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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 17 décembre 1999, n° 1997-11932

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Bastard

Défendeur :

Onelia Beauté (SARL), Alves, Catesson

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boval

Conseillers :

Mmes Mandel, Regniez

Avoués :

Me Huyghe, SCP Dauthy-Naboudet

Avocat :

Me Romelly.

CA Paris n° 1997-11932

17 décembre 1999

La cour statue sur l'appel interjeté par Mme Bastard d'un jugement rendu à son encontre le 7 février 1997 par le tribunal de commerce de Paris dans un litige l'opposant à la SARL Onelia Beauté ainsi qu'à M. Catesson et Mme Alves.

Référence étant faite au jugement entrepris et aux écritures d'appel pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, il suffit de rappeler les éléments essentiels suivants.

Mme Bastard qui exploitait à titre individuel un fonds de commerce de parfumerie et salon de beauté à l'enseigne "Rêves d'Eve", 46 Boulevard Murat dans le 16e arrondissement de Paris a vendu ce fonds en septembre 1994 à la SARL Onelia Beauté ainsi qu'à M. Catesson et Mme Alves pour un prix de 587.000 F. L'acte de vente comportait une clause de non-concurrence aux termes de laquelle Mme Bastard s'interdisait d'exploiter un fonds de commerce similaire dans un rayon de 5 kilomètres.

En novembre 1994, Onelia Beauté a fait délivrer une sommation interpellative à Mme Bastard pour obtenir des explications sur sa réinstallation au 4 Boulevard Malesherbes. Mme Bastard a indiqué qu'elle n'acceptait pas la clientèle du 16e arrondissement mais seulement quelques clientes du 8e arrondissement où elle avait exercé avant de s'installer Boulevard Murat, qui l'avaient suivie Boulevard Murat, puis l'avaient à nouveau suivie Boulevard Malesherbes.

Par acte du 27 février 1996, les acquéreurs ont fait assigner Mme Bastard devant le tribunal de commerce de Paris. Lui reprochant d'avoir violé la clause de non-concurrence figurant au contrat de cession, ils réclamaient qu'elle soit condamnée à leur payer la somme de 224.000 F en restitution partielle du prix de vente, et celle de 1.264.688 F à titre de dommages intérêts complémentaires.

Mme Bastard a conclu au débouté en soutenant qu'elle avait parfaitement respecté la clause de non-concurrence, et n'était aucunement responsable de la baisse de chiffre d'affaires du fonds vendu. Elle soutenait que cette baisse tenait au fait que la clientèle n'avait pas été satisfaite des prestations des nouveaux propriétaires du fonds et aussi à la circonstance qu'une partie de celle-ci avait suivi son ancienne employée qui s'était réinstallée à proximité. Elle sollicitait subsidiairement la désignation d'un expert.

Par le jugement entrepris, le tribunal a retenu que Mme Bastard, bien qu'elle n'ait pas violé la clause de non-concurrence limitée géographiquement, avait causé aux acquéreurs "un trouble partiel de jouissance". Il l'a condamnée à payer aux demandeurs outre une somme de 224.000 F correspondant à partie du prix de vente du fonds, une indemnité de 15.000 F pour leurs frais irrépétibles.

Ayant interjeté appel, Mme Bastard poursuit la réformation du jugement en toutes ses dispositions lui faisant grief. Elle prie la cour de débouter ses adversaires de toutes leurs demandes et de les condamner in solidum à lui payer une somme de 25.000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Les intimés concluent à la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné Mme Bastard à leur payer la somme de 224.000 F à titre de restitution partielle du prix et celle de 15.000 F pour leurs frais irrépétibles. Formant appel incident, ils réitèrent leur demande en paiement de la somme de 1.264.688 F à titre de dommages intérêts au titre d'un manque à gagner d'un montant correspondant selon eux à trois années du bénéfice antérieurement réalisé par Mme Bastard et des pertes qu'ils auraient eux-mêmes subies en trois ans.

Il convient de préciser que les intimés, qui n'ont pas conclu postérieurement au 20 novembre 1997, ne se sont pas fait représenter à l'audience.

Sur ce, LA COUR :

Considérant que le tribunal a constaté que le chiffre d'affaires du fonds vendu avait diminué de 60 % dès le mois de la cession, et que la déperdition s'était élevée à 56 % sur l'année suivant cette cession; qu'il a estimé que si Mme Bastard n'avait pas violé la clause de non-concurrence, s'étant rétablie à plus de 5 kilomètres du fonds vendu, elle avait causé un trouble de jouissance aux acquéreurs en reprenant une partie de la clientèle cédée, en se réinstallant dans un quartier où elle était connue depuis plus de 20 ans et où elle s'était initialement attachée ladite clientèle ;

Considérant que Mme Bastard critique le jugement en soutenant n'avoir commis aucune faute, dès lors qu'elle n'a jamais tenté de prendre contact avec la clientèle cédée et que les quelques clientes qui l'ont suivie l'ont fait spontanément ; qu'elle ajoute que la perte de clientèle subie par ses adversaires ne résulte pas de manœuvres qu'elle aurait commises mais du fait que la clientèle n'aurait pas retrouvé auprès des nouveaux acquéreurs le contact, l'accueil et l'attention qui leur étaient auparavant prodigués ;

Considérant que s'il est constant que la clause de non-concurrence n'a pas été violée par l'appelante qui s'est installée au-delà du rayon de 5 kilomètres dans lequel elle s'était engagée à ne pas se rétablir, il ressort des réponses de Mme Bastard à la sommation interpellative qui lui a été faite en novembre 1994 et des attestations qu'elle verse elle-même aux débats qu'un certain nombre de clientes (venant du 8e arrondissement) du fonds vendu qui l'y avaient suivie lorsqu'elle s'y était établie, l'ont à nouveau rejointe lorsqu'elle s'est réinstallée dans le 8e arrondissement; qu il se déduit de ces attestations, au nombre de plus d'une dizaine, que Mme Bastard avait nécessairement informé les clientes en cause du lieu de sa réinstallation et leur a ainsi permis de la suivre dans son nouvel établissement; qu'en agissant de la sorte, d'une manière systématique même si cela n'a concerné qu'une modeste partie de sa clientèle, Mme Bastard a, comme l'a estimé le tribunal, violé l'obligation de garantie à laquelle elle était tenue à l'égard des acquéreurs de son fonds;

Considérant cependant qu'il n'est pas possible d'imputer à ces seuls agissements la baisse considérable de chiffre d'affaires subie par les acquéreurs du fonds vendu ; qu'eu égard à l'ensemble des éléments du dossier, la cour estime qu'une réduction de 100.000 F sur le prix de vente (au lieu des 224.000 F fixés par les premiers juges) réparera exactement le préjudice subi par lesdits acquéreurs - que le tribunal a par ailleurs justement déboutés de leur demande en paiement de dommages intérêts complémentaires ;

Considérant que Mme Bastard, succombant pour partie, sera condamnée aux dépens d'appel; qu'il n'y a pas lieu de lui allouer l'indemnité qu'elle sollicite pour ses frais irrépétibles ;

Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris sauf sur le montant de la condamnation principale mise à la charge de Mme Bastard ; Réformant de ce seul chef et ajoutant : Condamne Mme Bastard à payer à SARL Onelia Beauté ainsi qu'à M. Catesson et Mme Alves la somme de 100.000 F ; Rejette toute autre demande ; Condamne Mme Bastard aux dépens ; Admet Me Huygue au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.