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Décisions

CA Rennes, 2e ch. com., 23 février 2000, n° 99-01962

RENNES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Graphie Couleurs (SARL)

Défendeur :

Étincelle (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bothorel

Conseillers :

MM. Van Ruymbeke, Poumarede

Avoués :

Mes Castres Colleu & Perot, SCP Chaudet, Breton

Avocats :

Mes Masson, Cressard.

T. com. Rennes, du 12 févr. 1999

12 février 1999

Exposé des faits - Procédure - Objet du recours

Le 8 décembre 1995, la société Graphie Couleurs, qui exerce l'activité de conseil en création graphique, a embauché Arnaud Lebrunet en qualité de graphiste, responsable studio.

Le contrat contenait une clause de non-concurrence aux termes de laquelle Arnaud Lebrunet s'engageait formellement, à l'issue du contrat, "à ne pas travailler sous quelque forme que ce soit pour une entreprise ayant une activité concurrente de la société Graphie Couleurs et à ne pas s'intéresser directement ou indirectement à une telle entreprise, ceci pendant une durée d'un an à compter de la cessation du présent contrat sur tous les secteurs visés par lui, l'interdiction portant sur le département de l'Ile et Vilaine".

Le 4 novembre 1997, Arnaud Lebrunet présentait sa démission. Le 15 décembre 1997, il constituait avec son épouse la société Étincelle, dont il détenait 50% du capital.

Par jugement rendu le 12 février 1999, le tribunal de commerce de Rennes a rejeté les demandes présentées par la société Graphie Couleurs fondées sur des actes de concurrence déloyale et l'a condamnée à payer à la société Étincelle 6.000 F par application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Par acte du 10 mars 1999, la société Graphie Couleurs a formé appel de ce jugement.

Moyens proposés par les parties :

À l'appui de son appel, la société Graphie Couleurs fait valoir que la société Étincelle a commis des actes de concurrence déloyale constitutifs d'une faute délictuelle. En conséquence, la société Graphie Couleurs demande à la Cour de la condamner à lui payer 300.000 F à titre de dommages intérêts et de rejeter la propre demande de dommages intérêts présentée par la société Étincelle. Enfin elle réclame 15.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

La société Étincelle fait valoir qu'elle n'a commis aucun acte de concurrence déloyale. Elle conclut à la confirmation de la décision déférée, mais sollicite 100.000 F à titre de dommages intérêts au vu du comportement abusif des dirigeants de la société Graphie Couleurs ainsi que 10.000 F par application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Motifs de l'arrêt :

Considérant que le principe de la libre concurrence et de la liberté du travail sont des principes fondamentaux ;

Considérant que l'action est dirigée contre la société Étincelle sur le fondement d'actes délictuels, la société Graphie Couleurs lui reprochant des actes de concurrence déloyale ; qu'elle n'est pas fondée sur la responsabilité contractuelle de Arnaud Lebrunet, son ex-employé (dont la rémunération brute ne s'élevait qu'à 11.385,53 F) ; que la société Étincelle, créée et gérée par Arnaud Lebrunet, ne pouvait ignorer les obligations de non-concurrence contractées par celui-ci envers la société Graphie Couleurs ;

Considérant, certes, que la société Étincelle a son siège à Saint-Herblain, en Loire-Atlantique et non en Ile et Vilaine, seul département visé par la clause de non-concurrence ; que la clause interdisait cependant à Arnaud Lebrunet d'exercer son activité, dans ce département, sous quelque forme que ce soit pour une entreprise ayant une activité concurrente ; que constitue un acte de concurrence déloyale, constitutif d'une faute délictuelle, le fait pour la société Étincelle d'avoir, en connaissance de cause, contrevenu à cette interdiction contractée par son gérant ;

Considérant en l'espèce que :

- si le client Adecco a été facturé en novembre et décembre 1997 par la société Graphie Couleurs et si la société Étincelle reconnaît avoir réalisé à sa demande un document sur la loi de finances 1998, ce client a son siège, comme la société Étincelle, à Saint-Herblain et non en Ile et Vilaine et aucun fait de démarchage ou caractéristique d'une quelconque intervention de la société Étincelle en Ile et Vilaine n'est établi pour ce client,

- le fait que, d'une part, le stade rennais ait été client de la société Graphie Couleurs (qui produit un relevé de factures), et que d'autre part des calendriers de poche (produits nouveaux) ont été établis au nom du stade rennais de football par la société Étincelle, établit à l'inverse que la société Étincelle a effectivement exercé son activité en Ile et Vilaine auprès d'un client de son concurrent, au mépris de la clause de non-concurrence,

- IEC, cliente, implantée à Rennes, de la société Graphie Couleurs, qui en justifie par la production de factures, a également été contactée par la société Étincelle qui ne conteste pas avoir effectué des réalisations pour son compte ;

Considérant que la société Graphie Couleurs ne démontre que partiellement que la société Étincelle a exercé son activité en Ile et Vilaine, ce qui est constitutif d'un comportement déloyal à son encontre ; qu'elle justifie ainsi avoir subi, du fait de ces agissements, un préjudice que la Cour est en mesure de fixer, au vu des documents produits, à 20.000 F ;

Considérant à l'inverse que la société Étincelle a eu un comportement fautif à l'égard de son concurrent, commettant des actes de dénigrement lui ayant causé un préjudice égal à 20.000 F, puisque :

- une carte de visite se référant à l'action en justice, à en-tête de la société Graphie Couleurs, ainsi qu'un poster lui ont été adressés et étaient libellés en termes injurieux,

- Mme Lanfrey a attesté avoir été contactée professionnellement par le dirigeant de la société Graphie Couleurs (qui, comme l'atteste la carte de visite susvisée a agi au titre de la société Graphie Couleurs seule représentée en justice), afin de fêter la condamnation de M. Le Brunet ;

Considérant qu'il convient en conséquence d'infirmer la décision déférée et de statuer en ce sens ; que le recours n'étant que partiellement justifié et les demandes respectives des parties étant excessives et pour l'essentiel infondées, elles ne sont pas fondées à réclamer le remboursement de leurs frais irrépétibles et conserveront la charge de leurs propres dépens d'appel ; que la société Étincelle, qui a commis des actes de concurrence déloyale, certes limités, supportera les dépens de première instance ;

Par ces motifs, La Cour, statuant publiquement et contradictoirement, Infirme le jugement déféré, Condamne la société Étincelle à payer à la société Graphie Couleurs 20.000 F de dommages intérêts pour actes de concurrence déloyale, Condamne la société Graphie Couleurs à payer à la société Étincelle 20.000 F de dommages intérêts pour actes de dénigrement, Rejette toutes autres demandes, Condamne la société Étincelle aux dépens de première instance et laisse à la charge de chacune des parties leurs propres dépens d'appel.