la mesure où le demandeur établit que, d'une part, chaque substance active est inscrite sur la liste communautaire des substances actives, et, d'autre part que les conditions agricoles phytosanitaires et environnementales, y compris climatiques, sont comparables dans les régions concernées ; que, là encore, la réglementation interne est conforme à la directive communautaire, les seules restrictions prévues à l'autorisation d'un produit déjà autorisé étant celles qui sont limitativement imposées par l'article 10 de la directive ;

Attendu en conséquence que l'importation et la distribution en France du " Roundup Plus N " et du " Glyphosaat 360 " étaient soumises à la procédure d'autorisation préalable, quand bien même il s'agirait, ce qui n'est pas démontré, de produits similaires quant à leur formulation aux produits Monsanto déjà autorisés ;

2. sur l'étiquetage

Attendu que la directive communautaire du 15 juillet 1991 précise les conditions d'emballage et d'étiquetage des produits que les Etats membres doivent exiger ; que le droit interne reprend ces conditions aux articles 31 et suivants de l'arrêté du 6 septembre 1994 ; qu'il est établi que les produits incriminés étaient distribués en France avec des étiquettes qui ne satisfaisaient pas aux exigences susvisées ; qu'en effet, le produit importé d'Espagne était étiqueté en espagnol, en violation des dispositions de l'article 64 du décret du 5 mai 1994 imposant l'emploi de la langue française ; que le produit importé de Belgique était accompagné d'une étiquette n'indiquant ni le numéro d'homologation en France, et pour cause, ni le nom de l'importateur, en violation des dispositions de l'article 34 de l'arrêté du 6 septembre 1994 ; que ces exigences du droit interne sont conformes à l'article 16 de la directive communautaire ;

3. sur la concurrence déloyale

Attendu que le premier juge a retenu que le fait d'importer et de distribuer des produits phytopharmaceutiques en France sans respecter la réglementation, en contournant la procédure d'homologation longue et coûteuse, était un acte de concurrence déloyale au détriment de la société Monsanto ;qu'il a retenu également l'implication de la société Top en sa qualité de fournisseur des produits incriminés à la société Martel ;

Attendu qu'à l'occasion du constat d'huissier en date du 10 mars 1995, l'officier ministériel a remarqué l'existence de 8 fûts de 200 litres, de 2 palettes de 78 fûts de 20 litres et de 39 bidons de 1 litre de " Glyphosate Agrichim Glyphosaat 360 " et de 9 bidons de 200 litres de " Glyphosate 360 " ; que la société Martel a remis des factures d'achat de Glyphosate 360 à la société Top en indiquant que cette société était son fournisseur; que ces factures mentionnent l'achat de bidons de 20 litres et de 8 fûts de 200 litres ; qu'il est établi, en conséquence, que les produits de cette marque ont été vendus par la société Top ;

Attendu qu'en s'affranchissant des règles relatives à l'obtention préalable de l'autorisation de mise sur le marché, et en commercialisant en France des produits dans leur emballage d'origine sans procéder aux modifications d'étiquetage nécessaires, la société Martel Agro Chimie et la société Top ont fait l'économie de démarches administratives qui auraient ralenti la distribution et de coûts qui auraient pesé sur leur marge ; qu'elles se sont donc intentionnellement placées dans une situation anormalement favorable vis-à-vis de leur concurrente, la société Monsanto, qui a respecté la réglementation ;

4. sur les demandes de la société Monsanto

Attendu que le premier juge a fait droit aux demandes de la société Monsanto en ordonnant le retrait du marché des marchandises et en désignant un expert pour évaluer le préjudice de la société Monsanto, au motif que la concurrence déloyale causait un préjudice commercial et financier, sans toutefois le caractériser ;

Attendu que l'action en concurrence déloyale trouve son fondement dans les dispositions des articles 1382 et 1383 du Code civil qui impliquent non seulement l'existence d'une faute mais aussi celle d'un préjudice souffert par le demandeur ; que cette preuve ne s'impose que lorsqu'il s'agit de fixer le montant de la réparation et non de faire cesser les actes déloyaux ; que,s'agissant des dommages et intérêts, il convient d'observer que la société Monsanto admet qu'elle est dans l'incapacité de chiffrer son préjudice commercial et fait état, à tout le moins, d'un préjudice moral ;

Attendu que, si la société Monsanto ignorait le montant des ventes réalisées sur le marché français par la société Martel Agro Chimie, elle était néanmoins en mesure de démontrer, si cet événement s'était produit, que ses propres ventes avaient connu un infléchissement depuis l'arrivée sur le marché des produits incriminés, ce qu'elle n'a pas fait ;qu'ainsi le détournement de clientèle n'est pas établi ;que la preuve d'un trouble commercial qui pourrait être caractérisé par une atteinte portée à la marque des produits Monsanto ou à l'image de marque de l'entreprise n'est pas davantage démontrée, ni la moindre perte de notoriété ou de rentabilité de certains investissements ou encore d'une chance de développement ; que cette preuve ne sera nullement rapportée dans le cadre de la mission confiée à l'expert chargé de contrôler la comptabilité des concurrentes, étant observé qu'une mesure d'expertise ne doit pas suppléer la carence d'une partie dans l'administration de la preuve ;

Attendu, en conséquence, que le jugement sera confirmé en ce qu'il a ordonné le retrait des marchandises sous astreinte, débouté les sociétés appelantes de leurs demandes, fait application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au bénéfice de la société Monsanto mais sera infirmé en ce qu'il a ordonné une mesure d'expertise ;

Attendu que l'équité interdit de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile à hauteur d'appel ; que la partie qui succombe supporte les dépens ;

Par ces motifs, LA COUR statuant publiquement et contradictoirement, déclare recevables les appels formés par la société Martel Agro Chimie et la société Top, infirme dans la mesure utile le jugement déféré, statuant à nouveau, dit que la société Monsanto n'a subi aucun préjudice du fait des actes de concurrence déloyale de la société Top et de la société Martel Agro Chimie, rejette la demande d'expertise et la demande de provision de la société Monsanto, confirme le jugement pour le surplus, dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile à hauteur d'appel, condamne la société Top et la société Martel Agro Chimie aux dépens de première instance et d'appel et autorise la SCP Genet Braibant à recouvrer directement ceux dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.