Cass. com., 7 mars 2000, n° 97-20.788
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
2 A Sérigraphie (SARL)
Défendeur :
Sérigraphie Carpentier (Sté), Roche (ès qual.), Dugachard, Pornin
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dumas
Rapporteur :
Mme Champalaune
Avocat général :
M. Lafortune
Avocats :
SCP Baraduc, Duhamel, Me Choucroy
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Agen, 10 septembre 1997), que la société Médiaffiche, qui exploitait un fonds de commerce de conception et de réalisation de supports publicitaires par impression d'affiches en sérigraphie, l'a donné en location-gérance à la société Boisseau ; que celle-ci a repris les contrats de travail de M. X, M. Dugachard et conclu un contrat de stagiaire avec M. Pornin ; que ces trois salariés ont donné leur démission entre février et mars 1988, et ont constitué le 20 février 1988 une société concurrente dénommée 2A Sérigraphie ; que la société Boisseau a cessé ses activités courant 1988 ; que par jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 10 avril 1989, le contrat de location-gérance de la société Boisseau avec la société Médiaffiche a été résilié et la société Boisseau condamnée à payer à la société Médiaffiche une certaine somme au titre des redevances impayées et des dommages-intérêts ; que par arrêt du 16 juillet 1991, la cour d'appel de Bordeaux a déclaré l'assignation en déclaration d'arrêt commun, de la société 2A Sérigraphie et des consorts X, Pornin, Dugachard, par la société Boisseau irrecevable, et a confirmé le jugement du tribunal de commerce, réformant le montant des condamnations prononcées ; que, dans l'intervalle, les 22 et 23 juin 1989, la société Boisseau avait assigné la société 2A Sérigraphie et les consorts X, Pornin, Dugachard devant le tribunal de commerce de Pau pour les entendre condamner conjointement et solidairement à la garantir des condamnations prononcées contre elle dans le litige l'opposant à la société Médiaffiche et à lui payer 500 000 F de dommages-intérêts au titre de la concurrence déloyale ;
Sur le premier moyen, pris en ses six branches : - Attendu que M. X et la société 2A Sérigraphie font grief à l'arrêt de les avoir condamnés à relever et garantir à hauteur de la somme de 586 351,57 F la société Sérigraphie Carpentier, venant aux droits de la société Boisseau, des condamnations prononcées à son encontre au profit de la société Médiaffiche, alors, selon le pourvoi, d'une part, que l'acte de concurrence déloyale n'est fautif qu'autant qu'il constitue un agissement incompatible avec les obligations contractuelles, de sorte que la constitution d'une société par les salariés avant leur démission ne peut constituer à elle seule une faute caractérisant la concurrence déloyale ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ; alors, d'autre part, que le seul fait que l'on ne puisse retrouver ni le carnet ni les films allégués après le départ de M. X ne peut caractériser une soustraction imputable à ce dernier, d'autant plus que celui-ci soutenait que ce cahier n'avait jamais existé en ce qui concerne le fichier clients ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ; alors, de troisième part, qu'en relevant qu'à l'occasion de la prospection du musée Grévin de Lourdes, M. X avait laissé au directeur du musée, M. Abadie, un papier-à-en-tête de la société nouvellement créée mais que ce dernier demeurait persuadé qu'il travaillait toujours pour Médiaffiche, la cour d'appel n'a caractérisé aucun acte de concurrence déloyale au préjudice de la société Boisseau ni aucune manœuvre de la société 2A sérigraphie qui s'était fait clairement connaître ; qu'en considérant néanmoins que ce comportement créait un risque de confusion entre la société Sérigraphie et la société Boisseau ou avait désorganisé celle-ci, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ; alors, de quatrième part, que les juges ne peuvent méconnaître les termes des conclusions d'appel qui leur sont soumises ; que M. X et la société 2A Sérigraphie (conclusions d' appel signifiées le 27 juillet 1995) pour s'opposer à la prétention de la société Boisseau concernant les films publicitaires, faisaient valoir que les affiches fabriquées par les deux sociétés concurrentes étaient fabriquées pour celles de la société Médiaffiche en six morceaux et pour les siennes en quatre morceaux, de sorte qu'ils répondaient ainsi au moyen invoqué ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 4 du nouveau Code de procédure civile; alors, de cinquième part, qu'en se bornant à relever que la baisse du chiffre d'affaires était concommitante aux démissions sans caractériser le lien de causalité direct entre d'une part l'impossibilité de payer les loyers résultant de l'exécution de contrat de location-gérance, laquelle avait conduit à la condamnation de la société Boisseau à l'égard de la société Médiaffiche et à une résolution de cette convention, et d'autre part, les faits de concurrence déloyale imputée à M. X et à la société 2A Sérigraphie et en omettant de répondre aux conclusions de M. X et de la société 2A Sérigraphie signifiées les 21 octobre 1996 et 27 juillet 1995 au terme desquelles ils démontraient que la baisse du chiffre d'affaires à partir de septembre 1987 était imputable au transfert du siège social à Bordeaux, au déplacement du personnel commercial dans cette ville, à des frais de déplacement et de représentation exorbitants, la cour a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, de sixième part, qu'en application de l'article 1382 du Code civil, plusieurs parties ne peuvent être condamnées, sur le fondement de la concurrence déloyale, à réparer le préjudice causé à une autre sans que soient déterminés les préjudices spécifiques correspondant aux fautes respectives des parties ; que pour condamner M. X et la société 2A Sérigraphie, la cour d'appel a énoncé que l'ensemble des actes susvisés (soustraction du cahier et des films, prospection du musée Grévin et de la maison Dudon Larquie), qu'ils aient créé un risque de confusion entre les deux sociétés ou qu'ils aient désorganisé la société Boisseau, sont des actes déloyaux sans que les motifs auxquels elle se réfère, ne permettent d'imputer précisément à chaque partie leurs fautes respectives ; qu'ainsi, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que pour retenir l'existence d'un fichier de clientèle tenu par M. X et la soustraction fautive de ce fichier par ce dernier, l'arrêt se fonde sur deux attestations et énonce qu'elles caractérisent un acte de concurrence déloyale ; qu'ayant ainsi souverainement apprécié les éléments de preuve versés aux débats, la cour d'appel a pu statuer comme elle l'a fait ;
Attendu, en deuxième lieu, qu'ayant énoncé que M. X n'avait pas informé le directeur du musée Grévin de Lourdes, client de la société Médiaffiche, lequel demeurait persuadé de ce qu'il travaillait toujours pour cette société, de ce qu'il était en réalité au service d'une autre entreprise, et qu'il avait profité de cette ambiguïté pour prendre le marché, la cour d'appel a souverainement apprécié qu'il résultait du comportement de M. X un risque de confusion entre les deux sociétés ;
Attendu en troisième lieu, que pour répondre à l'argumentation de M. X et de la société 2A Sérigraphie qui contestaient la soustraction des films servant à réaliser les commandes des clients qui leur était reprochée, l'arrêt retient qu'une affiche en tout point identique à celle que la société Boisseau avait antérieurement conçue et fabriquée a été réalisée par la société 2A Sérigraphie à l'aide du détournement d'un film "typon" dont la disparition a été constatée après la démission de M. X et de ses collègues, qu'ayant ainsi apprécié souverainement les éléments de preuve versés aux débats, l'arrêt n'a pas méconnu l'objet du litige ;
Attendu, en quatrième lieu, qu'ayant énoncé d'une part, que s'il est vrai que le chiffre d'affaires a légèrement diminué pendant les trois premiers mois de location, en raison de la réorganisation de l'entreprise, il est non moins certain qu'il a par la suite augmenté, et, d'autre part, que la lecture des documents comptables permet d'affirmer que la location-gérance s'est accompagnée d'une reprise de l'activité et que celle-ci ne s'est ralentie puis n'a cessé qu'au moment où les salariés ont démissionné ou dans les mois qui ont précédé leur démission, que ce n'est qu'à partir du mois de janvier 1988, au moment où la création de la société 2A Sérigraphie était envisagée et où les salariés de la société Boisseau étaient davantage préoccupés du fonctionnement de cette nouvelle société que de l'activité dont ils étaient chargés, que la baisse du chiffre d'affaires est devenue sensible, la cour d'appel a répondu, en les écartant aux conclusions prétendument omises ;
Et attendu, en cinquième lieu, que si M. X et la société 2A Sérigraphie ont demandé la réformation du jugement les ayant condamnés, avec MM. Dugachard et Pornin, envers la société Boisseau, ils n'ont pas critiqué devant la cour d'appel le principe d'une condamnation de chacun pour le tout ; que le grief de la sixième branche est nouveau, et mélangé de fait et de droit, irrecevable ; qu'il suit de là qu'abstraction faite du motif erroné, mais surabondant critiqué par la première branche, le moyen n'est fondé en aucune de ses autres branches ;
Sur le second moyen : - Attendu que M. X et la société 2A Sérigraphie font encore reproche à l'arrêt d'avoir fixé la créance de la société Sérigraphie Carpentier à la somme de 350 000 F et de les avoir condamnés à lui payer cette somme, solidairement avec d'autres, alors, selon le pourvoi, que le juge ne peut statuer par une simple affirmation ; qu'ainsi que le soutenaient M. X et la société 2A Sérigraphie, la perte de profits futurs constitue un préjudice purement éventuel ; que dès lors, en se bornant à prendre en compte un surcroît de profits, pour l'ajouter aux autres préjudices sans autre explication sur son caractère éventuel, la cour d'appel a privé sa décision de motifs en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant énoncé que la société Sérigraphie Carpentier avait réalisé en pure perte des investissements pour la somme non contestée de 81 867,64 francs, ainsi qu'en réglant pour 249 060 F avant juin 1998 des redevances qui auraient dû être normalement prises en compte dans l'acquisition du fonds, et qu'elle avait été privée de profits, la cour d'appel, qui a évalué souverainement le montant du dommage à la somme de 350 000 F, a statué par une décision motivée ; que le moyen n'est pas fondé ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi.