CA Paris, 4e ch. A, 9 février 2000, n° 1997-25224
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Centrale de Réservation Touristique Internationale (SARL)
Défendeur :
RTI Voyages (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Marais
Conseiller :
M. Lachacinski
Avoués :
Me Blin, SCP Verdun Seveno
Avocat :
Mes Thévenard
Vu le jugement rendu, le 18 septembre 1997, par le tribunal de commerce de Bobigny qui, dans l'instance en concurrence déloyale opposant la SARL CRTI à la SARL RTI Voyages a :
- reçu la société CRTI L'Evasion en sa demande principale et l'a dite non fondée,
- dit n'y avoir lieu à concurrence déloyale,
- reçu RTI Voyages en sa demande reconventionnelle et l'a dite partiellement fondée,
- ordonné l'adjonction obligatoire pour RTI du mot voyages dans la même taille de caractères et la même typographie, en conservant ses couleurs jaune et noir et son logo, sur tous les documents officiels, publicitaires, ou représentatifs de la société (tels que papier à lettres, cartes de visite, etc.)
- ordonné l'adjonction obligatoire pour CRTI des mots L'Evasion en plus petite taille ou de taille identique mais dans la même typographie, en conservant ses couleurs verte et bleue, sur tous les documents officiels, publicitaires, représentatifs de la société (tels que papier à lettres, cartes de visite, etc.),
ces obligations valant également pour toute présentation orale,
- condamné CRTI L'Evasion au paiement à RTI Voyages de la somme de 50.000 F à titre de dommages-intérêts pour assignation abusive et participation aux frais de restructuration administrative d' RTI,
- rejeté comme inopérantes ou mal fondées toutes autres conclusions plus amples ou contraires,
- ordonné l'exécution provisoire sans constitution de garantie,
- condamné CRTI L'Evasion au paiement à RTI Voyages de la somme de 15.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Vu l'appel interjeté par la société CRTI et les dernières conclusions du 29 novembre 1999 par lesquelles ladite société demande à la Cour de :
- de dire et juger qu'il existe de la part de RTI toute une série de pratiques constitutives d'actes de concurrence déloyale à son égard,
- de condamner RTI à lui payer la somme de 150.000 F de dommages et intérêts en réparation du préjudice par elle subi,
- de condamner, en outre, RTI à lui payer la somme de 20.000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- d'ordonner la publication du dispositif de l'arrêt à intervenir dans trois journaux professionnels de son choix et aux frais de la société RTI Voyages,
soutenant à cet effet:
- que la société RTI Voyages s'est rendue coupable de concurrence déloyale en utilisant à titre de nom commercial le sigle RTI, en adoptant un logo semblable au sien au moment où elle même lançait sur le marché son nouveau logo, en ayant un comportement parfaitement déloyal à son égard et en la dénigrant auprès des comités d'entreprise en faisant croire qu'elle démarcherait illicitement et de façon parasitaire ceux-ci,
- que cette société a agi en infraction avec les dispositions légales régissant la profession d'agent de voyages,
- qu'elle a fait preuve d'un manque total de rigueur tant au niveau de son nom, qu'au niveau du registre du commerce, des pièces versées aux débats, de ses statuts, et du raisonnement qu'elle a adopté ;
Vu les conclusions du 29 novembre 1999 aux termes desquelles la société RTI Voyages, réfutant l'argumentation de l'appelante et dénonçant la mauvaise foi de celle-ci, demande à la Cour :
- de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a ordonné l'adjonction pour la société CRTI du mot L'Evasion en plus petite taille de caractères, ainsi que sur le montant des dommages-intérêts,
- faisant droit à l'appel incident, d'ordonner que l'adjonction pour CRTI du mot "l'évasion" soit fait en taille identique,
- de condamner la société CRTI à lui payer la somme de 150.000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, avec intérêts au taux légal à compter du 18 septembre 1997,
- d'ordonner le retrait immédiat de tous documents portant le logo CRTI sous astreinte de 10.000 F par jour de retard,
- de condamner la société CRTI à lui payer la somme de 50.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Sur quoi, LA COUR
I. Sur les actes de concurrence déloyale
a) Sur la dénomination sociale et la confusion qui serait délibérément et systématiquement entretenue par la société RTI Voyages entre les deux sociétés :
Considérant que la société CRTI reproche à la société intimée d'avoir adopté, tant dans sa dénomination sociale qu'à titre de nom commercial, le sigle "RTI" ; que le risque de confusion serait, selon elle, d'autant plus grand, que ces trois lettres étant précédées, dans sa propre dénomination sociale, de la lettre "C", la société RTI Voyages entretiendrait volontairement la confusion en répondant, quand on l'interroge, "CRTI ... c'est moi", jouant sur la similitude phonétique de la lettre "C" et la locution "C'est" ;
Considérant que pour réfuter le grief qui lui est opposé, la société RTI Voyages fait essentiellement valoir qu'il n'existe entre les deux sociétés aucun risque de confusion dans la mesure où celles-ci exercent leurs activités dans des secteurs différents, puisqu'elle n'exploite elle-même les siennes qu'en relation avec les comités d'entreprise ;
Considérant qu'il convient de rappeler que la dénomination sociale est le nom qui individualise la personne morale considérée dans l'ensemble de son existence et de ses activités, comme le patronyme individualise la personne physique ; que la personne morale acquiert le droit sur le nom qui la désigne en adoptant celui-ci, à titre de dénomination sociale, dans l'acte qui la constitue ;
Considérant, par ailleurs, que le nom commercial est défini comme la dénomination sous laquelle une personne morale désigne l'entreprise ou le fonds de commerce qu'elle exploite pour l'identifier dans ses rapports avec la clientèle ; qu'il s'acquiert du seul fait d'un usage public ;
Que ces droits privatifs conférés à la personne morale sur sa dénomination sociale et sur son nom commercial ainsi définis privent toute autre personne de la possibilité d'utiliser la même dénomination ou une dénomination voisine, dès lors qu'un risque de confusion est susceptible d'en résulter ;
Considérant, ainsi qu'il résulte des mentions portées aux extraits K-Bis des deux sociétés, que la société Générale de Réservations Touristiques Internationale "CRTI" (le sigle CRTI correspondant au nom commercial "Centrale de Réservation Touristique Internationale" parallèlement adopté) a été constituée, le 16 juillet 1987, la société CRTI Voyages, ayant elle même été créé postérieurement, le 6 octobre 1992 ;
Considérant que si l'objet social, tel que défini par la société CRTI, a varié dans le temps, puisque défini, en 1987, comme se rapportant à "toutes prestations de services en France et à l'étranger relatives au tourisme de groupe. Intermédiaire entre les agences et les groupes", il a été modifié, en 1991, en "agence de voyages, organisation de voyages en France et dans tous les pays, organisation de séminaires réceptifs, représentation hôtelière, vente de billets de tout spectacle et toutes opérations", et s'il est exact que la mention relative aux comités d'entreprise n'a été apportée qu'en 1994, soit postérieurement à la création de la société RTI Voyages, l'objet social de la société RTI Voyages, référence faite à son extrait K-Bis, est lui-même défini comme se rapportant à " l'organisation et création de Voyages touchant au tourisme et aux loisirs " sans autre précision ;
Que l'exercice de ces activités, qui ont toutes trait à l'organisation de voyages et de loisirs, placent nécessairement les deux sociétés en situation de concurrence, peu important que la société RTI voyages limite effectivement les siennes à l'organisation de voyages de groupe, principalement tournées vers les comités d'entreprise, limitation qui ne figure d'ailleurs pas dans la définition de l'objet social telle qu'en donnent ses statuts ;
Considérant qu'il est constant que les trois lettres "RTI", qui sont dépourvues de signification propre, constituent l'élément attractif des dénominations sociales des deux sociétés ; que l'adoption par la société RTI Voyages de ces trois lettres crée avec la dénomination sociale de la société CRTI qui lui est antérieure, un risque de confusion manifeste, au demeurant relevé par les premiers juges et reconnu par la société intimée dans une note informative qu'elle a diffusée auprès de sa clientèle pour attirer l'attention de celle-ci sur ce risque de confusion ;
Que ce fait caractérise, à lui seul, l'existence d'un acte de concurrence déloyale, peu important que l'adoption du sigle litigieux ne procède pas d'une volonté délibérée et malveillante de la société intimée , dont la preuve n'est pas rapportée, ni que les recherches effectuées par celle-ci à l'INPI se soient révélées infructueuses, lesdites recherches ne revêtant aucun caractère exhaustif et n'étant pas exonératoires de responsabilité ;
Considérant, en revanche, que la confusion [qui] aurait été systématiquement entretenue par la société RTI Voyages en tentant de se substituer à la société CRTI, ne résulte pas, de façon suffisamment probante, de la seule attestation de Madame Jarwoski établie pour les besoins de la cause ; que ce grief doit être écarté ;
b) sur le logo :
Considérant que la société CRTI reproche encore à la société intimée d'avoir modifié son logo, en 1993, pour lui donner les apparences de celui qu'elle-même venait d'adopter ;
Mais considérant que par des motifs pertinents que la Cour adopte, les premiers juges ont estimé, à bon droit, que les logos en cause n'étaient pas semblables; qu'il n'est pas contesté que celui de la société RTI Voyages est jaune et noir, alors que celui de la société CRTI est bleu et vert ; que le tribunal a justement relevé, dans celui de la société RTI Voyages, la présence d'un triangle avec une "flèche montante" qui ne se retrouve pas dans le sigle CRTI ;
Que le grief afférent au logos doit donc être écarté ;
c) sur les actes de dénigrement:
Considérant que la société CRTI reproche également à la partie adverse de l'avoir dénigrée en adressant, en décembre 1996, aux membres de sa clientèle une lettre intitulée "note importante" ainsi libellée :
Une agence dénommée CRTI (Centrale de Réservation Touristique Internationale) à Saint-Maur des Fosses démarche actuellement les comités d'entreprise. Nous tenons à remercier celles et ceux d'entre vous qui nous ont informés de son existence.
Phonétiquement et dans son orthographe ce nom se rapproche du nôtre et peut prêter à confusion au point que, beaucoup d'entre vous, l'ont confondue avec notre agence.
Nous n'avons, bien évidemment aucun lien de quelque nature que ce soit !
Merci pour votre attention, sincèrement vôtre.
Marie-Paule Azoulay,
Directrice
Considérant que cette lettre, si elle comporte la reconnaissance d'un risque manifeste de confusion entre les deux dénominations, n'excède pas les limites d'une simple information de la clientèle en raison des termes modérés qui ont été adoptés mais ne dénigre nullement la qualité des prestations ou le comportement de la société CRTI qui y est visée;
Qu'il importe peu que cette note ait été accompagnée d'un "flash info" proposant une réduction de 10 %, lequel relève de la simple liberté du commerce mais ne constitue nullement, en soi, un acte de concurrence déloyale, dès lors qu'il n'est pas démontré que les prix pratiqués aient présenté un caractère anormalement bas;
Que le grief de dénigrement sera en conséquence également écarté ;
d) Sur les infractions à la législation sur les agences de Voyages et "le manque de rigueur" dont aurait fait preuve la société RTI Voyages :
Considérant que si la situation de la société RTI Voyages, à une époque de ses activités, n'était pas en totale conformité avec la législation applicable, les manquements dénoncés ne sont pas de nature à caractériser un acte de concurrence déloyale à l'égard de la société CRTI, dès lors qu'il est manifeste que ladite société ne s'est pas, de propos délibéré, mise en infraction à la loi, qu'elle n'a fait l'objet d'aucune réclamation ni d'aucune poursuites de ce chef, en ce compris de poursuites au plan administratif et que sa situation est depuis longtemps régularisée ;
Considérant, par ailleurs, que les reproches formulés selon lesquels la société RTI aurait fait preuve d'un total manque de rigueur, que ce soit "au niveau de son nom", "au niveau des registre du commerce", "au niveau des statuts", "au niveau du raisonnement" ou concernant "les pièces qu'elle aurait versées devant le premier juge" sont inopérants comme n'étant pas propres à caractériser l'existence d'actes de concurrence déloyale distincts de ceux ci-dessus analysés ; qu'il convient, au surplus, de noter que la société CRTI ne tire aucune conséquence juridique précise des manquements qu'elle invoque ;
Que ces griefs ne sont pas davantage fondés ;
II. Sur la réparation du préjudice :
Considérant que pour contester l'existence du préjudice, la société RTI Voyages invoque, en vain, l'absence de détournement réel de clientèle, le préjudice s'inférant des seuls actes de concurrence déloyale commis ;
Considérant que la société CRTI, qui avait sollicité en première instance l'interdiction pour la société RTI Voyages de faire usage du sigle RTI, ne formule plus devant la Cour une telle demande, se contentant de solliciter l'octroi de dommages-intérêts et la publication de la décision intervenir ; qu'elle reconnaît ainsi nécessairement la possible coexistence entre sa propre dénomination sociale CRTI et la dénomination sociale de la société intimée, dès lors qu'au sigle RTI se trouve adjoint le mot "Voyages" en même taille de caractères et en même typographie ;
Considérant que si la demande de dommages-intérêts est, dans son principe, fondée, la société CRTI ne démontre pas que les actes de concurrence déloyale précédemment retenus, seraient à l'origine de la baisse de son chiffre d'affaires que la simple conjoncture économique, notamment liée à la guerre du golfe, justifie ; que le préjudice subi, tel qu'il résulte des actes de concurrence ci-dessus retenus, sera entièrement réparé par l'allocation d'une somme de 30.000 F de dommages-intérêts ;
Considérant, en revanche, que la mesure de publicité n'apparaît pas, compte tenu des circonstances, justifiée et sera, en conséquence, rejetée ;
III. Sur les demandes reconventionnelles de la société RTI Voyages :
Considérant, compte tenu de ce qui précède, que le caractère abusif de la procédure entreprise par la société CRTI n'est pas avéré ;
Qu'il n'est pas davantage démontré que la société CRTI aurait cherché à imiter le logo de la société intimée et à détourner à son profit la réputation acquise par la société RTI Voyages dans le domaine des voyages de groupe ;
Que la société RTI Voyages, qui est elle-même à l'origine de la confusion qu'elle dénonce et qui ne justifie pas des actes de concurrence déloyale dont elle s'estime victime, doit être déboutée de l'intégralité de ses demandes ;
Qu'elle ne saurait, pour la même raison, exiger de la société CRTI qu'elle adjoigne à son sigle, le terme L'Evasion ;
IV. Sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :
Considérant que l'équité commande, compte tenu du rejet d'une partie importante des prétentions de l'appelante, de laisser à celle-ci la charge de ses frais irrépétibles d'instance ; que la société RTI Voyages qui succombe doit être déboutée de la demande qu'elle a formée à ce titre :
Par ces motifs, Infirme la décision entreprise, Dit qu'en adoptant les trois lettres RTI la société RTI Voyages s'est rendue coupable d'un acte de concurrence déloyale à l'encontre de la société CRTI, En conséquence, condamne la société RTI Voyages à payer à la société CRTI la somme de 30.000 F à titre de dommages et intérêts; Rejette toutes autres demandes des parties, Condamne la société RTI Voyages aux dépens et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.