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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 17 novembre 1999, n° 1997-07977

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

TF1 (SA)

Défendeur :

Tribot Volodine, Berlaud Lynth

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marais

Conseillers :

M. Lachacinski, Mme Magueur

Avoués :

Me Olivier, SCP Fisselier Chiloux Boulay

Avocats :

Mes Moncorps, Bousquet, Pascal.

TGI Paris, 3e ch., 2e sect., du 10 janv.…

10 janvier 1997

Le 24 janvier 1995, TF1 a diffusé une émission intitulée " On n'est pas couché " présentée par Yvan Le Bolloc'h, Bruno Solo et Bruno K'Vern dit Gus, suivie de trois émissions de la même série.

Estimant que cette émission constitue la contrefaçon du concept d'émission intitulé " William, Yvan et Alexandra " qu'elles ont déposé le 3 juin 1994 et que sa diffusion, alors qu'il avait été porté à la connaissance de TF1 en la personne de Xavier Couture, constitue un agissement parasitaire, Françoise Tribot-Volodine et Catherine Berlaud Lynth ont, par acte du 21 avril 1995, assigné la société TF1 devant le tribunal de grande instance de Paris, aux fins de la voir condamner à leur payer la somme de 5.120.000 F au titre de la contrefaçon, celle de 500.000 F au titre des agissements parasitaires et celle de 50.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Par acte séparé, elles ont appelé dans la cause Laure Chouchan, coauteur.

Par jugement du 10 janvier 1997, le tribunal a

- dit que la société TF1, en diffusant le 24 janvier 1995 une émission intitulée "On n'est pas couché" a commis des actes de contrefaçon du projet d'émission constituant une œuvre de collaboration dont Mmes Tribot Volodine, Berlaud Lynth et Chouchan sont les auteurs, telle que déposée le 3 juin 1994 sous le titre "William, Yvan et Alexandra" et telle que précédemment déposée le 8 octobre 1993 sous le titre " concept de l'émission ",

- fait interdiction, avec exécution provisoire, à la société TF1 de procéder à toute utilisation de la dite œuvre,

- condamné TF1 à verser à Mmes Tribot Volodine et Berlaud Lynth la somme globale de 100.000 F en réparation de l'atteinte portée à leurs droits patrimoniaux et à leur droit moral,

- rejeté les demandes formées au titre de l'article L. 335-6 du Code de la Propriété Intellectuelle, des agissements parasitaires et des articles 204 et suivants du nouveau code de procédure civile,

- autorisé les demanderesses à faire publier le dispositif du jugement dans 3 journaux ou revues de leur choix aux frais de la société TF1,

- condamné la société TF1 à verser à Mmes Tribot Volodine et Berlaud Lynth la somme de 20.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

La société TF1 a relevé appel de cette décision. Poursuivant son infirmation sauf en ce qu'il a considéré que Mmes Tribot Volodine et Berlaud Lynth ne rapportaient pas la preuve d'une concurrence déloyale ou d'agissements parasitaires, elle soutient:

- que les intimées ne peuvent se prévaloir d'une œuvre susceptible d'être protégée par le droit d'auteur,

- qu'elles n'indiquent pas avec précision quelle version de l'œuvre qu'elles revendiquent aurait été contrefaite,

- qu'aucune originalité relative ne peut être reconnue au projet invoqué,

- subsidiairement, que l'émission " On n'est pas couché " ne constitue pas la contrefaçon du projet d'émission des intimées.

Elle demande de condamner les intimées à lui payer la somme de 20.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Françoise Tribot Volodine et Catherine Berlaud Lynth concluent à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a reconnu que la société TF1 avait commis des actes de contrefaçon et prononcé une mesure d'interdiction et de publication.

Elles demandent de le réformer pour le surplus, en condamnant la société TF1 à leur payer la somme de 5.120.000 F à titre de dommages-intérêts en réparation des actes de contrefaçon, de constater que la société TF1 a commis des agissements déloyaux et parasitaires et de la condamner pour ces faits à leur payer chacune la somme de 500.000 F à titre de dommages-intérêts et d'autoriser la publication de l'arrêt à intervenir.

Elles sollicitent, en outre, l'allocation d'une somme de 50.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Le 8 octobre 1999, les intimées ont demandé le rejet des écritures signifiées par la société TF1 le 17 septembre 1999 au motif qu'elles contiennent des demandes nouvelles

- sur le caractère non protégeable de l'œuvre,

- sur l'absence de revendication d'une version précise de l'œuvre revendiquée,

- sur l'absence de preuve de concurrence déloyale ou d'agissements parasitaires,

- au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

auxquelles elles n'ont pu répliquer, l'ordonnance de clôture ayant été rendue le 20 septembre 1999.

Laure Chouchan, régulièrement assignée conformément à l'article 659 du nouveau code de procédure civile, n'a pas constitué avoué.

Sur quoi, LA COUR

Considérant que dans les écritures signifiées le 11 juin 1997, la société TF1 avait déjà contesté l'originalité du projet invoqué par les intimées et conclu à la confirmation du jugement déféré (page 20) en ce qu'il a rejeté les prétentions de Mmes Tribot et Berlaud fondées sur la concurrence déloyale et les agissements parasitaires; qu'à la page 6 des écritures signifiées le 2 septembre 1998, elle leur reprochait l'absence de détermination de l'œuvre prétendument contrefaite ;

Que les intimées, qui ont conclu le 13 août 1999, ont donc été à même de répliquer à ces demandes;

Considérant, en revanche, que la demande au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile formée pour la première fois par la société TF1, 3 jours avant le prononcé de la clôture, sera déclarée irrecevable; qu'il s'ensuit que les conclusions signifiées le 17 septembre 1999 seront rejetées ;

- Sur le caractère protégeable du projet d'émission invoqué par les intimées ;

Considérant que Françoise Tribot-Volodine et Catherine Berlaud-Lynth opposent à la société TF1 un projet d'émission tel que déposé le 9 septembre 1993, puis le 8 octobre 1993 à la Société des Gens de Lettres intitulés " Talk-show: un, deux, trois bonsoir " et " concept de l'émission " puis formalisé dans une maquette définitive déposée le 3 juin 1994, intitulée " William, Yvan et Alexandra " ;

Considérant que, contrairement à ce que soutient la société TF1, ces trois documents bien que distincts procèdent d'un projet unique dont le contenu est parfaitement déterminé et précisé dans le dernier dépôt qui en constitue la forme la plus achevée ;

Considérant que le document déposé le 8 octobre 1993 intitulé " concept de l'émission ", décrit

- sa nature, un " Talk-show coulé dans une histoire scénarisée où chaque présentateur (-trice) du triangle improvise à partir d'un rôle qui lui est assigné "

- son contenu, " un trio de deux hommes et une femme. Les deux hommes, de nature très contrastées. L 'un plutôt traditionnel et flegmatique, l'autre plutôt contestataire et insolent. La femme joue le rôle d'équilibreur. Le concept repose sur l'opposition des deux hommes et, de façon sous-jacente, sur leur rivalité (amicale) dans la course à la séduction de la femme ".

Qu'il précise que " les présentateurs du triangle sont, à la manière de personnages de feuilleton, porteurs d'une psychologie, d'un back-ground et d'un environnement que le téléspectateur connaît " ; que le dessein des auteurs est de faire " flotter " le téléspectateur entre la fiction et la réalité, le divertissement et l'information, en le faisant notamment assister hors plateau, " comme s'il regardait par le trou d'une serrure, à des confidences, des disputes, des discussions entre les protagonistes du triangle ";

Considérant que le projet intitulé " William, Yvan et Alexandra " reprend l'idée centrale du concept d'émission précité en rappelant que les présentateurs du talk-show pourraient être des personnages de feuilleton, que le téléspectateur " sait tout d'eux ", qu'il assiste à leurs " prises de bec, leurs emballements, leurs plans et leurs secrets " et en précise le contenu en prévoyant:

- un préambule ou pré-générique montrant les présentateurs avant l'émission, dans leurs préparatifs, avec leurs démêlés, leurs confidences et le suivi de leur relation personnelle entre deux émissions,

Il est ainsi prévu de filmer les présentateurs au volant de leur véhicule sur la route les conduisant au studio d'enregistrement,

- la présence d'un invité qui apporte " l'air du dehors " et participe au talk-show, " comme s'il s'agissait d'une rencontre entre copains " à laquelle il était venu s'adjoindre,

- des rubriques qui ne sont pas toujours présentées par le même présentateur, telles une étude de traits de caractère sous la forme d'un portrait morpho-psychologique, une critique théâtrale, cinématographique ou journalistique, une rubrique se proposant d'aider le téléspectateur dans sa vie quotidienne, une rubrique " curiosité ", une présentation de l'invité sous un jour nouveau, une rubrique " billet d'humeur ", une rubrique " consommation " et une rubrique " audace "

- des incidents volontaires qui donnent l'impression d'assister à " un tournage sans filet ";

- après l'émission, les trois présentateurs se retrouvent en coulisse, le téléspectateur assistant à leurs commentaires et démêlés

Considérant que les intimées estiment que l'originalité du concept d'émission qu'elles ont mis au point réside dans la combinaison de l'ensemble de ces éléments, sans les énumérer de manière précise, si ce n'est aux pages 9 à 16 de leurs dernières écritures consacrées au grief de contrefaçon;

Mais considérant que les premiers juges ont relevé justement que le recours a des présentateurs au profil différent et même opposé, présentés dans une situation de rivalité amicale, ne revêt aucune originalité, d'autres émissions ayant déjà joué sur ce contraste ;

Que l'émission intitulée " Le plein de Super " diffusée sur Canal+, le 28 mai 1994, comportait déjà un pré-générique mettant en scène une rencontre entre les deux présentateurs de l'émission annoncée ;

Que les intimées ne revendiquent aucune originalité aux différentes rubriques énoncées dans le document intitulé " William, Yvan et Alexandra "

Que la survenance d'incidents volontairement provoqués pour distraire le téléspectateur, est un procédé connu précédemment utilisé dans l'émission

" Le plein de Super " qui met en scène une rencontre entre un individu d'apparence menaçante et les deux animateurs; que cette émission s'achève par des échanges entre les présentateurs sur son déroulement;

Considérant que si le projet des intimées vise à accorder le premier rôle aux présentateurs, en les assimilant à des personnages de feuilleton, l'invité apparaissant comme un faire-valoir, cette même finalité apparaît dans l'émission intitulée " Les Nuls " diffusée le 11 janvier 1992 sur Canal + qui était animée par trois présentateurs, recevant un invité qui leur donne l'occasion de se prêter à des jeux de rôle; qu'elle comporte en outre un pré-générique, une séquence hors plateau dans la loge de l'invité ; que ce trio d'animateurs aux profils différents dont le téléspectateur suit les péripéties se retrouvent dans l'émission " Le plein de Super ", le rôle de l'invité se limitant de la même manière à favoriser les réparties des trois protagonistes ;

Considérant que la réunion de ces éléments connus pour avoir déjà été utilisés dans des émissions précédentes ne révèle aucun effort créatif et ne confère au projet revendiqué par Mmes Tribot-Volodine et Berlaud-Lynth aucune originalité propre, le concept lui-même dans l'expression donnée par les intimées à savoir, faire des animateurs les personnages d'un feuilleton, étant au surplus commun à d'autres émissions antérieures ;

Que, dans ces conditions, l'action en contrefaçon engagée par celles-ci est mal fondée ; qu'elle sera rejetée ;

- Sur les agissements parasitaires

Considérant que les intimées reprochent à la société TF1 de s'être emparée, par le biais d'un de ses salariés, Xavier Couture, les informations, les idées et les éléments conceptuels et créatifs communiqués alors que ce dernier était le président-directeur-général de la société Tilt Productions;

Mais considérant que cette demande qui n'est pas formulée à titre subsidiaire doit être fondée sur des faits distincts de ceux invoqués à l'appui de l'action en contrefaçon

Considérant que si l'émission " On n'est pas couché " présente des points de ressemblance avec le projet revendiqué, elle n'en constitue pas la copie servile ; qu'alors que les trois documents invoqués par les intimées mettent l'accent sur la présence dans le trio d'une présentatrice " qui est l'objet d'une rivalité amicale entre les deux présentateurs qui en sont tous deux vaguement amoureux ", l'émission incriminée est présentée par trois animateurs de sexe masculin ; que l'on ne retrouve pas les mêmes rubriques que celles annoncées dans le projet achevé

Queles agissements parasitaires reprochés se sont donc pas caractérisés

Qu'il s'ensuit que le jugement déféré sera infirmé sauf en ce qu'il a rejeté la demande au titre des agissements parasitaires ;

Par ces motifs, rejette les écritures signifiées le 17 septembre 1999 par la société TF1, confirme le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande formée par Françoise Tribot-Volodine et Catherine Berlaud-Lynth au titre des agissements parasitaires, l'infirmant pour le surplus et statuant à nouveau, déclare Françoise Tribot-Volodine et Catherine Berlaud-Lynth mal fondées en leur action en contrefaçon, rejette l'ensemble de leurs demandes, condamne in solidum Françoise Tribot-Volodine et Catherine Berlaud-Lynth aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.