Livv
Décisions

CA Lyon, 1re ch., 13 janvier 2000, n° 1997-00074

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Mamor (SPA) ; Sistema (SARL) ; M France (SARL)

Défendeur :

Astra Plastique (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dulin

Conseillers :

M. Roux, Mme Biot

Avoués :

Me Guilhem, SCP Junillon-Wicky

Avocats :

Mes Dupas, Veron.

TGI Lyon, du 6 nov. 1996

6 novembre 1996

Exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties :

La société anonyme Astra Plastique (Astra) est titulaire d'un brevet d'invention déposé le 10 juillet 1987 à l'INPI, publié le 20 janvier 1989 et délivré le 19 janvier 1990, qui a pour objet un bouchon à vis avec ceinture d'inviolabilité, en matière plastique rigide, destiné à des récipients à col fileté.

Le 16 mars 1994, cette société a fait procéder à une saisie-contrefaçon dans une société qui détenait et utilisait des bouchons qui reproduisaient, selon elle, les revendications de son brevet.

Par acte du 29 mars 1994, la société Astra a fait assigner, devant le Tribunal de grande instance de Lyon, en contrefaçon et concurrence déloyale, les sociétés de droit Italien Mamor Spa et Sistema Srl et la société à responsabilité limitée M. France, qui commercialisait lesdits bouchons.

Par jugement du 6 novembre 1996, la juridiction saisie a :

Rejetant la demande reconventionnelle en nullité de brevet formée par les sociétés de droit Italien Mamor Spa et Sistema Srl et la SARL M. France,

Déclaré valable le brevet français déposé par la société Astra Plastique le 10.7.1987 à l'Institut national de la Propriété Industrielle sous le n° 87 10500, publié le 20.01.1989 sous le n° 2618 128 et délivré le 19.01.1990 ayant pour objet un bouchon à vis avec ceinture d'inviolabilité, en matière plastique rigide pour récipient à col fileté,

Dit qu'en fabriquant, vendant et commercialisant en France des bouchons équivalents à celui de l'invention, les sociétés Mamor, Sistema et M. France ont contrefait les revendications 1 et 2 du brevet du brevet n° 87 10 500 de la société Astra Plastique,

Dit qu'en produisant l'alternance des plages striées et lisses sur le pourtour extérieur de son bouchon, la société Mamor a réalisé une copie quasi-servile du bouchon Astra Plastique, et commis à son égard un acte de concurrence déloyale,

Fait défense aux sociétés Mamor, Sistema et M. France de poursuivre les actes de contrefaçon du brevet Astra Plastique et de concurrence déloyale, sous peine d'une astreinte de 5 000 F par infraction constatée, l'introduction en France, la possession, la détention et l'offre d'un seul des bouchons litigieux constituant une infraction distincte et ce à l'expiration d'un délai de quinze jours à compter de la signification du jugement,

Ordonné la confiscation et la remise à la société Astra Plastique de tous les bouchons contrefaisant en possession des sociétés défenderesses, à l'expiration d'un délai de quinze jours à compter de la signification du jugement,

Dit que les sociétés Mamor, Sistema et M. France devront réparer le préjudice subi par la société Astra Plastique,

Condamné les sociétés Mamor, Sistema et M. France in solidum à payer à la société Astra Plastique la somme de 50 000 F à titre de provision à valoir sur la réparation de son préjudice,

Avant dire droit sur le montant de ce préjudice, ordonné une expertise, aux frais avancés par la société Astra Plastique,

Commis pour y procéder en qualité d'expert M. Jacques Malin, Cabinet Turquin Buthurieux, 139 rue Vendôme, 69477 Lyon cedex 06, avec mission :

1° de prendre connaissance des éléments de la cause, recueillir contradictoirement les explications des parties et de tous sachants,

2° de procéder à des investigations dans les comptabilités des sociétés Mamor, Sistema et M. France et de rechercher le montant du chiffre d'affaires réalisé au moyen des bouchons contrefaisants,

3° de dégager le bénéfice réalisé,

4° de procéder à des investigations dans la comptabilité de la société Astra Plastique et de rechercher si son chiffre d'affaires a été affecté par la mise sur le marché des bouchons litigieux par les sociétés défenderesses,

5° de donner au tribunal tous éléments permettant de chiffrer s'il y a lieu le gain manqué par la société Astra Plastique et le préjudice résultant de la contrefaçon et de la concurrence déloyale,

6° de s'expliquer techniquement sur les dires et les observations des parties après les avoir informées, avant le dépôt de son rapport, du résultat de ses investigations sur l'ensemble des chefs de mission ci-dessus à l'occasion d'une réunion de synthèse ou par la diffusion d'une note écrite,

Dit que la société Astra Plastique devra consigner au greffe du tribunal la somme de 20.000 F à titre de provision à valoir sur les honoraires de l'expert, dans les deux mois de l'avis qui sera donné par le greffe d'avoir à consigner cette somme,

Rappelé qu'à défaut de consignation dans ce délai, la désignation de l'expert sera caduque conformément aux dispositions de l'article 271 du nouveau code de procédure civile,

Dit que lors de la première, ou au plus tard de la seconde réunion des parties, l'expert dressera un programme de ses investigations et évaluera de manière aussi précise que possible le montant de ses honoraires et débours, qu'il communiquera au tribunal et aux parties, et qu'il sollicitera, s'il l'estime nécessaire, la consignation d'une provision complémentaire,

Dit que l'expert fera connaître son acceptation ou son refus d'exécuter l'expertise, dans un délai de huit jours après avoir pris connaissance de la décision le désignant, qu'en cas de refus ou d'empêchement légitime, il sera pourvu aussitôt à son remplacement,

Fixé au 30 mars 1997 la date de dépôt du rapport d'expertise au greffe du tribunal, date de rigueur, sauf prorogation qui serait accordée par le magistrat chargé du contrôle de l'expertise sur apport de l'expert à cet effet avant la date de dépôt,

Désigné Madame Cor, juge, pour suivre et contrôler le déroulement des opérations d'expertise,

Autorisé la société Astra Plastique à publier le présent jugement par extraits dans cinq journaux ou périodiques de son choix, aux frais in solidum des sociétés défenderesses, sans que le coût de chaque insertion ne dépasse 8.000 F,

Ordonné l'exécution provisoire du chef de l'interdiction de poursuivre les actes de contrefaçon, des provisions et de l'expertise,

Condamné in solidum les sociétés Mamor, Sistema et M. France à payer à la société Astra Plastique la somme de 10.000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

Débouté les parties de toutes demandes plus amples ou contraires comme non fondées.

Le 5 décembre 1996, les sociétés Sistema Srl, Mamor Spa et M. France ont interjeté appel de cette décision.

Elles soutiennent que le brevet Astra est nul pour défaut de nouveauté des revendications 1 et 2 de ce brevet, en raison de l'existence d'une antériorité constituée par le brevet Hidding, publié le 22 août 1975.

Elles estiment que l'invention telle que revendiquée par la société Astra se retrouve dans le brevet Hidding, dans le même fonctionnement. Elles précisent qu'il importe peu que dans ce brevet, la ceinture d'inviolabilité présente une conformation différente de celle du brevet Astra, celle-ci ne revendiquant aucune caractéristique de dimension et de forme.

Subsidiairement, elles soutiennent que les revendications 1 et 2 sont nulles pour défaut d'activité inventive.

Plus subsidiairement, elles indiquent que la revendication 2 ne fait qu'exprimer le souhait d'obtenir un certain résultat qui n'est pas brevetable et que ni cette revendication, ni la description ne donnent les moyens techniques permettant d'aboutir à ce résultat.

Sur la contrefaçon, elles demandent à la Cour de dire que du fait de la nullité des revendications, le bouchon Mamor ne saurait contrefaire le bouchon Astra.

Elles estiment de plus que la société Astra ne rapporte pas la preuve que la caractéristique de la revendication 2 a été reproduite dans le bouchon Mamor.

Sur la concurrence déloyale, elles soutiennent que l'aspect extérieur de la jupe du bouchon ne constitue pas un élément caractéristique des différents bouchons de même nature offerts sur le marché et que les consommateurs ne se déterminent pas dans leurs achats en fonction de l'aspect de la jupe. Elles concluent à la réformation de la décision de ce chef et au rejet des demandes présentées par la société Astra.

Elles sollicitent en outre 20 000 F de dommages intérêts pour procédure abusive et injustifiée et 25 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Astra conclut à la confirmation de la décision entreprise, sauf à porter à 50 000 F le montant de l'indemnité qui lui a été allouée sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et à préciser que les publications ordonnées par le Tribunal feront mention de la confirmation de la décision par la Cour d'appel et que le coût de chaque insertion soit fixée à 25 000 F.

Motifs et décision :

1) Sur la validité du brevet Astra n° 87 10500

Attendu que le Tribunal a justement relevé que la nullité est encourue lorsque l'invention que le brevet prétend enseigné découle de manière évidente de l'étude de l'état de la technique ; qu'une invention est nouvelle quand elle n'est pas comprise dans la technique antérieure, dans les mêmes formes, agencement et fonctionnement ; qu'en l'espèce, l'état de la technique est constitué par le brevet Hidding ;

Attendu que les revendications 1 et 2 contestées sont reprises dans le jugement auquel il convient de reporter ;

Attendu que les moyens mis en œuvre par le brevet Hidding sont différents de ceux décrits dans le brevet Astra ;

que dans le brevet Hidding, les crans anti-retour sont constitués par des dents pleines de profil triangulaire non déformables ; que pour assurer la possibilité de passage de ces dents au-dessus des dents du col du récipient, lors de l'opération de vissage du bouchon, la couronne, qui est constituée de segments courbes, minces et plus flexibles que les dents, se déforme au niveau de ces segments, chacun d'eux étant disposé entre deux dents pleines ;

qu'à l'inverse, dans le brevet Astra, les crans anti-retour sont formés par des ailettes amincies de forme parallélépipédiques et déformables et susceptibles de fléchir, le corps de la ceinture étant constitué par un élément complètement circulaire ;

Attendu que les pontets sont positionnés et dimensionnés de manière différente dans le brevet Astra des pattes de liaison garnissant les dents du brevet Hidding ;

que dans ce dernier brevet, les pattes sont constituées par des bras inclinés et opposées à celle des dents pleines ;

que dans le brevet Astra, chaque pontet est relié à une ailette et situé entre le bord latéral relié à la face interne de la ceinture et l'autre bord constituant le cran ;

Attendu que les moyens mis en œuvre dans le brevet Hidding sont également différents en termes de fonction et de résultat ;

que dans le brevet Hidding, lors de l'opération de vissage, il n'y a aucune fragilisation des pattes de liaison, la déformation étant essentiellement subie par les segments courbes de la ceinture d'inviolabilité ;

qu'en revanche, dans le brevet Astra, lors de cette opération de vissage, les ailettes fléchissent radicalement vers l'extérieur et provoquent l'étirement du pontet, insuffisamment pour le rompre, mais assez pour le fragiliser ;

Attendu en conséquence que le brevet Astra enseigne une fonction totalement nouvelle qui est cet affaiblissement des pontets afin de faciliter le premier dévissage par l'utilisateur ;

Attendu qu'il convient en conséquence de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a dit que le brevet Hidding ne constituait une antériorité de toutes pièces du brevet Astra et qu'il convenait en conséquence de rejeter la demande de nullité du brevet de cette dernière société ;

2) Sur la contrefaçon

Attendu qu'il ressort du procès-verbal de saisie-contrefaçon et des clichés photographiques que la conception du bouchon Mamor est identique à celle du bouchon Astra ; que l'huissier a en effet constaté que chaque cran anti-retour était relié à la jupe du bouchon intérieur par un pontet positionné sensiblement à la mi-longueur ; que lors du vissage, cet officier ministériel a constaté que les pontets restaient intacts ou, à tout le moins, ne se rompaient pas lors du passage des ailettes sur les crans du col du récipient ;

Attendu qu'il est ainsi démontré que la structure de ces bouchons étant identique, il est certain que, lors des opérations de vissage sur le récipient, il y a, lors du passage sur les crans du col du récipient, étirement des pontets, ce qui ne peut que provoquer leur fragilisation et faciliter ainsi le premier dévissage du bouchon ;

Attendu qu'il convient en conséquence de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a accueilli l'action en contrefaçon de la société Astra ;

Sur la concurrence déloyale :

Attendu que la surface de la jupe du bouchon Mamor comporte huit séries de nervures longitudinales séparées les unes des autres par huit plages lisses ; que ce bouchon présente les mêmes caractéristiques que celui fabriqué par la société Astra ; que le Tribunal a relevé que des bouchons produits aux débats par les sociétés appelantes ne constituaient pas une reproduction servile du bouchon Astra ;

Attendu que le Tribunal a justement relevé que cette parfaite similitude entre les deux bouchons était de nature à créer un risque de confusion, même de la part de professionnels ; que la société Mamor ne conteste pas que ses bouchons initialement commercialisés comportaient des stries ininterrompues comme dans le brevet Hidding ; que la seule inscription de l'appellation Mamor n'est pas de nature à prévenir le risque de confusion ;

Attendu en conséquence que c'est à bon droit que le Tribunal a déclaré fondée l'action en concurrence déloyale de la société Astra ;

Attendu qu'il convient de confirmer toutes les mesures accessoires sauf à porter à 15.000 F le coût maximum de chaque publication et de dire que les publications s'appliqueront au présent arrêt ;

Attendu que l'équité commande d'élever l'indemnité allouée à la société Astra sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs, LA COUR, Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions, Dit que le coût maximum de chacune des publications sera portée à 15 000 F et que ces publications s'appliqueront au présent arrêt, Porte à 25 000 F l'indemnité allouée à la société Astra sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne in solidum les sociétés Mamor Spa, Sistema Srl et M France aux dépens de première instance et d'appel, ces derniers devant être recouvrés par les avoués conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.