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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 1 mars 2000, n° 1997-22652

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Sky Tech (SARL)

Défendeur :

Danem (SARL), Sasportas

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marais

Conseillers :

M. Lachacinski, Mme Magueur

Avoués :

Me Bodin Casalis, SCP Jobin

Avocats :

Mes Veisse, Ayache.

T. com. Créteil, 4e ch., du 21 mai 1997

21 mai 1997

La société Sky Tech, créée le 12 octobre 1989, a pour objet le développement de technologies nouvelle dans le domaine de la micro informatique portable, la commercialisation et la maintenance de logiciels, matériels, solutions " clés en main ", le conseil et la formation.

Reprochant à son ancien gérant et directeur commercial, Monsieur Sasportas, d'avoir créé, le 4 juin 1996, une société concurrente et d'avoir détourné et/ou cherché à détourner partie de sa clientèle en la démarchant déloyalement à l'aide des fichiers clients qu'il avait indûment conservés et en utilisant ou cherchant à utiliser et modifier les codes sources des logiciels qui lui appartiennent, la société Sky Tech l'a, par acte du 18 juillet 1996, assigné, ainsi que la société Danem, en concurrence déloyale, devant le Tribunal de commerce de Créteil, sollicitant réparation du préjudice qui lui a été causé.

Par jugement du 21 mai 1997, le tribunal de commerce a débouté la société Sky Tech de ses réclamations.

LA COUR,

Vu les dernières conclusions en date du 6 janvier 2000 par lesquelles la société Sky Tech, réitérant les prétentions formulées devant les premiers juges et poursuivant l'infirmation de la décision entreprise, demande à la Cour de :

- dire que la société Danem et Monsieur Sasportas ont commis des fautes à son préjudice engageant leur responsabilité,

- dire que la société Danem, grâce aux actions répréhensibles de Monsieur Sasportas, usant de pratiques déloyales et contraires aux usages du commerce, a capté indûment sa clientèle et s'est approprié, sans aucun dédommagement, l'activité par elle développée,

- dire que les intimés ont tous activement concouru à la réalisation de son préjudice,

- en conséquence, condamner " conjointement et solidairement " Monsieur Sasportas et la société Danem au franc symbolique en réparation du préjudice moral qu'elle a subi ;

- ordonner la publication de la décision à intervenir dans un ou plusieurs journaux ou revues françaises de son choix, aux frais des intimés, dans la limite d'une somme globale de 50 000 F HT,

- condamner solidairement les intimés à lui verser, en réparation des différents préjudices matériels subis, la somme de 1 136 932 F,

- les condamner à lui verser la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts en vue de réparer le préjudice né du trouble apporté à son organisation administrative et commerciale,

- lui allouer la somme de 20 000 F en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;

Vu les conclusions en date du 15 septembre 1998 aux termes desquelles la société Danem et Monsieur Sasportas poursuivent la confirmation de la décision déférée, faisant valoir à cet effet :

- que Monsieur Sasportas n'a jamais occupé des fonctions du salarié au sein de la société Sky Tech, tirant ses rémunérations des seules activités de gérant,

- que son mandat de gérant ayant été révoqué sans juste motif, il ne saurait lui être reproché d'avoir créé sa propre société et d'utiliser son savoir-faire et les connaissances acquises depuis de nombreuses années,

- que connaissant parfaitement la clientèle, il n'a pas eu besoin d'utiliser des moyens déloyaux pour la prospecter dans le cadre du démarrage de ses activités,

- que les logiciels, qui permettent tant à la société Sky Tech qu'à la société Danem de développer les applications particulières pour leurs clients respectifs, sont des logiciels " système " qui n'appartiennent ni à l'une ni à l'autre des sociétés,

- qu'aucune faute n'étant démontrée à leur encontre la société Sky Tech ne peut qu'être déboutée de ses prétentions et condamnée à leur payer la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;

Vu les conclusions en date du 10 juin 2000 aux termes desquelles la société à Danem et Monsieur Sasportas demandent à la Cour d'écarter des débats les conclusions signifiées par la société Sky Tech, le 6 janvier 2000, au visa des articles 15 et 16 du Nouveau code de procédure civile, prétendant qu'en raison de leur tardiveté ils n'ont pu y répliquer et que le principe du contradictoire n'a pas été respecté ;

Sur ce,

Considérant que les conclusions signifiées par la société Sky Tech, le 6 janvier 2000, ne font que reprendre, sans formuler de nouveaux moyens ni de nouvelles demandes, les précédentes écritures du 12 février 1998 et répondre aux conclusions des intimés signifiées le 15 septembre 1998 ; que le principe du contradictoire ayant été respecté, elles n'ont pas lieu d'être écartées ;

Considérant qu'aux termes du procès-verbal d'Assemblée générale ordinaire du 26 avril 1996, la société Sky Tech a mis fin au mandat du gérant de Monsieur Sasportas ; que si celui-ci occupait également, au sein de la société, les fonctions de directeur commercial, aucun document ne vient démontrer qu'il aurait perçu, à ce titre, un salaire complémentaire à celui de gérant, le bulletin de paye établi à l'époque de son départ, en juin 1996, n'étant pas à lui seul probant ; qu'il ne saurait dans de telles conditions lui être fait grief, même si la poursuite des fonctions de directeur commercial s'avérait possible, d'avoir brusquement quitté la société qui venait de le priver de son mandat de gérant ; que le grief tiré d'un brusque départ doit être écarté ;

Considérant que la liberté du commerce et de l'industrie ne permet pas de tenir grief à un ancien gérant évincé de créer sa propre société, fut-elle concurrente, ni de lui interdire, en l'absence de toute clause spécifique en ce sens et sous réserve de la validité de celle-ci, d'exercer les mêmes activités dès lors qu'aucun comportement déloyal ne peut lui être reproché ;

Que la constitution par Monsieur Sasportas de la société Danem, dans les circonstances susdites, n'est pas, en soi, répréhensible, même si les activités de cette société sont identiques à celles de la société Sky Tech et si les deux sociétés se trouvent en situation de concurrence ;

Mais considérant que Monsieur Sasportas a conservé par devers lui, jusqu'au 4 octobre 1996, l'ordinateur portable mis à sa dispositions par la société Sky Tech, qu'il utilisait dans le cadre de ses fonctions et dont il n'est pas contesté qu'il comportait les fichiers clients ; que si les constatations d'huissier effectuées unilatéralement plus d'un mois après la restitution du matériel ne sont pas probantes et ne permettent pas d'établir avec certitude les démarchages frauduleux auxquels l'intéressé se serait livré, le matériel ayant pu faire l'objet de manipulations, il n'en demeure pas moins que l'intéressé a disposé irrégulièrement de celui-ci et des informations qu'il contenait pendant plusieurs mois, peu important que ces informations aient pu être obtenues par d'autres moyens,que cette rétention persistante d'un matériel appartenant à la société Sky Tech est fautive et caractérise un comportement déloyal ;

Considérant, par ailleurs, que si les sociétés Grand Sud et Cades certifient avoir suivi sans avoir été démarchées la nouvelle société qui offrait des services plus adaptés à leurs besoins, la société René Martin atteste pour sa part avoir confirmé la commande à la société Danem, le 19 juin 1996, suite à sa proposition du 5 juin 1996 ; que l'évocation d'une telle proposition formulée au moment du départ de Monsieur Sasportas, révèle bien l'existence d'un démarchage préalable d'un ancien client la société Sky Tech, démarchage que la loyauté qui doit présider à l'exercice de la libre concurrence ne permet pas d'approuver ;

Qu'il convient au surplus de noter que les conditions financières plus intéressantes qui ont déterminé la société Cades, à contracter avec la nouvelle société (comme celle-ci le déclare elle-même), n'ont pu être formulées qu'en raison des informations internes dont disposait la société Danem du fait des anciennes activités de son gérant et revêtent en conséquence, par l'emploi qui en a été fait, un caractère fautif ;

Considérant par ailleurs, ainsi qu'il résulte des conditions générales de vente produites aux débats, que les logiciels de la société Sky Tech ne sont pas cédés en propriété à la clientèle qui ne dispose que d'une simple licence d'exploitation ; qu'il importe peu que la mise au point de ces logiciels nécessitent par ailleurs l'utilisation d'outils de développement autorisés par les fournisseurs de matériel qui ne sont propriétaires, l'apport de la société Sky Tech restant bien sa propriété ; qu'en modifiant ou cherchant à modifier les codes sources des logiciels d'adaptation de la société Sky Tech, ce que ne contestent pas les intimés, ceux-ci ont eu un comportement déloyal à l'encontre de cette société ;

Considérant que cet ensemble d'éléments caractérise suffisamment les actes de concurrence déloyale auxquels les intimés se sont livrés ; que chacun des intimés ayant concouru à la réalisation du préjudice né de ce comportement déloyal, est tenu, in solidum avec l'autre, de le réparer ;

Considérant que s'il s'infère de tels actes un trouble commercial certain, la société Sky Tech ne justifie pas que la baisse de son chiffre d'affaires pour les dix premiers mois de l'année 1996 soit imputable au seul comportement de Monsieur Sasportas et de la société Danem ;

Que le préjudice causé tel qu'il est justifié sera entièrement réparé par l'allocation d'une somme de 200 000 F de dommages-intérêts, sans qu'il soit besoin d'ordonner une mesure de publication ;

Considérant, enfin, qu'il convient de faire bénéficier la société Sky Tech des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile et de lui allouer la somme de 20 000 F pour ses frais irrépétibles d'instance ; que les intimés, qui succombent, doivent être déboutés de la demande qu'ils ont formée à ce titre ;

Par ces motifs : Dit n'y avoir lieu de rejeter les conclusions du 6 janvier 2000, Infirme le jugement entrepris et statuant à nouveau, Dit que Monsieur Sasportas et la société Danem ont commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société Sky Tech ; En conséquence, Condamne in solidum Monsieur Sasportas et la société Danem à payer à la société Sky Tech la somme de 200 000 F à titre de dommages-intérêts ainsi que celle de 20 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, Rejette toutes autres demandes des parties, Condamne in solidum Monsieur Sasportas et la société Sky Tech aux dépens et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.