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Décisions

CA Nîmes, 2e ch. B, 27 janvier 2000, n° 98-4754

NÎMES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

JF Coiffure (SARL)

Défendeur :

Bonnafoux

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Espel

Conseillers :

MM. Bestagno, Bancal

Avoués :

SCP Tardieu, SCP Fontaine Malacuso-Jullien

Avocats :

Mes Madinier, Barthomeuf.

T. com. Annonay, du 9 oct. 1998

9 octobre 1998

Vu le jugement rendu entre les parties par le Tribunal de commerce d'Annonay le 9 octobre 1998,

Vu l'appel interjeté le 12 novembre 1998 par la SARL JF Coiffure,

Vu les conclusions récapitulatives de la SARL JF Coiffure signifiées le 3 novembre 1999,

Vu les conclusions récapitulatives de Pierre Bonnafoux signifiées le 10 novembre 1999,

Motifs de la décision :

La recevabilité de l'appel principal, et celle de l'appel incident, ne sont ni contestables, ni contestées.

Sur la concurrence déloyale :

1°) en droit

S'il est de principe, qu'un ancien salarié a le droit de s'établir à son compte, et d'exercer une activité identique à celle de son ancien employeur, encore faut-il :

- qu'il ne viole pas une clause de non-concurrence figurant dans son contrat de travail,

- et qu'il n'ait un comportement tel, qu'il puisse lui être reproché des actes de concurrence déloyale.

Constituent de tels actes, l'utilisation de la réputation d'un concurrent en créant une confusion avec ce dernier, afin d'en capter la clientèle. Cette imitation d'une entreprise concurrente peut prendre plusieurs formes : et notamment l'imitation de l'organisation ou des installations d'un concurrent.

Il peut y avoir notamment désorganisation commerciale de l'entreprise d'un concurrent, par débauchage d'un salarié.

Il a été jugé notamment que l'embauche simultanée de plusieurs salariés, jusqu'alors employés par une entreprise concurrente, entraînant la désorganisation de cette dernière ou de l'un de ses services, était constitutive de concurrence déloyale.

Il peut être également reproché à un commerçant de profiter des efforts réalisés par une autre entreprise, en s'inspirant d'une valeur économique d'autrui fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissements.

2°) En l'espèce

Il résulte tant des explications des parties que :

- du rapport de l'expert Goutelle, et de ses nombreuses annexes,

- des courriers échangés entre les parties,

- des attestations produites par la Société appelante,

- des états comptables des parties,

que Judith Reyne était salariée en qualité de coiffeuse de Monsieur Bonnafoux, qui exploitait alors un salon à Romans, dans la Drome, et ce depuis le 2 juillet 1985,

qu'en 1991, Monsieur Bonnafoux a décidé avec Mademoiselle Reyne de créer un salon de coiffure secondaire à Lamastre, ville dont était originaire Mademoiselle Reyne,

qu'à cette fin, ils ont créé une SARL JF Coiffure, à laquelle ils ont apporté chacun 25 000 F pour constituer le capital social,

qu'en réalité, cette SARL n'a pu exploiter le salon de coiffure de Lamastre, qu'il l'a été par Monsieur Bonnafoux en son nom personnel ;

qu'ainsi à partir de 1991, Judith Reyne a commencé à travailler dans le salon de Lamastre le mardi, puis y a travaillé de plus en plus,

que l'intention des parties, à la suite de l'obtention 1993 par Judith Reyne de son brevet de maîtrise, était, à partir de l'année 1994, le rachat du fonds de Lamastre, par Mademoiselle Reyne,

que les négociations ont eu lieu entre les parties jusqu'au mois d'avril 1995, mais n'ont pas abouti en raison d'un différend sur le prix du fonds,

qu'à la fin du mois d'avril 1995, Judith Reyne a donc donné sa démission à effet au 1er juillet 1995,

que le même jour, une autre salariée du salon de coiffure a également donné sa démission, à savoir Frédérique Gardes épouse Ginet,

que le 31 mai 1995, Mesdames Reyne et Ginet ont déposé en banque, les fonds destinés à constituer le capital de la SARL JF Coiffure,

que ces deux associées ont signé les statuts de ladite SARL, le 3 juillet 1995, laquelle avait son siège social, 18 rue Désiré Bancel à Lamastre, soit en face du fonds de Monsieur Bonnafoux situé au n° 21 de même rue,

que dès l'ouverture du nouveau salon de coiffure de la SARL JF Coiffure, en juillet 1995, le chiffre d'affaires a été important (page 9 du rapport de l'expert),

qu'il a été relevé lors des opérations expertales, que sur 735 clients du salon de coiffure de Lamastre de Monsieur Bonnafoux intitulé Pierre Coiffure, il en était retrouvé 321 dans la clientèle de la SARL JF Coiffure, soit un pourcentage de 43,67 %,

qu'outre ce transfert de clientèle, il a été constaté que le nouveau salon de la SARL JF Coiffure utilisait des produits phytosanitaires, et insistait sur les soins du cheveu à base de plantes, comme le faisait le salon précédent de Monsieur Bonnafoux,

qu'enfin en octobre et novembre 1995, Pierre Bonnafoux a dû procéder à la fermeture de son salon de Lamastre, et licencier le personnel s'y trouvant (deux employés), et mettre fin à un contrat d'apprentissage,

qu'en outre, en vertu de la lettre d'embauche signée par Judith Reyne le 2 juillet 1985 et de la clause de non-concurrence signée le même jour (pages 61 à 64 des annexes du rapport de l'expert), Judith Reyne avait l'intention pour une durée limitée à un an, de prendre part, directement ou indirectement, à quelque titre que ce soit, à l'exploitation d'un salon de coiffure situé à une distance à vol d'oiseau inférieure à 1 000 mètres de l'entreprise,

- qu'une telle clause, limitée dans le temps et dans l'espace, doit être interprétée conformément aux dispositions des articles 1156 et 1164 du Code Civil, en se référant à la commune intention des parties, et sans restreindre l'étendue de l'engagement au seul salon de Romans, exploité par Pierre Bonnafoux.

Ainsi alors qu'elle était salariée de Pierre Bonnafoux, depuis près de dix ans, qu'elle était en négociation avec lui, depuis le début de l'année 1994, pour acheter son fonds de commerce de Lamastre, qu'elle était liée par une clause de non-concurrence, Judith Reyne devenue associée gérante de la SARL JF Coiffure, ne peut estimer avoir eu un comportement loyal à l'égard de son ancien employeur.

Il en est de même pour Frédérique Gardes épouse Ginet, salariée de Pierre Bonnafoux, qui a démissionné, au 1er juillet 1995, désorganisant l'entreprise de Lamastre de Pierre Bonnafoux, tout en acceptant de devenir associée et de créer la SARL JF Coiffure.

Comme l'ont indiqué les premiers Juges, s'il n'est pas établi qu'il y eut dénigrement, la création par la SARL JF Coiffure d'un salon de coiffure :

- dans la même commune,

- dans la même rue et plus précisément en face du salon de Pierre Bonnafoux, avec pour partir la même clientèle et en utilisant en partie les mêmes produits (produits phytosanitaires),

- dans un contexte faisait suite à une négociation pour l'acquisition d'un fonds de commerce,

constitue bien des faits de concurrence déloyale, alors que les associés de cette nouvelle SARL ont précisément d'anciens salariés de Pierre Bonnafoux.

Le jugement déféré doit donc être confirmé.

Si la SARL JF Coiffure peut estimer que les difficultés se sont produites à l'occasion de la négociation du fonds de commerce de Pierre Bonnafoux à Lamastre, le fait que cette négociation n'ait pas abouti, ne permettait pas à ladite SARL d'avoir un tel comportement fautif.

Sur le préjudice de Pierre Bonnafoux :

Alors que Pierre Bonnafoux a vu partir deux de ses salariées, se créer une SARL concurrente face à son salon de coiffure de Lamastre, a perdu une partie importante de sa clientèle et a dû fermer son fonds, il est justifié, par lui, d'un préjudice commercial, que les premiers Juges ont à juste titre fixé à la somme de 320 000 F, compte tenu des recherches de l'expert et de l'évaluation qu'il a fait du fonds de Pierre Bonnafoux au 30 avril 1995.

La décision des premiers Juges doit donc être confirmée de ce chef.

C'est également à juste titre que les premiers Juges ont refusé de faire droit à la demande de Pierre Bonnafoux relative au paiement, par la SARL JF Coiffure, du solde d'un prêt concernant le salon de Lamastre, Pierre Bonnafoux n'établissant nullement l'exigibilité de ladite somme.

En effet, comme l'a relevé l'expert, lorsque Pierre Bonnafoux s'est associé à Judith Reyne, il y a bien eu un apport de 250 000 F de cette dernière, qu'elle n'a pu récupérer dans le cadre des opérations de liquidation. Elle l'a d'ailleurs accepté. Et il a été reconnu, lors des opérations expertales, que les fonds versés pour la création de la SARL Pierre Coiffure, qui devait exploiter le fonds de Lamastre, avaient bien été utilisés par Pierre Bonnafoux pour ce commerce.

Par ailleurs, Pierre Bonnafoux ne démontre nullement l'existence d'une attitude fautive de la SARL JF Coiffure qui consisterait à résister abusivement et de façon injustifiée à ses prétentions, alors au surplus qu'il n'est pas contesté que le jugement déféré a reçu un commencement d'exécution.

C'est donc à juste titre que les premiers Juges avaient déjà débouté Pierre Bonnafoux de cette demande. Leur décision doit être confirmée de ce chef.

Sur les dommages et intérêts réclamés par la SARL JF Coiffure :

Ayant eu un comportement fautif, causé un préjudice important à Pierre Bonnafoux, la SARL JF Coiffure ne démontre pas en quoi Pierre Bonnafoux aurait eu des agissements condamnables, générant pour elle un préjudice indemnisable.

Elle doit donc être déboutée de cette demande.

Sur l'article 700 du Nouveau code de procédure civile :

L'équité ne commande nullement d'allouer à la Société appelante la moindre somme au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Par contre, il paraît inéquitable de laisser à Monsieur Pierre Bonnafoux la charge des frais, exposés par lui, et non compris dans les dépens, et il convient de lui allouer la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Sur les dépens :

Succombant, la SARL JF Coiffure supportera les dépens.

Par ces motifs, LA COUR : Statuant publiquement, contradictoirement ; En la forme, Reçoit les appels, Au fond, Confirme le jugement déféré ; Y ajoutant, Déboute la SARL JF Coiffure de ses demandes : - de dommages et intérêts, - et d'indemnité fondée sur les dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ; Condamne la SARL JF Coiffure à payer à Pierre Bonnafoux la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ; Condamne la SARL JF Coiffure aux dépens d'appel, et autorise la SCP Fontaine Macaluso-Jullien, avoués, à les recouvrer, conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.