CA Paris, 4e ch. A, 23 février 2000, n° 1998-12564
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Hugo Boss (SA), Hugo Boss France (Sté)
Défendeur :
Bomare (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Marais
Conseillers :
M. Lachacinski, Mme Magueur
Avoués :
SCP Monin, SCP Bommart Forster
Avocats :
Mes Chapouillie, Berdah.
Pour promouvoir sa collection de vêtements de prêt à porter, la société de droit allemand Hugo Boss AG a confié une campagne publicitaire au photographe Richard Avedon. L'une des photographies de la série réalisée par cet auteur, qui représente le visage et le buste d'un mannequin de sexe masculin, habillé d'une veste, d'une chemise et d'une cravate de la collection Hugo Boss, a fait l'objet de parutions dans la presse, d'une campagne d'affichage et a été exposé sur les lieux de vente des produits portant les marques Hugo Boss.
Ayant appris que la société Bomare, exploitant un commerce de vente de prêt à porter au centre commercial Belle Epine, à Thiais, sous l'enseigne "Pour Vous Spencer", exposait dans la vitrine de ce magasin une affiche de grande dimension reproduisant cette photographie, la société Hugo Boss AG et sa filiale française, la société Hugo Boss France, après y avoir été autorisées par ordonnance du président du tribunal de grande instance de Créteil, ont fait dresser un constat d'huissier dans ces locaux le 25 avril 1997.
Puis, au vu des renseignements recueillis, elles ont, par acte du 6 juin 1997, assigné la société Bomare devant le tribunal de commerce de Créteil, aux fins de constatation d'actes de contrefaçon de leurs droits de propriété intellectuelle et de concurrence déloyale par publicité parasitaire.
Par jugement du 26 mars 1998, le tribunal a débouté les sociétés Hugo Boss AG et Hugo Boss France de l'ensemble de leurs demandes et a rejeté les demandes de la société Bomare.
LA COUR
Vu l'appel de cette décision interjeté le 24 avril 1998 par les sociétés Hugo Boss AG et Hugo Boss France;
Vu les conclusions signifiées le 7 janvier 2000 par lesquelles les sociétés Hugo Boss AG et Hugo Boss France, poursuivant l'infirmation du jugement déféré, demandent à la cour de
- dire que la photographie prise par Richard Avedon est une œuvre originale qui constitue une œuvre de l'esprit protégée par les dispositions des livres 1er et IIIème du Code de la Propriété Intellectuelle,
- dire que la société Hugo Boss AG a payé à Richard Avedon une somme très importante de 500.000 $ afin de pouvoir utiliser cette photographie à des fins publicitaires,
- dire que la société Hugo Boss AG est présumée détenir à l'égard de tout contrefacteur les droits de propriété intellectuelle sur cette œuvre photographique qu'elle a largement exploitée,
- dire que la société Bomare a placé, à l'intérieur de sa vitrine, sans autorisation, cette œuvre photographique à des fins publicitaires,
- en conséquence, constater que la société Bomare a commis des actes de contrefaçon des droits de propriété intellectuelle de la société Hugo Boss AG sur cette photographie et de la condamner à lui payer la somme de 200.000 F à titre de dommages-intérêts,
- constater que les sociétés Hugo Boss AG et Hugo Boss France ont largement exploité en France la photographie litigieuse, à l'occasion de la diffusion de la collection Printemps/Eté 1996,
- constater que cette photographie a constitué un vecteur essentiel de leur communication,
- constater que la société Bomare vend des vêtements de luxe de marques concurrençant directement leurs produits,
- en conséquence, dire que la société Bomare a usurpé leurs investissements publicitaires et a commis un acte de concurrence déloyale par publicité parasitaire à leur préjudice,
- de condamner la société Bomare à leur payer la somme de 200.000 F à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la concurrence déloyale, celle de 50.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
- d'ordonner la publication de l'arrêt à intervenir;
Vu les conclusions signifiées le 9 décembre 1999 aux termes desquelles la société Bomare, sollicitant la confirmation du jugement entrepris et la condamnation solidaire des appelantes à lui payer la somme de 100.000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et celle de 100.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, fait valoir:
- qu'en l'absence de contrat de cession, la société Hugo Boss AG ne rapporte pas la preuve qu'elle a acquis les droits d'exploitation de la photographie litigieuse,
- que les marques Hugo Boss n'étant pas reproduites sur la photographie litigieuse, elle n'a pas cherché à créer une confusion entre les produits de grandes marques qu'elle commercialise et les produits vendus par les appelantes,
- que la société Hugo Boss France, simple distributeur, ne démontre pas avoir participé aux investissements publicitaires
Sur quoi,
- Sur la contrefaçon
Considérant qu'aux termes de l'article L. 113-1 du Code de la Propriété Intellectuelle, la qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l'œuvre a été divulguée;
Que l'article L. 131-3 du même code prévoit que la transmission des droits de l'auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l'objet d'une mention distincte dans l'acte de cession et que le domaine d'exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et sa destination, quant au lieu et quant à la durée;
Considérant que la photographie, objet du litige, a été divulguée sous le nom de Richard Avedon, qui apparaît quel que soit son mode de diffusion, dans la presse, par voie d'affichage sur les vitrines des points de vente des vêtements de marques Hugo Boss ou sur le mobilier urbain; que les seules factures produites aux débats sont insuffisantes, en l'absence de contrat de cession écrit, pour établir le domaine des droits cédés par l'auteur quant à l'étendue, la destination et la durée ;
Que, si Richard Avedon n'étant pas partie à la présente instance ne revendique pas de droit d'auteur sur la photographie litigieuse, la société Hugo Boss AG ne saurait lui contester cette qualité, alors que créatrice de vêtements elle ne peut justifier d'actes de commercialisation ou de possession, de nature à faire présumer à l'égard du présumé contrefacteur qu'elle est titulaire sur cette œuvre photographique des droits de propriété incorporelle de l'auteur;
Considérant que la société Hugo Boss AG est donc irrecevable à se prévaloir de droits d'auteur sur la photographie divulguée sous le nom de Richard Avedon et par voie de conséquence à agir en contrefaçon;
- Sur la concurrence déloyale
Considérant que les différents extraits de magazine, l'attestation du gérant de l'agence de publicité Climats et le contrat conclu entre la société Hugo Boss France et cette agence, produits aux débats, révèlent que cette photographie a été étroitement associée au nom des sociétés Hugo Boss durant la campagne publicitaire de promotion de la collection de vêtements Printemps/Eté 1996 et est devenue l'élément essentiel de communication de cette campagne;
Considérant qu'il ressort du constat d'huissier dressé le 25 avril 1997 dans le magasin à l'enseigne "Pour vous Spencer", exploité par la société Bomare, que l'affiche représentant la photographie incriminée, occupait le fond de la vitrine, sur une superficie de 2,50 mètres de haut et de 1,50 mètres de large ;
Qu'eu égard à l'importance de la diffusion de ce cliché attestée par les documents sus-visés, la société Bomare, spécialisée dans la vente de prêt à porter "haut de gamme" pour hommes, ne pouvait ignorer, comme l'ont exactement relevé les premiers juges, qu'il avait été utilisé à des fins publicitaires pour promouvoir les produits revêtus des marques Hugo Boss; qu'il est inopérant que la reproduction ne comporte pas cette marque, dès lors que, par l'utilisation massive qui en a été faite, cette photographie identifie les produits de cette marque; que son emprunt traduit donc la volonté manifeste de se rattacher à l'image de cette société dont elle constitue un élément d'identification visuelle;
Qu'en apposant cette affiche dans ses locaux commerciaux, la société Bomare a nécessairement cherché à s'approprier, sans bourse délier, les investissements publicitaires importants des sociétés Hugo Boss et, en se plaçant dans leur sillage, à les détourner au profit des produits concurrents qu'elle offre à la vente ; que le seul fait d'avoir utilisé cet élément essentiel de la campagne publicitaire des sociétés appelantes afin de tirer profit de sa notoriété est constitutif de concurrence parasitaire, sans qu'il y ait lieu de rechercher l'existence d'un risque de confusion;
Considérant que la société Hugo Boss France qui justifie avoir utilisé la photographie litigieuse en la diffusant dans ses magasins et en réalisant une campagne publicitaire sur le mobilier urbain est recevable à agir aux côtés de la société Hugo Boss AG;
Considérant que le préjudice qui s'infère des faits constatés sera intégralement réparé par l'allocation aux sociétés Hugo Boss AG et Hugo Boss France d'une indemnité de 150.000 F;
Qu'en revanche la mesure de publication sollicitée n'apparaît pas justifiée;
Considérant que les dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile doivent bénéficier aux appelantes ; qu'il leur sera accordé à ce titre la somme de 50.000 F;
Que l'appel ayant été déclaré fondé, la société Bomare doit être déboutée de sa demande de dommages-intérêts et sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile;
Par ces motifs : infirme le jugement déféré, et statuant à nouveau, déclare la société Hugo Boss AG irrecevable en son action en contrefaçon; dit qu'en exposant dans la vitrine de son magasin à l'enseigne "Pour vous Spencer" une affiche reproduisant une photographie destiné à promouvoir les marques Hugo Boss, la société Bomare a commis une faute à l'égard des sociétés Hugo Boss AG et Hugo Boss France constitutive de concurrence parasitaire, condamne, en conséquence, la société Bomare à payer aux sociétés Hugo Boss AG et Hugo Boss France la somme de 150.000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 50.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, rejette le surplus des demandes, condamne la société Bomare aux entiers dépens qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.