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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 1 décembre 1999, n° 1998-15576

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Rouas

Défendeur :

Queen (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marais

Conseillers :

M. Lachacinski, Mme Magueur

Avoués :

SCP Bommart Forster, Me Huyghe

Avocats :

Mes Casalonga, Lévy.

TGI Paris, 3e ch., 1re sect., du 11 mars…

11 mars 1998

La société Queen est titulaire de :

- la marque semi-figurative composée du terme Queen dont la première lettre inscrite en majuscule est surmontée d'une couronne, déposée le 9 novembre 1993, enregistrée sous le numéro 93/941.385 pour désigner les services de discothèque relevant de la classe 41,

- la marque dénominative Queen, déposée le 29 avril 1994, enregistrée sous le numéro 94/518.098, pour désigner les produits et services relevant des classes 38, 41 et 42 notamment les divertissements.

La société Queen a pour activité l'exploitation d'une discothèque située 102, avenue des Champs Elysées à Paris 8e.

Reprochant à Pierre Rouas l'exploitation à Rouen d'une discothèque à l'enseigne Le Queen et le dépôt, le 18 avril 1995, de la marque semi-figurative Le Queen enregistrée sous le numéro 95/568.498, après l'avoir mis en demeure par lettre du 9 juin 1995, la société Queen l'a, par acte du 20 novembre 1996, assigné devant le Tribunal de grande instance de Paris aux fins de constatation de la contrefaçon et d'actes de concurrence déloyale.

Elle a demandé, outre les mesures habituelles de nullité, d'interdiction et de publication, de le condamner à lui payer la somme de 500 000 F en réparation de l'atteinte portée à ses marques et celle de 500 000 F au titre de la concurrence déloyale ainsi qu'une somme de 30 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Par jugement du 11 mars 1998, le tribunal a :

- rejeté l'exception d'incompétence soulevée par Pierre Rouas,

- dit qu'en déposant la marque Le Queen numéro 95/568.498, Pierre Rouas a commis des actes de contrefaçon de la marque numéro 94/518.098 et de la marque numéro 93/491.385,

- a dit que Pierre Rouas a en outre commis des actes de concurrence déloyale,

- prononcé la nullité de la marque Le Queen numéro 95/568.498, déposée par Pierre Rouas,

- interdit à Pierre Rouas de faire usage de la dénomination Queen ou Le Queen, sous quelque forme que ce soit, pour désigner les produits ou services visés à l'enregistrement des marques numéros 94/518.098 et 93/491.385, dans un délai de huit jours à compter de la signification du jugement, sous peine passé ce délai d'une astreinte de 500 F par infraction constatée ;

- condamné Pierre Rouas à verser à la société Queen la somme de 80 000 F en réparation du préjudice causé par les actes de contrefaçon et celle de 80 000 F en réparation du dommage subi du fait des actes parasitaires,

- autorisé la société Queen à faire publier la décision dans trois journaux ou revues de son choix, aux frais de Pierre Rouas, sans que le coût total de ces insertions excède à la charge de ce dernier, la somme hors taxe de 45 000 F,

- ordonné l'exécution provisoire des mesures d'interdiction,

- condamné Pierre Rouas à la société Queen la somme de 12 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

- rejeté le surplus des demandes,

- dit que la décision devenue définitive sera transmise à l'initiative du greffier ou de la partie la plus diligente à l'Institut National de la Propriété Industrielle pour transcription au registre national des marques.

Pierre Rouas a relevé appel de ce jugement.

Poursuivant son infirmation, il soulève la nullité des marques numéros 93/491.385 et 94/518.098 pour défaut de caractère distinctif.

Il demande, en tout état de cause, de dire qu'en raison des différences entre l'enseigne incriminée et les marques appartenant à la société Queen et de l'éloignement géographique des deux discothèques, il n'existe aucun risque de confusion entre les signes.

Sur le grief de concurrence déloyale, il invoque l'absence de tout rapport de concurrence entre les deux établissements.

A titre subsidiaire, il conclut à la réduction des indemnités allouées à l'intimée qui ne sauraient selon lui excéder le franc symbolique.

Il sollicite l'allocation d'une somme de 35 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

La société Queen conclut à la confirmation de la décision déférée sauf sur le montant du préjudice qu'elle demande d'évaluer à la somme de 500 000 F en réparation des actes de contrefaçon et à 500 000 F en réparation des actes de concurrence déloyale.

Elle sollicite, en outre, la somme complémentaire de 30 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Sur quoi, LA COUR,

Considérant qu'il y a lieu de constater que dans ces dernières écritures, Pierre Rouas a renoncé à son action en déchéance à l'encontre des deux marques appartenant à la société Queen ;

- Sur la validité des marques numéros 93/491.385 et 94/518.098 :

Considérant que Pierre Rouas prétend que la dénomination Queen est dépourvue de caractère distinctif pour désigner une discothèque dans laquelle ont lieu des spectacles animés par des travestis déguisés appelés " Drag Queen " ; qu'il ajoute que la couronne, qui est associée au terme anglais Queen qui signifie Reine, est également un élément dépourvu de toute valeur distinctive ;

Mais considérant que, si la signification du mot de la langue anglaise Queen est perçue par le public qui fréquente les discothèques, ce termes n'est ni générique, ni descriptif pour désigner ces établissements, même s'ils peuvent occasionnellement présenter des spectacles travestis ;

Que l'appelant est irrecevable à opposer à la société Queen les marques ou dénominations appartenant à des tiers qui ont seuls qualité pour s'en prévaloir ;

Qu'il s'ensuit que la marque dénominative Queen enregistrée sous le numéro 94/518.098 est valable ;

Considérant que la marque semi-figurative numéro 93/491.385, qui est composée de la dénomination Queen dont la première lettre est surmontée d'une couronne inclinée, est également arbitraire pour désigner les services de discothèque, l'ajout du dessin représentant une couronne venant renforcer son caractère distinctif ;

Qu'elle est donc valable pour désigner les services visés dans l'enregistrement ;

Sur la contrefaçon :

Considérant que Pierre Rouas a déposé à l'Institut National de la Propriété Industrielle le 18 avril 1995 la marque semi-figurative composée de la dénomination Le Queen, la lettre Q étant surmontée d'une couronne ; que cette marque, enregistrée sous le numéro 95/568.498 désigne les services de discothèque relevant de la classe 41 ;

Considérant que cette marque reproduit à l'identique la dénomination protégée par les deux marques appartenant à l'intimée et l'élément figuratif de la marque n° 93/491.385 ; que l'adjonction de l'article " le " est inopérante ;

Que ces marques étant reprises de manière servile, pour désigner des services identiques, il n'y a pas lieu de rechercher s'il existe ou non un risque de confusion dans l'esprit du public ;

Qu'en déposant cette marque, Pierre Rouas a commis des actes de contrefaçon au préjudice de la société Queen ;

Considérant qu'il ressort du procès-verbal de constat dressé le 18 mai 1995 par Maître Daron, huissier de justice à Rouen, que Pierre Rouas utilise à titre d'enseigne de la discothèque qu'il exploite en nom personnel à Rouen, 2, rue Mal herbe, la dénomination " Le Queen " qui se détache en lettre de couleur bleue sur une couronne de couleur jaune ; que cet usage à titre d'enseigne des marques de la société Queen, pour identifier un établissement offrant les mêmes services que ceux protégés par le dépôt, est constitutif de contrefaçon ;

Sur la concurrence déloyale :

Considérant que la société Queen reproche à Pierre Rouas d'avoir commis des actes de concurrence déloyale et de parasitisme économique en utilisant ses marques, en déposant une marque reproduisant ces signes et en communiquant sur le terme " Queen " notamment par la diffusion de tracts publicitaires afin de bénéficier de la notoriété de son activité ;

Considérant que l'usage des marques de l'intimée et le dépôt d'une marque constituant sa reproduction servile ont été sanctionnés au titre de la contrefaçon ;

Mais considérant qu'en diffusant un tract ayant pour titre " le Queen s'implante à Rouen pour être plus proche de vous... ", sur lequel la dénomination apparaît surmontée d'une couronne, Pierre Rouas a cherché délibérément, comme l'ont pertinemment relevé les premiers juges, à provoquer la confusion entre les deux établissements en laissant accroire l'implantation à Rouen de la discothèque parisienne dont la renommée n'est pas contestée;

Qu'en détournant à son profit la notoriété et le succès de la société Queen, il a commis des actes de parasitisme, l'éloignement géographique des deux établissements étant indifférent;

Sur les mesures réparatrices :

Considérant que les premiers juges ont exactement relevé que si Pierre Rouas a, le 21 novembre 1996 soit le lendemain de la délivrance de l'assignation, modifié l'enseigne de son établissement, il n'a pas procédé à la radiation de la marque litigieuse ; que le préjudice subi par l'intimée, qui s'analyse en une atteinte à ses droits privatifs sur les marques dénominative et figurative " Queen " et qui s'infère des actes parasitaires constatés, a été justement évalué par les premiers juges ;

Qu'il convient de prononcer la nullité de la marque n° 95/568.498 ; que les mesures d'interdiction et de publication prononcées par les premiers juges sont justifiées ;

Qu'il s'ensuit que le jugement sera confirmé dans toutes ses dispositions ;

Considérant que les dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile bénéficieront à la société Queen ; qu'il lui sera accordé à ce titre la somme de 20 000 F ; que l'appelant qui succombe sera débouté de sa demande sur ce fondement ;

Par ces motifs, Constate que Pierre Rouas a renoncé à son action en déchéance de marques, Déclare valables les marques numéro 93/491.385 et numéro 94/518.098 dont est titulaire la société Queen ; Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Condamne Pierre Rouas à payer à la société Queen la somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, Condamne Pierre Rouas aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.