CA Dijon, 1re ch. sect. 1, 23 novembre 1999, n° 97-02903
DIJON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Bocquillon, SCI du Château de Vosne Romanée
Défendeur :
Maison Dufouleur Père et Fils (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Littner
Conseillers :
M. Jacquin, Mme Arnaud
Avoués :
SCP Fontaine-Tranchand & Soulard, Me Gerbay
Avocats :
SCP Dorey Portalis Pernelle, Mes Simonnet, Zazzo, Menendian.
Exposé de l'affaire
Le 9 mai 1995, le Général Henry Bocquillon, Comte Liger Belair et la SCI du Château de Vosne Romanée ont assigné devant le Tribunal de Grande Instance de Dijon la SA Maison Dufouleur Père et Fils pour voir :
- constater que le demandeur est propriétaire de la marque de fabrique " Comte Liger Belair " et des armoiries surmontées de la couronne comtale,
- constater que la maison Dufouleur Père et Fils distribue et commercialise des produits contrefaisant les marques désignées,
- dire que la société Maison Dufouleur Père et Fils se livre, au préjudice des demandeurs, à des agissements de contrefaçon de marque et de concurrence déloyale,
- interdire, sous astreinte, à la Maison Dufouleur Père et Fils de poursuivre la distribution et la commercialisation des produits sous les marques " Comte Liger Belair " et " Liger Belair " ainsi que l'utilisation de ces marques et des armoiries surmontées de la couronne comtale de la famille Liger Belair,
- prononcer la nullité de la marque Liger Belair déposée à l'INPI le 24 avril 1990 sous le numéro 205070 par Liger Belair SA (enregistrement sous le numéro 1 587 955),
- valider la saisie contrefaçon opérée le 25 avril 1995,
- condamner la défenderesse à verser 1.500.000 F à titre de dommages intérêts,
- ordonner la publication du jugement,
- condamner la défenderesse à payer 25.000 F sur le fondement de l'article 700 Nouveau Code de Procédure Civile.
Les demandeurs ont, dans leurs conclusions ultérieures, ajouté les réclamations suivantes :
- 1.000.000 F en réparation du préjudice moral causé par l'utilisation à des fins commerciales du titre nobiliaire,
- 1.500.000 F en réparation du préjudice causé par l'atteinte à l'image de marque du produit de la société du Comte Henry Liger Belair et en réparation des actes de contrefaçon,
- 1.500.000 F en réparation du préjudice causé par les actes de concurrence déloyale et parasitaire.
La société défenderesse a soulevé diverses exceptions tenant à la validité de l'assignation, à la qualité à agir de M. Henry Bocquillon Liger Belair et à la recevabilité de l'action. Elle a en outre contesté la validité des marques invoquées, soutenu que la SCI n'avait pas qualité à agir et contesté la contrefaçon.
Par jugement du 29 septembre 1997, le Tribunal de Grande Instance de Dijon a :
- dit que l'assignation du 9 mai 1995 est régulière en la forme,
- dit que les demandeurs ont qualité pour agir,
- déclaré le Général Henry Bocquillon, Comte Liger Belair forclos en son action aux fins de nullité de la marque déposée par la SA Liger Belair le 24 avril 1990 sous le numéro 1 524 916 ( en réalité n° 1587955),
- déclaré Monsieur Henry Bocquillon, Comte Liger-Belair forclos à agir en contrefaçon au titre de cette marque n° 1 524 916),
- déclaré Monsieur Henry Bocquillon, Comte Liger-Belair irrecevable en son action sur le fondement de la marque semi figurative " Comte Liger Belair " numéro 95 556 001,
- débouté Monsieur Henry Bocquillon, Comte Liger-Belair de sa demande d'indemnisation pour usurpation de titre et de ses attributs,
- débouté Monsieur Henry Bocquillon,Comte Liger-Belair et la SCI Chateau de Vosne Romanée de leur demande de dommages intérêts pour concurrence déloyale,
- débouté en conséquence les demandeurs de l'ensemble de leurs prétentions,
- débouté la SA Maison Dufouleur Père et Fils de sa demande de dommages intérêts,
- condamné reconventionnellement Monsieur Henry Bocquillon, Comte Liger-Belair et la SCI in solidum à verser à la société Maison Dufouleur la somme de 20.000 F au titre de l'article 700 Nouveau Code de Procédure Civile.
Monsieur Henry Bocquillon Comte Liger Belair et la SCI Chateau de Vosne Romanée ont fait appel.
Dans leurs conclusions du 13 septembre 1999, auxquelles il est fait référence par application de l'article 455 Nouveau Code de Procédure Civile, dans sa rédaction résultant du décret numéro 98-1231 du 28 décembre 1998, ils sollicitent la confirmation du jugement en ce qu'il a dit que l'assignation était régulière, que les demanderesses avaient qualité pour agir et que Monsieur Henry Bocquillon Liger Belair était recevable à agir seul en contrefaçon de marque. Ils reprennent par ailleurs leurs réclamations initiales et demandent à la Cour de :
- constater que Monsieur Henry Bocquillon Liger Belair est propriétaire des marques de fabrique n°1 524 916 et 95 556 001, valables depuis leur premier dépôt,
- constater la validité de la saisie contrefaçon opérée le 25 avril 1995,
- constater que la SA Maison Dufouleur Pere et Fils s'est rendue coupable d'usurpation de titre nobiliaire et de ses attributs, de contrefaçon de marque et de concurrence déloyale et parasitaire,
- interdire, sous astreinte, à la SA Maison Dufouleur Pere et Fils de poursuivre la distribution et la commercialisation de produits sous les marques " Comte Liger Belair " et " Liger Belair ", ainsi que l'utilisation de ses marques et du titre de comte, des armoiries et de la couronne comtale appartenant à Monsieur Henry Bocquillon Liger Belair,
- prononcer la nullité de la marque " Liger Belair " déposée à l'INPI le 24 avril 1990, n° 1 587 955, appartenant à la Société Maison Dufouleur Père et Fils,
- condamner la Maison Dufouleur Pere et Fils à verser à Monsieur Henry Bocquillon Liger Belair 1.000.000 F à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice moral causé par l'usurpation de son titre nobiliaire et de ses attributs,
- la condamner en outre à verser à la Société Civile Immobilière du Château De Vosne Romanée la somme de 1.500.000 F en réparation du préjudice causé par les actes de concurrence déloyale et parasitaire,
- la condamner à verser en outre à Monsieur Henry Bocquillon Liger Belair la somme de 1.500.000 F en réparation du préjudice causé par les actes de contrefaçon,
- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir,
- condamner la société intimée à verser 40.000 F sur le fondement de l'article 700 Nouveau Code de Procédure Civile,
- déclarer irrecevable l'appel incident et, subsidiairement le rejeter.
Par conclusions du 30 juillet 1999, auxquelles il est parfaitement fait référence, la SA Maison Dufouleur Père et Fils souhaite que la Cour :
- dise que Monsieur Henry Bocquillon Liger Belair est irrecevable et, subsidiairement, mal fondé en son appel en application des articles 112, 114, 648 du Nouveau Code de Procédure Civile et 815-3 du Code Civil,
- confirme le jugement en ce qu'il a dit hors délai et irrecevable l'action engagée le 9 mai 1995, et ce par application des articles L. 714-3, 116-2 et L. 716-5 du Code de la Propriété Intellectuelle,
- déclare nulle la saisie contrefaçon du 25 avril 1995,
- dise la Société Civile Immobilière du Château De Vosne Romanée irrecevable à agir ou, à tout le moins, mal fondée,
- déboute les appelants de l'intégralité de leurs demandes,
- faisant droit à l'appel incident, dise Monsieur Henry Bocquillon Liger Belair déchu de ses droits sur la marque dénominative " Comte Liger Belair " n° 1 524 916, et ce en application de l'article L.714-5 du Code de la Propriété Intellectuelle,
- prononce, subsidiairement, la nullité de la marque " Comte Liger Belair " n°1 524 916 comme portant sur un signe indisponible à la date de son dépôt,
- ordonne la transcription de l'arrêt à intervenir sur les registres de l'INPI, sur réquisition du greffier,
- condamne les appelants à lui verser 500.000 F pour procédure abusive et vexatoire ainsi que 50.000 F en remboursement de ses frais irrépétibles.
Motifs de la décision :
Attendu que les appelants ont en définitive engagé une action en contrefaçon de marques, une action en usurpation d'un titre nobiliaire et de ses attributs et une action en concurrence déloyale, qu'il convient d' examiner successivement.
I. Sur l'action en contrefaçon de marque :
A. Sur la demande d'annulation de l'assignation :
Attendu que la SA Maison Dufouleur Père et Fils soutient que l'assignation est irrégulière pour avoir été rédigée au nom du Général Comte Liger Belair alors que le patronyme complet est Bocquillon Liger Belair ;
Mais attendu que le tribunal a exactement répondu que le vice allégué était un vice de forme, que la nullité ne pouvait être poursuivie qu'à la condition de prouver le grief que pouvait causer l'irrégularité et qu'en l'espèce aucun grief n'était démontré, la société défenderesse n'ayant jamais pu se méprendre sur l'identité exacte du demandeur ;
Attendu au surplus que toutes les précisions nécessaires ont été données en cours de procédure ;
Qu'enfin la société Maison Dufouleur Père et Fils a fait valoir des défenses au fond et opposé des fins de non recevoir avant de soulever cette demande de nullité ;
Qu'il y a lieu à confirmation sur ce point.
B. Sur le défaut de qualité à agir de Monsieur Henry Bocquillon Liger Belair pour cause d'indivision :
Attendu que l'action en contrefaçon de marques a été engagée par une seule personne physique, Monsieur Henry Bocquillon Liger Belair ;
Attendu que la marque " Comte Liger Belair " n° 1 524 916 a été déposée le 6 avril 1989 par les personnes suivantes :
- Monsieur Henry Bocquillon Liger Belair,
- Madame Anne Charlotte Marie Bocquillon Liger Belair, veuve Rieder Philippe ;
Attendu que la marque semi-figurative " Comte Liger Belair " n° 95 556 001 a été déposée le 27 janvier 1995 par les personnes suivantes :
- Monsieur Henry Bocquillon Liger Belair,
- Monsieur Louis Michel Bocquillon Liger Belair ;
Attendu que la société intimée en conclut que l'action est irrecevable pour n'avoir été engagée que par un seul des déposants ;
Mais attendu que cette prétention a été rejetée à juste titre par le tribunal ;
Qu'en effet en ce qui concerne en premier lieu la marque n° 1 524 916, les pièces versées aux débats démontrent que Madame Anne Bocquillon Liger Belair avait, le 18 décembre 1995, donné mandat à son frère d'agir en justice à l'encontre de la Maison Dufouleur à l'effet d'obtenir l'annulation de la marque n°205070, déposée par la société Liger Belair le 24 avril 1990, et d'obtenir réparation pour les actes de contrefaçon commis par la société Dufouleur Père et Fils de la marque " Comte Liger Belair " enregistrée sous le numéro 1 524 916 ; qu'il importe peu que l'intéressée ait auparavant signé un acte dans lequel elle déclarait céder en toute propriété, et sans contrepartie, à son frère la propriété de ces marques; qu'en effet chacun de ces deux actes, et l'un à défaut de l'autre, permettait à Monsieur Henry Bocquillon Liger Belair d'agir seul ;
Attendu que, de la même façon, Louis Michel, le 20 décembre 1995, avait donné mandat à son père d'agir en justice à l'encontre de la Maison Dufouleur pour obtenir l'annulation de la marque semi figurative n°95 556 001 et obtenir réparation pour les actes de contrefaçon commis par cette société ;
Attendu que, même si une erreur est contenue dans ce mandat concernant le numéro de la marque dont la nullité était recherchée, l'intention était clairement exprimée d'agir contre les agissements de la Maison Dufouleur portant atteinte aux marques déposées antérieurement par la famille Liger Belair ;
Attendu surtout, et qu'en toute hypothèse, chaque copropriétaire d'une marque peut agir seul en contrefaçon, l'action de chacun profitant à tous et chacun étant censé représenter les autres ;
Attendu qu'en l'espèce Louis Michel, le 20 décembre 1995, et Aime Rieder, le 18 décembre 1995, ont confirmé l'action engagée par Monsieur Remy Bocquillon Liger Belair au nom des co-indivisaires ;
Attendu que ce moyen doit donc être écarté.
C. Sur la qualité et l'intérêt à agir de la S.C.I, à ce titre
Attendu que le tribunal a considéré que la SCI du Château de Vosne Romanée n'avait pas de droit à agir au titre de la marque mais pouvait le faire exclusivement sur le fondement de la concurrence déloyale ;
Attendu que la société intimée sollicite la confirmation de cette disposition, qui n'est pas contestée par les appelants ;
Qu'il y a donc lieu à confirmation sur ce point.
D. Sur la forclusion de l'action en contrefaçon de la marque n° 1 524 916 et en nullité de la marque n° 1 587 955.
Attendu que Monsieur Henry Bocquillon Liger Belair sollicite l'annulation de la marque déposée le 24 avril 1990 par la SA Liger Belair sous le numéro 1 587 955 ; qu'il reproche également à l'intimée d'avoir commis des actes de contrefaçon ;
Attendu qu'en ce qui concerne la demande d'annulation, l'article L. 7 14-3 du Code de la Propriété Intellectuelle prévoit que seul le titulaire d'un droit antérieur peut agir d'office en nullité sur le fondement de l'article L. 711-4, mais que son action n'est pas recevable si la marque a été déposée de bonne foi et s'il en a toléré l'usage pendant cinq ans ;
Attendu que le tribunal a retenu cette forclusion, ce que contestent les appelants au motif que la disposition instituant ce délai de cinq ans résulte de la loi du 4 janvier 1991, entrée en vigueur le 28 décembre 1991, de sorte que ce délai ne pouvait pas être accompli avant le 28 décembre 1996 ;
Attendu que le même raisonnement est soutenu pour la recevabilité de l'action en contrefaçon que l'article L. 716-5 Code de la Propriété Intellectuelle subordonne à l'absence de tolérance pendant un délai de cinq ans ;
Attendu que, s'il est vrai que l'action n'est pas recevable lorsque la totalité du délai de cinq ans s'est écoulé avant la promulgation de la loi instituant une règle nouvelle, il en est autrement lorsqu'une partie seulement de ce délai était accomplie à cette date ; qu'en effet le titulaire de la marque première était alors informé de l'existence de cette nouvelle règle et avait la possibilité d'agir avant l'expiration de ce délai ; que la loi devait donc, conformément à l'article 2 du Code Civil s'appliquer immédiatement aux effets à venir des situations juridiques non contractuelles en cours au moment de son entrée en vigueur ;
Que la Cour de cassation a d'ailleurs retenu cette solution en matière de déchéance pour inexploitation (article L. 714-5 du Code de la Propriété Intellectuelle) en admettant que la déchéance était encourue dès lors que la période d'inexploitation avait commencé moins de cinq années avant l'entrée en vigueur de la loi du 4 janvier 1991, ce dont il résultait que la société en cause n'avait pas acquis le droit de ne pas se voir appliquer la loi nouvelle (Comm. 8 juillet 1997- PIBD 1997, 642, III, p.684) ;
Attendu qu'en l'espèce, la marque litigieuse a été déposée par la SA Liger Belair le 24 avril 1990 ;
Que le délai de cinq ans expirait, conformément à l'article 641 Nouveau Code de Procédure Civile, le 24 avril 1995 ;
Attendu que le procès verbal de contrefaçon a été signifié le 25 avril 1995 tandis que l'assignation a été délivrée le 9 mai 1995 ;
Qu'il y a donc eu tolérance de l'usage de la marque pendant plus de cinq ans ;
Attendu qu'il doit être, au surplus, relevé que le dépôt effectué par la société Liger Belair., qui démontre, notamment par des attestations de ses imprimeurs, qu'elle utilisait cette marque depuis des années avant d' être reprise puis absorbée par la SA Maison Dufouleur Père et Fils, doit être considéré comme ayant été fait de bonne foi, aucun élément ne permettant de démontrer la mauvaise foi, qui ne peut se présumer ;
Attendu que les conditions exigées tant par l'article L. 714-3 que par l'article L. 716-5 du Code de la Propriété Intellectuelle étant réunies, Monsieur Henry Bocquillon Liger Belair a été, à juste titre déclaré forclos dans son action en nullité de la marque déposée par la société intimée et dans son action en contrefaçon de la marque n° 1 524 916 ;
Que le procès verbal de saisie contrefaçon du 25 avril 1995 doit en conséquence être déclaré nul.
E. Sur l'irrecevabilité de l'action engagée sur le fondement de la marque semi figurative n° 95 556 001.
Attendu que l'appelant reproche à la société intimée d'avoir commis des actes de contrefaçon de la marque semi figurative déposée le 27 janvier 1995 ;
Attendu que, selon l'article L.716-2 du Code de la Propriété Intellectuelle, les faits antérieurs à la publication de la demande d'enregistrement de la marque ne peuvent être considérés comme ayant porté atteinte aux droits qui y sont attachés mais que cependant les faits postérieurs à la notification faite au présumé contrefacteur d'une copie de la demande d'enregistrement pourront être constatés et poursuivis ;
Attendu que la marque semi figurative Comte Liger Belair a été déposée par Messieurs Henry Bocquillon Liger Belair et Louis Bocquillon Liger Belair le 27 janvier 1995 ; qu'elle a été publiée au B.O.P.I. le 10 mars 1995 ;
Attendu que les faits reprochés à la SA Maison Dufouleur Père et Fils sont antérieurs à cette date en ce qui concerne la saisie dans le magasin Publix de deux tickets de caisse des 3 décembre et 11 février 1995 et de tarifs au 1er janvier 1995 ;
Attendu que les faits relevés dans le procès verbal de saisie contrefaçon sont également antérieurs au 10 mars 1995 puisqu'il s'agit de factures établies au cours des années 1991, 1992, 1993, 1994 ; que les deux factures de l'année 1995 concernent des millésimes 1994 ;
Attendu que les déposants de la marque senti figurative ne justifient d'aucune notification à la SA Maison Dufouleur Père et Fils d'une copie de leur demande d'enregistrement, une simple lettre de la société Applima ne pouvant avoir cet effet, alors au surplus que ce courrier, qui aurait été adressé le 14 mars 1995 n'est pas versé aux débats et qu'en outre aucun acte ultérieur n'est démontré à l'encontre de la SA Maison Dufouleur Père et Fils ;
Attendu que le tribunal a dès lors exactement considéré que l'action introduite du chef de cette marque était irrecevable.
2. Sur l'action en usurpation du titre nobiliaire et de ses attributs.
Attendu que Monsieur Henry Bocquillon Liger Belair soutient que l'utilisation à des fins commerciales du titre de comte, du patronyme Liger Belair, de la couronne comtale et des attributs qui y sont attachés constitue une faute dont la SA Maison Dufouleur Père et Fils doit réparation; qu'il précise que le Garde des Sceaux, par arrêté du 21 janvier 1999, a dit qu'il serait inscrit sur les registres du Sceau de France comme ayant succédé à son aïeul Louis Charles Bocquillon ;
Attendu qu'il ne peut être contesté que la SA Maison Dufouleur Père et Fils a recueilli dans le patrimoine de la société Liger Belair, venant aux droits de la société Marey et Liger Belair la propriété des marques qui s'y trouvaient, et donc notamment celles qui sont actuellement en discussion ; que cela est démontré en particulier par le traité d'apport partiel d'actifs du 22 août 1979, qui rappelle d'une part l'apport fait par M. Edgard Louis Bocquillon, Comte Liger Belair à la société C. Marey Liger Belair, d'autre part la transformation de cette société en S.A. des Anciens Etablissements C. Marey et Liger Belair et mentionne dans l'actif apporté l'achalandage, la clientèle, le droit de se dire successeur de la société des Anciens Etablissements C. Marey et Liger Belair ;
Que par la suite le traité de fusion du 9 janvier 1991 entre la S. A. Liger Belair et la société Maison Dufouleur Père et Fils a inclus dans les biens visés par la convention ceux qui avaient été apportés dans le cadre de l'acte précédent, et notamment " la propriété pleine et entière ou le droit d'usage des brevets, droit de propriété industrielle de marque de fabrication ou de commerce, dont la société Liger Belair pourrait disposer " ;
Attendu que le traité de fusion a régulièrement fait l'objet d'une demande d'inscription au Registre National des Marques dès le 3 avril 1991, les documents transmis comprenant notamment la marque Liger Belair ;
Mais attendu en toute hypothèse qu'il résulte des pièces versées aux débats que Monsieur Henry Bocquillon Liger Belair a lui-même décidé de faire de son titre et de ses attributs une marque commerciale puisqu'il revendique l'usage, depuis de nombreuses années de la marque " Comte Liger Belair " ; qu'il remet d' ailleurs, à l'appui de cette affirmation, une attestation établie par la Maison Bouchard Pere et Fils, qui affirme que les étiquettes utilisées portent la mention " Comte Liger Belair " depuis 1976 pour le monopole de la Romanée, depuis 1983 pour la totalité de la récolte de la Société Civile Immobilière du Château de Vosne Romanée ;
Attendu que, s'il est vrai que les titulaires d'un titre nobiliaire ont le droit, à chaque génération de s'opposer à l'usage du titre comme marque puisqu'ils doivent recevoir le titre tel qu'il a été créé et donc non engagé dans une société de commerce, Monsieur Henry Bocquillon Liger Belair ne peut invoquer cette règle puisqu'il a lui-même décidé de faire de son titre et de ses attributs une marque commerciale ; que cette volonté est notamment démontrée par la lettre adressée par l'intéressé à la société Lionel J. Bruck par laquelle il déclare donner l'autorisation de l'utilisation exclusive de la marque " Compte Liger Belair " ;
Attendu que le tribunal a, dès lors, justement considéré que le titre nobiliaire et ses attributs étaient devenus, avec l'accord de son titulaire, un signe distinctif qui ne pouvait plus faire l'objet d'une contestation que sur le fondement du droit des marques, pour lequel Monsieur Henry Bocquillon Liger Belair vient d'être déclaré forclos à agir ;
Qu'il doit encore être souligné que l'appelant semblait d'ailleurs peu sûr de son droit avant l'arrêté du 21 janvier 1999 puisqu'il avait déposé; le 6 avril 1989, une demande de renouvellement de la marque " Vicomte Liger Belair " déposée le 17 avril 1979, cette marque étant ensuite enregistrée sous le numéro 1 524 915 ;
Attendu qu'il y a donc lieu à confirmation sur ce point.
3. Sur l'action en concurrence déloyale et parasitaire engagée par la SCI du Château de Vosne Romanée :
Attendu que la SCI appelante soutient d'une part qu'elle est en droit d'agir sur ce fondement, quelle que soit la date de son contrat de licence, d'autre part que la commercialisation par la société Dufouleur de vins de qualité et de prix inférieurs sous la dénomination " Comte Liger Belair " porte atteinte à son image de marque et à son prestige ;
Qu'il lui appartient donc de prouver soit que la société Dufouleur a commis à son encontre des actes déloyaux, soit qu'elle a utilisé sa notoriété pour créer une confusion dans l'esprit du consommateur, soit qu'elle s'est placée dans son sillage pour attirer sans effort la clientèle ;
Mais attendu qu'il convient en premier lieu de relever que le contrat de licence invoqué par la SCI à l'appui de sa demande porte la date du 3 mars 1995, date contemporaine de celle à laquelle la procédure a été engagée ;
Attendu que , même en admettant que la SCI, qui ne peut justifier d'un contrat de licence régulièrement inscrit à l'INPI, puisse agir en concurrence déloyale, encore faut il qu'elle démontre que des agissements déloyaux ont été commis ; que ne peut en toute hypothèse être opposée aux tiers la disposition du contrat de licence prévoyant un effet rétroactif, en l'espèce au 1er janvier 1990 ;
Attendu qu'ainsi qu'il l'a été dit précédemment, aucun acte critiquable n'a été commis postérieurement au 10 mars 1995 ;
Qu'il ne peut en toute hypothèse être soutenu qu'un risque de confusion existe entre le Bourgogne Rouge Cuvée Comte Liger Belair (19,85 F la bouteille) ou le Bourgogne Blanc Cuvée Comte Liger Belair (21,70 F la bouteille) et les grands crus produits sur le domaine de la Romanée ;
Qu'au surplus la marque " Comte Liger Belair ", connue des seuls initiés, qui ne peuvent donc se méprendre, ne bénéficie pas d'une notoriété suffisante pour tromper la clientèle fréquentant un magasin Publix d'un arrondissement de Paris ; qu'aucune relation ne peut être faite entre la marque " Comte Liger Belair " et les grands crus commercialisés à Nuits Saint Georges ou à Vosne Romanée ;
Attendu qu'il apparaît en définitive que la SCI appelante ne rapporte pas la preuve d'agissements déloyaux imputables à la société intimée ;
qu'elle ne justifie au surplus d'aucun préjudice, étant observé qu'il n'est pas sérieux de réclamer 1.500.000 F en retenant comme base de calcul la privation pendant cinq ans de la production du grand cru " La Romanée " ;
Attendu que le rejet de cette demande doit également être confirmé.
4. Sur l'appel incident en déchéance et en nullité de la marque n° 1 524 916.
A) demande de déchéance.
Attendu que cette demande ne concerne que la marque n° 1 524 916, la seconde marque ayant été déposée trop récemment pour être concernée par ce problème ;
Attendu que la SA Maison Dufouleux Pere et Fils invoque en premier lieu les dispositions de l'article L. 714-5 du Code de la Propriété Intellectuelle, selon lequel encourt la déchéance le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n'en a pas fait un usage sérieux pendant une période interrompue de cinq ans ;
Attendu qu'elle peut formuler cette demande dans le cadre de la présente instance, même si l'action en contrefaçon a été déclarée irrecevable, puisqu'elle aurait pu agir en déchéance dans le cadre d'une action principale ;
Attendu que cette demande a été formulée dans des conclusions déposées le 31 janvier 1997 ; qu'il en résulte d'une part qu'elle est recevable, d'autre part qu'il convient de rechercher si le propriétaire de la marque a négligé d'en faire un usage sérieux pendant une période ininterrompue de cinq ans à compter de la date du dépôt, le 6 avril 1989, ou, par la suite, pendant une période quinquennale complète, étant rappelé qu'il appartient au propriétaire de la marque de rapporter la preuve de l'exploitation ;
Attendu que les pièces versées aux débats démontrent suffisamment que le propriétaire de la marque, par lui même ou par ceux auxquels il en avait donné l'autorisation, a exploité le signe qui avait été déposé ;
Attendu en effet que les étiquettes produites et dont il n'est pas prétendu qu'elles aient été imprimées pour les besoins de la procédure, révèlent que depuis la date du dépôt plusieurs crus et notamment " La Romanée " ou le " Vosne Romanée du Château " ou le " Vosne Romanée Aux Reignots " comportaient dans leur désignation la marque " Comte Liger Belair ", qui n'était pas, contrairement à ce qui est prétendu, une simple indication de provenance même si référence était également faite au Château de Vosne Romanée ; qu'il importe peu que cette marque ait figuré sur les bouteilles à côté d'un autre signe ;
Attendu que le Directeur Général de la Maison Bouchard confirme cette exploitation de ce signe à titre de marque puisqu' il déclare dans l'attestation, dont il a déjà été fait état, que cet établissement commercialise la totalité de la récolte de la SCI depuis 1983 et que les étiquettes sont revêtues de la marque " Comte Liger Belair " ;
Attendu que les titulaires de la marque ont en outre, le 3 mars 1995, signé avec la SCI Château de Vosne Romanée un contrat de licence de marque, ce qui révèle leur volonté d'exploiter le signe distinctif déposé ;
Attendu que l'ensemble de ces éléments démontre la volonté non équivoque du propriétaire d'exploiter réellement sa marque dans des conditions telles que cet usage n'est ni accidentel ni sporadique ;
Attendu que la demande de déchéance doit donc être rejetée.
B) Demande de nullité.
Attendu que la société Maison Dufouleur Pere et Fils conclut à la nullité de la marque n° 1 524 916 en soutenant qu'elle dispose sur la dénomination et le nom Liger Belair de droits antérieurs ; qu'elle rappelle les dispositions de l'article L. 711-4 du Code de la Propriété Intellectuelle qui interdit d'adopter comme marque un signe portant atteinte à un droit antérieur et notamment à une dénomination ou raison sociale s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public ;
Attendu que les documents complets versés aux débats démontrent que la SA Liger Belair vient bien aux droits de la SNC Marey et Liger Belair, créée en 1907 par Edgar Liger Belair et, par ses trois fils Henri, Louis et Félix ;
Attendu qu'en 1920, cette société est transformée en société anonyme puis est ré- immatriculée au registre du commerce, le 9 octobre 1956 sous la dénomination " Anciens Ets C.Marey et Liger Belair, Liger Belair et Fils successeurs " puis donnée en location gérance, le 10 avril 1979, à la société Dufouleur Pere et Fils.
Attendu que l'entité juridique nouvelle prévue pour exploiter le fonds de commerce de la société Liger Belair, dont le capital était réparti entre M. Xavier Dufouleur (60 %) et M. Xavier Liger Belair (40 % ) a été constituée le 27 juin 1979 ;
Attendu que les sociétés Maison Dufouleur Père et Fils et Liger Belair ont finalement fusionné le 9 janvier 1991, l'acte étant inscrit au Registre National des Marques le 3 avril 1991 ;
Attendu qu'ainsi que le reconnaît Vincent Liger Belair, dans sa lettre du 4 juin 1996, adressée à Xavier Dufouleur, la société Dufouleur se trouve bien aux droits de l'ancienne société familiale Marey et Comte Liger Belair ;
Mais attendu que la marque dont l'annulation est demandée est la suivante: " Comte Liger Belair - Château de Vosne Romanée (Côte d'Or) " ;
que les dénominations des sociétés aux droits desquelles vient la société Dufouleur étaient les suivantes : " Anciens Ets Marey et Liger Belair, Liger Belair et Fils successeurs ", " SA Liger Belair " ;
Que ces dénominations sont suffisamment distinctes de celle de la marque, même si le nom patronymique est le même, pour écarter le risque de confusion envisagé par l'article L.711-4 du Code de la Propriété Intellectuelle ;
Attendu qu'il en résulte que, même en admettant, comme le soutient la société intimée, que la marque litigieuse doit être considérée comme un premier dépôt à la date du 6 avril 1989, aucune antériorité n'existait à la date du dépôt et la demande d'annulation doit en conséquence être rejetée.
5. Sur les demandes annexes.
Attendu que les demandes de déchéance et de nullité de marques déposées étant rejetées, il n'y a pas lieu d'ordonner la transcription du présent arrêt sur les registres de l'INPI ;
Attendu que la présente procédure et notamment la saisie contrefaçon résultant en définitive d'un manque de précision, imputable à l'une l'autre des parties dans les actes rédigés lors de la transmission des éléments d'actifs des diverses sociétés ayant pris la suite de la S.N.C. Marey et Liger Belair, la procédure ne peut être qualifiée d'abusive et vexatoire, ce qui conduit à rejeter la demandé de dommages intérêts formée par la société intimée ;
Attendu que, pour le même motif, il n'y a pas lieu à appliquer en appel les dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Décision :
Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; Ajoutant ; Déclare nulle et de nul effet la saisie contrefaçon du 25 avril 1995 ; Statuant sur l'appel incident de la société Maison Dufouleur Père et Fils ; Rejette les demandes de déchéance et de nullité de la marque " Comte Liger Belair " n° 1 524 916 ; Déboute la société Maison Dufouleur Père et Fils de sa demande de dommages intérêts ; Dit n'y avoir lieu en appel à application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Condamne in solidum Monsieur Henry Bocquillon Comte Liger Belair et la SCI du Château de Vosne Romanée aux dépens d'appel et dit que Maître Gerbay, avoué, pourra les recouvrer conformément à l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.