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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 16 février 2000, n° 1997-20242

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Go Sport (SA)

Défendeur :

Décathlon (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marais

Conseillers :

M. Lachacinski, Mme Magueur

Avoués :

Me Bolling, SCP Hardouin-Herscovici

Avocats :

Mes Soffer, Escande.

T. com. Bobigny, 2e ch., du 5 juin 1997

5 juin 1997

Faits et procédure :

Les sociétés Décathlon et Go Sport, spécialisées dans la distribution d'articles de sport, de loisir et de plein air, utilisent chacune une enseigne destinée à les distinguer l'une de l'autre afin de permettre au public de ne pas les confondre ;

Pour la société Décathlon, elle est constituée d'un cartouche rectangulaire bleu dans lequel s'inscrit le terme Décathlon en lettres majuscules droites et blanches ;

Ce logo est utilisé par la société Décathlon sur tous ses catalogues, sur les vêtements qu'elle commercialise sous cette marque ainsi que sur les devantures de ses établissements de vente ;

La société Go Sport utilise à titre d'enseigne dans un cartouche de forme carré et de couleur bleu foncé, d'une part le terme Go qui écrit en très grosses lettres blanches insérées dans un bandeau de couleur verte couvre les trois quarts de la surface du cané, d'autre part le terme Sport qui occupe sur toute sa largeur la base du dit carré ;

Ayant fait constater par acte d'huissier du 18 novembre 1996 que la société Go Sport avait fait apposer sur la façade du centre commercial d'Aulnay sous Bois une enseigne lumineuse constituée d'un cartouche en forme de rectangle bleu sur lequel se détache la dénomination Go Sport écrite sur une seule ligne en lettres majuscules droites et blanches, la société Décathlon l'a assignée le 20 mars 1997 devant le tribunal de commerce de Bobigny à l'effet, sur le fondement des dispositions des articles 1382 et 1383 du Code civil, d'obtenir l'interdiction sous astreinte d'utiliser le logo incriminé et la publication du jugement intervenu, ainsi que sa condamnation à lui payer, outre la somme de 30 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, celle de 200 000 F à titre de dommages et intérêts ;

LA COUR,

Vu le jugement assorti de l'exécution provisoire rendu le 5 juin 1997 par le tribunal de commerce de Bobigny qui a déclaré fondée l'action en concurrence déloyale et parasitaire engagée par la société Décathlon contre la société Go Sport, a ordonné à cette dernière de déposer, sous astreinte, l'enseigne comportant le nom Go Sport écrit en blanc sur fond bleu dans un cadre rectangulaire telle qu'elle est installée à l'extérieur du centre commercial Parinor à Aulnay sous Bois et à l'intérieur de celui-ci, dans la galerie marchande, et lui a fait interdiction d'utiliser ce logo et l'a condamnée à payer à la société Décathlon, outre la somme de 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, celle d'un franc à titre de dommage-intérêts,

Vu l'appel interjeté par la société Go Sport le 20 août 1998 et ses conclusions signifiées le 29 novembre 1999 tendant à faire constater qu'elle a déféré à la décision entreprise en faisant procéder à la déconnexion et au masquage de l'enseigne, à la réformation du jugement déféré et à la condamnation de la société Décathlon à lui payer la somme de 400 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et celle de 30 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Vu les conclusions signifiées le 13 décembre 1999 par la société Décathlon sollicitant la confirmation du jugement déféré mais son infirmation en ce qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de ses demandes, et notamment celles portant sur la réparation de son préjudice qu'elle évalue à la somme de 300 000 F, sur la dépose de l'enseigne, sur la mesure de publication de la décision, ainsi que sur la liquidation de l'astreinte qu'elle se réserve de solliciter,

Sur quoi,

Considérant que la société Go Sport fait grief à la décision attaquée d'avoir retenu à son encontre l'existence d'actes de concurrence déloyale et de parasitisme "sans rechercher si les éléments prétendument copiés ou parasités étaient particulièrement distinctifs et attractifs de l'enseigne considéré et si l'utilisation de ces éléments par un concurrent était de nature à créer une confusion préjudiciable dans l'esprit de la clientèle" et de ne pas avoir caractérisé la faute qu'elle aurait commise ;

Qu'elle soutient que le tribunal a de façon contestable écarté toutes références à la contrefaçon ou au droit des marques qu'elle a faites alors que la protection contre les agissements déloyaux ou parasitaires n'est applicable que si les éléments prétendument usurpés présentent une certaine originalité et attestent d'efforts et d'investissement financiers et créatifs ;

Qu'elle indique encore que rien ne permet de justifier les allégations de la société Décathlon selon lesquelles les consommateurs identifient cette société à l'aide des couleurs bleu et blanc de son enseigne qui ne possède aucun caractère distinctif ;

Qu'elle précise qu'elle a utilisé pour ses enseignes, antérieurement à la société Décathlon, les couleurs susvisées, le bleu pour évoquer la nature, l'eau et le ciel, le blanc pour les lettres afin de les rendre visibles et lisibles et que les contraintes techniques qui lui ont été imposées par le centre commercial l'ont obligée à avoir recours à la présentation litigieuse ;

Qu'elle conteste que la vision de l'enseigne qu'elle a apposée sur la façade du centre commercial d'Aulnay sous Bois soit un élément déterminant qui conduirait la clientèle à se rendre dans son magasin en croyant qu'il s'agit d'un magasin Décathlon ;

Qu'elle affirme que l'attractivité de la grande distribution est davantage liée aux prix pratiqués et à l'étendue de la gamme de produits proposés qu'à la couleur des enseignes servant à désigner l'emplacement des points de vente ;

Qu'elle reproche également au jugement déféré de l'avoir condamnée au paiement d'une somme symbolique tout en indiquant que la société Décathlon ne justifie pas du préjudice qu'elle allègue ;

Que le litige devant être replacé dans le contexte géographique qui est le sien, elle conteste l'existence du préjudice allégué par la société Décathlon qui ne peut soutenir valablement que l'enseigne incriminée a porté atteinte à sa renommée qui s'est trouvée diluée, et donc affaiblie ;

Mais considérant que la société Décathlon réplique pertinemment qu'indépendamment de tout risque de confusion, le fait de se placer dans le sillage d'un concurrent en cherchant à évoquer dans l'esprit du public les éléments qui servent à l'identifier afin de bénéficier de sa notoriété est constitutif de concurrence parasitaire;

Considérant que les sociétés Décathlon et Go Sport qui sont directement concurrentes puisqu'elles exercent leurs activités dans le même secteur qui est celui du sport et des loisirs utilisent chacune un logo destiné à permettre à leur clientèle respective de les distinguer l'une de l'autre ;

Que ce logo qui constitue un signe évocateur destiné à permettre le ralliement de la clientèle est un des facteurs déterminants dans la politique commerciale des sociétés opposées soucieuses de l'image qu'elles veulent donner au public auquel elles s'adressent ;

Considérant que si effectivement comme le révèlent les procès-verbaux de constat communiqués, la société Décathlon a mis en place des enseignes portant sa dénomination de couleur verte sans cartouche, il n'est pas contesté qu'elle utilise et exploite désormais de manière intensive et systématique une enseigne de couleur bleue sur laquelle figurent écrites en lettres capitales blanches sa dénomination ;

Que la société Go Sport ne saurait contester que ce logo est également apposé sur de nombreux produits et accessoires commercialisés par la société Décathlon ;

Considérant que l'enseigne adoptée par la société Go Sport sur la façade du centre commercial d'Aulnay sous Bois, telle que le révèle la photographie annexée au procès-verbal de constat d'huissier de justice du 18 novembre 1996, composée de la dénomination Go Sport sur une seule ligne en lettres blanches sur fond bleu est évocatrice de l'enseigne de la société Décathlon dont elle reprend scrupuleusement les mêmes caractéristiques, cartouche rectangulaire, fond bleu, lettres blanches de même dimension ;

Que la mise en place de cette enseigne, totalement différente de celle qu'elle utilise communément, résulte d'un choix arbitraire que la société Go Sport ne justifie pas ;

Que les contraintes administratives que le centre commercial d'Aulnay sous Bois lui aurait imposées ne sont pas démontrées ;

Qu'à supposer même qu'elles aient existé, il appartenait à la société Go Sport de ne pas s'y conformer en refusant d'apposer une telle enseigne qui est de nature à lui faire encourir le risque d'une réclamation de la part de la société Décathlon ;

Qu'il s'en déduit qu'en exposant une telle enseigne à la vue du public, la société Go Sport a cherché à évoquer le signe de ralliement de la société Décathlon afin de capter l'attention de la clientèle qui sera amené à associer les deux sociétés concurrentes;

Que ce comportement destiné à détourner à son profit la notoriété et le succès d'un concurrent constitue une faute caractérisée et un comportement parasitaire;

Que la société Go Sport n'est pas fondée à contester les ressemblances existant entre les deux enseignes alors que les différences susceptibles d'exister entre elles, notamment le fond bleu, ne sont pas de nature à empêcher la clientèle de rapprocher ou d'associer les noms des deux sociétés concurrentes ;

Que les arguments selon lesquels la société Décathlon ne peut s'approprier l'association des lettres blanches sur fond bleu, ou encore le pouvoir évocateur de la couleur bleue sont dépourvus de pertinence ;

Qu'en effet, si la société Décathlon ne peut s'approprier la couleur bleue et les lettres blanches, elle est toutefois fondée à demander la protection de son identité et de sa notoriété lesquelles sont consacrées par l'enseigne qu'elle a choisie qui constitue un signe de ralliement pour sa clientèle ;

Que la loyauté des relations commerciales imposait précisément à la société Go Sport de se démarquer de son concurrent, comme le font d'autres sociétés exerçant des activités similaires ;

Considérant que la société Go Sport ne saurait davantage pas s'exonérer du grief de concurrence déloyale ou parasitaire en invoquant l'absence de risque de confusion entre les enseignes litigieuses ;

Que le seul fait pour la société Go Sport d'avoir utilisé les éléments caractéristiques de l'enseigne de la société Décathlon dont nul ne conteste qu'elle est notoirement connu sur l'ensemble du territoire français dans le but de rappeler à la clientèle commune l'existence de cette société concurrente et ainsi de profiter de la notoriété de cette dernière constitue un comportement parasitaire qui exclut toute référence à la notion de confusion ;

Considérant que ce détournement déloyal de la notoriété d'autrui résultant du rattachement artificiel de la société Go Sport à la société Décathlon constitue donc une faute qui a occasionné à la société victime de ces agissements un préjudice résultant de l'atteinte qui a été portée à sa notoriété et à son succès commercial, fruits d'investissements publicitaires importants ;

Considérant que l'atteinte portée à l'enseigne litigieuse qui a été aperçue par de nombreuses personnes circulant le long du centre commercial où elle était apposée est génératrice d'un trouble commercial ;

Qu'il convient en conséquence de réformer la décision déférée, de faire droit à la demande reconventionnelle formée par la société Décathlon et de condamner la société Go Sport à lui payer en réparation de son préjudice la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts ;

Que les mesures de publicité sollicitées doivent être ordonnées à titre de complément de réparation du dommage subi par la société Décathlon ;

Considérant que la liquidation d'une astreinte étant de droit, il n'y a lieu de donner acte à la société Décathlon de la réserve qu'elle sollicite ;

Considérant que les frais d'appel non compris dans les dépens doivent être fixés à la somme de 30 000 F ;

Que les demandes de condamnation à des dommages-intérêts et au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile formées par la société Go Sport seront rejetées ;

Par ces motifs, Confirme le jugement rendu le 5 juin 1997 par le tribunal de commerce de Bobigny en toutes ses dispositions, à l'exception de celles portant sur le montant de la condamnation de la société Go Sport, Statuant à nouveau, Condamne la société Go Sport à payer à la société Décathlon la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts, Ordonne la publication du dispositif du présent arrêt et celui du jugement déféré non contraire, aux frais de la société Go Sport dans trois journaux ou revues au choix de la société Décathlon, sans que le coût de chaque insertion ne soit supérieur à la somme de 30.000 F HT, Dit n'y avoir lieu à donner acte à la société Décathlon de ses réserves, Rejette les autres demandes formées par les parties, Condamne la société Go Sport à payer à la société Décathlon la somme de 30.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la société Go Sport aux entiers dépens d'appel dont distraction au profit de la SCP Hardouin Herscovici dans les conditions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.