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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 11 février 2000, n° 1997-09558

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

CTM (Sté)

Défendeur :

Mottura Spa (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boval

Conseillers :

Mmes Mandel, Regniez

Avoués :

SCP Mira-Bettan, SCP Narrat-Peytavi

Avocats :

Mes Sohlobji, Collomp

T. com. Paris, 18e ch., du 19 mars 1997

19 mars 1997

Appel a été interjeté par la société CTM d'un jugement du 19 mars 1997 rendu par le tribunal de commerce de Paris dans un litige l'opposant à la société de droit italien Mottura Spa.

Référence étant faite au jugement entrepris pour l'exposé des faits, de la procédure et des moyens antérieurs des parties, il suffit de rappeler les éléments essentiels suivants.

Mottura, société qui fabrique et commercialise des produits de serrurerie (notamment des coffres-forts), a, au salon Batimat à Paris du 6 au 11 novembre 1995, estimé qu'une société concurrente, CTM, mettait à la disposition du public des brochures publicitaires qui seraient semblables à la sienne et qui contiendraient une publicité trompeuse. Elle a fait assigner en référé son adversaire afin de voir retirer les brochures litigieuses, (ce qu'elle a obtenu par ordonnance du 9 novembre 1995), puis a fait citer, par acte du 9 novembre 1995, devant le tribunal de commerce de Paris, CTM en concurrence déloyale pour obtenir, outre des mesures d'interdiction et de destruction des brochures litigieuses, de publication, paiement de dommages et intérêts ainsi qu'une mesure d'instruction pour déterminer son entier préjudice. Elle a réclamé paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

CTM s'était opposée à ces demandes, invoquant le défaut de preuve de la réalité de la diffusion de la brochure litigieuse. Elle avait, en outre, soutenu que son adversaire n'aurait pas démontré avoir conçu et distribué sa brochure publicitaire avant elle. Elle avait sollicité reconventionnellement paiement de la somme de 150 000 F à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral subi du fait de cette action.

Par le jugement déféré, le tribunal a :

- constaté que la diffusion des produits publicitaires lors du salon Batimat a constitué un acte de concurrence déloyale,

- prononcé des mesures d'interdiction des brochures litigieuses et toutes autres brochures "se basant sur la même stratégie de base que les produits publicitaires de Mottura ",

- ordonné la destruction des brochures litigieuses sous astreinte,

- condamné CTM à verser 50 000 F à Mottura à titre de dommages et intérêts pour réparer le préjudice moral causé par la concurrence déloyale,

- ordonné la publication dans trois journaux français spécialisés et un journal d'information générale sans que le coût total dépasse 40 000 F,

- débouté Mottura en sa demande de nomination d'expert et en sa demande de dommages et intérêts au titre de la publicité trompeuse,

- condamné CTM au paiement de la somme de 10 000 F par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement.

Appelante, CTM poursuit la réformation du jugement en ses dispositions lui faisant grief. Elle conclut au rejet des demandes, et, à titre reconventionnel, sollicite paiement de la somme de 150 000 F de dommages et intérêts pour agissements et procédure manifestement abusifs et paiement de 80 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Mottura conclut à la confirmation du jugement sauf sur les dommages et intérêts et en ce que le grief de publicité mensongère et dénigrante n'a pas été retenu par les premiers juges. Formant appel incident de ces chefs, elle prie la cour de condamner son adversaire à payer la somme de 400 000 F à titre principal, outre intérêts au taux légal à compter de la décision pour le préjudice matériel, et une somme supplémentaire de 50 000 F au titre du préjudice moral ainsi que les intérêts ayant commencé à courir à compter du jugement du tribunal de commerce du 19 mars 1997.

Elle réclame en outre la condamnation de son adversaire au paiement de la somme de 30 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur ce, LA COUR,

Considérant que Mottura reproche à CTM d'avoir diffusé une brochure publicitaire, sous un format identique au sien, en reprenant le "concept" d'une photographie reproduisant les yeux bleus de femme, le slogan "les yeux bien ouverts sur la sécurité", et, dans les pages intérieures, trois textes identiques, lors du salon Batimat en novembre 1995, cela pour présenter les mêmes produits, des coffres-forts ;

Qu'elle fait également grief à CTM d'avoir indiqué sur la première page de la brochure la mention "meilleur fabricant 1er exportateur", ce qui serait un acte déloyal à son égard, en laissant croire à la clientèle que CTM est la meilleure ;

Considérant que les premiers juges ayant condamné pour concurrence déloyale par reprise de la "même stratégie de base", CTM fait valoir

- qu'elle a en réalité conçu et réalisé le "concept de la représentation des yeux de femme", ce qui résulterait d'une carte de voeux de l'année 1992, versée aux débats en original et antérieure à la publicité qui lui est opposée,

- qu'il n'existe aucune preuve de ce que les prospectus litigieux auraient été diffusés lors du salon Batimat, l'attestation de M. Prochasson du 2 septembre 1996 produite par son adversaire n'ayant aucune valeur probante, et aucun constat n'ayant été établi ;

Qu'elle ajoute que la mention "le premier exportateur meilleur fabricant" - qui lui est à nouveau reprochée en appel - apposée sur le dépliant, n'a aucun caractère mensonger ou dénigrant dès lors qu'elle a indiqué sur la brochure incriminée que son siège social se trouvait en Tunisie et que, par conséquent, la clientèle ne pouvait interpréter cette mention que comme s'appliquant aux entreprises installées en Tunisie et non pas à celles implantées dans d'autres pays ;

Considérant cela étant exposé, que, sur la réalité de la diffusion du prospectus au salon Batimat, en novembre 1995, aucun constat d'huissier n'a certes été établi ; que néanmoins, la preuve des faits peut être rapportée par tous moyens; qu'en l'espèce, l'attestation de M. Prochasson qui déclare n'avoir aucun lien avec les parties et ne pas être sous leur dépendance économique, ne saurait être, contrairement à ce qui est prétendu par l'appelante (qui n'apporte aucun élément en ce sens), dénuée de valeur probante ; que par ce document, M. Prochasson affirme avoir demandé des renseignements sur les produits CTM au salon Batimat 1995 et relate qu'il lui a été remis la brochure litigieuse ; que ces déclarations précises établissent la réalité de la diffusion de la brochure incriminée lors du salon Batimat en 1995 ;

Considérant, sur l'antériorité du " concept de la photographie des yeux de femme " et sur le slogan " les yeux bien ouverts sur la sécurité ", qu'aucun document en appel ne permet de remettre en cause la date à laquelle a été commandée la brochure Mottura, retenue par les premiers juges (janvier/mars 1993) ; qu'elle résulte, en effet, de factures produites déjà en première instance par la société italienne, des commandes de brochures en langue française, et d'une publicité parue dans une revue " Ferra Menta et Casa Linghi " de mars 1993 portant la reproduction de deux yeux ;

Considérant que CTM soutient que sa carte de voeux de 1992, qui, sur la première page, représente deux yeux de femme sous lesquels est inscrite la phrase "Les yeux bien ouverts sur la sécurité" démontrerait qu'en réalité ce "concept" avait déjà été élaboré par elle ;

Mais considérant que comme le relève exactement l'intimée, ce document est dénué de toute valeur probante ; qu'en effet,

- les n° de téléphone portés sur la dernière page (Sousse : 03 25244/245 et Tunis 01 259.344) correspondent à des indicatifs qui n'ont été valables qu'à compter du 1er octobre 1993, soit à une date très postérieure au premier janvier 1992,

- la facture émanant de la société Graphi Services qui correspondrait à la commande des cartes de voeux susvisées en date du 28 décembre 1991 porte la référence 114/95 ce qui laisse supposer qu'elle a, en réalité, été établie en 1995,

- en outre, cette facture ne comporte aucun descriptif ;

Considérant que les autres factures versées aux débats des 2 novembre 1992 (n° 076/92), 13 août 1994 (n° 032/94), 22 septembre 1995 (n° 096/95) relatives à des commandes de dépliants "coffres forts" ne donnent pas davantage de précision sur le contenu des prospectus ;

Considérant, en conséquence, que CTM ne rapporte pas la preuve de ce qu'elle aurait été à l'origine de la photographie litigieuse et du slogan repris sous la forme "les yeux bien ouverts sur votre sécurité" ;

Considérant qu'ainsi, c'est par des motifs pertinents que la cour adopte, que les premiers juges, après avoir relevé que la publicité litigieuse se présentait sous un même format avec une première page reprenant une photographie quasi identique ainsi qu'un même slogan, et que des textes sur les pages suivantes étaient la reprise de ceux figurant sur la brochure publicitaire de la société Mottura ont retenu des actes de concurrence déloyale;

Considérant que le jugement sera également confirmé en ce que le grief de publicité mensongère a été rejeté ; qu'en effet, les qualificatifs " le premier exportateur", "meilleur fabricant" (apposés d'ailleurs en caractères peu lisibles sur le prospectus incriminé) sont fréquemment utilisés par les entreprises de telle sorte que la clientèle ne détermine pas ses choix en fonction de tels critères ;

Considérant que selon Mottura, son préjudice n'a pas été suffisamment pris en compte par les premiers juges ; que néanmoins, elle ne démontre pas que la brochure litigieuse aurait été distribuée de manière massive et qu'elle aurait, en raison des actes déloyaux ci-dessus mentionnés, subi un préjudice commercial particulièrement important ; que les premiers juges ont fait une exacte appréciation de l'entier préjudice subi par Mottura ; que le jugement sera donc confirmé de ce chef ;

Considérant qu'il convient de confirmer les mesures d'interdiction, de destruction et de publication ordonnées par les premiers juges, étant toutefois précisé que les mesures d'interdiction porteront sur les mentions litigieuses figurant dans la brochure incriminée ;

Considérant qu'il ne saurait être fait droit à la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formée par CTM qui succombe ;

Considérant que l'équité commande d'allouer à Mottura la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

Par ces motifs, et ceux non contraires des premiers juges : Confirme le jugement ; Le précisant sur les mesures d'interdiction et ajoutant : Dit que les mesures d'interdiction ordonnées par les premiers juges s'appliqueront à la photographie et aux mentions litigieuses insérées dans la brochure publicitaire incriminée, Condamne la société CTM à payer à la société Mottura la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Rejette toute autre demande, Condamne la société CTM aux entiers dépens qui seront recouvrés par la SCP Narrat-Peytavi avoué, selon les dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.