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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 25 novembre 1999, n° 3036-97

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Pierre Bonnerre (SARL)

Défendeur :

Kraft Jacobs Suchard France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Assié

Conseillers :

Mme Laporte, M. Fedou

Avoués :

SCP Lambert- Debray-Chemin, SCP Lissarrague-Dupuis & Associés

Avocats :

Me Hebrard-Minc, Ciaudo-Ginestie.

T. com. Versailles, du 29 janv. 1997

29 janvier 1997

Faits et procédure

La SA Kraft Jacobs Suchard France -KJSF- qui, dans le cadre de ses activités de fabricant de confiserie, est titulaire de la marque Milka accompagnée de la couleur mauve et du dessin d'une vache déposés depuis 1896, a eu des relations avec la SARL Pierre Bonnerre ayant pour objet la conception et la réalisation de biens publicitaires.

En 1992, la société KJSF a décidé d'élargir sa gamme de chocolats saisonniers commercialisés pendant les fêtes de Noël et de Pâques par le lancement d'un nouveau concept de conditionnement réutilisable de produits Milka destinés aux enfants.

Ce projet a abouti à l'élaboration d'une marionnette à l'effigie stylisée d'une vache à la robe tachetée blanche et mauve dénommée "Milka Puppet" qui a été commercialisée lors des fêtes de Noël 1994.

Prétendant que ce produit serait la copie servile de la marionnette par elle créée dont le dessin a été déposé par ses soins à l'INPI, le 17 juin 1993, la société Pierre Bonnerre a assigné la société KJSF devant le Tribunal de Commerce de Versailles en réparation du préjudice prétendument subi en raison des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale dont elle s'est dit victime.

Par jugement rendu le 29 janvier 1997, cette juridiction a débouté la société Pierre Bonnerre de toutes ses prétentions et la société KJSF de sa demande reconventionnelle, alloué à la défenderesse une indemnité de 10.000 francs en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et condamné la société Pierre Bonnerre aux dépens.

Appelante de cette décision, la société Pierre Bonnerre soutient s'être vue confiée par la société KJSF une étude complète pour la création et la réalisation du nouveau concept recherché par cette dernière et avoir accompli sa mission jusqu'à l'établissement d'un devis pour la confection d'une marionnette en forme de vache Milka créée par elle et choisie par la société KJSF parmi plusieurs de ses propositions, mais que cette dernière lui a déclaré avoir abandonné ce projet tout en le menant, en réalité, à son terme avec d'autres partenaires.

Elle ajoute que la "Milka Puppet" présente des caractéristiques similaires à celles du dessin du conditionnement dont elle est propriétaire et qu'elle a adapté sous la forme d'une marionnette représentant la "vache Milka".

Elle prétend que l'examen des pièces versées aux débats contredit les affirmations de l'intimée en indiquant que les sociétés Gimca Research, Ajena/Sa Nounours et Tooteam ne sont pas les créateurs de la marionnette et encore moins de son dessin tandis que les sociétés Tepor et IGC sont seulement intervenues au stade de la fabrication.

Elle en déduit que la société KJSF s'est rendue coupable d'actes de contrefaçon à son détriment et qu'en utilisant sa création pour faire réaliser un conditionnement de même modèle par une autre entreprise celle-ci a commis des agissements de concurrence déloyale et parasitaire.

Elle se prévaut de la marge bénéficiaire établie à 0,6075 francs H.T. par pièce par rapport au prix unitaire de 3,18 francs H.T. figurant dans son devis du 29 mars 1993 et de la quantité de productions arrêtée à 1.000.000, d'éléments pour évaluer le préjudice allégué.

Elle sollicite, en conséquence, la somme de 607.500 francs à titre de dommages et intérêts, avec intérêts légaux à compter de l'assignation, l'interdiction pour la société KJSF de poursuivre la fabrication et la commercialisation des conditionnements prétendument créés par ses soins sans son accord préalable, ainsi qu'une indemnité de 20.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La société KJSF relate avoir entrepris aux fins de trouver un nouveau produit saisonnier, une étude "marketing" qui s'est déroulée selon trois étapes -la création et la réalisation de concepts, la présélection et la sélection de concepts et la recherche des fournisseurs et l'étude des coûts et dont elle a chargé la société Gimca Research.

Elle précise que c'est en collaboration avec cette société que le concept de marionnette à l'effigie d'une vache Milka a été retenu et que la société Pierre Bonnerre n'a été contactée avec d'autres fournisseurs qu'au cours de l'étape finale pour procéder à des études de prix et n'a pas été choisie en raison de la cherté de son devis.

Elle souligne avoir conclu avec les sociétés Ajena et Tooteam ayant réalisé respectivement le prototype et la robe de la marionnette un contrat de cession de droits d'auteur.

Elle soulève, en premier lieu, l'irrecevabilité de l'action en contrefaçon de la société Pierre Bonnerre sur le fondement de l'article L. 521-2 alinéa 3 du Code de la Propriété Intellectuelle en faisant état de l'absence de droit à agir de celle-ci sur la base de son dépôt de dessin au 17 juin 1993 qui n'a été publié que postérieurement à l'assignation.

Elle considère qu'en toute hypothèse, le dépôt ne confère à la société Pierre Bonnerre qu'un droit sur son propre dessin et non tous les dessins de vache.

Elle réfute toute contrefaçon ou concurrence déloyale de sa part en faisant valoir que l'idée d'une marionnette en forme de vache contenant des chocolats émane de la société Gimca Research, que la vache proposée par la société Pierre Bonnerre et celle réalisée par la société Ajena pour elle ne comportent aucune similitude et que le dessin de l'appelante n'ayant pas été choisi, ni utilisé, n'a aucune influence en l'espèce.

Elle remarque que les parties n'exercent pas, de surcroît, la même activité et qu'elle-même ne s'est nullement épargné les frais d'une création.

Elle estime le préjudice allégué par la société Pierre Bonnerre hautement fantaisiste.

Elle conclut donc à la confirmation du jugement déféré, mais forme appel incident pour obtenir 50.000 francs de dommages et intérêts pour procédure abusive et en tout cas, une indemnité de 20.000 francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 17 juin 1999.

Motifs de l'arrêt

Considérant que la société Pierre Bonnerre a déposé à l'INPI, le 17 juin 1993, le dessin d'une "marionnette-packaging" à l'effigie d'une vache stylisée sous le numéro 933.184 ayant donné lieu à une régularisation reçue par cet organisme le 08 juillet 1993, et à une demande de sa part d'ajournement de la publicité à 3 ans.

Considérant que ce dépôt n'a ainsi été publié que le 12 juillet 1996 comme en fait foi le certificat d'identité.

Considérant qu'en vertu de l'article L. 521-2 alinéa 3 du Code de la Propriété Intellectuelle aucune action pénale ou civile ne peut être intentée avant que le dépôt n'ait été rendu public.

Considérant qu'en l'espèce, la publicité du dessin de la société Pierre Bonnerre intervenue, le 12 juillet 1996, a été opérée dix mois après la délivrance de son assignation en contrefaçon signifiée le 15 septembre 1995.

Considérant qu'il suit de là, que l'action en contrefaçon de la société Pierre Bonnerre est irrecevable sans qu'elle puisse utilement se prévaloir des dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 521-2 du Code de la Propriété Intellectuelle stipulant que les faits postérieurs au dépôt, mais antérieurs à sa publicité, ne peuvent donner lieu à une action même au civil, qu'à la charge par la partie lésée d'établir la mauvaise foi de l'inculpé dès lors que ce texte traite non de l'engagement de l'action, mais de la possibilité d'inclure dans les actes incriminés de tels faits.

Considérant que la société Pierre Bonnerre impute aussi à la société KJSF des actes de concurrence déloyale par voie d'agissements parasitaires en lui reprochant d'avoir utilisé sa création pour faire réaliser un conditionnement de mêmes modèle et caractéristiques techniques par une autre entreprise et de l'avoir ainsi privée de la rémunération de son travail ainsi que des développements financiers susceptibles d'en résulter.

Considérant à cet égard que la société Pierre Bonnerre ne justifie nullement avoir été chargée par la société KJSF de la création du nouveau concept de conditionnement en cause, ni davantage lui avoir communiqué en novembre 1992 le dessin de la marionnette litigieuse.

Considérant en effet, qu'il ressort des pièces produites que la société KJSF a, en réalité, confié cette mission à la société Gimca Research, laquelle, le 15 décembre 1992, lui a remis un premier rapport à cette fin, où figurent parmi les 80 propositions "une vache Milka remplie de chocolat en transparence ou non qui tire un traîneau ou assise" et des animaux marionnettes de la montagne remplis de chocolat bonbons et livret d'histoires liées aux personnages", une illustration de ces marionnettes dont l'une représentant une vache y étant annexée;

Que dans un second rapport dressé, le 17 décembre 1992, par la société Gimca Research, il apparaît qu'ont été présélectionnés sept concepts de produits dont notamment "des personnages vendus seuls ou en assortiment, en dus et/ou en chocolat contenant des confiseries".

Que dans la liste des 8 concepts sélectionnés il est fait état d'une "marionnette en dur ou en tissu garnie de petits chocolats permanents".

Que le concept de marionnette comme conditionnement et plus particulièrement à l'effigie d'une vache avait ainsi été trouvé par la société Gimca Research et retenu par la société KJSF dès l'issue de cette première phase de recherche de "l'étude de marketing".

Considérant que la société Pierre Bonnerre n'est intervenue qu'ultérieurement lors des réunions de travail qui se sont tenues les 22 janvier, 1er février, courant février et 23 février 1993, au cours desquelles la société KJSF a contacté des fournisseurs potentiels pour effectuer une estimation du coût de réalisation de la marionnette et des sept autres concepts sélectionnés;

Qu'à cette occasion, elle a remis des dossiers d'étude sur le choix des matériaux, le procédé et le coût de fabrication aux fins de les exécuter, correspondant à des études de prix sans constituer l'élaboration d'un cahier des charges et dont ceux adressés les 1er février et courant février 1993 comprenaient plusieurs dessins dont ceux de deux marionnettes à l'effigie d'un berger et d'une vache ayant fait l'objet par la suite de dépôts à l'INPI

Que la société Pierre Bonnerre a, par ailleurs, transmis le 30 mars 1993, un devis à la société KJSF qui ne l'a pas accepté;

Considérant que la société KJSF s'est, en définitive, adressée aux sociétés Ajena et Tooteam pour confectionner respectivement le prototype et la robe de la marionnette qui comporte le logo Puppet et conclu avec celles-ci des contrats de cession des droits d'auteur en date des 18 janvier 1994 et 23 décembre 1993 lui garantissant l'originalité de l'œuvre au niveau de la mise en forme du concept et des matériaux utilisés ;

Considérant que la marionnette "Milka Puppet" a ensuite été fabriquée en série par ces sociétés et par les sociétés IGC pour la cloche autour du cou et Treport au titre de la barquette plastique de fermeture dans le bas et a été commercialisée à partir des fêtes de Noël 1994 jusqu'en mars 1997 ;

Considérant qu'il s'infère de ces éléments que l'idée d'une marionnette en forme de vache contenant des chocolats Milka émane de la société Gimka Research mandatée pour rechercher un nouveau concept de conditionnement et que la société KJSF l'a retenue et a chargé les sociétés Ajena Tooteam de la mettre en forme en acquérant les droits sur leurs créations ;

Considérant de surcroît que le dessin de la marionnette proposé par la société Pierre Bonnerre à la société KJSF et déposé à l'INPI ne présente pas de ressemblance avec la marionnette "Milka Puppet" hormis qu'il s'agit dans les deux cas, d'une vache mauve et blanche lesquels constituent le symbole et la couleur non contestés du chocolat Milka;

Considérant en effet, comme le souligne à juste titre la société KJSF, que chacune des parties de l'animal s'avère différente ;

Qu'ainsi, la vache de la société Pierre Bonnerre a des cornes en forme de "demi-lune" bicolores, des oreilles pointues également bicolores mauves et blanches, des yeux malicieux dont les iris sont placés en coin et assortis de cils marqués, un front assez bas portant une touffe de poils sur la tête, un museau pourvu de naseaux très écartés à dominante mauve, des pattes assez longues baissées comportant des sabots, une robe évasée et froncée à dominante mauve avec des tâches blanches et porte une clochette qui a l'air d'une vraie cloche;

- Que la vache "Milka Puppet" présente au contraire des cornes et des oreilles arrondies et entièrement mauves, des yeux en amande sans expression particulière dont l'iris est situé au milieu de la cornée, avec des cils allongés et recourbés mais sans sourcils, un front haut, une tête entièrement lisse, un museau de forme arrondie similaire à un groin de cochonnet de couleur blanc rosé avec une petite langue rose, des pattes plus courtes s'élevant légèrement, dont l'extrémité est arrondie et dépourvue de sabots, une robe presque droite dont la couleur dominante est blanche avec des taches mauves sur laquelle figure l'inscription "Milka Puppet" et enfin à titre de cloche une étiquette en papier, sur laquelle est écrit son nom et diverses indications sur son contenu;

Considérant que la combinaison de toutes ces caractéristiques dissemblables confère à chacune des vaches une spécificité propre qui les différencient clairement pour aboutir à une vache à l'expression "humaine", ironique, voire sarcastique, de caractère plus abstrait de nature à être appréciée par les adultes en ce qui concerne la vache dessinée par la société Pierre Bonnerre tandis que celle réalisée par la société Gimca Research pour la société KJSF a un aspect beaucoup plus simple, rond, doux et purement animal, et comme telle susceptible de plaire avant tout à des enfants auxquels le nouveau conditionnement était destiné;

Considérant qu'il ne peut dès lors être reproché à la société KJSF d'avoir copié servilement le dessin de la société Pierre Bonnerre, ni même de s'en être inspirée sensiblement dans le cadre de la réalisation de la "Milka Puppet";

Qu'il ne peut davantage lui être fait grief d'avoir tenté de s'épargner un effort de création et de s'éviter des frais pour mettre au point le nouveau conditionnement qu'elle recherchait pour la diffusion de ses produits puisqu'elle a confié ce travail de création et de réalisation aux sociétés Gimca Research et Ajena Tooteam et en a supporté intégralement le coût de l'étude, comme de la fabrication ;

Qu'il ne peut non plus lui être imputé d'avoir essayé de profiter de la réputation de la société Pierre Bonnerre alors même qu'elle jouit depuis plus d'un siècle d'une notoriété certaine auprès des consommateurs et du grand public ce dont cette dernière ne dispose aucunement;

Considérant qu'en l'absence d'acte de parisitisme économique démontré à l'encontre de la société KJSF, la société Pierre Bonnerre sera déboutée de toutes ses demandes sur ce fondement;

Considérant que la société KJSF n'établissant pas le caractère abusif de l'action que la société Pierre Bonnerre était en droit d'engager et de poursuivre pour la défense de ses intérêts, sa demande en dommages et intérêts sera rejetée;

Considérant que l'équité commande, en revanche, de lui allouer une indemnité supplémentaire de 10.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Considérant que la société Pierre Bonnerre qui succombe en toutes ses prétentions supportera les dépens d'appel ;

Par ces motifs, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, confirme le jugement déféré sauf à déclarer irrecevable l'action de la SARL Pierre Bonnerre en contrefaçon du dessin déposé par ses soins à l'INPI sous le n° 933.184, déboute cette société de toutes ses autres prétentions; rejette la demande en dommages et intérêts de la SA Kraft Jacobs Suchard France; condamne la SARL Pierre Bonnerre à verser à la SA Kraft Jacobs Suchard France une indemnité complémentaire de 10.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile; la condamne aux dépens d'appel qui seront recouvrés par la SCP Lissarrague-Dupuis & Associés, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.