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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 5 janvier 2000, n° 1997-10514

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Haviland (SA)

Défendeur :

DLM Porcelaines dite Médard de Noblat (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marais

Conseillers :

M. Lachacinski, Mme Magueur

Avoués :

SCP Bernabé-Ricard-Chardin-Cheviller, Me Moreau

Avocats :

SCP Nataf - Fajgenbaum, Me Mollet Viéville.

T. com. Paris, 15e ch., du 13 déc. 1996

13 décembre 1996

La société Haviland commercialise des assiettes dites de "présentation", comportant une aile colorée sur fond "nuagé" ou "marbré", encadrée de deux liserés dorés, dans une gamme de sept coloris.

Reprochant à la société Médard de Noblat d'avoir fabriqué et mis en vente des assiettes de présentation dont le décor et la gamme de coloris constituent la copie servile à celles qu'elles commercialisent depuis 1991, la société Haviland l'a, par acte du 27 février 1995, assignée devant le tribunal de commerce de Paris, aux fins de constatation d'actes de concurrence déloyale.

Elle a demandé, outre les mesures habituelles d'interdiction et de publication, de condamner la société Médard de Noblat à lui payer une provision de 500.000 F à valoir sur les dommages-intérêts à fixer à dire d'expert, et une somme de 25.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Par jugement du 13 décembre 1996, le tribunal, après avoir rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société Médard de Noblat, a :

- dit que le modèle d'assiette de présentation de la société Haviland n'est pas susceptible de bénéficier de la loi sur la protection de la propriété intellectuelle,

- dit que la société Médard de Noblat n'a commis aucun acte de concurrence déloyale en commercialisant les assiettes de présentation "Chrysalis", "agathe", "galante brique" et " galante abricot " avec fond nuagé et double filet or,

- débouté la société Haviland de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamné la société Haviland à payer à la société Médard de Noblat la somme de 50.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Vu l'appel interjeté le 15 avril 1997 par la société Haviland.

Vu les conclusions signifiées le 14 octobre 1999 par lesquelles la société Haviland, poursuivant l'infirmation de la décision déférée, soutient:

- que la société Médard de Noblat ne justifie pas d'une antériorité sur des modèles d'assiettes de présentation comportant des ailes à fond nuagé encadrées de liserés dorés,

- que c'est à la suite de la fabrication et de la commercialisation fin 1991 de sa gamme "Les toscanes" et "fruits d'été", que la société Médard de Noblat a lancé sa propre gamme d'assiettes en constituant la copie servile ou à tout le moins quasi-servile,

- qu'il n'est pas démontré que des assiettes de présentation identiques auraient été couramment fabriquées antérieurement à la fabrication et à la commercialisation de ses propres assiettes,

- que la société Médard de Noblat a reproduit les caractéristiques essentielles de ses modèles, à savoir l'association d'un décor particulier sur l'aile de l'assiette, le fond nuagé enserré dans deux liserés d'or et la gamme de coloris très spécifiques par elle choisis,

et demande à la cour de:

- dire que la société Médard de Noblat a commis des actes de concurrence déloyale,

- lui faire interdiction de fabriquer et commercialiser des assiettes reproduisant le décor litigieux, sous astreinte de 1.000 F par infraction commise à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- de condamner la société Médard de Noblat à lui payer une provision de 500.000 F à valoir sur son préjudice à fixer par voie d'expertise, et en l'absence d'une telle mesure d'instruction, une somme de 600.000 F à titre de dommages-intérêts,

- d'ordonner la publication de l'arrêt à intervenir,

- de condamner la société Médard de Noblat à lui payer la somme de 50.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile

Vu les conclusions du 27 avril 1998 aux termes desquelles la société Médard de Noblat réplique :

- que la société Haviland n'est pas le créateur des assiettes de présentation ornées d'une aile colorée à fond nuagé qui existent depuis 1986,

- que la société Haviland commercialise la gamme d'assiettes en litige depuis 1992,

- que la commercialisation de ces assiettes par elle-même n'est pas déloyale, dès lors qu'elle n'a fait que poursuivre la vente d'une série entreprise en 1990 et que les assiettes qu'elles proposent à la clientèle ne peuvent être confondues avec les assiettes de présentation "Les toscanes" de la société Haviland,

et poursuit la confirmation de la décision déférée, sollicitant, en outre, l'allocation d'une indemnité de 200.000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, d'une somme de 100.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ainsi que la publication de l'arrêt à intervenir ;

Sur quoi, LA COUR

Considérant que la société Haviland n'invoque aucun droit privatif tiré des dispositions du livre I ou du livre V du code de la propriété intellectuelle, mais prétend qu'en reproduisant les caractéristiques essentielles des assiettes de présentation qu'elle commercialise, depuis fin 1991, à savoir l'association

- d'un décor particulier sur l'aile consistant en un fond nuagé ou marbré, enserré entre deux liserés d'or,

- la gamme des cinq coloris très spécifiques qu'elle a choisis, corail (saumon), émeraude, lazuli (bleu), rubis (rouge), véronèse (vert),

La société Médard de Noblat a commis des actes de concurrence déloyale ;

Qu'il n'y a donc pas lieu d'apprécier, comme l'ont fait les premiers juges, si ce modèle est original ou nouveau, mais de rechercher si la société Haviland bénéficie d'une antériorité sur la commercialisation des assiettes présentant ces caractéristiques et si les assiettes offertes à la vente par la société Médard de Noblat reproduisent ces éléments d'identification des modèles ;

Considérant que la société Médard de Noblat fait valoir, à juste titre, que l'appelante n'établit pas que la gamme des cinq assiettes de présentation dénommées "Les toscanes" a été commercialisée avant 1992 ; qu'en effet, ces modèles dans les cinq coloris revendiqués n'apparaissent que sur le tarif 1992 de la société Haviland, qui ne comporte aucun autre élément permettant de les dater de manière plus précise ; que si les catalogues sur lesquels les caractéristiques de ces assiettes - l'aile colorée, marbrée enserrée dans deux liserés dorés - la déclinaison des cinq coloris - apparaissent nettement ne sont pas davantage datés, la dénomination "Les toscanes" permet d'identifier le modèle et de lui conférer date certaine ;

Considérant que la société Médard de Noblat justifie par la production de son tarif 1991 et de factures datées des 21 et 28 octobre 1991 émanant de la société d'imprimerie céramique Matthey Beyrand, de la commercialisation d'assiettes de présentation de forme "Édesse", dans quatre coloris, noir/vert/bleu/ rose ; que le tarif au 1er janvier 1992 montre que cette gamme d'assiettes dites "forme Édesse" était offerte à la vente dans sept coloris dont du gris, du bleu marine et la teinte dite "loupe d'orme" en sus des quatre précédents ; que sur le tarif 1993, ces assiettes sont présentées dans quatorze coloris dont deux nuances de vert (asley-agathe), quatre nuances de bleu dont un bleu marine, un bleu chrysalis, un bleu cyrianthe et un bleu trévise, corail (amadéo), gris, loupe d'orme, noir, saumon et "summer time" ; que les coloris "galante abricot" et "galante brique" sont apparus sur le catalogue et le tarif 1995 ;

Que la société Haviland ne saurait soutenir que la consistance du décor des assiettes commercialisées par la société Médard de Noblat, en 1991, est insuffisamment décrite alors, d'une part, que tous les documents produits comportent la même référence au modèle de forme "Édesse" qui est identifiable sur les catalogues et, d'autre part, que son propre modèle n'est pas davantage décrit sur le tarif 1992 ;

Qu'aucun élément ne permet donc affirmer, comme le fait la société Haviland, que l'aspect marbré du coloris décorant l'aile des assiettes de présentation de la société Médard de Noblat, qui est visible sur le catalogue 1993, ne se retrouvait pas sur le modèle fabriqué sous la même référence en 1991 ;

Considérant que les cinq coloris revendiqués par la société Haviland existent dans la gamme d'assiettes de présentation commercialisées par la société Médard de Noblat, même si pour un professionnel de la peinture sur céramique tel que la société Matthey Beyrand, les films nuagés et les gammes de couleurs utilisés sont différents ;

Mais considérant qu'il ressort de l'examen des différents catalogues versés au dossier que la déclinaison d'un même décor d'assiettes en plusieurs coloris constitue une pratique courante dans le domaine de l'industrie porcelainière ;

Que trois des nuances incriminées - agathe (version verte), chrysalis (bleu)et trévise (bleu) - apparaissaient déjà sur le tarif 1992 de la société Médard de Noblat ; que l'ajout en 1995 des coloris "abricot" et "brique" sous la référence "galante" est insuffisant pour caractériser la faute de la société intimée et sa volonté de reproduire la gamme de couleurs pastels de la série "Les toscanes" de la société Haviland, alors que sur cette période, elle a décliné ce modèle en quatorze teintes ;

Considérant, par ailleurs, que les nombreux catalogues produits aux débats démontrent la coexistence sur le marché d'au moins douze entreprises proposant à la vente des assiettes de présentation; que le dessous des assiettes en litige porte le nom du fabricant ; que face à cette pluralité de fabricants et s'agissant d'achats réfléchis qui ne s'effectuent pas en libre-service, le client qui désire acquérir ce type de vaisselle est donc nécessairement incité à vérifier l'origine des produits qu'il acquiert; qu'en outre, la forme du pied (légèrement plus haut chez Médard de Noblat) et le dessous des assiettes incriminées (émaillé chez Médard de Noblat, mat chez Haviland) permettent de les différencier ; que le fait qu'un vendeur du magasin Le Printemps ait placé une assiette de présentation Haviland au milieu d'un décor réservé à la société Médard de Noblat, s'il témoigne d'une faute d'inattention, n'est pas suffisamment déterminant pour établir l'existence d'un risque de confusion entre les deux gammes de produits en litige;

Qu'il s'ensuit que le jugement déféré qui a débouté la société Haviland de ses demandes sera confirmé ;

Considérant que la société Haviland a pu de bonne foi se méprendre sur la portée de ses droits ; que la société Médard de Noblat sera donc déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

Considérant, en revanche, que les dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile doivent bénéficier à la société Médard de Noblat qu'il lui sera accordé à ce titre une somme complémentaire de 50 000 F ;

Que la société Haviland qui succombe en son appel doit être déboutée de sa demande sur ce même fondement ;

Par ces motifs, Confirme le jugement déféré dans ses dispositions soumises à la cour, Y ajoutant, Condamne la société Haviland à payer à la société Médard de Noblat la somme de 50.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, Condamne la société Haviland aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.