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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 28 janvier 2000, n° 1997-04989

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Editions Françaises Historiques et Scientifiques (SARL), Terry

Défendeur :

Librairie Pages d'Histoire (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boval

Conseillers :

Mmes Mandel, Regniez

Avoué :

SCP Menard-Scelle-Millet

Avocats :

Mes Delcroix, Fischer.

TGI Paris, du 22 nov. 1996

22 novembre 1996

LA COUR statue sur l'appel interjeté par Monsieur Jacques Terry et la société Editions Françaises Historiques et Scientifiques d'un jugement rendu à leur encontre le 22 novembre 1996 dans un litige les opposant à la société Librairie Pages d'Histoire.

La société Librairie Pages d'Histoire, immatriculée au Registre du commerce en 1981, a pour activité la vente de livres neufs et d'occasion et elle diffuse à sa clientèle un catalogue des ouvrages qu'elle propose à la vente.

Elle indique avoir découvert successivement en décembre 1994 :

- que les Editions Françaises Historiques et Scientifiques offraient en vente une encyclopédie en plusieurs volumes de l'art allemand sous le troisième Reich intitulée " Kunst in Deutschland 1933-1945 " et y joignaient une lettre à l'en-tête " Editions Pages d'Histoire " qui vantait les mérites de cet ouvrage présenté comme permettant de " pénétrer dans ce musée de l'art maudit du IIIème Reich ",

- que M. Terry avait déposé, le 18 novembre 1994, la marque " Pages d'Histoire " pour désigner divers services des classes 39, 41 et 42.

Par acte du 24 mai 1995, elle a fait assigner les Editions Françaises Historiques et Scientifiques et M. Terry devant le tribunal de grande instance de Paris. Elle demandait que soit prononcée la nullité de la marque Pages d'Histoire sur le fondement de l'article L. 714-3 du Code de la propriété intellectuelle, qu'il soit fait interdiction aux Editions Françaises Historiques et Scientifiques d'utiliser la dénomination Pages d'Histoire et que les défendeurs soient condamnés solidairement à lui payer la somme de 500.000 F à titre de dommages intérêts.

M. Terry, demeurant en Seine-Maritime, a fait valoir qu'il ne pouvait y avoir de confusion entre sa marque déposée dans les classes 39, 41 et 42 et la dénomination sociale de la demanderesse compte tenu des différences de secteur géographique et d'activités, la sienne ne se rapportant pas à la librairie mais à l'organisation de voyages à thèmes historiques. Soutenant que son adversaire ne pouvait justifier d'aucun préjudice et avait engagé une action abusive, il réclamait qu'elle soit condamnée à lui payer la somme de 4.000 F à titre de dommages intérêts.

Les Editions Françaises Historiques et Scientifiques ont également conclu au débouté, faisant valoir leur bonne foi, l'absence de faute de leur part et l'absence de préjudice de la Librairie Pages d'Histoire, aucune confusion n'étant possible, selon elles, entre les ouvrages litigieux et l'activité de la société demanderesse limitée au commerce des livres d'occasion, et aucun préjudice moral n'étant avéré le ton et la discrétion de son ouvrage n'étant pas critiquables.

Par le jugement entrepris, le tribunal a :

- dit qu'en déposant la marque Pages d'Histoire, M. Terry avait porté atteinte à la dénomination sociale de la société Librairie Pages d'Histoire,

- dit que la société Editions Françaises Historiques et Scientifiques en utilisant la dénomination Pages d'Histoire pour promouvoir l'encyclopédie avait commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Librairie Pages d'Histoire,

En conséquence,

- annulé la marque Pages d'Histoire et dit que cette décision une fois devenue définitive serait transmise au registre national des marques,

- interdit à la société Editions Françaises Historiques et Scientifiques l'usage de la dénomination Pages d'Histoire sous astreinte de 1.000 F par infraction constatée,

- condamné M. Terry et la société Editions Françaises Historiques et Scientifiques respectivement à payer à la société Librairie Pages d'Histoire les sommes de 30.000 et 60.000 F à titre de dommages intérêts,

- condamné in solidum les défendeurs au paiement d'une indemnité de 12.000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

M. Terry qui poursuit la réformation du jugement en toutes ses dispositions lui faisant grief, demande, à titre infiniment subsidiaire, que l'annulation de la marque Pages d'Histoire soit limitée aux produits de la classe 41. Il réclame que la société Librairie Pages d'Histoire soit condamnée à lui payer la somme de 100.000 F à titre de dommages intérêts pour procédure abusive, celle de 1 F pour dénigrement et une indemnité de 25.000 F pour ses frais irrépétibles. Il fait valoir en droit qu'il n'existerait aucun risque de confusion entre sa marque et la dénomination sociale de son adversaire, ou que ce risque ne pourrait tout au plus être retenu que pour les services de la classe 41. Il reproche à la Librairie Pages d'Histoire d'avoir introduit à son encontre une action injustifiée et disproportionnée, fondée sur un amalgame délibérément entretenu par Librairie Pages d'Histoire entre lui-même et les Editions Françaises Historiques et Scientifiques avec lesquelles il n'a aucun lien. Il s'estime dénigré par l'intimée. Il expose qu'en 1994, ancien salarié de l'association CLIO, se trouvant au chômage, il avait eu l'idée de créer une association Pages d'Histoire ayant pour objet d'organiser des voyages à thèmes historiques, mais qu'il a dû renoncer à ce projet du fait du litige et a repris un emploi de téléopérateur qui ne lui procure que des ressources modestes de l'ordre de 6.000 F mensuels au regard desquelles les condamnations prononcées à son encontre sont excessivement lourdes.

Les Editions Françaises Historiques et Scientifiques concluent à la réformation intégrale du jugement. Elles prient la Cour de constater qu'elles ne se sont livrées à aucun acte de concurrence déloyale vis à vis de la société Librairie Pages d'Histoire, n'ayant commis aucune faute alors qu'une consultation des registres de l'INPI ne leur permettait pas de trouver trace d'une marque Pages d'Histoires, de leur donner acte de ce qu'elles offrent d'abandonner l'usage de l'enseigne Pages d'Histoire au demeurant suspendu depuis l'assignation, de constater subsidiairement que la Librairie Pages d'Histoire ne justifie d'aucun préjudice si ce n'est purement symbolique. Elles réclament une indemnité de 6.000 F pour leurs frais irrépétibles.

La société Librairie Pages d'Histoire conclut à la confirmation du jugement dans son principe mais forme appel incident pour réitérer sa demande initiale de condamnation in solidum de ses adversaires au paiement de la somme de 500.000 F à titre de dommages intérêts, outre une indemnité de 50.000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur ce LA COUR :

Considérant qu'alors que l'antériorité de la dénomination sociale de la société Librairie Pages d'Histoire, immatriculée en 1981, n'est pas contestée, l'article L. 711-4 du Code de la propriété intellectuelle dispose que : " ne peut être adopté comme marque un signe portant atteinte à des droits antérieurs et notamment... à une dénomination sociale, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public " ;

Considérant que le tribunal a estimé ;

- que la marque déposée en 1994 par M. Terry reprenant à l'identique les éléments distinctifs de la dénomination sociale de la demanderesse déposée pour désigner des services et activités relevant de secteurs économiques voisins (édition de revue, organisation de voyage à caractère historique, l'éducation, la formation) ne pouvait être qu'une source de confusion dans l'esprit du public qui risquerait d'attribuer à la demanderesse la réalisation des activités désignées par la marque litigieuse,

- qu'il était inopérant de soutenir que la Librairie Pages d'Histoire n'avait pas acquis de notoriété, qu'elle n'exerçait ses activités que dans le 6ème arrondissement et que sa forme sociale excluait toute assimilation avec les activités poursuivies par une association, alors notamment que la notoriété n'est pas une condition de la protection d'une dénomination sociale et que la demanderesse d'ailleurs vend des livres par correspondance dans toute la France ;

Considérant que les premiers juges ont en conséquence fait droit pour le tout à la demande d'annulation de la marque de M. Terry ;

Considérant que si la Librairie Pages d'Histoire conclut à la confirmation du jugement de ce chef, M. Terry en poursuit en revanche la réformation en soutenant que Librairie Pages d'Histoire ne rapporte la preuve d'aucun risque effectif de confusion, ou qu'à tout le moins ce risque serait cantonné aux services de la classe 41 ;

Considérant que la marque incriminée a été déposée pour désigner les services suivants :

- Transports ; organisation de voyages. Distribution de journaux. Réservation de places pour le voyage (transports) en classe 39,

- Education ; formation ; divertissement ; activités sportives et culturelles. Edition de livres et de revues. Prêt de livres. Production de spectacles, de films. Location de films. Organisation de concours en matière d'éducation ou de divertissement. Organisation et conduite de colloques, conférences, congrès. Organisation d'expositions à buts culturels ou éducatifs. Réservation de places pour les spectacles en Classe 41,

- Hébergement temporaire. Imprimerie. Location de temps d'accès à un serveur de bases de données. Services de reporteurs. Filmage sur bande vidéo. Gestion de lieux d'expositions en classe 42 ;

Considérant qu'il a déjà été rappelé qu'une dénomination sociale ne peut constituer une antériorité opposable à une marque qu'à condition qu'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public entre les deux signes ; qu'en l'occurrence, alors que l'activité de la société intimée se cantonne à la vente de livres et à la diffusion d'un catalogue des ouvrages qu'elle propose à la vente, les seuls services désignés par la marque incriminée qui, parce que la clientèle pourrait leur attribuer la même origine, apparaissent susceptibles de susciter un risque de confusion entre cette marque et la dénomination antérieure sont ceux de distribution de journaux, éducation, formation, divertissement, activités culturelles, édition de livres, de revues, prêt de livres, et imprimerie ; que par réformation du jugement la nullité de la marque incriminée ne sera prononcée qu'en ce qu'elle désigne les services ci- dessus mentionnés ;

Considérant que l'atteinte à la dénomination sociale Pages d'Histoire résultant de l'usage par les Editions Françaises Historiques et Scientifiques des termes Editions Pages d'Histoire, et Pages d'Histoire, ainsi que par l'indication que les clients pouvaient adresser leurs règlements à l'ordre de Pages d'Histoire, n'est pas sérieusement contestée ; que le tribunal a justement estimé que la vente par correspondance par la société appelante d'ouvrages consacrés à l'histoire étant identique à l'activité exercée par la Librairie Pages d'Histoire le risque de confusion était patent, et que les Editions Françaises Historiques et Scientifiques avaient commis une faute en ne procédant pas aux recherches nécessaires avant d'entreprendre les activités incriminées ;que les Editions Françaises Historiques et Scientifiques qui prétendent (sans en justifier) avoir fait une recherche infructueuse d'antériorités de marques ne sauraient par-là s'exonérer de leur responsabilité, d'autant plus qu'une recherche appropriée aurait fait apparaître la dénomination sociale sous laquelle l'intimée figure au Registre du commerce depuis 1981; que le jugement sera confirmé en ce qu'il a dit que les Editions Françaises Historiques et Scientifiques avaient en utilisant la dénomination Pages d'Histoire commis des actes de concurrence déloyale ;

Considérant sur les mesures réparatrices, que les éléments du dossier démontrent sans ambiguïté que les appelants ont commis des faits distincts, générateurs comme l'a dit le tribunal, de préjudices distincts ; que la Librairie Pages d'Histoire qui réitère sa demande en condamnation in solidum de ses adversaires au paiement d'une somme de 500.000 F à titre de dommages intérêts en faisant valoir particulièrement que sa réputation aurait été atteinte par la diffusion de " Kunst in Deutschland 1933-1945 " qu'elle présente comme faisant l'apologie du IIIème Reich ne démontre pas, comme il a été vu, que ses adversaires aient été les coauteurs de son dommage ; qu'elle ne prouve pas son préjudice moral alors qu'elle ne justifie pas du caractère qu'elle prête à l'ouvrage distribué par les Editions Françaises Historiques et Scientifiques et que celles-ci font observer qu'elle offre elle-même en vente des ouvrages violemment controversés ;

Considérant que dans ces circonstances il convient de confirmer purement et simplement le jugement du chef des mesures d'interdiction et des dommages intérêts prononcés à l'encontre des Editions Françaises Historiques et Scientifiques ;

Considérant en revanche que le montant des dommages-intérêts mis à la charge de M. Terry pour le simple dépôt de sa marque, dont il a abandonné les projets d'exploitation, apparaît excessif d'autant plus que la marque incriminée n'est annulée en appel que pour partie des services désignés ; que par réformation du jugement de ce chef, le montant des dommages-intérets sera ramené à 20.000 F ;

Considérant que le jugement étant confirmé pour l'essentiel les appelants seront déboutés de leurs demandes de dommages intérêts pour procédure abusive ; que M. Terry sera également débouté de sa demande en paiement de 1 F à titre de dommages-intérêts pour dénigrement à raison de l'amalgame effectué selon lui par les écritures de l'intimée entre lui-même et les Editions Françaises Historiques et Scientifiques, dont l'ouvrage " Kunst in Deutschland 1933-1945 " fait l'objet d'appréciations péjoratives, ces appréciations n'étant portées que sur l'ouvrage, avec lequel il n'est pas prétendu que M. Terry aurait un quelconque lien ;

Considérant que l'équité n'exige pas qu'il soit fait droit aux demandes formées en appel au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; que les parties succombant toutes en quelque chef de leurs prétentions supporteront chacune leurs dépens d'appel ;

Par ces motifs, confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a prononcé l'annulation pour le tout de la marque incriminée et quant au montant des dommages intérêts mis à la charge de M. Terry, réformant de ces chefs, statuant à nouveau et ajoutant, prononce la nullité de la marque Pages d'Histoire en ce qu'elle désigne les services suivants : distribution de journaux, éducation, formation, divertissement, activités culturelles, édition de livres, de revues, prêt de livres, et imprimerie, condamne Monsieur Terry à payer à la société Librairie Pages d'Histoire la somme de 20.000 F à titre de dommages intérêts, rejette toute autre demande, dit que chaque partie supportera ses dépens d'appel.