Livv
Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 2 février 2000, n° 1998-12309

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Institut Français de l'Anxiété et du Stress (Sté)

Défendeur :

Rousseau Deneux Brouard Conseil Formation RDB Conseil Formation (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marais

Conseillers :

M. Lachacinski, Mme Magueur

Avoués :

SCP Roblin Chaix de Lavarène, SCP Valdelièvre Garnier

Avocats :

Mes Olivier, Capiaux.

T. com. Paris, 15e ch., du 30 janv. 1998

30 janvier 1998

Créée en 1990, la société Institut Français de l'Anxiété et du Stress a pour objet social la création, l'exploitation, la gestion et le développement par tous moyens de centres de prestations de services aux particuliers et aux entreprises, dans le domaine de la santé et, plus particulièrement, dans les domaines du stress et de l'anxiété.

Prétendant détenir un droit de propriété exclusif et absolu sur la dénomination IFAS qu'elle a adoptée à titre de dénomination sociale et de nom commercial dès 1990, la société Institut Français de l'Anxiété et du Stress a reproché à la société IFAS Conseil et Formation, constituée en septembre 1995, d'avoir usurpé sa dénomination sociale et porté atteinte à son nom commercial. Elle l'a, en conséquence, assignée devant le tribunal de commerce de Paris pour lui voir interdire l'utilisation de ce sigle et la voir condamner à lui payer des dommages-intérêts.

Par jugement du 30 janvier 1998, le tribunal a débouté la société Institut Français de l'Anxiété et du Stress de l'intégralité de ses demandes et a donné acte à la société IFAS Conseil et Formation de ce qu'elle ne s'opposait pas à modifier sa dénomination sociale et s 'engageait à ne plus utiliser le sigle IFAS.

LA COUR,

Vu l'appel interjeté, le 11 mai 1998, par la société Institut Français de l'Anxiété et du Stress - IFAS - et les conclusions du 26 mars 1999 aux termes desquelles cette dernière poursuit l'infirmation de la décision et demande à la Cour de :

- dire qu'en adoptant le terme IFAS dans sa dénomination sociale, la société intimée a usurpé sa dénomination sociale et porté atteinte à son nom commercial,

- en conséquence, interdire à la société IFAS Conseil et Formation de faire usage à quelque titre que ce soit et sous quelque forme que ce soit, du terme IFAS sous astreinte définitive de 5.000 francs par infraction commise, à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, la Cour se réservant la liquidation de l'astreinte s'il y a lieu,

- condamner la société IFAS Conseil et Formation à lui payer la somme de 100.000 francs en réparation du préjudice subi pour atteinte à la dénomination sociale et au nom commercial IFAS,

- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans six journaux ou revues françaises ou étrangers, de son choix et aux frais de la société IFAS Conseil et Formation, à concurrence de 30.000 francs par insertion, et ce, au besoin, à titre de dommages-intérêts complémentaires,

- lui allouer une somme de 50.000 francs en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

faisant valoir à cet effet que :

- la société jouit sur sa dénomination sociale d'un droit de propriété exclusif et absolu qui l'habilite à s'opposer à toutes atteintes susceptibles de lui être portées par quiconque, de bonne ou de mauvaise foi ;

- son nom commercial est protégé du seul fait de son usage, en particulier par les articles 8 et 10 bis de la convention d'union de Paris, indépendamment de toute forme de dépôt ou enregistrement,

- le terme IFAS exerçant à lui seul la fonction distinctive de la dénomination sociale de la société intimée, le risque de confusion entre les deux sociétés, qui se trouvent, selon elle, en situation de concurrence, est certain,

- l'usurpation de ses droits privatifs, indépendamment de tout élément intentionnel, constitue un acte de concurrence déloyale qui lui a causé un préjudice important,

- le changement de dénomination sociale opéré par la société adverse n'interdit nullement à celle-ci de continuer à utiliser le terme IFAS dans ses relations avec sa clientèle et justifie à lui seul l'appel interjeté et les mesures d'interdiction sollicitées,

- elle est bien fondée à opposer sa dénomination sociale telle qu'elle résulte de ses statuts et prétend que ne peut lui être opposée l'erreur de nomenclature commise par l'institut National de la Propriété Industrielle dans l'attribution du code APE,

- la bonne foi dont se prévaut la partie adverse est inopérante, l'action en concurrence déloyale trouvant son fondement dans les dispositions de l'article 1382 du Code civil dont l'application ne requiert pas la constatation d'un élément intentionnel,

- l'utilisation pendant plus de deux ans de la dénomination litigieuse lui a causé un préjudice important en raison de la nature de son personnel constitué de psychiatres hautement qualifiés ;

Vu les conclusions du 12 mai 1999 aux termes desquelles la société IFAS Conseil et Formation nouvellement dénommée RDB Conseil Formation "Rousseau Deneux Brouard" sollicite la confirmation du jugement entrepris, prétendant à cet effet :

- qu'ayant changé de dénomination sociale et ayant cessé d'utiliser le terme IFAS dans les relations avec sa clientèle, la demande de la société appelante, qui tient à l'interdiction, sous astreinte, de l'usage du terme IFAS, n'a plus d'objet,

- que les deux sociétés ne sont pas en situation de concurrence, les secteurs d'activités respectifs des deux entreprises étant manifestement différents,

- que la société appelante ne peut valablement prétendre que les erreurs qu'auraient commises l'Institut National de la Propriété Industrielle dans l'attribution du Code APE lui seraient inopposables, cette erreur n'étant, par ailleurs, selon la concluante, que la conséquence de l'imprécision de l'objet social tel qu'il figure dans les statuts de la société appelante, qui fait expressément référence au domaine médical et aucunement à la formation et aux conseils,

- que l'extrait K-Bis de la société Institut Français de l'Anxiété et du Stress ne mentionne nullement le sigle IFAS dans sa dénomination sociale,

- que sa bonne foi est patente, tant au moment de son immatriculation que dans les tentatives de règlement amiable du litige,

- que le préjudice invoqué par l'appelante n'est nullement établi,

- que la somme de 20.000 francs doit lui être allouée en raison des frais qu'elle a été contrainte d'engager dans le cadre de la présente procédure ;

Sur quoi :

Considérant que la dénomination sociale est le nom qui individualise la personne morale considérée dans l'ensemble de son existence et de ses activités, comme le patronyme individualise la personne physique ; que la personne morale acquiert le droit sur le nom qui la désigne en adoptant celui-ci, à titre de dénomination sociale, dans l'acte qui la constitue, c'est-à-dire dans ses statuts ;

Considérant, par ailleurs, que le nom commercial se définit comme la dénomination sous laquelle une personne morale désigne l'entreprise ou le fonds de commerce qu'elle exploite, pour l'identifier dans ses rapports avec la clientèle ; qu'il s'acquiert et est protégé, conformément à l'article 8 de la convention de l'Union, du seul fait de son usage ;

Considérant que pour justifier sa dénomination sociale, la société Institut Français de l'Anxiété et du Stress produit aux débats ses statuts mis à jour au 8 janvier 1996 ; que la Société intimée ne conteste pas, dans ses conclusions, que cette mise à jour n'affecte pas la dénomination sociale de la société ; que l'article 3 desdits statuts, qui énonce, sous l'intitulé "Dénomination" "La société a pour dénomination sociale Institut Français de l'Anxiété et du Stress et par abréviation "IFAS", permet en conséquence à la société appelante de revendiquer un droit, à titre de dénomination sociale, sur le sigle IFAS ; qu'elle est bien fondée à l'opposer à la société intimée à la connaissance de laquelle il a été porté, le 18 septembre 1995, par l'Institut National de la Propriété Industrielle, dans le cadre des recherches entreprises auprès de cette dernière, avant même l'adoption de sa propre dénomination sociale, peu important, en raison de l'information qui en était faite à la société IFAS Conseil et Formation, que ce sigle n'ait pas été mentionné sur les extraits K-bis qui ont été délivrés et qu'une erreur ait été commise dans l'attribution du code APE, purement indicatif, qui ne présente aucun caractère exhaustif quant à l'activité réelle de la société en cause, aucune exonération de responsabilité étant susceptible d'en résulter ;

Que la société Institut Français de l'Anxiété et du Stress, IFAS justifie par la production de documents commerciaux et publicitaires avoir fait usage de ce sigle dès l'origine tant à titre de dénomination sociale qu'à titre de nom commercial pour identifier l'entreprise qu'elle exploite dans ses rapports avec sa clientèle ;

Qu'il s'ensuit que la société Institut Français de l'Anxiété et du Stress est bien-fondée à opposer l'utilisation du sigle IFAS tant au titre de sa dénomination sociale qu'au titre de son nom commercial ;

Considérant pour s'opposer aux demandes formées à son encontre, que la société intimée soutient essentiellement que les deux entreprises en cause ne sont pas en situation de concurrence ; que l'appelante exercerait, selon elle, référence faite au code APE, ses activités essentiellement dans le domaine médical et de la santé, alors qu'elle-même interviendrait dans le domaine exclusif de l'entreprise sans connotation médicale ;

Mais considérant, quelle que puisse être l'erreur commise au moment de l'attribution du code APE, qu'il résulte des mentions de l'extrait K-Bis que la société appelante a pour objet social la création, l'exploitation, la gestion et le développement par tous moyens de centres de prestations de services aux particuliers et aux entreprises dans le domaine de la santé et plus particulièrement dans les domaines du stress et de l'anxiété, la recherche et la formation dans les domaines énoncés ci-dessus ; que si la société intimée se consacre plus spécifiquement à la formation professionnelle destinée à des adultes entrant dans la vie active, à la formation interne des administrations publiques, à l'enseignement des langues, à la formation aux outils informatiques, à l'enseignement par correspondance de tous niveaux, au conseil en gestion des ressources humaines et à l'aide au recrutement des entreprises, elle n'en offre pas moins à sa clientèle des cessions de formation ayant trait à la gestion du stress ou à la maîtrise du temps, activités qui recoupent celles exercées par la société adverse, même si elle n'a pas recours aux services d'un personnel médical spécialisé ;

Qu'il existe un risque de confusion certain, entre les deux entreprises qui exercent leurs activités à Paris auprès d'une clientèle similaire, n'étant pas contesté que le sigle IFAS constitue l'élément attractif des deux dénominations en cause;

Considérant que la société IFAS Conseil Formation soutient encore que l'absence de mention à l'extrait K-Bis de l'appelante et les erreurs commises dans l'attribution du code APE lui permettraient d'exciper de sa bonne foi;

Mais considérant que la bonne foi est inopérante ; qu'il convient par ailleurs de préciser, comme il l'a été précédemment relevé, que la réponse qui lui avait été donnée, le 18 septembre 1995, par l'institut National de la Propriété Industrielle, lors de ses recherches, ne lui permet pas d'invoquer l'absence de mention du sigle IFAS sur l'extrait K bis qui lui a été délivré ; que le code APE ne la dispensait pas de vérifications plus complètes dès lors qu'elle reprenait, à l'identique, un sigle bien particulier; qu'elle s'est gardée d'aller chercher la lettre recommandée avec accusé de réception qui lui a été adressée, le 18 juin 1997, valant mise en demeure;

Considérant, en dépit de la proposition qui avait été formulée en septembre 1997, que la société de IFAS Conseil et Formation n'a modifié sa dénomination sociale qu'ensuite d'une résolution de l'assemblée générale extraordinaire du 10 mars 1998, publié à la gazette du palais du 8/12 mai 1998, soit postérieurement au prononcé du jugement entrepris ;

Que la société IFAS Conseil et Formation ne saurait tenir grief à la société Institut Français de l'Anxiété et du Stress IFAS d'avoir interjeté appel de la décision déférée, en raison de l'utilisation persistante du sigle litigieux, alors que la modification de la dénomination sociale, au jour de l'appel, n'était pas encore portée à sa connaissance ;

Considérant que les griefs d'usurpation de dénomination sociale et d'utilisation illicite de nom commercial sont suffisamment établis ; que ces faits constituent de toute évidence des actes de concurrence déloyale d'où s'infère nécessairement, pour la société Institut Français de l'Anxiété et du Stress IFAS, un préjudice qui sera entièrement réparé par l'allocation d'une somme de 20.000 francs à titre de dommages-intérêts, sans qu'il soit besoin d'ordonner une mesure de publication, laquelle n'apparaît, au vu des circonstances ci-dessus évoquées, justifiée ;

Considérant, s'agissant de la mesure d'interdiction, qu'il ne résulte d'aucun élément du dossier que la société IFAS Conseil et Formation, qui a procédé au changement de dénomination sociale, persisterait dans l'utilisation du sigle IFAS à titre de nom commercial ; qu'il convient de lui donner acte de ce qu'elle n'utilise plus ce sigle à quelque titre que ce soit et de lui interdire, en tant que de besoin, de le faire, ladite mesure n'ayant lieu toutefois d'être assortie d'une mesure d'astreinte compte tenu de ce comportement actuel de cette dernière dont rien ne laisse à penser qu'elle transgresserait son engagement ;

Considérant qu'il convient de faire bénéficier la société Institut Français de l'Anxiété et du Stress IFAS des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et de lui allouer, à ce titre, une somme de 20.000 francs ; que la société IFAS Conseil et Formation, qui succombe en ses prétentions, doit être déboutée de la demande qu'elle a formulée de ce chef;

Par ces motifs, infirme la décision entreprise, et statuant à nouveau, condamne la société RDB Conseil et Formation " Rousseau Deneux Brouard " (anciennement dénommée IFAS Conseil et Formation) à payer à la société Institut Français de l'Anxiété et du Stress IFAS la somme de 20.000 francs à titre de dommages-intérêts pour usurpation de dénomination sociale atteinte au nom commercial, donne acte à la société IFAS Conseil et Formation de ce qu'elle n'utilise plus le sigle IFAS à quelque titre que ce soit et, en tant que de besoin, lui interdit de le faire, condamne la société RDB Conseil Formation "Rousseau Deneux Brouard" à payer à la société Institut Français de l'Anxiété et du Stress IFAS la somme de 20.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette toutes autres demandes, condamne la société RDB Conseil Formation "Rousseau Deneux Brouard" aux dépens et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.