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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 25 février 2000, n° 1998-05459

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Nelson France (Sté)

Défendeur :

Subert et Cie (SARL), Le Taillanter (ès qual.), Didier (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boval

Conseillers :

Mmes Mandel, Régniez

Avoués :

SCP Teytaud, SCP Roblin-Chaix de Lavarene

Avocats :

Mes Ménage, Salliou.

T. com. Paris, 15e ch., du 3 janv. 1995

3 janvier 1995

Appel a été interjeté par la société Nelson France d'un jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 3 janvier 1995 dans un litige l'opposant à la société Subert et Cie, Maître Le Taillanter, ès qualités de commissaire à l'exécution du plan de la société Subert.

Référence étant faite au jugement entrepris pour l'exposé des faits, de la procédure et des moyens antérieurs des parties, il suffit de rappeler les éléments essentiels suivant.

Subert est une entreprise qui fabrique des produits pour les salons de coiffure. Elle vend ainsi des bonnets destinés à la décoloration des cheveux par mèches, présentés dans des sachets de couleur orange sous la dénomination "Coup de soleil".

Nelson, société qui distribue également des produits destinés aux salons de coiffure, a proposé des bonnets présentés sous sachet de couleur orange identique à celui dans lequel sont diffusés les bonnets fabriqués par Subert.

Un litige relatif à ces emballages a opposé les parties. Par jugement du 3 avril 1992 confirmé par arrêt de la Cour d'appel de Paris en date du 23 juin 1993, le tribunal de commerce de Paris a condamné pour concurrence déloyale la société Nelson à payer à Subert la somme de 400 000 F à titre de dommages et intérêts et lui a fait interdiction de poursuivre "la commercialisation du bonnet de décoloration dans le sachet de présentation incriminé, sous astreinte de 1 000 F par infraction constatée, s'entendant de chaque sachet illicitement maintenu en commercialisation et par jour de retard à compter du 30e jour de la signification du jugement".

Dans le catalogue Nelson de 1994, a été de nouveau proposé en vente un bonnet pour mèches sous emballage orange (ceci en page 82), à un prix inférieur à celui de la société Subert (30 F au lieu de 45 F).

Subert et Maître Taillanter ès qualités de commissaire à l'exécution du plan ont assigné, devant le tribunal de commerce de Paris, par acte du 21 avril 1994, Nelson sur le fondement de la concurrence déloyale pour obtenir, outre des mesures d'interdiction sous astreinte et de publication, sa condamnation au paiement de la somme de 1 000 000 F à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice commercial subi et de celle de 500 000 F en réparation du préjudice moral.

Par le jugement déféré, le tribunal a :

- retenu que la diffusion en page 82 du catalogue publicitaire de Nelson d'un sachet de présentation de bonnet à décoloration pour mèches identique dans sa couleur orange et dans son graphisme à celui de Subert, était constitutive de concurrence déloyale,

- fait interdiction à Nelson d'en poursuivre la diffusion sous astreinte de 15 000 F par infraction constatée,

- ordonné de communiquer à chacun des destinataires du catalogue une note rectificative,

- condamné Nelson à payer à Subert la somme de 300 000 F à titre de dommages et intérêts pour les agissements parasitaires et déloyaux et celle de 500 000 F pour le préjudice moral résultant desdits agissements,

- ordonné la publication du jugement dans cinq journaux au choix de Subert aux frais de Nelson,

- ordonné l'exécution provisoire avec constitution de garantie par Subert,

- condamné Nelson à payer la somme de 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Au cours de la procédure d'appel, par jugement du 22 janvier 1996, le tribunal de commerce de Paris a prononcé la résolution du plan de continuation de Subert et prononcé la liquidation judiciaire de cette société. Maître Didier a été désigné en qualité de mandataire liquidateur et est intervenu en cette qualité dans l'instance d'appel.

Appelante de ce jugement, Nelson en poursuit la réformation et dans le dernier état de ses écritures du 13 octobre 1999, fait observer :

- que la reproduction litigieuse en page 82 dans le catalogue 1994, (alors que figurait en page 162 un sachet de couleur jaune correspondant à l'emballage sous lequel étaient réellement vendus les produits en cause, différent du sachet incriminé), procède d'une erreur de l'imprimeur, erreur dont elle s'est rendue compte très rapidement,

- qu'elle l'a immédiatement signalée à ce dernier, lequel lui a fourni gratuitement un catalogue modifié, cela avant même toute assignation, et sans mise en demeure préalable,

- que pour réparer le préjudice subi, les principes de responsabilité qui fondent la réparation en proportion du préjudice réellement subi, et non pas, comme l'a fait le tribunal, à titre de sanction, n'ont pas été appliqués.

Elle soutient que son adversaire a, en réalité, commis des actes de concurrence déloyale à son encontre, par l'envoi à ses clients d'une lettre type leur indiquant qu'ils se rendaient complices d'agissements délictueux s'ils distribuaient les produits litigieux.

Elle prie la cour de :

- dire que Subert a commis à son encontre des faits constitutifs de concurrence déloyale,

- dire et juger abusive l'action qui a été diligentée par Subert,

- ordonner la publication de l'arrêt dans trois revues de son choix,

- rejeter les demandes de Maître Didier ès qualités,

- condamner Maître Didier, ès qualités au paiement de la somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Maître Didier ès qualités poursuit la confirmation du jugement sauf sur le montant des dommages et intérêts alloués pour réparer le préjudice moral qu'il demande d'élever à la somme de 1 000 000 F, et sur les publications dont il demande de fixer le coût de chaque insertion à la somme de 40 000 F. Il réclame en outre la condamnation de Nelson au paiement de la somme de 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et conclut au rejet de l'appel incident formé par Nelson.

Sur ce, LA COUR :

Considérant qu'il ressort du catalogue 1994 de Nelson versé aux débats qu'en page 82 a été reproduit un sachet de couleur orange, comportant un graphisme proche de celui du sachet de Subert qui avait été l'objet de la condamnation pour concurrence déloyale par le précédent jugement du 3 avril 1992 ; qu'il est certain que Nelson qui avait été condamnée en raison de la vente d'un bonnet sous cet emballage, aurait dû prendre toutes précautions avant la diffusion du catalogue de 1994, pour que le sachet litigieux ne figure pas sur ce document; que l'erreur de l'imprimeur invoquée par Nelson n'est pas une circonstance de nature à exonérer l'appelante de sa responsabilité dans les actes fautifs commis qui résultent du non-respect de l'interdiction ci-dessus rappelée ; qu'il est en outre inopérant de rechercher si Nelson a commis une faute intentionnelle, dès lors qu'une négligence ou une légèreté blâmable suffit à caractériser le comportement déloyal ; que le jugement sera donc confirmé en ce que la responsabilité de Nelson a été retenue ;

Considérant que les parties sont principalement en désaccord sur les conséquences dommageables de cet acte fautif ;

Que selon Nelson, son adversaire n'aurait subi, en réalité, aucun préjudice, que le tribunal l'a lourdement sanctionnée sans tenir compte des principes de toute réparation (c'est à dire le lien entre la faute et le préjudice) ; qu'elle fait en outre observer qu'elle n'a nullement commercialisé des bonnets sous cet emballage en 1994 et qu'elle a remplacé le catalogue litigieux par un nouveau qui ne contenait plus le bonnet en cause ;

Qu'au contraire, il est répliqué par Maître Didier ès qualités, que le tribunal n'a pas suffisamment tenu compte du préjudice subi ; qu'en effet, selon lui, Nelson n'a nullement justifié avoir averti ses clients de l'erreur commise, que l'offre ainsi faite dans le catalogue de 1994 de sachets similaires aux siens à un prix qui leur était inférieur a nécessairement entraîné des commandes à son détriment, qu'il importe peu en l'espèce que les produits réellement vendus aient été différents, puisque précisément les clients étaient susceptibles de penser qu'il s'agissait de produits ayant une origine commune proposés à un prix plus intéressant, alors que les produits n'étaient pas de bonne qualité, que son préjudice moral a ainsi été très important d'autant plus que ces nouveaux actes déloyaux ont eu lieu à une période où la société qu'il représente tentait de rétablir sa situation.

Considérant, cela étant exposé, que s'il ne peut être fait grief aux premiers juges d'avoir déterminé le préjudice commercial subi après avoir relevé une baisse sensible des ventes durant les six premiers mois de l'année 1994, au vu des documents comptables versés aux débats dont la validité ne saurait être sérieusement discutée, il convient néanmoins de relever que Nelson ne peut être tenue pour responsable de la totalité des pertes ; qu'en effet, il existait d'autres sociétés concurrentes sur le marché et les ventes réalisées par Nelson durant cette même période ont été inférieures aux pertes subies par Subert ; que le manque à gagner retenu par le tribunal d'un montant de 130 000 F doit être minoré ;

Considérant qu'au préjudice commercial doit être ajouté le préjudice résultant de l'atteinte portée à l'image et au sérieux de Subert, connue pour fabriquer des produits de bonne qualité et qui a reçu en mars 1994 des lettres de réclamation de plusieurs de ses clients s'étonnant de trouver des produits proposés à un prix inférieur ; que toutefois, ce préjudice ne saurait avoir l'ampleur retenue par les premiers juges même s'ils ont relevé la "persistance" de Nelson dans des agissements déloyaux ; que, compte tenu de ces circonstances, la cour estime au vu de l'ensemble de ces éléments, que l'entier préjudice subi par Subert sera exactement réparé par l'allocation de la somme de 200 000 F à titre de dommages et intérêts ; que le jugement sera de ce chef réformé ;

Considérant que les mesures d'interdiction et de publication seront confirmées sauf à préciser pour ces dernières que le nombre des publications sera limité à trois et le coût de chaque insertion à la charge de Nelson à 20 000 F ; que l'envoi d'une note explicative ordonné par les premiers juges n'est pas nécessaire, le catalogue litigieux n'étant plus diffusé ; que le jugement sera réformé de ce chef ;

Considérant qu'il ne saurait être fait droit à la demande en concurrence déloyale formée par Nelson dès lors que les lettres circulaires envoyées par Subert ne comportaient aucune allégation désobligeante pour Nelson et n'étaient que des lettres d'information en réponse à la faute commise par cette société ; que les autres demandes pour procédure abusive et pour obtenir des mesures de publication à son bénéfice, seront rejetées ;

Considérant que l'équité commande de laisser à la charge de chacune des parties les frais non compris dans les dépens.

Par ces motifs, Confirme le jugement sauf sur les dommages et intérêts, les mesures de publication et sur la prescription de l'envoi d'une note, Réformant de ces chefs, statuant à nouveau et ajoutant ; Condamne la société Nelson à payer à Maître Didier ès qualités la somme de 200 000 F à titre de dommages et intérêts, Ordonne la publication du présent arrêt dans trois journaux ou revues au choix de Maître Didier, ès qualités, pour un coût de 20 000 F par insertion, Rejette toute autre demande. Condamne la société Nelson aux entiers dépens qui seront recouvrés par la SCP Roblin-Chaix de Lavarene, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.