CA Paris, 4e ch. A, 23 février 2000, n° 95-051520
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Cécile Distribution (SARL)
Défendeur :
Kanellia Diffusion (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Marais
Conseillers :
M. Lachacinski, Mme Magueur
Avoués :
SCP Lecharny Calarn, SCP Mira Bettan
Avocats :
Mes Lafarge, Patrimonio.
Distributeur exclusif pour l'Europe et l'Afrique des produits et soins de beauté de marque Naomi Sims, adaptés aux peaux noires et métissées, la société Cécile Distribution a, par acte du 24 mai 1995, assigné la société Kanellia Diffusion devant le Tribunal de commerce de Paris en concurrence déloyale, lui reprochant un comportement systématiquement dénigrant lors des campagnes publicitaires opérées par cette dernière.
Par jugement du 1er octobre 1997, le tribunal de commerce de Paris a débouté la Société Cécile Distribution de l'intégralité de ses demandes et l'a condamnée à payer à la société Kanellia Diffusion la somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
LA COUR,
Vu l'appel interjeté, le 4 décembre 1997, par la société Cécile Distribution ;
Vu les conclusions en date du 2 avril 1998 par lesquelles la société Cécile Distribution, réitérant devant la Cour les griefs formulés à l'encontre de la société Kanellia Diffusion devant les premiers juges, demande à celle-ci de
- condamner la société Kanellia Diffusion à lui payer la somme de 800 000 F à titre de dommages-intérêts, sur le fondement de l'article 1382 du Code Civil, en réparation du préjudice qui lui a été causé,
- ordonner la publication de la décision, à intervenir dans les journaux professionnels suivants : Cosmetics New, Beauterama, Cosmetica, Amina et France Antilles,
- condamner la société Kanellia Diffusion à lui payer la somme de 12 000 F HT sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;
Vu les conclusions en date du 29 mai 1998 aux termes desquelles la société Kanellia Diffusion, réfutant l'argumentation de l'appelante, demande à la Cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a estimé qu'elle n'avait commis aucun acte de concurrence déloyale envers la société Cécile Distribution et, la recevant en son appel incident, de :
- condamner la société Cécile Distribution à lui payer la somme de 200 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, déloyale et vexatoire,
- ordonner la publication par insertion de la décision à intervenir dans cinq journaux professionnels de son choix aux frais de la société Cécile Distribution sans que le coût total des insertions dépasse la somme de 100 000 F,
- condamner la société Cécile Distribution à lui verser la somme de 30 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile pour ses frais irrépétibles en cause d'appel ;
Sur ce :
Considérant que l'action en concurrence déloyale exercée sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ne peut prospérer qu'en présence d'un comportement fautif caractérisé susceptible d'engager la responsabilité de son auteur, le principe de la libre concurrence, qui préside au commerce en France, n'autorisant pas les entreprises à user de procédés contraires aux usages loyaux du commerce pour nuire à un concurrent et tenter de détourner à son profit la clientèle ;
Considérant que pour caractériser ce comportement fautif, la société Cécile Distribution reproche à la société Kanellia Diffusion d'avoir adopté à son encontre un comportement systématiquement dénigrant en laissant accroire, au travers de multiples articles de presse publicitaires, que les produits Naomi Sims n'ont pas l'aspect novateur des siens et n'utilisent pas les formules dermatologiques récentes qui font son prétendu succès ; qu'elle lui fait également grief de répandre, dans le milieu professionnel, le bruit selon lequel les produits Naomi Sims contiendraient des composants d'origine bovine et seraient interdits à la vente en raison des craintes liées à la maladie dite " de la vache folle " ; qu'elle lui reproche encore des affirmations mensongères relatives au montant de son chiffre d'affaires pour s'attribuer, selon elle, de façon déloyale, une importance et une place sur le marché qu'elle n'a pas ;
Mais considérant que les propos rapportés par le journal France Antilles du 10 mars 1995 de la directrice de la société Kanellia Diffusion déclarant : " la concurrence ne me fait pas peur. Mon principal rival, au niveau visage, c'est Naomi Sims. Son marketing est basé sur un mannequin qui a 60 ans. Les recettes, à mon avis, sont vieilles. La nouveauté aujourd'hui c'est acide de fruits et céramique. Les grandes marques aujourd'hui suppriment les produits qu'elles ont créés il y a dix ans pour en sortir de nouveaux " ont été formellement contestés par cette dernière, dès le 7 avril 1995, qui, dans une lettre de protestation adressée au journal, a exigé un démenti ; que la rapidité de cette réaction, même si elle n'a pas été suivie d'effet en raison de la disparition du périodique en mai 1995, atteste de la bonne foi de la société Kanellia Diffusion qui en est victime ; qu'il convient au surplus d'observer que la société Cécile Distribution a eu la faculté de s'exprimer amplement dans les colonnes dudit journal, en avril 1995 avant la disparition de celui-ci ; que le caractère dénigrant des propos rapportés mêmes dénaturés, mais qui restent modérés, n'est au surplus pas démontrée ;
Que si la publicité parue dans le numéro du mois d'avril 1995 de la revue Amina présente la société Kanellia Diffusion comme " le numéro un du visage " et " le must de la beauté noire ", ces adjectifs hyperboliques pour vanter les mérites du produit qu'ils concernent ne dénigrent nullement les produits de la société Cécile Distribution, de tels adjectifs ou similaires étant communément utilisés dans les publicités par les sociétés concurrentes pour vanter leurs produits, sans que la clientèle à laquelle ces publicités s'adressent puisse se méprendre sur la portée qu'il faut en donner ;
Que la mention " révélation de la beauté noire ", utilisée dans une acception courante dans le cadre d'une publicité, n'apparaît pas davantage fautive s'agissant d'un terme du langage commun que la société Cécile Distribution ne peut valablement interdire d'employer dans un sens et dans un contexte courant, nonobstant le dépôt de la dénomination " révélation " qu'elle a faite à titre de marque ; qu'une telle utilisation, replacée dans son contexte, ne révèle nullement l'intention de se mettre dans le sillage de la ligne des produits de la société concurrente qui en sont revêtus ;
Que les autres articles de presse, qui vantent les mérites des produits français de la société Kanellia Diffusion au regard des produits américains comme Naomi Sims et Fashion Hair, à supposer qu'ils émanent de l'intimée, ne révèlent pas d'un comportement déloyal mais participe de la libre concurrence ;
Considérant qu'il en est de même des affirmations afférentes au chiffre d'affaires prétendument réalisé par la société Kanellia Diffusion et de la place qu'elle revendique sur le marché, quelle que puisse être la réalité du chiffre d'affaires de la société au sein du groupe auquel elle appartient ;
Considérant, enfin, que la société appelante ne serait davantage invoquer, pour prétendre avoir été dénigrée, les termes de l'attestation de Monsieur Sabin de la société Roger Albert évoquant les informations que lui aurait fournies la société Kanellia Diffusion sur les composants des produits Naomi Sims et soutenir qu'il s'agirait d'une rumeur perfide, alors qu'aux termes de cette même attestation l'intéressé évoque les résultats d'analyse chimique de son laboratoire révélant la présence dans les produits en cause de composants d'origine animale et évoquant le contrôle de la DGCCRF dans ses locaux qui l'ont conduit, pour la même raison, à stopper toute importation directe des cosmétiques en provenance des USA ;
Considérant que le tribunal, dans de telles conditions, a estimé, à juste raison, que les griefs de concurrence déloyale n'étaient pas établis et qu'il convenait de débouter la société Cécile Distribution de ses prétentions et demandes ;
Considérant que la société Kanellia Distribution ne démontre pas le caractère abusif de l'appel interjeté par la société Cécile Distribution qui a pu se méprendre sur l'étendue de ses droits et dont les propos tenus dans ses écritures n'excèdent pas les limites du libre droit de la défense ;
Considérant qu'il convient, par application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, d'allouer la somme de 30 000 F à la société Kanellia Diffusion pour ses frais irrépétibles en cause d'appel ;
Que la société Cécile distribution qui succombe et doit être condamnée aux dépens, sera déboutée de la demande qu'elle a formée de ce chef ;
Par ces motifs : Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions, Condamne la société Cécile Distribution à payer à la société Kanellia Diffusion la somme de 30 000 F pour ses frais irrépétibles en cause d'appel, en complément de la somme allouée à ce titre par le tribunal en première instance, Rejette toutes autres demandes, Condamne la société Cécile Distribution aux dépens et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.